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Des Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1731 et habituellement désigné simplement sous le titre de

Manon Lescaut, raconte l’histoire d’amour et les aventures de Manon Lescaut et de Des Grieux,
entraînés dans une marginalisation et une déchéance progressives.

Présentation du passage

À la fin du roman, alors que Manon a été déportée en Louisiane et que Des Grieux l’a suivi, ils sont
contraint de fuir la ville où ils s’étaient établis. C’est lors de cette fuite dans le désert que Manon voit ses
dernières forces la quitter et qu’elle meurt dans les bras de Des Grieux.

Problématique

Nous nous demanderons comment le récit douloureux de Des Grieux sublime la mort de Manon?

Plan

Pour mener cette analyse linéaire de la mort de Manon Lescaut, nous suivrons les mouvements du texte.
D’abord un récit douloureux de “pardonnez” à “exprimer”, ensuite la mort de Manon de “Nous avions
passé” à “la fin de ses malheurs approchait”, enfin la peine de Des Grieux de “N’exigez point de moi” à
“la mort sur sa fosse”.

Texte de la mort de Manon Lescaut pour l’analyse linéaire

Manon Lescaut, La Mort de Manon : Analyse Linéaire (Bac 2023)

Pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n’eut jamais
d’exemple ; toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma
mémoire, mon âme semble reculer d’horreur chaque fois que j’entreprends de l’exprimer.

Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie, et je
n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m’aperçus, dès le point du
jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et tremblantes ; je les approchai de mon sein pour
les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit d’une
voix faible qu’elle se croyait à sa dernière heure.

Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune, et je n’y répondis que par
les tendres consolations de l’amour. Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le
serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me firent connaître que la
fin de ses malheurs approchait.

N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour au moment même qu’elle expirait : c’est
tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement.

Mon âme ne suivit pas la sienne. Le ciel ne me trouva sans doute point assez rigoureusement puni ; il a
voulu que j’aie traîné depuis une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener
jamais plus heureuse.

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère
Manon. Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son
corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de
l’enterrer, et d’attendre la mort sur sa fosse.

La mort de Manon Lescaut : Analyse Linéaire

Un récit douloureux

Le narrateur commence son récit par une prière à l’impératif : « pardonnez si j’achève en peu de mots un
récit qui me tue. » On voit donc immédiatement qu’il lui est très difficile, même après coup, de revenir
sur ce tragique événement.

Par ailleurs, les mots de cette première phrase contiennent peu de syllabes (1 ou 2) ce qui peut suggérer
les sanglots du personnage, ou tout du moins des difficultés d’élocution liées à sa peine.

Le pronom « vous » est intéressant car il brouille la frontière entre le marquis de Renoncour, véritable
destinataire du récit, et le lecteur. Cela confirme donc l’hésitation qui peut être perçue par l’utilisation de
la deuxième personne du pluriel pour le premier verbe.

Des Grieux annonce donc sa volonté de narrer la mort de Manon, mais sans parvenir à le dire
directement.

Aussi nous verrons que Manon n’est nommée que très tard, et qu’avant cela, sa mort est désignée par
des périphrases : « un récit qui me tue » ; « un malheur qui n’eut jamais d’exemple ». De plus ces
périphrases ont également une valeur d’hyperbole ce qui renforce la tristesse de Des Grieux.

On peut également noter que les champs lexicaux du récit et de la tragédie sont associés dans le premier
paragraphe pour souligner la difficulté pour Des Grieux de revenir sur ces événements : « récit » ; «
raconte » ; « exprimer » / « malheur » ; « pleurer » ; « horreur ».

Enfin, on voit que Des Grieux ne se sent pas capable de tourner la page. Il affirme : « toute ma vie est
destinée à le pleurer », puis, « je le porte sans cesse dans ma mémoire ». Ici, le présent d’habitude et la
négation « sans cesse » insistent sur le fait que Des Grieux est constamment rappelé à son deuil.

Pourtant, c’est bien ce terrible récit que le narrateur s’apprête à livrer dans le paragraphe suivant.

La mort de Manon

On remarque d’emblée le changement de temps (« avions passé » = plus que parfait) qui indique le
début du récit au passé. De plus, le pronom « nous » projette le lecteur dans un temps où Manon était
encore en vie.

Notons ici que c’est la dernière fois du passage que les amants sont rassemblés sous ce pronom.

La première phrase donne une image paisible grâce à l’adverbe complément circonstanciel de manière «
tranquillement ».

Cette tranquillité est confirmée par la douceur du propos qui suit : « je croyais ma chère maîtresse
endormie ». On remarque que Manon est ici désignée par une périphrase qui insiste sur son importance
pour Des Grieux.
Cependant, le verbe modalisateur « croyais » montre bien que ce n’est qu’une illusion.

Ici, la mort est associée au sommeil, ce qui donne l’image d’un départ noble et sublime, après tant de
troubles et d’aventures.

Ce calme est confirmé par l’attitude de Des Grieux : « je n’osais pousser le moindre souffle, dans la
crainte de troubler son sommeil. » Il ne réalise pas encore que sa maîtresse se meurt.

Toutefois le retour du récit au passé simple « je m’aperçus » avec l’indication temporelle « dès le point
du jour » vient troubler ce court moment d’apaisement dans la vie des deux jeunes amants. En effet, les
mains de Manon sont « froides et tremblantes ».

Par déni, Des Grieux pense qu’elle souffre simplement du froid : « je les approchai de mon sein, pour les
échauffer. Le « sein » désignant le cœur par métonymie, on voit qu’il semble penser que l’amour peut
venir à bout de tous les maux.

Ce déni se poursuit quelques lignes plus tard, quand Manon lui confie qu’elle se sent mourir et qu’il
pense qu’elle exagère : « je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune ».

Il pense d’ailleurs encore une fois pouvoir la guérir avec son amour : « je n’y répondis que par les tendres
consolations de l’amour. »

Le lexique du toucher dans ces quelques lignes : « touchant » ; « main » ; « échauffer » ; « saisir »
évoque un dernier contact entre les deux amants.

La première fois que Manon apparaît éveillée, désignée par le pronom « elle », elle semble très
diminuée : sa voix est « faible » et elle doit faire un « effort » pour « saisir » les mains de Des Grieux.

Elle est par ailleurs consciente que sa fin est proche et affirme, dans des paroles rapportées au discours
indirect « qu’elle se croyait à sa dernière heure ».
La mort est une nouvelle fois évoquée avec pudeur, sous la forme d’une périphrase, ce qui est un peu
contradictoire quand on voit le comportement des amants dans le reste du récit. Aussi peut-on parler
d’une sublimation dans la mort.

Après cet aveu, Des Grieux prend bien vite conscience de la situation. Ce basculement est exprimé par la
conjonction de coordination « Mais » qui vient contredire son déni et ses faux espoirs.

Ici, on remarque que Manon n’a plus la force de parler, c’est son corps qui exprime son trépas avec des «
soupirs » qui laissent place au « silence », puis ce n’est plus qu’un « serrement de ses mains ». On
constate bien que Des Grieux cherche à rendre de manière précise les derniers instants de Manon.

Si le départ de la vie du corps de Manon est clairement évoqué ici, on peut également noter le passage
du discours indirect au discours narrativisé : “je ne lui répondis que par les tendre consolation de
l’amour” qui évoque la fin de la communication entre les deux amants.

La scène se fait en fait de plus en plus silencieuse, les “soupirs” sont remplacés par le “silence” et le
discours est de plus en plus distant de la scène.

Remarquons ici que les amants sont évoqués tour à tour par les pronoms « je » et « elle ». La disparition
du « nous » évoque une séparation dans la mort.

Finalement, sa mort, silencieuse et calme, est désignée par une périphrase : « la fin de ses malheurs ».
Cela permet de considérer la fin du personnage comme une libération, et de sublimer ses derniers
instants en montrant qu’elle quitte une société qui la marginalise et la violente.

La peine de Des Grieux

Après ce récit terrible, Des Grieux réitère sa première prière à l’impératif : il n’est pas capable de
poursuive. Il implore Renoncour, et donc le lecteur : « N’exigez point de moi que je vous décrive mes
sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. »
Les propositions subordonnées conjonctives complétives s’inscrivent dans la modalité négative et
refusent un récit qui n’appartient plus qu’à Des Grieux, seul témoin des derniers instants de Manon
Lescaut.

Tout ce qu’il concède à son interlocuteur, c’est une phrase simple et très courte de 3 mots : « je la perdis.
» Ces trois mots toutefois condensent toute la tristesse de Des Grieux.

Le fait qu’il affirme avoir « reçu(…) d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait » peut
donner à voir une expurgation finale des pêchers.

Après toutes les souffrances qu’elle a causées à Des Grieux, ses derniers instants sont consacrés
uniquement à un amour pur et sublime.

Mais le lexique tragique vient rapidement remplacer cette ultime manifestation amoureuse : « expirait
» ; « fatal » ; « déplorable événement ».

On voit ensuite que Des Grieux emploie un vocabulaire religieux : « âme » ; « Dieu » ; « puni » ; «
misérable » pour accentuer sa peine en lui donnant un caractère de punition divine.

Finalement, il se punit lui-même en confirmant sa marginalisation : « je renonce volontairement à la


mener jamais plus heureuse. » (sa vie)

Pour clore ce récit, Des Grieux évoque le corps sans vie de Manon (qu’il nomme enfin sans périphrase ni
pronom) : « la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon ». L’indication
temporelle « plus de vingt-quatres heures » insiste sur le désespoir du narrateur.

Il est prêt à mourir, mais trouve une dernière nécessité à vivre dans le besoin d’enterrer Manon. On note
une dernière fois la mention du « corps » de Manon, objet d’une grande beauté que Des Grieux refuse
de voir servir de « pâture aux bêtes sauvages » après avoir servi de pâture au vice des hommes.
Le champ lexical de la tombe clôt le passage, soulignant une dernière fois l’impossibilité pour le
narrateur d’accepter le départ de Manon : « enterrer » ; « mort » ; « fosse ».

Conclusion de l’analyse linéaire de la mort de Manon Lescaut

Rappel du développement

Nous avons pu constater que le récit de la mort de Manon est entouré de deux excuses du narrateur
dans lesquelles il affirme sa difficulté de raconter cet événement.

Il donne à voir une mort calme et paisible, très éloignée de l’agitation qui règne dans le reste du roman.

Réponse à la problématique

En offrant au lecteur une dernière image de Manon dans un état d’apaisement, et en montrant la
souffrance de Des Grieux, Renoncour, par qui passe toute la narration de ce roman, sublime la mort de
Manon.

L’auteur utilise le topos de la mort en pleine nature, loin de l’agitation de la société, pour conférer au
décès de Manon une image noble, voire de sainteté : tous ses pêchers semblent oubliés, il ne reste que
son amour, dépourvu de tout caractère destructeur.

Ouverture

Pour compléter cette explication linéaire de la mort de Manon, il serait intéressant de la comparer à
d’autres célèbres scènes de mort dans le Roman français : on pense par exemple à la mort de Nana, ou à
celle d’Emma Bovary.

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