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Etude linéaire n°5 : Manon Lescaut, « la mort de Manon »

A. Introduction :

→ présentation de l’oeuvre :

→ présentation de l’extrait : Situé dans les dernières pages du roman de l’abbé Prévost, ce passage est un des moments
clés de l’œuvre. Arrivant à la fin de son récit, Des Grieux y aborde un épisode particulièrement douloureux, la mort de
Manon, conséquence tragique de la fuite dans le désert des deux amants, à la suite du duel entre Des Grieux et Synnelet,
le neveu du Gouverneur, tombé amoureux de Manon et qui voulait l’épouser de force.

B. Lecture expressive du texte

C. Projet de lecture : Dans cet extrait, nous nous demanderons comment le romancier, s’appuyant sur la retenue et
la pudeur de Des Grieux, parvient à rendre ce texte particulièrement émouvant.

Grands mouvements du texte :


- l. à : Les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode
- l. à : Le récit de la mort de Manon
- l. à : Le silence et le renoncement de Des Grieux

Explication linéaire du texte

- l. à : Les réticences de Des Grieux à raconter cet épisode


situation d’énonciation L’énonciation contribue à mettre en valeur le récit qui va suivre :
(qui parle à qui, de quoi Des Grieux s’adresse à Renoncour, revenant au moment de
« Pardonnez », « je vous et dans quel contexte) : l’énonciation, marqué par un retour au présent. Ce recentrage sur le
raconte » - adresse directe au présent de l’énonciation introduit une rupture narrative qui mobilise
destinataire l’attention du lecteur, et relance l’intérêt pour la suite du récit (dans la
« j’achève », « je vous - utilisation du présent de suite du texte, on retrouve les temps du récit : imparfait, passé simple,
raconte », « je le porte » l’énonciation plus que parfait…).
« tue », « malheur », « pleurer tonalité pathétique : Des Grieux crée un effet d’attente avant de se lancer dans le récit de la
», « horreur » -champ lexical de la mort de Manon : ses réticences à raconter ce moment, ses hésitations et
douleur sa difficultés mettent particulièrement en valeur ce qui va suivre.
«un récit qui me tue»,« un -hyperboles Renoncour, comme le lecteur, comprennent qu’ils va s’agir d’un
malheur qui n’eut jamais moment clef de cette histoire, et que les circonstances des derniers
d’exemple »,« reculer d’horreur»
instants de Manon seront particulièrement tristes.
« Pardonnez, si j'achève en série de phrases brèves A cette tonalité pathétique se mêle cependant une forme de retenue dans
peu de mots un récit qui me l’expression des sentiments. Les trois premières phrases sont brèves,
tue. Je vous raconte un gradation dans seule la dernière est plus développée. Elles sont assertives et
malheur qui n'eut jamais l’expression de la dépourvues d’exclamations pourtant typiques de la tonalité pathétique.
d'exemple. Toute ma vie est difficulté à parler Cela nous donne un peu l’impression que Des Grieux parle de façon
destinée à le pleurer. » mécanique, comme s’il était anesthésié par une trop grande douleur.
Grammaire :
« si j'achève en peu de mots un récit qui me tue » = proposition subordonnée conjonctive circonstancielle d’hypothèse
« quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire »= proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de concession
« chaque fois que j'entreprends de l'exprimer » = proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps

- l. à : Le récit de la mort de Manon


« Nous avions passé », « Je temps du récit : Le passage du présent aux temps du récit au passé signalent que Des
croyais », « je n'osais », « Je - plus que parfait Grieux a enfin trouvé le courage de raconter cet épisode douloureux.
m'aperçus ». - imparfait
- passé simple
« tranquillement », « le isotopie du calme et du La mention de la tranquillité de cette nuit, et l’utilisation du pronom
moindre souffle », « troubler silence personnel « nous » installe un cadre assez serein pour le couple même
son sommeil » si le lecteur devine que cette atmosphère calme et silencieuse est
trompeuse.
« Je croyais », « Je ne pris modalisateurs Les modalisateurs montrent que Des Grieux ne comprend pas tout de
d’abord ce discours que pour suite que Manon est en train de mourir. Ici l’abbé Prévost joue, comme
», « je n’y répondis que par » souvent dans ce roman, du décalage entre le je narré (le personnage Des
Grieux, amoureux de Manon, et loin d’imaginer qu’elle est mourante)
et le je narrant (le narrateur Des Grieux, qui raconte à Renoncour,
quelques mois après les événements, la mort de Manon).
« Souffle », « ses mains », « mon champs lexical du corps Les mots sont inaptes à rendre l’intensité des sentiments éprouvés par
sein », « ses mains » Des Grieux et Manon. Le langage du corps prend le relais du langage
verbal entre les amoureux. Les gestes tendres se substituent aux mots.
« touchant », « froides et
tremblantes », « échauffer », « Elle sens du toucher
sentit », « saisir », « tenir »,
« serrement »
« me dit, d'une voix faible », gradation descendante Manon, mourante, parvient de moins à moins à s’exprimer : ses
« ses soupirs fréquents », quelques rares mots se transforment en soupirs, puis en silence. Cette
« son silence » évolution traduit bien la fin de vie du personnage, que l’on voit sous
nos yeux se vider de son énergie vitale.
« Mais ses soupirs fréquents, énumération d’indices Des Grieux aura toujours eu des difficultés à comprendre Manon, à
son silence à mes corporels élucider le « mystère » Manon : dans ces derniers instants, il finit par
interrogations, le serrement de comprendre, grâce à l’accumulation des indices corporels (soupirs,
ses mains, dans lesquelles elle silence, manière dont elle lui tient la main), ce que Manon est en train
continuait de tenir les d’éprouver.
miennes »
« la fin de ses malheurs euphémisme Il s’agit bien ici de parler de l’agonie et de la mort de Manon, mais il le
approchait ». fait par une formulation euphémistique, qui lui permet de dire
l’indicible.
- l. à : Le silence et le renoncement de Des Grieux
« N'exigez point de moi que je modalité injonctive Cette adresse à Renoncour peut-elle paraître surprenante dans la mesure
vous décrive mes sentiments, (verbe à l’impératif) où celui-ci n’intervient jamais (ou très peu) dans le récit de Des Grieux.
ni que je vous rapporte ses Elle souligne l’ellipse faite ici par Des Grieux, son silence sur ses «
dernières expressions » prétérition sentiments » et les « dernières expressions » de Manon, et s’apparente à
une prétérition, dans la mesure où elle est, en partie, contredite par la
phrase suivante (« je reçus d’elle... de vous apprendre »)
« Je la perdis ; je reçus d'elle des série de trois proposition Le rythme haché et tranchant des de ces propositions contraste avec le
marques d'amour au moment juxtaposées style habituel de Des Grieux marqué par le lyrisme et une certaine
même qu'elle expirait ; c'est tout aisance à discourir longuement sur le moindre événement. La mort de
ce que j'ai la force de vous euphémisme (« je la Manon est à nouveau exprimée par un euphémisme, ce qui traduit toute
apprendre, de ce fatal et perdis ») la pudeur de Des Grieux, ni ne se complait ici dans un long récit
déplorable événement. » pathétique.
« Mon âme ne suivit pas la périphrase Ici, par cette formulation détournée, Des Grieux s’étonne de ne pas être
sienne » mort, foudroyé par la douleur d’avoir perdu Manon. Sa survie est peut-
« Le Ciel ne me trouva point lexique religieux : être plus douloureuse encore, car il reste seul avec son chagrin. Des
sans doute assez « âme »,« ciel », « puni » Grieux fait intervenir ici l’idée d’une transcendance : avec le recul du
rigoureusement puni. Il a voulu temps, Des Grieux (je narrant) examine ce qu’a été sa vie depuis la
que j'aie traîné, depuis, une vie perte de Manon, et il interprète sa misérable situation comme une
languissante et misérable ». punition divine.
Conclusion :
Le récit que fait Des Grieux à Renoncour de la mort de Manon est fait d’ellipses et de silences. L’excès de douleur se traduit, au-delà
des mots, dans l’incapacité de Des Grieux, d’habitude si éloquent, à exprimer son émotion, et ne trouve d’issue possible que dans la
mort symbolique qu’il s’inflige à lui-même.
Par cette fin tragique, qui « tue » Des Grieux après Manon, Prévost inscrit son couple d’amoureux dans la lignée des amants maudits
qui, de Tristan et Yseut à Roméo et Juliette, traversent l’histoire de la littérature.

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