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1ère La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle 2023-2024

La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale étudiée en classe


 Arthur Rimbaud, Les Cahiers de Douai, 1895 (publication posthume)

Lectures cursives au choix


 Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien, 1913
 Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913
 Jacques Prévert, Paroles, 1946

Intitulé du parcours
 « Emancipations créatrices »
Emancipations :
Créatrices :

Le recueil
 Poèmes écrits en septembre et octobre 1870 à Douai après sa fugue à Paris.
Rencontre avec le poète Paul Demeny à qui il laissera ces poèmes.
 Deux cahiers : le 1er contient 15 poèmes et le deuxième 7 (des sonnets
exclusivement).
 Organisation non chronologique.
 Influences diverses :
o Le Parnasse (vocabulaire précieux, références mythologiques, « Ophélie »,
« Soleil et chair »)
o Victor Hugo (textes politiques et satiriques, « Le Forgeron », « L’Eclatante
Victoire de Sarrebrück »)
o Charles Baudelaire (provocation, thèmes de la sensualité et de l’ivresse,
« Vénus anadyomène »)
 Unité thématique du 2nd cahier : thème de l’élan lié au bonheur et à la griserie.

Lecture du recueil et choix des poèmes favoris et de celui qui sera appris et présenté.

Poèmes analysés
« Le Mal »
« Au Cabaret-Vert »
« Le Buffet »
Trois sonnets qui illustrent l’émancipation à la fois sociale, politique, personnelle et
poétique.

« Le Mal »

Quelques repères historiques :


Guerre déclarée par Napoléon III contre la Prusse dénoncée par Rimbaud.
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Défaite, fin de l’empire, déclaration de la IIIème République, siège allemand puis finalement
signature d’un armistice en mai 1871 à Francfort.
La Commune 18 mars 1871 : petit groupe de Parisiens qui veulent continuer à lutter.

Projet de lecture : Expression de la révolte, critique de la guerre et de la religion, la poésie


devient un outil efficace pour exprimer sa révolte.
Révolte comme émancipation.
Mouvements : la guerre et l’Eglise
L’horreur de la guerre, la réaction de l’Eglise
Structure du poème : un sonnet, une seule phrase qui comprend une apostrophe, une
adresse directe à la nature.

Tandis que les crachats rouges de la mitraille


Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;
Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Description sensorielle, violente, visuelle de la guerre.


Deux propositions subordonnées conjonctives circonstancielles de temps introduites par
« tandis que »: éveille la curiosité, que se passe-t-il simultanément se demande le lecteur.
Personnification de l’arme et déshumanisation des soldats qui perdent leur identité.
« crachats rouges de la mitrailles » « écarlates ou verts…croulent les bataillons en masse ».
La personnification se poursuit avec l’emploi du verbe « siffler ».
Impression d’infini créée par les hyperboles « tout le jour » et « l’infini du ciel bleu » :
ajoutent à la blessure et par une note de lyrisme accentuent la tonalité pathétique du
poème. Contraste entre le cadre « infini du ciel bleu » et la violence du combat (rime entre
« feu » et « bleu »)
« du Roi » : il n’y en a qu’un, les dirigeants, les monarques se confondent car ils portent la
même responsabilité. Rime riche « mitraille » et « raille » crée un contraste : pendant que la
mitraille tue (le GN « crachats rouges » fait référence aux blessures des soldats), les
souverains rient, se moquent.
Destruction massive : allitération en « r » et champ lexical de la destruction avec l’inversion
sujet-verbe « croulent les bataillons » qui permet de mettre le verbe « croulent » en
exergue.
Les sens sont en éveil dans cette strophe et dans la suivante : l’ouïe, la vue, le toucher.

Tandis qu’une folie épouvantable broie


Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;
– Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…

Nouvelle prop sub circonstancielle de temps introduite par « tandis que ». Simultanéité.
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Dans les deux premiers vers, le spectacle atroce se poursuit. Allitération en « f », champ
lexical de la destruction (« broie », « tas fumant », « morts »). Hyperboles : « folie
épouvantable » (périphrase pour désigner la guerre et montrer du doigt la responsabilité des
rois), « cent milliers ». Rimbaud insiste encore sur les conséquences terribles de la guerre et
marque les esprits par la déshumanisation des soldats « broie », « tas fumant ».
Apostrophe aux victimes et à la Nature, comme un hommage. Adresse directe,
personnification (emploi de la deuxième personne du singulier). Plainte, Rimbaud se désole
et exprime son admiration. Tonalité pathétique créée par l’interjection et les exclamations.
Contraste avec les vers précédents : la nature est associée à un cadre positif, agréable :
énumération « été », « herbe », « joie ».
« ces hommes » : déterminants démonstratifs : tous égaux au départ et l’adverbe
« saintement » soulignent les intentions honorables de la nature qui s’apparente au divin
(« saint »). Alors que la guerre détruit (« broie » au présent) la nature construit (« fis » au
passé). Le choix des temps accentue le pathétique, cette impression d’impuissance et de
non-retour.

– Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées


Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Enfin la proposition principale qui commence par le présentatif « il est ».


Article indéfini : distance, scepticisme, banalisation de Dieu, regard dépréciatif
La prop sub relative « qui rit » renvoie à celle de la première strophe : « qui les raille ». L’un
se moque, l’autre rit : la critique de l’indifférence du roi et de Dieu est évidente.
Enumération de riches accessoires religieux : Dieu se prélasse dans le luxe. Description qui
contraste encore une fois avec l’horreur du front. Le nom « bercement » et le verbe
« s’endort », en plus d’accentuer cette atmosphère agréable ramènent à l’enfance et font de
Dieu un enfant insouciant et gâté.

Et se réveille, quand des mères, ramassées


Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Dernier verbe dont Dieu est le sujet implique une réaction de la part de ce dernier « se
réveille ». Prop sub conj circonstancielle de temps introduite par « quand » qui exprime aussi
la simultanéité et explique l’origine de cette réaction. Dieu devient en plus intéressé par
l’argent.
Apparition de nouveaux protagonistes : « des mères » : les soldats deviennent des fils.
Description pathétique des mères, champ lexical de la tristesse : Ces sont des victimes
misérables : caractère modeste de l’offrande « un gros sou lié » (jeu avec les sonorités
« soulier »). Cette chute contraste avec la richesse de l’Eglise par la description des mères et
le lexique antithétique : rime riche « damassées »/ « ramassées », « rit » / « pleurant »,
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« bercement » / « angoisse ». Le poème s’achève sur un point d’exclamation qui souligne


l’indignation de Rimbaud.

Eléments de conclusion : description sensorielle de l’horreur de la guerre, critique des


monarques et de Dieu en insistant sur leur indifférence. Caractère vénal de l’Eglise et misère
des mères des victimes. Rimbaud exprime ce qui le révolte, ce qui lui fait horreur. Il
s’émancipe en exprimant son opinion sur les dirigeants et l’institution de l’Eglise. Et il prend
sa place de poète en glorifiant la nature.

« Au cabaret vert, cinq heures du soir »

Premières impressions : scène visuelle, du quotidien, réalisme, journal intime, caractère


autobiographique
Emancipation d’un jeune homme qui fugue, qui apprend l’indépendance qui passe de
l’enfance à l’adolescence, qui découvre les plaisirs de l’existence.
Projet de lecture : comment Rimbaud donne à voir un moment de son escapade. En quoi ce
poème illustre-t-il l’émancipation personnelle et créatrice de Rimbaud ?
Mouvements : le cadre et la situation / l’arrivée de la serveuse / les sensations liées au
goûter
Structure : sonnet irrégulier avec de nombreux enjambements.

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines


Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Situation, cadre : cc de temps et de lieu (« Depuis huit jours », « aux cailloux des chemins »,
« à Charleroi »). Le lecteur est au courant de la situation dès les deux premiers vers :
Rimbaud est en vadrouille, seul (première personne du singulier), il marche (PQP « j’avais
déchiré mes bottines ») et grandit. Temps du récit au passé : PQP, imparfait, passé simple :
Rimbaud, raconte, nous fait part d’une anecdote qui donne cette impression de journal
intime. La poésie permet de raconter, de partager son expérience et ces sensations de jeune
bohème. Phrases courtes, simplicité du style, vocabulaire courant, enfantin (rime bottines-
tartines), surprenant dans un poème. Réalisme créé par les noms de lieux : Charleroi,
Cabaret-Vert. « Au Cabaret-Vert » en début de vers ce qui marque une certaine importance
du lieu. Enjambement du cc du nom tartines « de beurre et du jambon » : des mots sans
grande importance sont mis en relief par la structure de la strophe. Rimbaud se moque-t-il
de la poésie ? S’amuse-t-il ? Il parait très enfant par ses actes : « déchiré mes bottines »,
« demandai des tartines … qui fût à moitié froid » : prop sub relative qui donne une
information sur sa demande : il désire son jambon tiède, un peu comme un enfant.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table


Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
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Adjectif bienheureux en début de strophe : Rimbaud insiste sur son bien-être, il se délecte
de cette vie de bohème. Contraste avec la première strophe, Rimbaud prend des airs de
jeune homme (émancipation) : « j’allongeai les jambes », « je contemplai les sujets » :
actions qui traduisent une certaine assurance. On retrouve les mêmes caractéristiques qu’au
vers précédent : vocabulaire courant, enjambements surprenants (rejet des expansions du
nom « verte » ou « de la tapisserie »). Cette impression de passage à l’âge adulte est
accentuée par le début de phrase « Et ce fut adorable » : réaction spontanée (conj de coord
« et » en début de phrase) qui rappelle celle qu’un adulte aurait devant une scène qui
l’attendrit (emploi de l’adjectif « adorable »). Il ne semble pas du tout intimidé. Prop sub
conj circons de temps introduite par « quand » en fin de vers, dont la principale se trouve à
la strophe suivante : encore une audace poétique. Description de « la fille » (qui elle aussi se
poursuit à la strophe suivante), qu’on devine être la serveuse, qui traduit ce regard
adolescent qui découvre la sensualité (cc de noms « aux tétons énormes », « aux yeux vifs »).
Réalisme, le lecteur suit son regard : il est d’abord attiré par la poitrine, puis les yeux et
enfin, à la strophe suivante, la bouche (« rieuse »).

– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! –


Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

La strophe commence par une incise marquée par les tirets. Ce vers participe à donner à ce
poème un caractère de journal intime dans lequel Rimbaud raconte ses réactions sur le
moment. La phrase exclamative traduit son élan, sa spontanéité, son bien-être à ce moment-
là. On sent aussi l’adolescent grandir qui est réceptif à la sensualité de la jeune femme. Le
pronom « démonstratif « celle-là » continue de dresser ce portrait à l’aise, nonchalant du
jeune homme que la fugue rend confiant et fait grandir. Fin de la description de la serveuse :
l’adjectif « rieuse » en début de vers renforce la vivacité, la légèreté et la gaité qui
emplissent cette scène. L’énumération qui suit renforce le caractère trivial du sonnet : « des
tartines de beurre, du jambon tiède » … « du jambon rose et blanc » (ici encore,
enjambement, phrase qui se poursuit à la strophe d’après). On remarque la répétition entre
la première et la troisième strophe : “je demandai” - “elle m’apporta”. On peut y voir une
manière d’insister encore sur ce passage de l’enfant à l’adulte. La précision “dans un plat
colorié” ajoute à la vivacité de la scène et participe au réalisme. Rimbaud observe et prend
conscience de son environnement.

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse


D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

La dernière strophe du sonnet qui commence par « du jambon rose et blanc » quelle audace
mais quel plaisir aussi de rentrer de manière si ludique dans l’intimité de Rimbaud (trivialité
de l’image du jambon mais aussi allusion sensuelle à la cuisse de la jeune femme). Ce sonnet
respire la jeunesse et la modernité. L’adjectif “immense” qui complète la chope, laisse
penser que Rimbaud pose encore un regard d’enfant. L’éveil des sens présent dans tout le
poème atteint son paroxysme dans la dernière strophe : la vue (« rose et blanc »), l’odorat
(« parfumé d’une gousse d’ail »), le gout (« jambon », « ail », « chope »), le toucher (« sa
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mousse », « soleil »). Description réaliste qui donne à voir (et à sentir) cette scène à la fois
anodine et extraordinaire. Le soleil dans le dernier vers semble sublimer cette nature morte :
nature divine, qui sublime, qui inspire, qui veille sur le poète.

Eléments de conclusion : Un poème surprenant par son caractère réaliste et sa forme. Les
nombreux enjambements, le niveau de langue et la description vive et très sensorielle de la
scène donne à ce poème un caractère de journal intime. Rimbaud ici partage un moment à
la fois anodin et d’une grande importance pour lui. Il fait part du bien-être ressenti dans
cette vie de bohème, et, par l’écriture, illustre son évolution de l’enfance à l’âge adulte.

Sonnet régulier traditionnel « Le Mal » « Au Cabaret Vert »


Sujet noble
Rimes embrassées dans les
quatrains
Dans les tercets AAB CBC ou
AAB CCB
Alternance rimes masculines
et féminines
Deux quatrains = unité
Deux tercets = élément
nouveau, éclaircissement,
explication
Dernier tercet = chute
Alexandrins avec césure,
deux hémistiches de 6
syllabes
Unité syntaxique d’un vers à
l’autre et d’une strophe à
l’autre

« Le Buffet »

Mouvements du texte, évolution :


Les 2 quatrains proposent une description du buffet au présent de l’indicatif
1ère strophe : description extérieure
2ème strophe : ce qu’on y trouve à l’intérieur
Les 2 tercets font un pas vers l’imaginaire
3ème strophe : le lecteur est appelé à imaginer ce qu’on pourrait encore trouver dans ce
buffet. Le poète fait appel à ses souvenirs.
4ème strophe : le poète s’adresse directement au buffet qui prend vie.

Le Buffet : source d’inspiration poétique. Ecriture poétique : permet de donner vie à ce


buffet mais aussi de réveiller des souvenirs enfouis, l’imagination du lecteur.

Comment l’écriture poétique donne-t-elle vie à ce buffet ?


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C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,


Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Présentation et description extérieure méliorative du buffet. Création d’une atmosphère


agréable, familière, nostalgique.
Présentatif “C’est” : le sujet du poème est annoncé. On s’étonne et est curieux : un meuble,
sujet d’un sonnet ? Qu’est-ce que le poète nous prépare ? Article indéfini “un” : encore
vague, c’est un buffet parmi tant d’autres. Mais le poète s’attarde sur sa description et grâce
à l’écriture, il est possible de le visualiser. Eléments de description : deux adjectifs épithètes :
large, sculpté (imposant, inspire déjà une certaine forme de respect). Le matériau “chêne
sombre” et la rime riche avec “ombre” créent une atmosphère mystérieuse, presque
fantastique. Enjambement vers 1 et 2, la description s'étend sur deux vers + césure
irrégulière “buffet sculpté” semblent étendre la description, qui s’étire et attire le regard.
Désir d’en savoir plus encore, d’aller plus loin. Le poète insiste sur la vieillesse du bois et du
meuble. Mise en valeur de “Très vieux” en début de vers, emploi de l’adverbe d’intensité.
Polyptote “vieux”, “vieille”. Personnification méliorative “air si bon” (adverbe d’intensité
encore) qui associe le buffet à une personne âgée : annonce sa transformation.
Mystère, caractère vivant de la description et du meuble lui-même accentué par l’emploi du
présent de l’indicatif, par l’invitation à regarder à l’intérieur “est ouvert” et le verbe de
mouvement “verse”. Eveil des sens, de la vue mais aussi de l’odorat : comparaison “flot de
vin vieux” et GN mélioratif “parfums engageants”. Le lecteur se sent attiré, comme enivré,
presque envouté.

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,


De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;

L’intérieur du buffet, il est ouvert, il nous invite à regarder à l’intérieur, il est accueillant il
nous attire et rappelle ceux qui ont vécu (« De femmes ou d’enfants », « de grand-mère »).
Le meuble recèle de nombreux éléments qui confirment cette impression de meuble ancien.
Ce qu’on y trouve relève d’une vie passée. Le mystère chatouille la curiosité du lecteur et
réveille déjà son imaginaire. “Tout plein” : hyperbole. “Fouillis” terme familier + « vieilles
vieilleries » : polyptote qui insiste sur le côté ancien, dépassé de tous ces objets et qui
interroge le lecteur sur le choix de la répétition. Fait-elle allusion à la répétition du temps, les
hommes partent, le buffet reste, intemporel, immuable. Pourquoi tant de simplicité dans le
langage ? (« tout plein », « vieille vieilleries », « fichus de grand-mère ») Pour évoquer la
simplicité du souvenir, ou pour rappeler les personnes âgées qui se répètent et
emmagasinent des choses sans grande utilité pour finalement les oublier. Enumérations de
GN au pluriel, nombreuses expansions du nom, rejet « de chiffons/De femmes » qui étirent
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encore davantage la liste : le fouillis du buffet est rendu par l’écriture. Description sensorielle
(odorat, vue et ouïe) : l’esprit du lecteur s’anime au fil de l’énumération. L’anaphore de “de”
renforce cette impression d’abondance et de désordre. Les allitérations en v et f semblent
imiter le bruit du buffet : la description devient de plus en plus vive ce qui réveille encore
davantage les souvenirs du lecteur.

– C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches


De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

Après la description de ce qu’on trouve dans ce buffet (présent de l’indicatif employé dans
les deux 1ères strophes), le 1er tercet commence par une tournure impersonnelle au
conditionnel présent « on trouverait » : il ne s’agit plus uniquement du buffet que le poète a
choisi de décrire mais aussi d’un buffet sorti de l’imagination du lecteur. Le buffet devient
alors le recueil des souvenirs, le poète éveille les souvenirs du lecteur. Enumération de noms
pluriels introduits par l’article défini « les ». Impression d’abondance encore et le choix de
l’article renforce cette impression de souvenirs véritables, appartenant à chacun, ou d’objets
incontournables, possédés au cours d’une vie. Cette énumération d’objet peut rappeler un
trésor de femme, des souvenirs d’un amour disparu (médaillons, mèches, portraits, fleurs).
Les sens sont chatouillés par les parfums et l’allitération en « f ». La répétition de « parfum »
et les « fruits » contribue à la douceur du poème. L’allusion à la nature donne une
impression de vie, de renouveau : redonner vie par le souvenir.

– Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,


Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Le poète s’adresse directement au buffet (pronom « tu ») : familiarité et adoration en même


temps (apostrophe, interjection « Ô »), comme chez les grands-parents. Présent de l’indicatif
« tu sais bien des histoires », adverbe d’intensité bien : les objets qu’il contient sont des
récits, des souvenirs qu’il renferme. Le buffet sait, voudrait, il a une âme. Mais l’emploi du
verbe « vouloir » au présent du conditionnel crée une limite : il reste un meuble, c’est aux
vivants d’imaginer, de comprendre, de se souvenir. A nouveau emploi d’une polyptote,
« conter tes contes » qui peut rappeler la prise de parole d’une personne âgée ou d’un
enfant. L’effet de répétition contribue à créer une atmosphère familière. Importance de
l’ouïe, harmonie imitative du bruissement des portes par l’allitération en « r ». Retour au
réalisme au dernier vers : ouverture : description extérieure, ouverture du buffet, les mêmes
sensations peuvent être éveillées comme une boucle, il redevient un meuble, qui à nouveau
va susciter toutes ces sensations. Le GN « tes grandes portes noires » fait écho au « large
buffet sculpté » et souligne aussi cette évolution dans la relation que le lecteur a créé avec
ce meuble grâce à la poésie. On est passé d’un article indéfini « un » au déterminant
possessif « tes ».
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Est-ce un buffet qu’il trouve dans un endroit inconnu ou est-ce un retour vers un lieu
familier ?

La magie de ce poème, on est presque dans un monde fantastique.

Question de grammaire : repérez la proposition subordonnée conjonctive circonstancielle


dans la dernière strophe.

Eugène Guillevic, “Art poétique”, Gagner, 1949

Eléments biographique intéressants : https://maitron.fr/spip.php?article88874

- attiré par la poésie de Baudelaire et Rimbaud


- actif dans la résistance
- adhère au parti communiste en 1943
- Fréquente Eluard et Aragon au Comité national des écrivains dont il fait partie.
- Se dit animiste. Education chrétienne mais a pris ses distances. Il croit aux choses, il dit
communiquer avec les pierres, comprendre les éléments. Il se considère matérialiste.
- Des proches, des poètes ou des critiques littéraires disent de sa poésie que Guillevic
interroge et trouble par un langage simple. Son style est épuré, il y a peu d’images mais il
amène le lecteur à se questionner. Lui-même veut traduite le monde, le rendre plus clair,
plus palpable.

Les années qui suivirent la Libération furent riches en militantisme comme en création
poétique. Guillevic présenta ainsi cette période : « Je les apprécie [les communistes] sur le
plan humain, sur le plan politique, dans les relations avec les sinistrés. J’ai beaucoup travaillé,
beaucoup appris. Cela coïncidait avec un certain remords que j’avais de n’avoir pas assez "
résisté " et surtout de n’avoir pas consacré davantage ma poésie à la lutte. »

https://books.openedition.org/puv/7306?lang=fr
J.L. (Jacques Lardoux) : « Art poétique » conclut Gagner, comme il concluait Terraqué,
c’est là d’ailleurs un procédé parnassien : « Je ne suis rien/Qu’un peu de vie, beaucoup
d’orgueil. » À la fin, vous parlez de vous à la troisième personne et en vers bien
comptés : « Ne croyez pas entendre en vous/Les mots, la voix de Guillevic. //C’est la
voix du présent allant vers l’avenir/Qui vient de lui sous votre peau. »
E.G. : Ce n’est pas modeste, ça manque un peu d’humour. Autrement dit : le « je » qui
est fermé sur lui n’est rien, mais quand il s’ouvre sur les autres, il s’enrichit, sa
présence s’affirme. À mon avis, il y a encore beaucoup de restes de christianisme dans
tout ça. J’étais emporté à l’intérieur du parti communiste mais je n’étais pas un bon
marxiste !

https://www.youtube.com/watch?v=yRbVaBUPqpM
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Lecture du poème, liens avec le titre du parcours


La forme (strophes irrégulières, pas de rimes, vers libres), le niveau de langue, le thème.
Le “je” du poète qui s’ouvre au monde
Vos impressions sur le poème et le poète ? Emancipation ? Cri du cœur, écriture
automatique, au fil de la plume.
Vision de la vie, vision de la poésie.
Je lyrique ? Ce poème est-il lyrique ? Y a-t-il introspection ?
Beaucoup de contradiction.
Beaucoup de négations : il se nie au départ puis se donne une place capitale.
Le “je” c’est Guillevic. Sa voix n’est pas personnelle mais universelle.

"le « je » qui est fermé sur lui n’est rien, mais quand il s’ouvre sur les autres, il
s’enrichit, sa présence s’affirme.” E. Guillevic

“Art poétique” : pourtant on ne retrouve pas les caractéristiques traditionnelles de la poésie.


Poète, porte-parole du monde à travers une écriture poétique novatrice / un art poétique
original ?
Guillevic semble nous expliquer ici pourquoi il écrit.

Je ne parle pas pour moi,


Je ne parle pas en mon nom,
Ce n'est pas de moi qu'il s'agit.

Choix du verbe “parler” et non écrire : porte-parole, tout le monde peu l’entendre.
(« qu’ » au lieu de « dont », erreur grammaticale pour garder le vers plus court. Travail sur la
forme. Apparente simplicité mais gros travail sur la forme. Spontanéité, langage parlé)
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Pas de rime, pas de régularité des vers (vers libres) mais mise en page d’un poème. Les
retours à la ligne semblent avoir un sens.
Le poète dit trois fois la même chose. Redondance. Trois négations. Il lui est important que
le lecteur ne confonde pas avec le “je” lyrique. Les trois vers sont de plus en plus longs,
gradation dans la mise en page et dans la fermeté de l’affirmation. Référence à V. Hugo :
« Quand je parle de moi, je parle de vous ».
Les occurrences de la première personne sont nombreuses mais sont niées. Impression qu’il
ressent le besoin de répéter comme lorsqu’on s’adresse à un enfant. Est-ce lui-même qu’il
veut convaincre ? Nuance de sens dans les trois vers.
Pour moi : pour me soulager, pour me faire du bien parce que j’en ai besoin.
En mon nom : je ne tente pas de faire passer mes idées
De moi qu’il s’agit : je ne suis pas le sujet de ma poésie
Suscite la curiosité du lecteur.

Je ne suis rien
Qu'un peu de vie, beaucoup d'orgueil.

Douze syllabes au total : comme un alexandrin brisé, coupé. Rejet de la négation restrictive :
importance de la taille des vers qui est mise au service du sens. Vers très court « Je ne suis
rien ». La négation est mise en suspens pour susciter l’attente du lecteur et créer
l’ambiguïté.
Dans ces deux vers, il parle de lui et fait à la fois preuve d’humilité « un peu de vie » mais
cultive aussi la tradition du poète orgueilleux qui se dit voyant, qui se dit comprendre le
monde. Jeu sur les oppositions « une peu de », « beaucoup de », rythme régulier, deux
hémistiches de 4 syllabes : écriture poétique au service du sens.

Je parle pour tout ce qui est,


Au nom de tout ce qui a forme et pas de forme.
Il s'agit de tout ce qui pèse,
De tout ce qui n'a pas de poids.

Emploi du verbe parler


répétition de “tout ce qui” dans chaque vers
le tout inclut-il les hommes ?
jeu sur les contraires
écho à la première strophe dans le contenu et la forme
traduire le monde grâce aux mots
la ponctuation forme et poids, étude méthodique, sens après sens
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Joue sur les contraires, sur les contrastes. Le pronom indéfini « tout » s’oppose au « rien »
de la strophe précédente. Forme affirmative du verbe « parler ». Jeu sur les répétitions et les
oppositions. Le poète insiste à nouveau : « tout ce qui est », « tout ce qui a forme » … Les
contraires renforcent l’idée d’universalité, du monde dans son ensemble. La forme du
poème est à nouveau au service du sens : deuxième vers beaucoup plus long, le poème lui-
même est informe.

Je sais que tout a volonté, autour de moi,


D'aller plus loin, de vivre plus,
De mieux mourir aussi longtemps
Qu'il faut mourir.

Paradis ?

Ne croyez pas entendre en vous


Les mots, la voix de Guillevic.

S’adresse au lecteur. Impératif. Expression du doute. Parle de lui-même à la 3ème personne.


Médiateur, passeur : humilité de Guillevic. S’efface pour quelque chose de plus grand :

C'est la voix du présent allant vers l'avenir


Qui vient de lui sous votre peau.

C’est le moment présent qui influence le monde.

Se prend-il pour Dieu ?

Sujets de dissertation :

Le Cahier de Douai est-il exclusivement une marque de l’émancipation du poète ?

En quoi le Cahier de Douai est-il pour le poète Rimbaud une œuvre d’émancipation ?

On dit de Rimbaud qu’il est un poète de la révolte. Comment s’exprime-t-elle dans les
Cahiers de Douai ?

En quoi les poèmes des Cahiers de Douai montre que Rimbaud est sur le chemin de
l’émancipation créatrice ?

Le Cahier de Douai n’est-elle qu’une œuvre provocatrice ? Recèle-t-elle des enjeux


profonds ?
1ère La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle 2023-2024

Le Cahier de Douai n’est-il qu’une poésie de la rupture ?

Définir l’émancipation : s’affranchir de toutes formes d’autorités et de dépendances.

Thèmes à mettre en lien avec des poèmes du recueil :

Héritage du passé
Transformation de la tradition
La jeunesse du poète, une poésie adolescente
Revendication de la liberté
Destruction des conventions, modernité
La révolte du poète
Provocation
Une vision singulière du monde

https://www.studocu.com/fr/document/lycee-professionnel-felix-le-dantec/francais/
dissertation-rimbaud/82842119

Le Cahier de Douai est-il exclusivement une marque de l’émancipation du poète ?

I – Un jeune poète sur la voie de l’émancipation


Le Cahier de Douai témoigne de la jeunesse du poète. On entre dans l’intimité d’un
adolescent qui devient un homme et découvre les plaisirs de la vie.
a- Un adolescent qui grandit (La jeunesse du poète, une poésie adolescente)
b- Sa revendication de la liberté : sa vie de bohème, son lien avec la nature

II – La révolte du poète
Ses textes expriment sa révolte contre l’autorité et l’ordre social mais aussi contre les codes
de la poésie.
a- Un regard critique posé sur la société de son temps
b- Une envie de provocation
c- La destruction des conventions, modernité

III – Un jeune homme érudit qui se nourrit de ses modèles


Malgré les signes d’émancipation et de révolte, cette œuvre rassemble une riche culture
littéraire et poétique.
a- Ses lectures, sujet d’admiration et d’inspiration
b- La volonté de perpétuer une tradition poétique par les formes et les thèmes
c- Un mélange de tradition et de modernité qui fait du Cahier de Douai une œuvre singulière.
Les poèmes de ce jeune homme sont accessibles, nous parlent, témoignent de sa jeunesse et
cultivent. Son don impressionne, donne goût à la poésie.

Idées
On rentre dans l’intimité du poète, on est témoin de son évolution, de son émancipation.
1ère La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle 2023-2024

Autres plans possibles, proposés par les élèves :

Le Cahier de Douai est-il exclusivement une marque de l’émancipation du poète ?

I - Thématiques et caractéristiques classiques


a- forme
b- ses modèles
c- les thèmes caractéristiques
II- Il se détache et s’émancipe
a- nouvelle structure et s’inspire de son environnement (à séparer en deux sous-
parties)
b- s’émancipe, passe à l’âge adulte

Le Cahier de Douai n’est-il qu’une poésie de la rupture ?

I- Jeunesse et révolte
Emancipation poétique
Emancipation personnelle

II- Tradition poétique


Respect de la forme
Les thèmes, les références traditionnelles

III- Une nouvelle ère de la poésie


Un recueil qui porte en lui les germes d'idées modernes / d’une poésie moderne
(dans les thèmes et dans ses effets)
Un modèle précoce de la cinématographie en littérature (réalisme, descriptions
précises, visuelles de la vie quotidienne, récits)

En quoi les poèmes des Cahiers de Douai montre que Rimbaud est sur le chemin de
l’émancipation créatrice ?

I- Evolution constante
a- passage de l’enfance à l’adolescence
b- inspiration tirée des souvenirs et désirs

II- Révolte
a- critique de la guerre et de la religion
b- liberté dans l’écriture poétique

III- Mélange entre tradition et modernité qui crée un nouveau genre


a- inspiration des anciens
1ère La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle 2023-2024

b- poésie novatrice : poésie d’un jeune homme

En quoi le Cahier de Douai est-il pour le poète Rimbaud une œuvre d’émancipation ?

I- Hommages rendus aux modèles


a- Ses inspirations
b- Thématiques poétiques classiques
c- Provocation

II- Singularité et émancipation


a- Critique de la société de son temps
b- Critique du contexte politique et religieux
c- Une émancipation personnelle

Entrainement au commentaire :

Extrait de Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913

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