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Voici une 

analyse linéaire de l‘agonie de Raphaël (excipit de La peau


de chagrin de Balzac).

L’extrait analysé va de « Raphaël tira de dessous son chevet le lambeau


de la Peau de chagrin » à « je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit ? » .

La mort de Raphaël, introduction


La Peau de Chagrin, publié en 1831 par Honoré de Balzac, est un
roman réaliste et fantastique.
Raphaël de Valentin, le personnage principal a fait le choix de voir
ses désirs exaucés au prix d’une vie de plus en plus courte. Ce pacte
est scellé par la possession de la Peau de chagrin. (Voir la fiche de
lecture complète pour le bac de français sur La Peau de chagrin)
Raphaël vit reclus dans un hôtel particulier pour tenter d’échapper à
tout désir, mais son histoire d’amour avec Pauline le conduit à
sa perte : passionné, il est reclus malade, conscient de voir ses jours
diminuer à chaque fois qu’il désire la jeune femme. 
Un soir, Raphaël dévoile à Pauline la vérité sur le Talisman. 

Extrait étudié

Raphaël tira de dessous son chevet le lambeau de la Peau de chagrin,


fragile et petit comme la feuille d’une pervenche, et le lui montrant :
Pauline, belle image de ma belle vie, disons-nous adieu, dit-il.
— Adieu ? répéta-t-elle d’un air surpris.
— Oui. Ceci est un talisman qui accomplit mes désirs, et représente ma
vie. Vois ce qu’il m’en reste. Si tu me regardes encore, je vais mourir…
La jeune fille crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla
chercher la lampe. Éclairée par la lueur vacillante qui se projetait
également sur Raphaël et sur le talisman, elle examina très-
attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la
Peau magique. En la voyant belle de terreur et d’amour, il ne fut plus
maître de sa pensée : les souvenirs des scènes caressantes et des joies
délirantes de sa passion triomphèrent dans son âme depuis longtemps
endormie, et s’y réveillèrent comme un foyer mal éteint.
— Pauline, viens ! Pauline !
Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent,
ses sourcils violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec
horreur, elle lisait dans les yeux de Raphaël un de ces désirs furieux,
jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en
se contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans
le salon voisin dont elle ferma la porte.
— Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime,
je t’adore, je te veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à
toi !
Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et
vit sa maîtresse à demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait
tenté vainement de se déchirer le sein, et pour se donner une prompte
mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. — Si je meurs ; il vivra,
disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux
étaient épars, ses épaules nues, ses vêtements en désordre, et dans
cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le visage enflammé, se
tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël, ivre
d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle
avec la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la
prendre dans ses bras.
Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait
toutes ses forces ; mais il ne trouva que les sons étranglés du râle dans
sa poitrine, dont chaque respiration creusée plus avant, semblait partir
de ses entrailles. Enfin, ne pouvant bientôt plus former de sons, il
mordit Pauline au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris
qu’il entendait, et tenta d’arracher à la jeune fille le cadavre sur lequel
elle s’était accroupie dans un coin.
— Que demandez-vous ? dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je
pas prédit ?
La Peau de chagrin, Balzac, l’agonie de Raphaël.
Problématique
Comment Balzac dépeint-il la passion amoureuse et l’agonie de
Raphaël ?
Annonce de plan linéaire
Dans un premier temps, Raphaël révèle le secret du Talisman à
Pauline.
Dans un deuxième temps, la passion amoureuse de Raphaël est
ravivée, menant l’amant à sa perte.
Dans un troisième temps, la folie touche également Pauline.
Enfin, dans un quatrième temps, la mort de Raphaël achève le pacte
fatal.

I – La révélation du secret du Talisman à Pauline


De « Raphaël tira de dessous son chevet » à « la dernière parcelle de
la Peau magique »
La Peau de chagrin du début du roman n’est plus qu’un « lambeau »
que Raphaël cache pour tenter d’oublier le pacte maléfique scellé. 
Le beau cuir initial est désormais rabougri : au fil des désirs exaucés, il
est à présent « fragile et petit comme la feuille d’une pervenche ».
Cette comparaison empruntée au domaine horticole confirme la
fragilité de la peau : le personnage principal arrive à sa fin.

Lorsque Raphaël s’exprime, Pauline est désignée par l’apostrophe


« belle image de ma belle vie  » : la répétition de l’adjectif « belle »
souligne l’amour porté pour cette femme et la fierté d’une vie
réussie. 
Mais le choix du terme «  image » n’est pas anodin : du latin
« imago », il désigne le portrait d’un mort et le fantôme. 
L’ordre à l’impératif que Raphaël prononce en est la conséquence :
« disons-nous adieu ». Raphaël annonce sa mort à Pauline. 

Face à la surprise de Pauline, Raphaël doit des explications, ce qu’il


fait en montrant trois aspects. 
Il révèle d’abord la définition intrinsèque de la Peau de chagrin,
avec le présentatif « ceci » (« ceci est un talisman ») ; puis
son pouvoir(« qui accomplit mes désirs ») ; enfin
son symbole (« représente ma vie »). 
En somme, il révèle que l’objet physique incarne sa propre vie. 
Au-delà d’un constat amer sur la taille de la Peau, il explique de façon
logique un phénomène fantastique, par l’utilisation de l’hypothèse :
« Si tu me regardes encore, je vais mourir…  ».

Dans un jeu d’écho avec le début du roman où le vieil antiquaire


présentait le talisman, Pauline cherche elle aussi à voir l’objet : elle est
« [é]clairée par la lueur vacillante qui se projetait également sur
Raphaël et sur le talisman ». Ce jeu de clair-obscur crée
une atmosphère fantastique.
Comme Raphaël qui observait la Peau en véritable scientifique chez
l’antiquaire, Pauline cherche à comprendre et l’« examina très
attentivement  ».
Néanmoins, l’adjectif « magique » qui qualifie la Peau ne laisse
aucun doute : Pauline semble saisie par le pouvoir du talisman.

II – L’expression de la passion amoureuse


De «  En la voyant belle de terreur et d’amour  » à « Je veux mourir à
toi  ! »
La passion de Raphaël est intense : Pauline est «  belle de terreur et
d’amour ». Cette alliance antithétique annonce la folie naissante de
Raphaël. 
En effet, les expressions « il ne fut plus maître de sa pensée », « scènes
caressantes », « joies délirantes de sa passion » empruntent à la fois à
l’amour et à la folie. 
On observe que les expressions « scènes caressantes » et « joies
délirantes de sa passion » sont sujets des verbes
d’action« triomphèrent » et « s’y réveillèrent » . L’âme de Raphaël est
devenue le jouet de cette passion dont il n’est plus maître.
Rappelons aussi l’ambivalence du mot « passion », à la
fois amour et souffrance. La vue de son amante ravive des souvenirs
amoureux intenses. La comparaison avec le feu, « comme un foyer
mal éteint », suggère les effets néfastes de cette passion fatale.

La répétition du prénom « Pauline »,qui encadre la réplique de


Raphaël, suggère l’enfermement du jeune homme dans cette passion
à laquelle il ne parvient pas à échapper : « Pauline, viens  ! Pauline » 
La prise de conscience de la jeune femme se traduit par une
énumération des manifestations physiques de la souffrance : « un
cri terrible sortit du gosier », « ses yeux se dilatèrent », « ses sourcils
violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur ».
Cette description vive et frappante forme une
véritable hypotypose qui donne à voir la souffrance de Pauline de
façon concrète et imagée. Les adjectifs et
adverbes hyperboliques (« terrible », « violemment », « inouïe ») et
les verbes au passé simple créent une vive impression sur le lecteur.

Se mêlent alors trois temporalités : le passé amoureux (« un de ces


désirs furieux, jadis sa gloire à elle  »), la réalité présente (« la Peau, en
se contractant, lui chatouillait la main ») et la mort inexorablement en
marche.

Pauline n’a donc plus qu’une solution : la fuite pour préserver la vie de


son amant.

Par un effet d’écho, Pauline est interpelée à deux reprises. Cette fois
désigné par le groupe nominal « le moribond  », Raphaël livre un
combat désespéré, crie, court : la scène est d’une violence extrême. 
Par ailleurs, la gradation exclamative« je t’aime, je t’adore, je te
veux  !» fait de Pauline une femme aimée, une idole puis un objet.
L’expression du désir est donc désormais absolue, sans limite. 
La menace explicite (« Je te maudis, si tu ne m’ouvres  ») se termine
par une expression grammaticalement étrange, qui souligne
l’expression du désir (« je veux« ) , la quête de l’absolu et la passion
funeste qui lie les deux amants : « Je veux mourir à toi  !  ». 
III – De l’amour à la mort
De « Par une force singulière, dernier éclat de vie  » à « et voulut la
prendre dans ses bras »
La folie atteint son paroxysme lorsque Raphaël use de ses dernières
forces : « force singulière« , « dernier éclat de vie« , « jeta la porte à
terre« . Cette force surhumaine suggère que Raphaël est traversé par
un souffle presque démoniaque.
Cette folie s’est également emparée de Pauline décrite par
une accumulation de verbes d’action : «se roulant », « se déchirer le
sein », « s’étrangler avec son châle », «  serrer le nœud ». 
La violence de la scène montre une Pauline, « à demi nue », cherchant
à se suicider.
L’antithèse « Si je meurs, il vivra » fait écho aux propos de Raphaël :
« Si tu me regardes encore, je vais mourir  ». Le lecteur mesure que la
survie de l’un des amants passe par la mort de l’autre. 
Une «  lutte avec la mort » se joue entre les deux amants. Les
nombreuses expansions du nom dressent le portrait d’une Furie
antique : «cheveux (…) épars  », « « yeux en pleurs », « visage
enflammé », « horrible désespoir  ».

Paradoxalement, la métamorphose violente de Pauline est comme


« mille beautés » qui accentuent le désir de Raphaël, « ivre d’amour ». 
La métaphore finale « avec la légèreté d’un oiseau de proie » donne
de Raphaël une image double : à la fois sauveur et prédateur, il peut
aussi bien tuer que sauver.

IV – L’agonie de Raphaël
De « Le moribond chercha des paroles » à « je l’ai tué, ne l’avais-je
pas prédit  ? »
La passion amoureuse de Raphaël est destructrice comme le
suggère la métaphore de la dévoration : « le désir qui dévorait toutes
ses forces ».
La voix et la respiration de Raphaël sont désormais ceux
d’un mourant : le recours à la négation restrictive :
«  il  ne  trouva  que  les sons étranglés du râle » confirme que sa voix
s’éteint. La lourde allitération en « r » restitue le râle des derniers
instants du mourant : « il ne trouva que les sons étranglés du  râle dans
sa poitrine, dont chaque  respiration creusée plus avant semblait
partir  de ses entrailles. « 

Son seul moyen d’expression reste la violence. Raphaël


est animalisé : « il mordit Pauline au sein ». 

L’intervention du serviteur Jonathas témoigne de l’horreur de la


situation : «tout épouvanté des cris qu’il entendait ». 
La scène ressemble presque à un tableau christique diabolique
représentant la descente de la Croix : Pauline, la Vierge, avec le corps
du Christ, Raphaël. 
La mort n’est pas racontée mais condensée par l’expression «  le
cadavre ».

Le roman s’achève sur une question adressée à Jonathas comme au


lecteur. La polysyndète (juxtaposition de plusieurs propositions)
accentue l’incohérence du propos tenu sans logique : «  Il est à moi, je
l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit  ?  ». Pauline semble avoir perdu la
raison. 

Le pacte maléfique inscrit sur la Peau s’est donc réalisé. La dernière


question de Pauline est mystérieuse : « ne l’avais-je pas prédit ? » . La
jeune femme semble se substituer à la Peau de chagrin, comme si elle
était responsable du pacte fatal.

La Peau de chagrin, l’agonie de Raphaël, conclusion


Dans l’excipit de La Peau de chagrin, Honoré de Balzac construit
l’agonie de Raphaël progressivement : la révélation des pouvoirs du
Talisman montre d’abord la passion amoureuse à l’œuvre. 
L’intensité des sentiments des amants entre en conflit avec la nature
du pacte : leur amour conduit à leur mort tragique, dépeinte de façon
spectaculaire. 
Le roman s’achève comme une boucle. Raphaël est puni d’avoir
préféré le VOULOIR et le POUVOIR sur le savoir. Son choix le mène
irrémédiablement à sa perte.

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