Vous êtes sur la page 1sur 2

DS du 04/10/2022 1 littérature, corrigé n°1

HLP littérature, Les expressions de la sensibilité : l’angoisse de la mort

Marguerite YOURCENAR, Les Mémoires d’Hadrien (1951)

Question d’interprétation : comment représenter l’invivable expérience de la mort ?

Le personnage a longtemps été, face à la mort de son amant, dans le déni : le


texte continue ici d’exprimer le refus de la mort pour peu à peu l’accepter et la
surmonter : écriture cathartique autant que curative, le texte fonctionne lui-même
comme un onguent d’embaumeur ; il recouvre la mort peu à peu pour sacraliser le
mort.

La mort brutale et injuste domine les premiers paragraphes.

La mort est omniprésente, littérale et brute : elle est donnée comme


l’aboutissement de la phrase liminaire, simple syntagme dépouillé sans expansion du
nom : “H. appelé à la hâte ne put que constater la mort.” Jouant sur les polypodes, le
texte réduit encore Antinoüs à la périphrase sèche “le mort”. En fin de second
paragraphe, ce sont “les morts” qui ferment la marche. Le troisième paragraphe fait
surgir de nouveau l’adjectif substantialisé, “le mort” pour parler d’Antinoüs.
Hadrien est comme obligé à la prise de conscience par l’accumulation des
termes relatifs au décès : “funérailles”, “tombe”, “embaumeurs”, “funèbre”, “agonie”,
“apothéose”, “embaumeurs”, “pleureurs” évoquent et suggèrent la tragédie tout au fil
du texte, de même que les fréquentes tournures restrictives ; “ne put que constater”,
“il n’y eut plus qu’un homme…”, “le corps vide n’était plus qu’une préparation
d’embaumeur…”.
Enfin, le scandale de la mort violente d’Antinoüs, suicidé, est rendu par le
recours au passés simples : “réussit”, “je me rendis”, “fut brève”, “nous transférâmes”,
marquant la fulgurance et de l’événement traumatisant et rendant hommage à la vie
trop brève du jeune homme.

Pourtant, la mort terrible entend être partagée car Hadrien recherche la


compréhension de son lecteur (le destinataire de son texte, et en seconde énonciation,
nous, lecteurs). Si la mort ne se vit pas par les narrateurs, elle se raconte, se laisse
regarder et partager.

La mort est l’objet d’une représentation qui se veut pittoresque et saisissante,


dont la gravité ressort grâce aux effets rhétoriques : la pesanteur de l’atmosphère se
ressent dans les rythmes ternaires “Le Zeus olympien, le Maître de Tout, le Sauveur
du Monde” ou encore “la plus sombre, la plus secrète, la plus dure”, ainsi que dans le
ton radical et définitif, que l’on retrouve particulièrement dans les tournures
hyperboliques : « tout croulait, tout parut s’éteindre. »
Le tableau de la mort prenant la forme d’une hypotypose se veut,
paradoxalement, vivant en ce qu’il se révèle particulièrement sensoriel, misant tant sur
DS du 04/10/2022 1 littérature, corrigé n°1

les images (il s’agit en effet de “constater” et “montrer”) que sur les sons (“hululait à
voix basse”, “chant étouffé et rauque”) ou même le sens olfactif avec la mention du feu
“qui grille et charbonne”. Le lecteur est pris à témoin par les nombreux déictiques “ce
corps”, “cette jeunesse”, “cette chair”, “ce nom”, “ce cœur”.

Raconter le rituel de l’embaumement permet à Hadrien d’accepter la


mort de l’être aimé.
Cela passe par exemple par la possibilité de fixer ce dernier dans l’écriture : jamais
Hadrien ne renonce véritablement à l’être aimé, présent dans chaque paragraphe :
« ce corps aimé » puis « Antinoüs », puis « le mort », la périphrase étant secondée par
deux synecdoques (« le visage » et « ce cœur ») puis « cette jeunesse » et « mon
dieu » au dernier paragraphe. En vérité, le disparu ne quitte pas le texte et s’y rend
même présent au moins à sept reprises.
L’atrocité de la mort est surmontée par l’écriture qui produit sa part d’apothéose, toute
la fin du texte rendant le mort à l’univers : les premiers paragraphes avaient fermé le
champ, limité au « pont d’une barque » au premier paragraphe puis s’ouvrent ensuite
à la ville d’« Hermopolis » pour élargir le territoire de la ville au pays et au continent,
avec la mention de « la Grèce et l’Asie », mais aussi, à deux reprises, de « l’Egypte ».
Ce mouvement d’amplification se double d’une structure de texte elle-même plus
épanouie, puisque la taille des quatre paragraphes successifs vont crescendo ; dire la
mort de l’autre permet du moins au locuteur de reprendre vie.

Avec les Mémoires d’Hadrien, l’écriture, volontiers


poétisante, agit comme une conjuration de la mort, si ce n’est
comme un remède; alors que « les médicaments n’agissent
plus », la langue de l’écrivain Hadrien/Yourcenar, elle,
conserve intactes ses propriétés thérapeutiques. La mort fait
ainsi partie d’Hadrien du début à la fin du roman, en ce que le
rapport à la mort fonde le stoïcien comme elle définit le héros.
Si la mort est invivable, elle n’est pour autant ni inenvisageable
(n’est pas après tout l’enjeu du philosophe stoïcien que
d’« apprendre à mourir »?) ni même irregardable puisque les
derniers mots du roman nous font entrer « dans la mort le yeux
ouverts ».

Antinoüs Hadrien Hermopolis, cité dédiée à l'équivalent


égyptien d'Hermès

Vous aimerez peut-être aussi