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CORRECTION : DISSERTATION

<r Ge qu'il y a de fort dans Manon Lescauü, c'est le souffle sentimental, la naiVeté de la passion qui rend les deux héros si
vrais, si sympathiques, si honorables bien qu'ils soient des fripons n Fartagez-vous l'opinion de Gustave Flaubert au sulet
du roman Bllanon Lescaut?

I IL§EMBLE, CONTRAIREMENTÀ CE QUE DIT FLAUBERT AUE LES PERSONNAGES DU ROMAN MÂruOÂ'LESCÂUTSOIENT
PEU « HONORABLES »

{. Manon est trne jeurue fille pu rccommandable can elle incame la figure de la « rouée r», §pe ernprunté aux roman§
Iibertins. Elle e*t prête à se vendrê pour satisfairc son gcûrt immodérÉ des plaisirs et dtr divertissement.
Ex ; elle est envoyée pâr ses parents au eswent pour « anêter Éon penshant au plaisir ». Femme de petite vertu qui a un goût
prononcé pour la sensualité. C'est une hêroihe digne d'un roman tibertin. Dans i'épisode de la première rencontre, elle incame la
figure de la lentatrice, Eve biblique. EIle soppose à la religion car elle fuit le aouvent: « C'était nralgré elle qu'on l'envoyait au
eouvent ». Elle détsume aussides Griesx de l'ordre de Maltc dest-à-dire du droil chemin et pourtout dirc de la religion (les ehevaliers
de l'ordre de Malte devaienl faire væu de chasteté). Elle le détoume une deuxième fois de I'Eglise, lors des retrouvailles à Saint-
Sulpice alors qu'il est sur le point de prononcer ses væux. Là, elle fait vraiment figure de prêdatrice.

Ex : elle eommet trois infidélités, preuve qu'elle ne peut résister à l'appel du plaisir et qu'elle est yénale ear elle utilise ses eharmes
comme monnaie d'échange pour obtenir de I'argent et des bijoux- ll y a d'abord sa liaison avêc ildr 8..., fermier genérat (p 50), puis
avec le vieux Mr de G... M.". (p 107) et enfin, avec Mr de G...M... fils (p 196), à qui elle se uefid en échange de 4û ffiO tivres de
pension. Son geste qui consiste à envoyer à des Grieux une ftlle de joie cûmme lot de consolation au moment où elte I'abandonne
une nouvelle fois, est digne de la marquise de Merteuil, hêroihe du roman Les fubisæs dangrereuses de Choderlos de Laclos,
véritable incamation de la libertine.

Ex : Elle dit au sujet du vieux G...M... : <« llest vrai gu'il m'a baisé plus d'un million de fois les mains, il est juste qu'il paie ce plaisir. ».
Le corps êst unê monnaie d'êchange. C'êst unë fêmmê vênale.

Ex : dans la leftre qu'elle adresse à des Grieux après avoirftri avec le vieu G...M..., elle écrit: « dans l'êtêt ùù nous sornmes, Cest
une sotte vertu que la fidélité. » On songe à l'éloge de l'inconstance que prononoe Don Juan, héros éponyme la pièce de Molière
(acte I, scène 2).

2. Des Grieux eçt aussi un << fripon ».sans hoftneur. ll déroge à toua les principes de sa casb et fait figuæ d,aristocrate
déchu et déclassé.
Ex: il se déshonore en entretenant une liaison avec une femme du peuple et pire en voulant l'épouser, car cela constitue une
méEalliance. ll se méprend quand il pense que son @re finira parâæeptêr cette union.

Ex: il se déshonore en triehant au jeu et en intégrant la tigue de I'industrie où il aBprend tsus les rudiments de la fraude au jeu;
« J'escamotais lfuèrement pour tromper les yeux des plus habiles et ruiner sans affec*ation dhonnêtes
loueurs ». ll est fnalement
passé maltre dans l'art de tridrer. ll bascule dans une forme de délinquance.

Ex: plus il avanee, plus il s'enfonee dans le monde de la pègre. Au départ, il bénêfieie de l'aide de tescaut qui l'introduit dans æ
monde' Puis, à la ftn du roman, il se erée son pteprê réseau de contac*s, recrute sans faide de personne des gardes du corps pour
attaquer le convoi qul mène Manon jusqu'au Havre. Là, on voit qu'il a dêfinitivement sombré dans la délinquance.

Ex : On garde de !ui, I'image du « tipon », du hors-la.loi. C'est ce que lui dit son père quand il vient le trouver à la prison du Châtelet
où il fusüge la réputation exécrable qu'il s'est fâite : « Grâce au scandale de votre libertinage êt de vos friponneries,
ÿai découvert le
lieu de votre demeure. »"

3, Les deux per§onnagês sont irrémédiah|ement happés par une sor& de spirale descendante, une chute vertigineuse
et fahle qui les mène tout droiÉ verr I'infarniË, I'opprobrc et rcrêrne I'exctuslon.

Ëx: Le roman est marqué par une gradâtioü qui fait gue plus on âvaftc€ dane I'intrigue plus la situation empire. Ains!, les dêlits
çommis ssnt de plus en plus graves ; d'abord la trieherie au jeu, puis le vol, la prostitution, la séquestration et le meurtre, les
ificarcérations suæessives... Le comble de la déctréance est évidemment atteint avec la déportation de Manon qui est décrite de
faæn tres pathé{ique par des Grieux : << Mais figurez-vous tfla pâuvre maîtresse enchalnrie pai le milieu du assise sur quelques
poignées de paille, la tête appuyée languissammênt sur un côtê de la voiture, le vlsage pâle et mouillé d'un "orys,
ruisseau de larmes, ».
lci, Ie << cfrariot » êvoque à notre esprit la << chanette d'infamie » dans laquelle s instafle Lancelot pour prower à Guenièvre son amour
{d Lancelot au Ie chevalier de la chanette, roman de Chrétien de Troyes, XIIème siecle). Enfin, tâtape ultime de cette chute, il y a la
mortfinale de Manon.

I
IICEPENDANT, NOUS NoU§ LAISSONSVOLONTIERS EMPORTER PARLE « SOUFFLE SENTIMENTAL » QUIPARCOURTCE
ROMAN ETQUI REND LES PER§ONNAGES « SYMPATHISUES ».

I . Le lecbur est touché par la sineérité dæ personnage§, par leur naïveüé dcisarmante et leur grâee juvénlle.
Ex: dans la seène du eoup de foudre àAmiens, le sentiment amoureux est évoqué dans son immédiateté, dans le moment de son
surgissement, dans son authenücité, sa spontanéité. G'est æ que rÉvèlent, le passé simple, la métaphore de la flamme ainsi que
l'hyperbole <( transport » : << Je me trouvai enflammé jusqu'au transport ». §on cæur s'embrase, il est littéralement envahi par un
désir incontrôlable. l-image de la flamme cesse d'être un dichê, elle exprime la brûlure du désir. Tout ici, sonne vrari, authentique.

Ex: vision un peu nai've de l'amour, complètement idealisée et utopique quand le couple file le partait amour au Nowel Orléans:
arnour apparaît comme un sentiment puç innocent, fusionnel gue des Grieux exalte non sans eft.rsion lyrique : << Tout l'univers n'est-
il pas la patrie de deux amants fidèles ? Ne trouvent-ils pas l'un dans l'autre père, mère, parents, ami*, richesse et félicité ? » (p
258). Amour un peu comme la religion ëst la source de toute félicité, de toule plénitude. ll comble tous nos besoins.

Ex : nous §ommes touchés par la naï'veté de des Grieux guand il pardonne à Manon ehaque fois qu'elle le trahit. Là, le lecteur jouit
d'une eertaine supériorité sur le hérss car il sait que le personnage se trompe, gu'il est dans le déni. eela lui vaut les sareasmes de
son père (p 58) qui lui reprocfre son ingénuité : « ll me demanda d'abord si j'avais toujours eu la simplicitê de croire que je fusse
aimé de ma maitresse. Je lui dis hardiment que j'en étais si sûr que rien ne pouvait m'en donner la moindre défiance. » Et le père
d'éclater de rire...

2. G'est l'amour qui insuffle aux pen$onnages leur énergie et qui constitue l'élérnent môbur du roman, déclenchant
ainsi un tourbillon de pédffies dans lequel les personnages sonternportés et !e lecteur avec eux.
Ex; l'amour génère toutes les péripêties du roman : dès la scène de la première rencontre, le Gêup de foudre constitue l'élément
perturbateur et la première péripétie qui en dêcoule est celle de la fuite d'Amiens : « Nous nous entretînmes des moyens d'être I'un
à I'autre. Après quantité de réflexions, nous ne trowâmes pâs d'autrc voie que eelle de la fuite. ». D'autres fuites et tentatives
d'évasion en déesuleront: eelle de Saint-Sulpiee, puis celle de la prison de Saint-tazare el de l'hôpital de la SalBêtrière, celle de
fexil et de la déportation vers la Louisiane et enfin, celle du couple dans te desert. Cette logique de fuite structure tout Ie roman et
est déclenchée par le coup de foudre. La passion est bien l'élément moteur du roman, elle donne l'impulsion à ce mouvement de
fuite perpétuel, au << souffle » qui parcourt le roman. Iamour nounit l'action et fait naître les aventures. C'est la passion qui génère
la cascade de péripéties qui rythme le roman. Sortê de mouvëment vertigineux dans lequel les përsonnêgês sônt entralnés.

Ex ; pour Manon, des Grieux est prêt à prendre tous les risques, à surmonter tous les obstacles : lors de sa première incarcération
à §aint tazare' il déploie des tréssrs d'ingêniosité pour sortir de la prison et pour délivrer Manon. Ç'est lui qui met au point le plan
d'évasion pour la faire sortir de l'Hôpital, p 162. On a coup sur coup, deux scènes d'évasion qui se succèdent de manière sérielle.
Cette situation se répètera plus tard quand il recrutera des gardes du corps pour aller attaquer le convoi qui mène Manon au Havre.

Ex I Sorte d'hérsïsme amsureux qui vient se substituer à I'hêrslsrne épique, Ëamour donne tous les eourages, tsutes les audaees.
Uamour bien est une puissance agissante, une divinitê toute-puissante qui sembte être un personnage à part entière et pour qui rien
n'est impossible : << on ne ferait pas une divinite de I'amour s'il n'opérait souvent des prodiges ». C'est lui qui dirige les personnages,
qui leur dicte leur eonduite, leurs faits et gestes. tors de la scène de première vueo Cest l'amsur gui fait parler des Grieux, qui lui
souffe ses arguments : « Je æmbattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon
éloquence scolastique purent me suggéner. ». De même, lors du duel avec Synnelet, cest l'amour qui dirige la main du héros:
<< L'amour conduisait mon êpée. »

3. La souffranee des pelsonnages suscite notre compassion et falt que nous ne pounôns les condamner : elle aboutit
dona à une fome de rédemption.
Ex : sette rédemption est bien illustrée par la mort de Mansn, Elle revêt un earaetère angêlique ; devient une ssrte de sainte, de
martyre, incarnaiion de la Madeleine repentie qui finit ses jours dans le désert, lieu biblique par excellence, symbole de pénitence.
On oublie toutes les infidêlités de Manon quand on la voit utiliser ses demières foræs pour changer le pansement de son bien-aimé,
on passe de la « perfide Manon >r à l'<< amante incomparable ».

Ex : ici, le pafiétique fonctionne à plein, non seulement à cause de des Grierx qui ne cesse de se lamenter sur sa desünée mais
aussi à cause des autres personnages qui sont profondément émus par le triste sort du jeune couple. On pense à la vieille femme
qui assiste à I'hôtellerie au drame de des Grieux et Manon teseaut et qui s écrie : « Ah I Msnsieur, êntrezt et voyez si ee spec{acle
n'est pas capable de fendre le cæur ! » Le narateur-cadre, Renoncour, en fait aussi partie et il nous communique sa mmpassion.
Quand il voit des Grieux pour la première fois, p 28, il dit: « Je n'aijamais vu de plus vive image de la douleur. ». ll ajoute : « Je
découvris dans ses yeux [.,.] un air si fin et si noble que je me sentis porlé naturellement à lui vouloir du bien. ». Comme lui, le lec{eur
est êmu, attristé et fait preuve d'empathie.

:+ Le sort tragique des personnages, le caractère poignant du récit, fait que nous ressentons une profonde sympathie à l'égard
des personnages.

TRANSITION : Cependant, il senit Éducteur de considércr Manon Lescaut camme un sirnpte toman d'amaur L'intérêt de çe roman
se sif{re ailleurs.

2
III ËN REALITE, CE QUI EST FORT DANS CE ROMÂN, CE N'EST PAS TANT LA PASSION AUE LA MANIËRE DONT ELLE ËST
RACONTEE : Iâ CON§TRUCTION DU REC}T Qt,'I FAITAPPEL À NOTRE ESPRIT CRITIQUE, BRILLE PAR SON ORTGINALiTE
VOIRE SAMODERNITE.

7. On assisÊe gtâee au genrc du roman<nénroircs, à une plongÉe dans la subjeetivifiÉ de des Grieux, ce qul'neus
pemtet de nresurer les effEts ravageurc de la passion, les égarcmenÉ et les désordres qu'elle engendre. Nous
explorons les méandrcs et la connplexitÉ de la eonscâEnqe de des Grieux.
Ëx : le dêehirement intêriêur de des Griesx est suggéré par le réeit rétrs$eetif et par le double « je >» gui confrsnte d'un eôté le
personnage aveuglé par la passion, qui vit les événements, de I'atrtre, le nanateur lucide. Bien sowent, æ narrateur s érige en juge
du jeune hornme qu'il êtait, il adopte une distanee critique par rapport à son aveuglement passé- ll y a bien un détloublement de des
Grieux avee deux << ie » qui s'affrontent On peut s'appuyer sur la scène de première vue qui illustre bien cette dMsion intérieure :
« J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôl ! >>. lci, on sent bien un oonflit entre
les deux « moi », le demier jugeânt le premier. Conflit intérieur qui marque bien les bouleversernents engendrés par la passion. Le
nâffâtÊur adulte ne se reeonnaît pas dans ee jeune homme entreprenant, il semble que la passion lui ait fait perdre sa nature
profonde, elle est un état anormal, proche de la folie : « Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d'où me venait alors tant de
hardiesse et de faoilitê à rn'exprimer ». l- intenogative indirecte montre bien la perplexité du nanateur face à cette métamorphose gui
nous prive de notre identite, qui fait que nous devenons méconnaissables pour nous-mêmes.

Ex : ces interrogations du nanateur concemant les efets de la passion, véritable énigme, nous les retrouvons ici : « L amour est une
passion innocente ; comment s'est-il changé, pour moi, en une source de misèrc et de désordre$ ? ». Questionnement pe@tuel
rendu possible par le récit à Ia première personne. Texte qui intenoge la passion et ses effets. Elle est présentée comme une ênigme,
un état inexplicable gui n'êst pas rationnel, quiest mystériêtlx.

EN : On peut aussi citer Ia phrase suivante gui à travers I'antithèse marque bien le fossé entre le des Gdeux personnage et te des
Grieux narrateur qui a du recul sur les événements : << Ce quifait mon désespoir a pu faire ma félicité. »» lci, on note aussi en plus de
I'antithèse l'oppo§ition entre les temps prêsent êt passé qui marque bien le fossé temporel entre les deux des Grieux.

Ex : le point de vue irrterne mime l'enfermement dans la passion. Le lecteur est un peu I'otage de des Grieux, il est enfermé avec lui
dans cette passion qui l'obsède et qui lui donne une vision faussée de la réalité. Univers étouffant, dans lequel on n'a qu'une vision
tres limitee de la réalite.

:+ On explore les émotions


:+ On sent bien l'influenee de la sensibilité avec une vslsnté de se pendrer sur les émstions et de réhabiliter les passions,
Nouveauté de ce roman qui nous dévoile un autre visage de la passion (par opposition à La Pnhcesse de Clèves de Mme de
Lafayette, roman classique quila condamne)
+ Ouvre la voie au reman sensible : La Vie de Marianne de Marivaux at Jutie ea la nouvelle Hétoise de JJ Rsussea-u.

Z. Le narrabun homodÈégétique reconetruit !a Éalité dans le but d'aténuer la graviÉ de ses déti§Ë'de Ë'O*,o
oublier: i! s'agit moins d'eln récit que d'un plaidoyer prc domo. De ce faiL le lecteur est contraint à une cerhine
di§tâftÉe eritiquê rler rappôrt à un réeit dônt il mê§urè tôutê la pâÉ dê mêR§onge ët üê mânipütetiôn.
Ëx : Dans le récit qu'il adresse au marquis, des Grieux recourt maintes et maintes fois, au pathos et à une forte dramatisation des
événements dans le but de I'apitoyer. On citera à ce titre, les cris de désespoir dont son récit est émaillé, les interjeetions << Hélas ».
La douleur est ainsi instrumentalisée, exhibée ; elle se donne en spectacle de façon grandiloguente dans le but d attirer la sympathie
des narrataires. En guise d'exemple de ce recours au pathos dans le but de sensibiliser le narataire ainsi que les lecteurs à sa
cause, on cüera les propos qu'il déclare non sans une certaine emphase, quand il évoque l'êchec du piège tendu à Mr de G. . . M. . , :
«< J'étais né pour les courtes joies et tes longues douleurs. La Fortune ne me délivra
d'un précipice que pour me faire tomber
dans un autre, »
Ex: des Grieux se justifie en multiptiant les invocations au destin et au Giel. La fatalité est une sorte d'alibi qui excuse son
aveuglement. Ce recours à la fatalité comme alibi est évident lors de la première rencontre avec Manon où il se réfère à sa mauvaise
étoile: << I'ascendant de ma destinêe qui m'entraînait à ma perte ». ll réitère ces invocations
au destin lors de la mort de Manon :
<< Le Ciel ne me trouva point sans doute assez rigoureusement puni. ll a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et
misérable. »'

Ex : face à son père, des Grieux invoque comme excuse, la fatalité et la tout+.puissance de la passion: « C'est l'amour, vous le
savez qui a causé toutes mes fautes. Fatale passion ! Hélas l». ll sagit donc bien d'un récit-plaidoyer qui multiplie les appels à
l'émotion, lransformant ainsi son Bort en une destinée exceptionnelle digne de compassion.

Ex : C'est ce qui explique la présence d'un motff récurrent, celui des larmes : elles constituent une arme infaillible pour s'attirer la
sympathie des narrataires.

3. Le disposiÉif narratif adopté nous fait prendre eonsciense, par um effet derlise en ahyme, de la toute-puissance du
romancier figtlré iei par des Grieux. Gelui-ci est bien le doubie du romaneier, conscient de ses effeb, habile dans
I'art d'érnouvoi6 maîltrisant toutes les fieelles de la narratiom.
Ex i sn voit qu il parvient à eaptiver Rensneêur qui de nanateur-cadre passe à narrataire : « Gette avenürre me parut des plus
extraordinaires et de§ plus touchantes. » On voit qu'il est conquis. ll est une parfaite illustration des sorllleges du récit auxquels nul
ne resiste. Cette oewre rend hommage au pouvoirdu rolnafi.

Ex : or, le eouple des Grieux / Renoneour nous renvoie en fait au æuple romancier/ lecteur et nous devons tous nous reconnaître
dans le personnage de Renoncoul notre relais inteme, notre double. C est ce qu'on constate dans le passage suivant où le << vous »
désigne aussi bien Renonæur, le nanataire que le lecteur de Frévost, Cest-à-dire nous-mêrnes : << Vous dirai-ie quel û.rt le déplorable
sujet de mes entretiens avecManon pendant eette route, ou quelle impression sa vue fit sur moi lorsque j'eus obtenu des gardes la
liberté d'approcher de son cÿrariot ? Ah t Les expressions ne rendent jamais qu'à demi les sentiments du cæur. Mais frgurcz-vous
rme pauvrê rnaître*se enchaînée par le milieu du corys, assise sur quelgue* poignées de paille, Ia €te appuyée
languissamment sur un eôté de la voiturc, le visage pâle et rnouillé d'un ruisseau de larmee qui sa faisaient un passage au
travers de ses paupières, quoiqu'elle eût conünuellernent les yeux fermés. ». Le lecteur est comme pris à témoin à travers ce « vous »
et semble participer à I'acÉion, être face à Manon. ll est actif et fait partie du récit. En même temps, cet artifice nous fait prendre
eonseience du mensonge et de la part de manipulaüon qu'il y a dans tsut réeit. te rsman est pur artifiee et des GrieuK / Prêvost est
pa*sé maître dans l'art de nous tromper, de nous faire prendre la fiction pour Ia réalité. (+ usage aussi des prétêritlons, des
interrogations rhétoriques)

Ex ; autre preuve du fait que des Grieux esnstitue le dsuble du rsmaneier : son rccours habile à la protepse dont il sait tirer tsus les
effets. Quand il est avec Manon chez le leune G...M..., la prolepse gu'il utilise en annonçant les malheurs à suivre, ænstitue une
technique efficace pour relanær Ïintérêt du lecteur-nanataire pour le récit : « Pendant ce tempsJà, notre mauvais génie travaillait à
nous perdre. Nous étions dans le délire du plaisir et le glaive était suspendu sur nos têtes. te fil qui le soutenait allait se romBre.
Mais, pour faire rnieux entendre toutês leÊ circonstances de notre ruine, il faut en éclaircir la cause. » (p 222)- Des Grieu parvient
à tirer pleinement parti de la prolepse en prophétisant les malheurs à venir sans en indiquer la teneur. Le lecteur est intrigué et a
hâte de découvrir quelle nouvelle catastrophe va s'abathe sur le couple. Le suspens touche à son connble.

Ex : enfin, on comprend grâce à lépisode final de la mort de Manon, que le but du récit est de faire revivre le personnage de Manon,
de la faire ressusciter par le biais des mots. Tel Orphée, des Grieux parvient à extraire Manon du monde des morts pour la ramener
dans le monde des vivants, et il lui donne vêritablement vie, eomme on le èonstate dans l'épisode du prinee italien. ll s'agit de la faire
renaître en idéalisant son image" Ce récit s ofre donc comme un véritable tombeau (texte ou composition musicale qui êvoque la
mémoire d'un défunt).

=+ C'est ce qui fait la grande modernité de ce roman qui dévoile les rouages et les artifices propres à ce genre. C'est donc aussi
un roman sur le roman.

CONCLUSIÛN:

eeües, Flaubert a raison d'insister sur I'importanee des émotions et des sentiments gui sont iei soulignés avec force. Mais Manon
Lescaut est moins un roman de la passion qu'un roman sur le roman. Prévost veut réhabiliter le roman, de même que des Grierx
veut réhabiliter Manon. ll en exalte les powoirs, les sortilèges et la magie, sa capacitê à embellir la réatité, à la rendre attrayante et
touchante. Des Grierx est bien le dsuble de Prévest.
Cette mise en évidence des pouvoils du rornan est aussi soulignée par le roman Jacques le Fataliste et son rnaîtrc de Diderot, dans
lequel il met en évidence les pouvoirs du romancier ainsi que le caractère arti§ciel de ce genre littéraire. Le lecteur doit de ce fait
user de sen esprit eritique en se sachant manipulé.

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