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Olympe de Gouges est une auteure engagée, dont les écrits reflètent ses différents combats
pour l'égalité et la justice entre tous les êtres humains, mais en particulier entre les hommes et les
femmes. Ainsi, le 14 septembre 1791, à La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, répond
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne adressée à Marie-Antoinette à l'heure
même où la Constitution est présentée à Louis XVI. Olympe de Gouges y conteste le caractère
universaliste de la Déclaration de 1789 et dénonce l'exclusion des femmes de la représentation
nationale ; elle réclame pour elles la citoyenneté et les droits qui en découlent. Sa déclaration
comporte un texte liminaire dans lequel elle s'adresse aux hommes dans une prise de parole
vigoureuse faisant entendre une implacable accusation et montrant l'illégitimité de la prétendue
supériorité masculine.
Lecture de l'extrait
Problématique : Comment l'auteure utilise-t-elle le registre polémique afin d'inciter les hommes à
prendre conscience de l'absence de fondement naturel de la domination masculine dans la société ?
Démarche linéaire.
- L'apostrophe initiale « Homme » (l. 1), à valeur générale, prend à partie l'adversaire de façon
directe et abrupte. Cette agressivité est renforcée par le tutoiement qui relève de la familiarité, mais
permet également de marquer dès le départ l'égalité entre les 2 adversaires.
- L'adjectif « capable » (l. 1) a une valeur péjorative : il sous-entend que la justice de l'homme n'est
au mieux qu'une possibilité (ce sens est donné par le suffixe -able), et non un fait.
- Par ailleurs, la question rhétorique « Homme, es-tu capable d'être juste ? » (l. 1) somme l'homme
de répondre de ses actes.
- Face à cet « Homme » collectif, l'auteure s'affirme dans sa singularité => l'article indéfini « une
femme » (l. 1) a une valeur singulière => c'est seule que l'autrice se dresse contre l'être masculin en
général. La structure emphatique de la phrase « C'est une femme qui t'en fait la question [...] » (l.
1) met en avant la féminité de l'auteure, qui la désigne d'emblée comme une adversaire.
- En formulant une question, l'autrice prouve en acte que son droit à la parole ne peut pas lui être
retiré. Cette idée est renforcée par le futur à valeur de certitude, utilisé à la forme négative « tu ne
lui ôteras pas du moins ce droit » (l. 2).
C'est pourquoi elle enchaîne 4 autres questions rhétoriques, « Dis-moi ? Qui t'a donné le souverain
empire d'opprimer mon sexe ? » , dont 2 elliptiques « ta force ? tes talents ? ». Par leur nombre, leur
insistance, leur caractère injonctif avec l'impératif « Dis-moi » (l. 2) et leur dimension ironique(« ta
force ? Tes talents ? »), ces questions constituent des accusations.
La question « qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? » sous-tend une polémique
en répondant à la question initiale de la ligne 1 => le verbe « opprimer » révèle effectivement que
l'homme est incapable d'équité.
Par ailleurs, l'hyperbole « souverain empire » (l. 2) renvoie à la notion de despotisme, combattue
par les Lumières, comme le montre le groupe nominal final « empire tyrannique », qui lui fait écho.
Entre ces deux expressions, une série de 3 verbes à l'impératif : « observe ; parcours ; donne-moi »
(l. 3 ; 4 ; 5) incite l'homme à se remettre en question en observant la nature, point de référence
ultime, d'autant plus qu'elle est rapportée au « Créateur » (l. 3).
Le modalisateur « […] dont tu sembles vouloir te rapprocher » (l. 4), dénonce l’orgueil de l'homme
qui cherche à se rapprocher du divin. Il est alors appelé à consulter sa conscience avec la
subordonnée accusatrice « si tu l'oses » (l. 5) => selon l'auteure, l'homme est incapable d'atteindre
les valeurs de « sagesse » (l. 3) et de « grandeur » (l. 4)qui le justifieraient.
-Le paragraphe s'ouvre sur une accumulation de verbes à l'impératif : « remonte ; consulte ; étudie ;
jette enfin un coup d'oeil ; rends-toi ; cherche ; fouille ; distingue », associée au champ lexical de
l'observation et de l'analyse => l'autrice enjoint à l'homme d'observer la nature => il s'agit de
l'obliger à se rendre à l'évidence des faits par un constat opéré à partir de l'intégralité de la nature =>
tous ses constituants sont énumérés : « animaux ; éléments ; végétaux ; matière organisée ».
- L'autrice invite donc l'homme à prendre la nature comme un champ d'expérience scientifique.
L'adverbe « enfin » induit l'idée d'une expérience chronologique et ordonnée. Cela est renforcé par
l'impératif « rends-toi à l'évidence », qui marque la conclusion => elle invite l'homme à suivre un
raisonnement inductif en partant de l'observation de la nature pour en tirer une loi générale qu'elle
énonce à la fin du paragraphe.
- Dans la phrase suivante, l'anaphore de « partout » (l. 9), associée au champ lexical de l'union
« confondus ; coopèrent ; ensemble harmonieux », met en avant l'idée que l'égalité entre les sexes
est créatrice de la beauté de la nature, désignée par l'hyperbole « chef-d’œuvre immortel ». (l. 10).
La nature se caractérise donc par une organisation égalitaire entre les sexes => la comparaison entre
l'humanité et la nature doit donc faire comprendre que la supériorité masculine n'est pas naturelle,
mais artificiellement revendiquée et instaurée par l'homme.
Olympe de Gouges prouve ainsi sa supériorité : alors que l'homme n'est pas capable de se soumettre
aux principes généraux, alors qu'il est ignorant, elle montre qu'elle est capable de faire reposer sa
réflexion sur une observation raisonnée et sur la logique. Son jugement s'exprime notamment à
travers la subordonnée hypothétique « «si tu le peux » (l. 8) ainsi qu'au travers de la subordonnée
circonstancielle de temps « quand je t'en offre les moyens » (l. 8) qui révèle une certaine
condescendance de la part de l'auteure.
Ainsi, à travers ce texte liminaire, Olympe de Gouges mobilise le registre polémique afin de
mettre les hommes face à leurs préjugés et à leurs privilèges. L'autrice apparaît ici comme une
femme combative qui n'hésite pas à défier l'homme et son autorité pour réclamer ses droits.
L'homme est alors critiqué, voire ridiculisé et sa domination apparaît dès lors parfaitement infondée.
Olympe de Gouges bâtit toutefois un raisonnement dont la teneur montre qu'elle est une femme des
Lumières et qu'elle vit à une époque où les sciences se développent. Ce texte est alors la mise en
œuvre du cri de Théroigne de Méricourt, autre figure féminine aux côtés d'Olympe de Gouges :
« Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. »