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ETUDE LINEAIRE N°7 : « LA MORT DE MANON », L’HISTOIRE DU CHEVALIER DES GRIEUX ET DE

MANON LESCAUT (1731), ABBE PREVOST

INTRODUCTION

• Offrir aux lecteurs « un exemple terrible de la force des passions » : telle est l’ambition d’Antoine
François Prévost, dit l’Abbé Prévost, dans ce roman majeur du XVIIIème siècle. Homme des Lumières,
il propose ici une œuvre unique, qui marque le retour de la sensibilité dans un XVIIIème siècle
rationaliste. • Publiée une première fois en 1731, et une seconde fois en 1753, L’Histoire du Chevalier
des Grieux et de Manon Lescaut est un roman-mémoires dans lequel le narrateur, qui n’est autre que
le Chevalier des Grieux, retrace son amour passionnel avec Manon Lescaut, femme de mauvaise vie
qui entraînera le jeune homme sur la pente du crime. • Notre extrait est un moment stratégique du
roman, dans la mesure où il en est le dénouement : des Grieux a rejoint Manon Lescaut en Amérique,
où elle a été exilée à la suite de ses crimes. Manon promet au Chevalier d’avoir changé, de s’être
repentie. Le mariage entre les deux jeunes amants est d’ailleurs sur le point de consacrer la
rédemption des personnages. Toutefois, après avoir battu en duel Synnelet, qui avait des vues sur
Manon, le Chevalier des Grieux et sa bien-aimée doivent fuir loin de la société, et se trouvent isolée
en un lieu désertique. Le Chevalier des Grieux nous raconte ici la mort de son amante, Manon, qui
périt d’épuisement.

• Dès lors, nous serons conduits à nous poser la question suivante : Comment l’auteur met-il en scène
le récit de la mort de l’héroïne ? • Afin de mener à bien notre analyse, nous étudierons de manière
linéaire les 3 mouvements successifs de notre passage :

1) L.1 à 4 (de « Pardonnez … » jusqu’à « … j’entreprends de l’exprimer. ») : LA MISE EN PLACE DU


RECIT

2) L. 5 à 16 (de « Nous avions passé … » jusqu’à « … ce fatal et déplorable événement. ») : UNE MORT
PATHETIQUE

3) L. 17 à 19 (de « Mon âme … » jusqu’à « … jamais plus heureuse ») : UNE MORT TRAGIQUE

I. L.1 A 4 : LA MISE EN PLACE DU RECIT

• Dans cette 1ère partie, on assiste à la mise en place du récit de la mort de Manon. • Il s’agit ici d’un
récit rétrospectif, ce que souligne LE THEME DU SOUVENIR : « … je le porte sans dans ma mémoire …
» (L.4) • Si cet événement appartient au passé, il n’en reste pas moins d’une actualité brûlante, ce
dont témoigne L’EVOCATION DES SOUFFRANCES AU PRESENT D’ENONCIATION : « … j’achève en peu
de mots un récit qui me tue. » (L.1). La douleur est encore vive. • LA FOCALISATION INTERNE utilisée
dans ce passage (ce dont témoigne l’usage de la 1ère personne du singulier) permet, d’ailleurs, de
ressentir plus vivement encore la douleur du Chevalier des Grieux, car nous sommes conduits à
épouser son point de vue, à partager ses sentiments. • Notons que le Chevalier s’adresse à
interlocuteur, ce que souligne L’INTERPELLATION qui ouvre notre extrait : « Pardonnez » (L.1). Dès
lors, nous, lecteurs, avons l’impression d’être nous-mêmes sollicités. • Le récit à venir est présenté de
manière particulièrement négative. Le personnage-narrateur prépare le lecteur à l’horreur qu’il
s’apprête à lui livrer, ce que souligne notamment L’ISOTOPIE DE LA SOUFFRANCE : « un récit qui me
tue » (L.1) ; « malheur » (L.1) ; « pleurer » (L.2) ; « horreur » (L.3). • LES HYPERBOLES intensifient
encore la force du malheur que l’on est sur le point de découvrir : « un récit qui me tue » (L.1) ; « Tout
ma vie est destinée à le pleurer » (L.2). Ce malheur n’est jamais explicité : de quoi s’agit-il
exactement ? Le narrateur fait usage de PERIPHRASES et d’EUPHEMISMES, pour ne pas parler
directement de la mort de Manon. Tout est donc fait pour susciter la curiosité du lecteur.

II. L.5 A 16 : UNE MORT PATHETIQUE

• La 2ème partie de l’extrait, qui forme le cœur même du texte, se focalise sur la mort de Manon
Lescaut. • La description de cette mort se fonde très largement sur LE REGISTRE PATHETIQUE : tout
est fait pour susciter la compassion et la pitié du lecteur. • La scène prend place dans un cadre
solitaire et nocturne (« une partie de la nuit », L.5 ; « endormie », L.6 ; « sommeil », L.6), caractérisé
par sa « tranquillité » (L.5). Rien ne laisse supposer que la mort puisse surgir. • Le narrateur décrit
ainsi les marques de tendresses qu’il porte à sa bien-aimée, et L’ISOTOPIE DE L’AMOUR est dès lors
perceptible : « ma chère maîtresse » (L.5) ; « en touchant ses mains » (L.7) ; « Je les approchai de
mon sein, pour les échauffer » (L.8) ; « les tendres consolations de l’amour » (L.11) ; « des marques
d’amour » (L.15) • Au cœur de l’amour, surgit néanmoins la mort, de manière imprévisible. En
parallèle de L’ISOTOPIE DE L’AMOUR, nous pouvons ainsi relever L’ISOTOPIE DE LA MORT : « elle les
avait froides et tremblantes » (L.7) ; « une voix faible » (L.9) ; « l’infortune » (L.10) ; « elle expirait »
(L.15) ; « ce fatal et déplorable événement » (L.16). • Dès lors, Eros et Thanatos s’entremêlent. • Nous
serons sensibles à l’utilisation du PASSE SIMPLE dans ces lignes, qui montrent que la mort est un
événement soudain et brutal, qui s’empare rapidement de Manon, ce que confirme L’ENUMERATION
TERNAIRE suivante : « ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses
mains » (L.11-12). L’ACCUMULATION met ici en lumière la progression inexorable de la mort, face à
laquelle le Chevalier Des Grieux demeure impuissant. • La mort n’est néanmoins jamais décrite de
manière détaillée. L’on ne peut qu’être sensibles aux NOMBREUX EUPHEMISMES UTILISES, qui
permettent au narrateur de ne pas nommer directement la mort de sa bien-aimée : « elle se croyait à
sa dernière heure » (L.9) ; « la fin de ses malheurs approchait » (L.13) ; « Je la perdis » (L.14). • Il y a
même un refus de décrire de la part du personnage-narrateur, ce qu’il souligne en interpellant
directement son auditeur : « N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je
vous rapporte ses dernières expressions » (L.13-14). La mort de Manon Lescaut est ainsi présentée de
manière elliptique, parce qu’elle est indicible.

III. L.17 A 19 : UNE MORT TRAGIQUE

• La 3ème et dernière partie de l’extrait se focalise sur le Chevalier des Grieux, dorénavant à jamais
seul. • Au registre pathétique, s’ajoute ici LE REGISTRE TRAGIQUE. Le couple est ainsi destiné à être
séparé, ce que souligne L’EUPHEMISME SUIVANT : « Mon âme ne suivit pas la sienne » (L.17). • Le
personnage-narrateur présente enfin la mort comme une punition divine, un destin auquel le couple
ne pouvait échapper, ce que souligne L’ALLEGORIE DU « CIEL » (L.17) dont le Chevalier dit qu’il l’a «
rigoureusement puni » (L.18), et ce qu’annonçait déjà la caractérisation de la mort comme « fatal et
déplorable événement » (L.16) • L’ISOTOPIE DU MALHEUR est dès lors particulièrement sensible dans
ces dernières lignes : « une vie languissante et misérable » (L.18) ; « Je renonce volontairement à la
mener jamais plus heureuse » (L.19). • Cette mort, néanmoins, permet à Manon, pécheresse par
excellence, de se repentir, ce qui lui permet d’accéder à une forme de rédemption. • Le récit de la
mort de Manon se double dès lors d’une réflexion sur les conséquences de la passion : n’est-elle pas
vouée à mener à la mort ?

CONCLUSION • Jouant sur le pathos, mélangeant d’Eros et de Thanatos, ce passage nous propose
une vision pathétique et tragique de la mort de Manon Lescaut, ainsi qu’une réflexion sur les
conséquences de la passion. Ce dénouement rattache Des Grieux et Manon des couples légendaires
de la littérature qui, comme eux, connaissent une fin prématurée et tragique.

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