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Analyse linéaire 

: LAUTREAMONT, « Le Pou », Les Chants de Maldoror, 1869.


Isidore Ducasse, surnommé le Comte de Lautréamont, est un auteur du XIXe siècle considéré comme l’un
des pères fondateurs de l’écriture surréaliste. Il écrit en 1869 Les Chants de Maldoror, ouvrage poétique
découpé en six chants. Nous suivons le personnage mystérieux et torturé de Maldoror, une sorte de
fragment de la personnalité de son auteur. Cet écrit est un cri de révolte et de questionnement identitaire
sur la place et le rôle de l’Homme dans la société et dans le Monde. Maldoror fait réfléchir par ses
attaques et ses accusations haineuses envers l’humanité.
Ce texte intitulé « Le Pou » est un poème en prose. L’adjectif « prosaïque » est à double sens :
Il signifie une œuvre en prose ainsi que l’idée de quelque chose de banal, voire de laid; et cela justifie le
choix d’une écriture sur le pou. L’auteur voit en cette créature une arme supérieure à l’Homme et
destructrice. Par quels moyens l’auteur met-il en avant son rejet de l’Homme et ses accusations contre
lui ? Nous le verrons dans les 3 mouvements du texte :
Mouvement 1 : (l.1 à 6) : le savoir de l’auteur sur le pou
Mouvement 2 : (l.7 à 14) : le pouvoir du pou malgré sa petite taille
Mouvement 3 : (l.14 à 19) : la personnification du pou en diable
 

Mouvement 1 : (l.1 à 6) : le savoir de l’auteur sur le pou


 
Dès le début, le texte du Comte de Lautréamont dégage deux thématiques fortes qu’il est important de
souligner. Nous remarquons la présence du pronom personnel « Vous » (l.1) qui nous indique que
Maldoror parle à quelqu’un qui est le lecteur. Et cela est intensifié par la présence de l’apostrophe « Vous
autres » (l.1). Plus qu’une simple conversation, un certain mépris s’échappe de ce terme violent. Par la
suite, le champ lexical de la dévoration et de la matière organique est employé. Le verbe « dévorer » (l.1)
frappe ainsi que l’énumération des organes « les os de votre tête […] leur pompe, la quintessence de votre
sang » (l.1-2). La figure du pou est fortement présente et semble indiquer son rôle destructeur dès la
première phrase du texte. Par ailleurs, l’expression « attendez un instant, je vais vous le dire » (l.2-3) est
sarcastique: il y a à la fois un rappel de l’adresse que porte l’auteur et la considération qu’il prend de lui.
L’auteur semble là pour nous apprendre quelque chose, comme un scientifique ou un enseignant. Il y a
une forme de registre didactique dans cette expression mais aussi dans la suite du texte. Ce registre est
renforcé par la présence des verbes au mode impératif. Ce passage se termine par quatre éléments. Tout
d’abord, l’expression « Soyez certains que » appuie une nouvelle fois le registre didactique mais aussi un
impératif à valeur prédictive ; Maldoror connait son sujet et semble connaitre l’issue d’une rencontre
entre un pou et l’Homme. Ensuite, la personnification « vœux infinis » (l.4) inverse le rapport de force
entre le pou et l’Homme. Le pou n’est plus un simple insecte mais devient capable de raison et de vœux.
Par sa force, ses désirs, le pou se montre supérieur à l’homme.Enfin, soulignons la présence d’une
nouvelle énumération « la cervelle, la rétine, la colonne vertébrale » (l.4) qui liste nos faibles organes face
à la force fantasmée du pou. Le discours didactique de Maldoror prend alors un tout nouveau registre,
celui de l’absurde. Nous savons, par la raison, qu’il est impossible pour cette créature de faire de tels actes
et la personnification et l’énumération intensifient ce registre. La comparaison « Comme une goutte
d’eau » (l.5), tourne en ridicule les actions du pou et le discours du personnage par cette phrase nominale
forte par l’absence totale de verbe.

Mouvement 2 : (l.7 à 14) : le pouvoir du pou malgré sa petite taille

Le cynisme de Maldoror et ses regrets sont représentés par l’expression « Malheureusement ils sont
petits » (l.7). La présence de cet adverbe exprimant la déception dévoile peu à peu les intentions moroses
de Maldoror. Nous retrouvons la figure ironique du mendiant sur la tête duquel le pou s’épanouirait.
Ironie qui est exagérée avec la succession d’un champ lexical de l’analyse « observez » « microscope »
(l.6) mais aussi avec la personnification « un pou qui travaille » (l.6). Le lecteur se trouve ainsi en plein
discours absurde et ridicule orchestré par un scientifique aux expressions burlesques ou extravagantes
comme la métaphore « ces brigands de la longue chevelure » (l.7) ou encore la paraphrase « monde
lilliputien de ceux de la courte cuisse » (l.9) ; enfin, par une expression ironique qui tend le registre à son
paroxysme : « les aveugles n’hésitent pas à les ranger parmi les infiniment petits » (l.9-10). Toutes ces
expressions dévoilent une forme de mépris que porte le personnage de Maldoror sur l’humanité. En
mettant en avant la figure du pou à la force dérisoire, et en y incorporant une multitude de figures
hyperboliques, Maldoror accuse une certaine faiblesse et un certain ridicule de l’Homme. Ce passage est
riche en comparaisons antithétiques. Deux animaux font leur entrée, le cachalot et l’éléphant. Nous
connaissons les caractéristiques imposantes de ces créatures mais aussi leur supériorité physique face à
l’Homme. Lautréamont présente deux antithèses fortes : « Malheur au cachalot … contre un pou » (l.10)
et « L’éléphant se laisse caresser. Le pou, non » (l.11). Le pou est supérieur, radicalement au-dessus de
tout être vivant aux yeux de Maldoror. Supérieur par les convictions, supérieur par l’intelligence et
supérieur par la force.  Le burlesque est aussi bien présent dans ce passage avec deux expressions : « Il
serait dévoré en un clin d’œil » (l.10) et « Il ne resterait pas la queue » (l.11). Par ailleurs, un éloge est fait
en l’honneur du pou caractérisé par un vocabulaire mélioratif qui s’accompagne de l’horreur de la
dévoration. Horreur qui est représentée avec la comparaison « Ils craqueront comme s’ils étaient à la
torture » (l.14). Plus que la simple conjonction « comme », la métonymie « s’ils étaient à la torture »
dissocie les doigts de l’Homme de son corps car ce ne sont pas les doigts qui sont torturés mais bien
l’être humain. Un avertissement, une mise en danger apparait « Gare à vous » (l.12). S’en suit une
expression burlesque mettant en avant le poil de la main « votre main est poilue » (l.12-13) pour finir par
une formule cynique composée « d’os et de chair » (l.13). Le champ lexical de l’organique est une
nouvelle fois présent pour fragiliser l’être humain. Nous le remarquons aussi dans la comparaison « La
peau disparaît par un étrange enchantement » (l.14).
            Par l’avertissement et les figures comparatives, le Comte de Lautréamont pointe certaines
faiblesses de l’être humain et cherche à nous déstabiliser. L’omniprésence du champ lexical de
l’organique ainsi que l’omniprésence du pou semblent vouloir faire ressentir au lecteur le fourmillement
de la créature sur notre corps.

Mouvement 3 : (l.14 à 19) : la personnification du pou en diable


 
Une nouvelle fois, la valeur prédictive est à l’honneur dans ce passage avec le verbe au conditionnel
présent « Il vous arriverait quelque accident » (l.17). Prédiction de Maldoror en position didactique qui
va être appuyée par l’expression « Cela s’est vu » (l.17). Il se montre à la fois comme savant mais
parvient une nouvelle fois à se moquer de nous par un sarcasme provocateur. Maldoror se moque
ouvertement du lecteur en reprenant la personnification : « Les poux sont incapables de commettre autant
de mal que leur imagination en médite » (l.15). Le pou est une nouvelle fois doté de raison.  Il est
intéressant de souligner le jeu pluriel/singulier avec la figure du pou. L’auteur cherche à nous montrer que
le pou est là, partout. D’une phrase à l’autre le pou sera représenté au pluriel pour nous montrer un
pullulement et ensuite retourner, par le singulier, dans un rapport général et élogieux. La dernière phrase
montre le rejet de l’humanité à son paroxysme. La construction de la fin est intéressante par son
alternance entre un rythme ternaire et un rythme binaire. Le rythme ternaire s’ouvre par la locution
adverbiale « N’importe » (l.17) qui semble annuler toutes les phrases précédentes. Le pou n’était qu’un
aparté pour arriver à ce qui va suivre. La deuxième partie de rythme ternaire appelle la satisfaction
sadique de l’auteur et appuie la figure hyperbolique « la quantité de mal » (l.18) pour exprimer ce rejet
qu’il a envers nous. Enfin, l’expression « ô race humaine » (l.18) est la clé du discours nihiliste du poète.
Maldoror n’a plus là une place d’instructeur mais semble au-dessus de tout avec l’interjection « ô » (l.18),
comme nous pouvions le voir dans le théâtre antique quand les Dieux s’adressaient au peuple mortel. Tout
cela nous emmène enfin à la structure binaire s’ouvrant par l’adverbe « seulement » (l.18) et se clôturant
par une formule de haine flagrante, violente et directe : le souhait d’un mal supérieur. De tout cet éloge du
pou, nous décelons la moquerie envers le lecteur mais la formule qui semble le plus nous interpeler est
cette phrase au conditionnel « je voudrais qu'il t'en fît davantage » (l.18-19). Maldoror veut notre
malheur.
 
 
 
Conclusion 

Ce texte est un témoignage de mépris envers l’humanité. Dans un premier temps, le discours élogieux qui
est porté autour du pou nous délivre un message fort : l’Homme ne mérite pas d’éloges et n’a le droit qu’à
des preuves de faiblesses et des accusations, bien qu’elles soient non fondées ou totalement burlesques. A
travers cette lecture, nous avons pu montrer que l’humain est un être faible et méprisable aux yeux de
Maldoror, que nous savons être une partie de la personnalité du poète. Nous pouvons rapprocher ce texte
des Caractères de LA BRUYERE dans lesquels l’auteur critique les défauts humains dans le but d’aider
les Hommes à se corriger.
 

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