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Explication linéaire 2 : « Phédon », « Des biens de fortune », livre VI.

Introduction:

LA BRUYERE, moraliste du XVIIes. rédige un ensemble de portraits évoquant des types humains
rassemblés dans son œuvre Les Caractères. Cette œuvre qui cherche à la fois à plaire et à
instruire, s'inscrit dans l'idéal du classicisme. Elle porte un regard critique sur une société où
l’argent et les apparences règnent au détriment des mérites et de la vertu. Dans la section 6
intitulée “Des biens de fortune”, LA BRUYÈRE brosse un diptyque (deux portraits en miroir), celui
de Giton le riche et celui de Phédon le pauvre. Nous étudierons le second. L'écrivain brosse un
portrait dépréciatif de son personnage. Comment LA BRUYÈRE, à travers le portrait d’un homme
pauvre et effacé montre-t-il une société où la valeur de la personne dépend de l’argent? Nous le
verrons dans les trois mouvements du texte et la finale: ligne 1-2: portrait physique, ligne 2-7:
portrait psychique, ligne 7-19: portrait social, ligne 19: la finale: la clé du portrait.

Mouvement 1:

Le texte débute par un court portrait physique, qui fait à peine 2 lignes. Ce portrait donne le ton,
avec une accumulation d’adjectifs dépréciatifs comme “sec” "échauffé" “maigre” “creux” qui
renvoient à la thématique du manque ou de la privation. La première phrase est longue et
rythmée par des “;” permettant de délimiter les phases du portrait. Le portrait physique est donc
volontairement bref. LA BRUYÈRE suggère l’impression de privation. C’est le sens qu’il faut
donner aux adjectifs “creux” “maigre” et “sec”. La phrase simple à la ligne 1, “il dort peu, et d'un
sommeil fort léger” suggère que le personnage a beaucoup de soucis. Sa situation financière et
sa maladie provoquent chez lui des insomnies. Ainsi, Phédon est l'incarnation de l’homme
pauvre rejeté par la société.

Mouvement 2:

Dans le deuxième mouvement, nous passons du portrait physique au portrait moral. Deux
termes positifs “de l’esprit” (l.2) “lui sont connus" (l.3) renvoient à l'intelligence et au savoir de
Phédon, qui ne sait pas se mettre en valeur. Les “:” à la ligne 2 annoncent une série d'actes
rendus nuls. Le verbe “il sait” (l.3) est annulé par un verbe de sens négatif “il oublie de dire”. Les
adverbes "brièvement" et “froidement” (l.4), ainsi que le connecteur d’opposition “mais” (l.4)
annulent l’action du verbe « conter » (l.4). La phrase repose déjà sur la conjonction “si” de
condition (l.3). Phédon fait preuve de timidité ce qui apparaît à travers l’adjectif “timide” (l.7) et il
a des difficultés à s’exprimer devant les autres, il a peur d'être jugé de stupide, il fait donc
semblant d’oublier. L'incapacité de Phédon à s’exprimer en public contraste dans un univers
dominé par l'importance de la parole et de la conversation brillante à la Cour du XVIIe s. Le
lexique dévalorisant abondant montre que le regard porté par la société sur Phédon est sans
concession; l’auteur accumule les adjectifs “abstrait” “rêveur” “stupide” “menteur” ”superstitieux”
“timide”. Cette dévalorisation est accentuée par les tournures négatives “il ne se fait pas
écouter” “il ne fait point rire”. Nous remarquons l’emploi du pronom “se” de sens réfléchi, au lieu
de dire “on ne l'écoute pas”. La phrase “il s'en tire mal” (l.3) reflète la prise de position des autres
à son égard. Il est responsable de ce qui lui arrive, c’est le jugement de la société. L’adjectif
"superstitieux" (l.7) contient une condamnation car la superstition est condamnée par la religion
à laquelle la société est très attachée. Donc la stupidité de Phédon montre son attachement à
des croyances. C’est un homme serviable et attentif mais de façon exagérée, ce qui apparaît
dans les verbes “il court” “il vole” (l.5) qui vont en gradation, ainsi que par l’hyperbole “Il est
complaisant, flatteur” (l.6). Phédon, socialement dévalorisé, est condamné à courtiser les autres
pour retirer un peu d’attention. Cette servilité est illustrée par le thème de la conversation. Alors
que personne ne l'écoute, Phédon survalorise les paroles des autres ce qui apparaît dans les
deux verbes “il applaudit, il sourit” (l.5) et par la phrase “il est de leur avis”(l.5). Les adjectifs
« complaisant, flatteur et empressé » (l.6) condamnent son comportement et permettent à
l'auteur de le critiquer. Phédon est aussi hypocrite et malhonnête, ce qui est souligné par les
deux adjectifs “mystérieux et menteur” (l.6-7).

Mouvement 3:

Le troisième mouvement met l’accent sur le portrait social du personnage. Ce dernier est mal à
l'aise en société et n’existe pas pour les autres. Les problèmes d’argent de Phédon ont une
influence sur sa vie sociale, il n’arrive pas à interagir en société. Le GN “le chapeau abaissé sur
ses yeux” ainsi que la phrase “il se replie et se renferme dans son manteau"(l.12) mettent
l’accent sur l’inexistence de Phédon sur le plan social. Les adverbes “doucement et
légèrement”(l.7-8) et le groupe verbal à l’infinitif “craindre de fouler la terre” soulignent que
Phédon cherche à passer inaperçu par timidité. Les phrases négatives “n’est jamais du nombre
de ceux qui forment un cercle” (l.9) et “il ne tient point de place”(l.11) accentuent l’effacement et
l'inexistence de Phédon. On note le champ lexical de l'effacement “furtivement, les yeux baissés,
se retire” ainsi que la négation restrictive “il n'ouvre la bouche que pour répondre » qui montrent
que Phédon ressemble à un fantôme qui ne souhaite que passer inaperçu. Il se faufile partout
sans se faire remarquer et cela est souligné par la négation « il n’y a point de rues ni de galeries
si embarrassées et si remplies de monde où il ne trouve moyen de passer sans effort” (l.12-13).
Le personnage devient répugnant “se mouche sous son chapeau et crache presque sur soi”
(l.17). On note des allitérations en [s] et en [ch] qui montrent que Phédon est peu conforme à la
bonne éducation qui suggère sa dégradation totale. LA BRUYÈRE nous pousse à réfléchir sur les
rares avantages de l’absence de fortune. Phédon est "chagrin contre le siècle"(l.15) ce qui fait
comprendre qu’il est inadapté à cette société des apparences où il ne trouve pas sa place.

La finale:

Après une description détaillée du caractère du personnage, la conclusion tombe comme un


couperet. Phédon est l'archétype du pauvre.

Conclusion:

Finalement, LA BRUYÈRE, à travers le portrait d’un courtisan détruit par la pauvreté, exprime sa
condamnation d’une société qui favorise l’apparence et l’argent. Ainsi l’auteur invite à une
réflexion sur les valeurs et les relations sociales. Nous pouvons rapprocher ce texte de l'œuvre
de Montesquieu intitulée Les lettres persanes dans laquelle il fait la satire des mœurs et défauts
de son époque.

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