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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

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L’ILIADE
L’ODYSSÉE
HYMNES HOMÉRIQUES
ÉPIGRAMMES
LA BATRACHOMYOMACHIE

ANNEXES
HOMЀRE ET LA PHILOSOPHIE GRECQUE
LA QUESTION HOMÉRIQUE
VIE D’HOMЀRE

Homère : Oeuvres complètes et annexes


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L’ILIADE
Homère
(entre -850 et -750)
OEUVRES

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Table des matières


Présentation
Chant 1
Chant 2
Chant 3
Chant 4
Chant 5
Chant 6
Chant 7
Chant 8
Chant 9
Chant 10
Chant 11
Chant 12
Chant 13
Chant 14
Chant 15
Chant 16
Chant 17
Chant 18
Chant 19
Chant 20
Chant 21
Chant 22
Chant 23
Chant 24

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Présentation
Cette traduction française est celle de Leconte de Lisle (A. Lemerre, 1866).

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Chant 1
Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de
maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes
âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux
carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une
querelle avait divisé l’Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus.
Qui d’entre les Dieux les jeta dans cette dissension ? Le fils de Zeus et de
Lètô. Irrité contre le Roi, il suscita dans l’armée un mal mortel, et les
peuples périssaient, parce que l’Atréide avait couvert d’opprobre Khrysès
le sacrificateur.
Et celui-ci était venu vers les nefs rapides des Akhaiens pour racheter sa
fille ; et, portant le prix infini de l’affranchissement, et, dans ses mains, les
bandele es de l’Archer Apollôn, suspendues au sceptre d’or, il conjura
tous les Akhaiens, et surtout les deux Atréides, princes des peuples :
― Atréides, et vous, Akhaiens aux belles knèmides, que les Dieux qui
habitent les demeures olympiennes vous donnent de détruire la ville de
Priamos et de vous en retourner heureusement ; mais rendez-moi ma fille
bien aimée et recevez le prix de l’affranchissement, si vous révérez le fils de
Zeus, l’Archer Apollôn.
Et tous les Akhaiens, par des rumeurs favorables, voulaient qu’on
respectât le sacrificateur et qu’on reçût le prix splendide ; mais cela ne plut
point à l’âme de l’Atréide Agamemnôn, et il le chassa outrageusement, et il
lui dit cette parole violente :
― Prends garde, vieillard, que je te rencontre auprès des nefs creuses,
soit que tu t’y a ardes, soit que tu reviennes, de peur que le sceptre et les
bandele es du Dieu ne te protègent plus. Je n’affranchirai point ta fille. La
vieillesse l’a eindra, en ma demeure, dans Argos, loin de sa patrie, ssant
la toile et partageant mon lit. Mais, va ! ne m’irrite point, afin de t’en
retourner sauf.
Il parla ainsi, et le vieillard trembla et obéit. Et il allait, silencieux, le
long du rivage de la mer aux bruits sans nombre. Et, se voyant éloigné, il

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conjura le roi Apollôn que Lètô à la belle chevelure enfanta :


― Entends-moi, Porteur de l’arc d’argent, qui protèges Khrysè et Killa la
sainte, et commandes fortement sur Ténédos, Smintheus ! Si jamais j’ai
orné ton beau temple, si jamais j’ai brûlé pour toi les cuisses grasses des
taureaux et des chèvres, exauce mon vœu : que les Danaens expient mes
larmes sous tes flèches !
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l’entendit et, du sommet
Olympien, il se précipita, irrité dans son cœur, portant l’arc sur ses épaules,
avec le plein carquois. Et les flèches sonnaient sur le dos du Dieu irrité, à
chacun de ses mouvements. Et il allait, semblable à la nuit.
Assis à l’écart, loin des nefs, il lança une flèche, et un bruit terrible sor t
de l’arc d’argent. Il frappa les mulets d’abord et les chiens rapides ; mais,
ensuite, il perça les hommes eux-mêmes du trait qui tue. Et sans cesse les
bûchers brûlaient, lourds de cadavres.
Depuis neuf jours les flèches divines sifflaient à travers l’armée ; et, le
dixième, Akhilleus convoqua les peuples dans l’agora. Hèrè aux bras blancs
le lui avait inspiré, anxieuse des Danaens et les voyant périr. Et quand ils
furent tous réunis, se levant au milieu d’eux, Akhilleus aux pieds rapides
parla ainsi :
― Atréide, je pense qu’il nous faut reculer et reprendre nos courses
errantes sur la mer, si toutefois nous évitons la mort, car, toutes deux, la
guerre et la contagion domptent les Akhaiens. Hâtons-nous d’interroger un
divinateur ou un sacrificateur, ou un interprète des songes, car le songe
vient de Zeus. Qu’il dise pourquoi Phoibos Apollôn est irrité, soit qu’il nous
reproche des vœux négligés ou qu’il demande des hécatombes promises.
Sachons si, content de la graisse fumante des agneaux et des belles
chèvres, il écartera de nous cette contagion.
Ayant ainsi parlé, il s’assit. Et le Thestoride Kalkhas, l’excellent
divinateur, se leva. Il savait les choses présentes, futures et passées, et il
avait conduit à Ilios les nefs Akhaiennes, à l’aide de la science sacrée dont
l’avait doué Phoibos Apollôn. Très sage, il dit dans l’agora :
― Ô Akhilleus, cher à Zeus, tu m’ordonnes d’expliquer la colère du roi
Apollôn l’Archer. Je le ferai, mais promets d’abord et jure que tu me

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défendras de ta parole et de tes mains ; car, sans doute, je vais irriter


l’homme qui commande à tous les Argiens et à qui tous les Akhaiens
obéissent. Un roi est trop puissant contre un inférieur qui l’irrite. Bien que,
dans l’instant, il refrène sa colère, il l’assouvit un jour, après l’avoir couvée
dans son cœur. Dis-moi donc que tu me protègeras.
Et Akhilleus aux pieds rapides, lui répondant, parla ainsi :
― Dis sans peur ce que tu sais. Non ! par Apollôn, cher à Zeus, et dont
tu découvres aux Danaens les volontés sacrées, non ! nul d’entre eux,
Kalkhas, moi vivant et les yeux ouverts, ne portera sur toi des mains
violentes auprès des nefs creuses, quand même tu nommerais
Agamemnôn, qui se glorifie d’être le plus puissant des Akhaiens.
Et le divinateur irréprochable prit courage et dit :
― Apollôn ne vous reproche ni vœux ni hécatombes mais il venge son
sacrificateur, qu’Agamemnôn a couvert d’opprobre, car il n’a point délivré
sa fille, dont il a refusé le prix d’affranchissement. Et c’est pour cela que
l’Archer Apollôn vous accable de maux ; et il vous en accablera, et il
n’écartera point les lourdes Kères de la contagion, que vous n’ayez rendu à
son père bien-aimé la jeune fille aux sourcils arqués, et qu’une hécatombe
sacrée n’ait été conduite à Khrysè. Alors nous apaiserons le Dieu.
Ayant ainsi parlé, il s’assit. Et le héros Atréide Agamemnôn, qui
commande au loin, se leva, plein de douleur ; et une noire colère
emplissait sa poitrine, et ses yeux étaient pareils à des feux flambants.
Furieux contre Kalkhas, il parla ainsi :
― Divinateur malheureux, jamais tu ne m’as rien dit d’agréable. Les
maux seuls te sont doux à prédire. Tu n’as jamais ni bien parlé ni bien agi ;
et voici maintenant qu’au milieu des Danaens, dans l’agora, tu prophé ses
que l’Archer Apollôn nous accable de maux parce que je n’ai point voulu
recevoir le prix splendide de la vierge Khrysèis, aimant mieux la retenir
dans ma demeure lointaine. En effet, je la préfère à Klytaimnestrè, que j’ai
épousée vierge. Elle ne lui est inférieure ni par le corps, ni par la taille, ni
par l’intelligence, ni par l’habileté aux travaux. Mais je la veux rendre. Je
préfère le salut des peuples à leur destruc on. Donc, préparez-moi
promptement un prix, afin que, seul d’entre tous les Argiens, je ne sois
point dépouillé. Cela ne conviendrait point ; car, vous le voyez, ma part
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m’est retirée.
Et le divin Akhilleus aux pieds rapides lui répondit :
― Très-orgueilleux Atréide, le plus avare des hommes, comment les
magnanimes Akhaiens te donneraient-ils un autre prix ? Avons-nous des
dépouilles à me re en commun ? Celles que nous avons enlevées des villes
saccagées ont été distribuées, et il ne convient point que les hommes en
fassent un nouveau partage. Mais toi, remets ce e jeune fille à son Dieu,
et nous, Akhaiens, nous te rendrons le triple et le quadruple, si jamais Zeus
nous donne de détruire Troiè aux fortes murailles.
Et le roi Agamemnôn, lui répondant, parla ainsi :
― Ne crois point me tromper, quelque brave que tu sois, Akhilleus
semblable à un Dieu, car tu ne me séduiras ni ne me persuaderas. Veux-tu,
tandis que tu gardes ta part, que je reste assis dans mon indigence, en
affranchissant ce e jeune fille ? Si les magnanimes Akhaiens sa sfont mon
cœur par un prix d’une valeur égale, soit. Sinon, je ravirai le en, ou celui
d’Aias, ou celui d’Odysseus ; et je l’emporterai, et celui-là s’indignera vers
qui j’irai. Mais nous songerons à ceci plus tard. Donc, lançons une nef noire
à la mer divine, munie d’avirons, chargée d’une hécatombe, et faisons-y
monter Khrysèis aux belles joues, sous la conduite d’un chef, Aias,
Idoméneus, ou le divin Odysseus, ou toi-même, Pèléide, le plus effrayant
des hommes, afin d’apaiser l’archer Apollôn par les sacrifices accomplis.
Et Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d’un œil sombre, parla
ainsi :
― Ah ! revêtu d’impudence, âpre au gain ! Comment un seul d’entre les
Akhaiens se hâterait-il de t’obéir, soit qu’il faille tendre une embuscade,
soit qu’on doive combattre courageusement contre les hommes ? Je ne suis
point venu pour ma propre cause a aquer les Troiens armés de lances, car
ils ne m’ont jamais nui. Jamais ils ne m’ont enlevé ni mes bœufs ni mes
chevaux ; jamais, dans la fructueuse Phthiè, ils n’ont ravagé mes moissons :
car un grand nombre de montagnes ombragées et la mer sonnante nous
séparent. Mais nous t’avons suivi pour te plaire, impudent ! pour venger
Ménélaos et toi, œil de chien ! Et tu ne t’en soucies ni ne t’en souviens, et
tu me menaces de m’enlever la récompense pour laquelle j’ai tant travaillé
et que m’ont donnée les fils des Akhaiens ! Certes, je n’ai jamais une part
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égale à la enne quand on saccage une ville troienne bien peuplée ; et


cependant mes mains portent le plus lourd fardeau de la guerre
impétueuse. Et, quand vient l’heure du partage, la meilleure part est pour
toi ; et, ployant sous la fa gue du combat, je retourne vers mes nefs,
sa sfait d’une récompense modique. Aujourd’hui, je pars pour la Phthiè,
car mieux vaut regagner ma demeure sur mes nefs éperonnées. Et je ne
pense point qu’après m’avoir outragé tu recueilles ici des dépouilles et des
richesses.
Et le roi des hommes, Agamemnôn, lui répondit :
― Fuis, si ton cœur t’y pousse. Je ne te demande point de rester pour
ma cause. Mille autres seront avec moi, surtout le très-sage Zeus. Tu m’es
le plus odieux des rois nourris par le Kronide. Tu ne te plais que dans la
dissension, la guerre et le combat. Si tu es brave, c’est que les Dieux l’ont
voulu sans doute. Retourne dans ta demeure avec tes nefs et tes
compagnons ; commande aux Myrmidones ; je n’ai nul souci de ta colère,
mais je te préviens de ceci : puisque Phoibos Apollôn m’enlève Khrysèis, je
la renverrai sur une de mes nefs avec mes compagnons, et moi-même j’irai
sous ta tente et j’en entraînerai Breisèis aux belles joues, qui fut ton
partage, afin que tu comprennes que je suis plus puissant que toi, et que
chacun redoute de se dire mon égal en face.
Il parla ainsi, et le Pèléiôn fut rempli d’angoisse, et son cœur, dans sa
mâle poitrine, délibéra si, prenant l’épée aiguë sur sa cuisse, il écarterait la
foule et tuerait l’Atréide, ou s’il apaiserait sa colère et refrénerait sa fureur.
Et tandis qu’il délibérait dans son âme et dans son esprit, et qu’il
arrachait sa grande épée de la gaîne, Athènè vint de l’Ouranos, car Hèrè
aux bras blancs l’avait envoyée, aimant et protégeant les deux rois. Elle se
nt en arrière et saisit le Pèléiôn par sa chevelure blonde ; visible pour lui
seul, car nul autre ne la voyait. Et Akhilleus, stupéfait, se retourna, et
aussitôt il reconnut Athènè, dont les yeux étaient terribles, et il lui dit en
paroles ailées :
― Pourquoi es-tu venue, fille de Zeus tempêtueux ? Est-ce afin de voir
l’outrage qui m’est fait par l’Atréide Agamemnôn ? Mais je te le dis, et ma
parole s’accomplira, je pense : il va rendre l’âme à cause de son insolence.
Et Athènè aux yeux clairs lui répondit :
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― Je suis venue de l’Ouranos pour apaiser ta colère, si tu veux obéir. La


divine Hèrè aux bras blancs m’a envoyée, vous aimant et vous protégeant
tous deux. Donc, arrête ; ne prends point l’épée en main, venge-toi en
paroles, quoi qu’il arrive. Et je te le dis, et ceci s’accomplira : bientôt ton
injure te sera payée par trois fois autant de présents splendides. Réprime-
toi et obéis-nous.
Et Akhilleus aux pieds rapides, lui répondant, parla ainsi :
― Déesse, il faut observer ton ordre, bien que je sois irrité dans l’âme.
Cela est pour le mieux sans doute, car les Dieux exaucent qui leur obéit.
Il parla ainsi, et, frappant d’une main lourde la poignée d’argent, il
repoussa sa grande épée dans la gaîne et n’enfreignit point l’ordre
d’Athènè.
Et celle-ci retourna auprès des autres Dieux, dans les demeures
olympiennes de Zeus tempêtueux.
Et le Pèléide, débordant de colère, interpella l’Atréide avec d’âpres
paroles :
― Lourd de vin, œil de chien, cœur de cerf ! jamais tu n’as osé, dans ton
âme, t’armer pour le combat avec les hommes, ni tendre des embuscades
avec les princes des Akhaiens. Cela t’épouvanterait comme la mort elle-
même. Certes, il est beaucoup plus aisé, dans la vaste armée Akhaienne,
d’enlever la part de celui qui te contredit, Roi qui manges ton peuple,
parce que tu commandes à des hommes vils. S’il n’en était pas ainsi,
Atréide, ce e insolence serait la dernière. Mais je te le dis, et j’en jure un
grand serment : par ce sceptre qui ne produit ni feuilles, ni rameaux, et qui
ne reverdira plus, depuis qu’il a été tranché du tronc sur les montagnes et
que l’airain l’a dépouillé de feuilles et d’écorce ; et par le sceptre que les
fils des Akhaiens portent aux mains quand ils jugent et gardent les lois au
nom de Zeus, je te le jure par un grand serment : certes, bientôt le regret
d’Akhilleus envahira tous les fils des Akhaiens, et tu gémiras de ne pouvoir
les défendre, quand ils tomberont en foule sous le tueur d’hommes
Hektôr ; et tu seras irrité et déchiré au fond de ton âme d’avoir outragé le
plus brave des Akhaiens.
Ainsi parla le Pèléide, et il jeta contre terre le sceptre aux clous d’or, et

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il s’assit. Et l’Atréide s’irritait aussi ; mais l’excellent agorète des Pyliens,


l’harmonieux Nestôr, se leva.
Et la parole coulait de sa langue, douce comme le miel. Et il avait déjà
vécu deux âges d’hommes nés et nourris avec lui dans la divine Pylos, et il
régnait sur le troisième âge. Très-sage, il dit dans l’agora :
― Ô Dieux ! Certes, un grand deuil envahit la terre Akhaienne ! Voici
que Priamos se réjouira et que les fils de Priamos et tous les autres Troiens
se réjouiront aussi dans leur cœur, quand ils apprendront vos querelles, à
vous qui êtes au-dessus des Danaens dans l’agora et dans le combat. Mais
laissez-vous persuader, car vous êtes tous deux moins âgés que moi. J’ai
vécu autrefois avec des hommes plus braves que vous, et jamais ils ne
m’ont cru moindre qu’eux. Non, jamais je n’ai vu et je ne reverrai des
hommes tels que Peirithoos, et Dryas, prince des peuples, Kainéos, Exadios,
Polyphèmos semblable à un dieu, et Thèseus Aigéide pareil aux Immortels.
Certes, ils étaient les plus braves des hommes nourris sur la terre, et ils
comba aient contre les plus braves, les Centaures des montagnes ; et ils
les tuèrent terriblement. Et j’étais avec eux, étant allé loin de Pylos et de la
terre d’Apiè, et ils m’avaient appelé, et je comba ais selon mes forces, car
nul des hommes qui sont aujourd’hui sur la terre n’aurait pu leur résister.
Mais ils écoutaient mes conseils et s’y conformaient. Obéissez donc, car
cela est pour le mieux. Il n’est point permis à Agamemnôn, bien que le plus
puissant, d’enlever au Pèléide la vierge que lui ont donnée les fils des
Akhaiens, mais tu ne dois point aussi, Pèléide, résister au Roi, car tu n’es
point l’égal de ce Porte-sceptre que Zeus a glorifié. Si tu es le plus brave, si
une mère divine t’a enfanté, celui-ci est le plus puissant et commande à un
plus grand nombre. Atréide, renonce à ta colère, et je supplie Akhilleus de
réprimer la sienne, car il est le solide bouclier des Akhaiens dans la guerre
mauvaise.
Et le roi Agamemnôn parla ainsi :
― Vieillard, tu as dit sagement et bien ; mais cet homme veut être au-
dessus de tous, commander à tous et dominer sur tous. Je ne pense point
que personne y consente. Si les Dieux qui vivent toujours l’ont fait brave,
lui ont-ils permis d’insulter ?
Et le divin Akhilleus lui répondit :

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― Certes, je mériterais d’être nommé lâche et vil si, à chacune de tes


paroles, je te complaisais en toute chose. Commande aux autres, mais non
à moi, car je ne pense point que je t’obéisse jamais plus désormais. Je te
dirai ceci ; garde-le dans ton esprit : Je ne comba rai point contre aucun
autre à cause de ce e vierge, puisque vous m’enlevez ce que vous m’avez
donné ; mais tu n’emporteras rien contre mon gré de toutes les autres
choses qui sont dans ma nef noire et rapide. Tente-le, fais-toi ce danger, et
que ceux-ci le voient, et aussitôt ton sang noir ruissellera autour de ma
lance.
S’étant ainsi outragés de paroles, ils se levèrent et rompirent l’agora
auprès des nefs des Akhaiens. Et le Pèléide se re ra, avec le Ménoi ade et
ses compagnons, vers ses tentes. Et l’Atréide lança à la mer une nef rapide,
l’arma de vingt avirons, y mit une hécatombe pour le Dieu et y conduisit
lui-même Khrysèis aux belles joues. Et le chef fut le subtil Odysseus.
Et comme ils naviguaient sur les routes marines, l’Atréide ordonna aux
peuples de se purifier. Et ils se purifiaient tous, et ils jetaient leurs
souillures dans la mer, et ils sacrifiaient à Apollôn des hécatombes choisies
de taureaux et de chèvres, le long du rivage de la mer inféconde. Et l’odeur
en montait vers l’Ouranos, dans un tourbillon de fumée.
Et pendant qu’ils faisaient ainsi, Agamemnôn n’oubliait ni sa colère, ni
la menace faite à Akhilleus. Et il interpella Talthybios et Eurybatès, qui
étaient ses hérauts familiers.
— Allez à la tente du Pèléide Akhilleus. Saisissez de la main Breisèis aux
belles joues ; et, s’il ne la donnait pas, j’irai la saisir moi-même avec un plus
grand nombre, et ceci lui sera plus douloureux.
Et il les envoya avec ces âpres paroles. Et ils marchaient à regret le long
du rivage de la mer inféconde, et ils parvinrent aux tentes et aux nefs des
Myrmidones. Et ils trouvèrent le Pèléide assis auprès de sa tente et de sa
nef noire, et Akhilleus ne fut point joyeux de les voir. Effrayés et pleins de
respect, ils se tenaient devant le Roi, et ils ne lui parlaient, ni ne
l’interrogeaient. Et il les comprit dans son âme et dit :
— Salut, messagers de Zeus et des hommes ! Approchez. Vous n’êtes
point coupables envers moi, mais bien Agamemnôn, qui vous envoie pour
la vierge Breisèis. Debout, divin Patroklos, amène-la, et qu’ils l’entraînent !
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Mais qu’ils soient témoins devant les Dieux heureux, devant les hommes
mortels et devant ce roi féroce, si jamais on a besoin de moi pour conjurer
la destruc on de tous ; car, certes, il est plein de fureur dans ses pensées
mauvaises, et il ne se souvient de rien, et il ne prévoit rien, de façon que
les Akhaiens combattent saufs auprès des nefs.
Il parla ainsi, et Patroklos obéit à son compagnon bien-aimé. Il conduisit
hors de la tente Breisèis aux belles joues, et il la livra pour être entraînée.
Et les hérauts retournèrent aux nefs des Akhaiens, et la jeune femme allait,
les suivant à contre-cœur. Et Akhilleus, en pleurant, s’assit, loin des siens,
sur le rivage blanc d’écume, et, regardant la haute mer toute noire, les
mains étendues, il supplia sa mère bien-aimée :
— Mère ! puisque tu m’as enfanté pour vivre peu de temps, l’Olympien
Zeus qui tonne dans les nues devrait m’accorder au moins quelque
honneur ; mais il le fait maintenant moins que jamais. Et voici que l’Atréide
Agamemnôn, qui commande au loin, m’a couvert d’opprobre, et qu’il
possède ma récompense qu’il m’a enlevée.
Il parla ainsi, versant des larmes. Et sa mère vénérable l’entendit, assise
au fond de l’abîme, auprès de son vieux père. Et, aussitôt, elle émergea de
la blanche mer, comme une nuée ; et, s’asseyant devant son fils qui
pleurait, elle le caressa de la main et lui parla :
― Mon, enfant, pourquoi pleures-tu ? Quelle amertume est entrée dans
ton âme ? Parle, ne cache rien, afin que nous sachions tous deux.
Et Akhilleus aux pieds rapides parla avec un profond soupir :
― Tu le sais ; pourquoi te dire ce que tu sais ? Nous sommes allés
contre Thèbè la sainte, ville d’Eé ôn, et nous l’avons saccagée, et nous en
avons tout enlevé ; et les fils des Akhaiens, s’étant partagé les dépouilles,
donnèrent à l’Atréide Agamemnôn Khrysèis aux belles joues. Mais bientôt
Khrysès, sacrificateur de l’Archer Apollôn, vint aux nefs rapides des
Akhaiens revêtus d’airain, pour racheter sa fille. Et il portait le prix infini de
l’affranchissement, et, dans ses mains, les bandele es de l’Archer Apollôn,
suspendues au sceptre d’or. Et, suppliant, il pria tous les Akhaiens, et
surtout les deux Atréides, princes des peuples. Et tous les Akhaiens, par
des rumeurs favorables, voulaient qu’on respectât le sacrificateur et qu’on
reçût le prix splendide. Mais cela ne plut point à l’âme de l’Atréide
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Agamemnôn, et il le chassa outrageusement avec une parole violente. Et le


vieillard irrité se re ra. Mais Apollôn exauça son vœu, car il lui est très-
cher. Il envoya contre les Argiens une flèche mauvaise ; et les peuples
périssaient amoncelés ; et les traits du Dieu sifflaient au travers de la vaste
armée Akhaienne. Un divinateur sage interprétait dans l’agora les volontés
sacrées d’Apollôn. Aussitôt, le premier, je voulus qu’on apaisât le Dieu.
Mais la colère saisit l’Atréide, et, se levant soudainement, il prononça une
menace qui s’est accomplie. Les Akhaiens aux sourcils arqués ont conduit la
jeune vierge à Khrysè, sur une nef rapide, et portant des présents au Dieu ;
mais deux hérauts viennent d’entraîner de ma tente la vierge Breisèis que
les Akhaiens m’avaient donnée. Pour toi, si tu le veux, secours ton fils bien-
aimé. Monte à l’Ouranos olympien et supplie Zeus, si jamais tu as touché
son cœur par tes paroles ou par tes ac ons. Souvent je t’ai entendue, dans
les demeures paternelles, quand tu disais que, seule parmi les Immortels,
tu avais détourné un indigne traitement du Kroniôn qui amasse les nuées,
alors que les autres Olympiens, Hèrè et Poseidaôn et Pallas Athènè le
voulaient enchaîner. Et toi, Déesse, tu accourus, et tu le délivras de ses
liens, en appelant dans le vaste Olympos le géant aux cent mains que les
Dieux nomment Briaréôs, et les hommes Aigaiôs. Et celui-ci était beaucoup
plus fort que son père, et il s’assit, orgueilleux de sa gloire, auprès du
Kroniôn ; et les Dieux heureux en furent épouvantés et n’enchaînèrent
point Zeus. Maintenant rappelle ceci en sa mémoire ; presse ses genoux ; et
que, venant en aide aux Troiens, ceux-ci repoussent, avec un grand
massacre, les Akhaiens contre la mer et dans leurs nefs. Que les Argiens
jouissent de leur Roi, et que l’Atréide Agamemnôn qui commande au loin
souffre de sa faute, puisqu’il a outragé le plus brave des Akhaiens.
Et Thétis, répandant des larmes, lui répondit :
― Hélas ! mon enfant, pourquoi t’ai-je enfanté et nourri pour une
des née mauvaise ! Oh ! que n’es-tu resté dans tes nefs, calme et sans
larmes du moins, puisque tu ne dois vivre que peu de jours ! Mais te voici
très-malheureux et devant mourir très-vite, parce que je t’ai enfanté dans
mes demeures pour une des née mauvaise ! Cependant, j’irai dans
l’Olympos neigeux, et je parlerai à Zeus qui se réjouit de la foudre, et peut-
être m’écoutera-t-il. Pour toi, assis dans tes nefs rapides, reste irrité contre
les Akhaiens et abs ens-toi du combat. Zeus est allé hier du côté de
l’Okéanos, à un fes n que lui ont donné les Aithiopiens irréprochables, et

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tous les Dieux l’ont suivi. Le douzième jour il reviendra dans l’Olympos.
Alors j’irai dans la demeure d’airain de Zeus et je presserai ses genoux, et
je pense qu’il en sera touché.
Ayant ainsi parlé, elle par t et laissa Akhilleus irrité dans son cœur au
souvenir de la jeune femme à la belle ceinture qu’on lui avait enlevée par
violence.
Et Odysseus, conduisant l’hécatombe sacrée, parvint à Khrysè. Et les
Akhaiens, étant entrés dans le port profond, plièrent les voiles qui furent
déposées dans la nef noire. Ils aba rent joyeusement sur l’avant le mât
dégagé de ses manœuvres ; et, menant la nef à force d’avirons, après avoir
amarré les câbles et mouillé les roches, ils descendirent sur le rivage de la
mer, avec l’hécatombe promise à l’Archer Apollôn. Khrysèis sor t aussitôt
de la nef, et le sub l Odysseus, la conduisant vers l’autel, la remit aux
mains de son père bien-aimé, et dit :
― Ô Khrysès ! le roi des hommes, Agamemnôn, m’a envoyé pour te
rendre ta fille et pour sacrifier une hécatombe sacrée à Phoibos en faveur
des Danaens, afin que nous apaisions le Dieu qui accable les Argiens de
calamités déplorables.
Ayant ainsi parlé, il lui remit aux mains sa fille bien-aimée, et le vieillard
la reçut plein de joie. Aussitôt les Akhaiens rangèrent la riche hécatombe
dans l’ordre consacré, autour de l’autel bâ selon le rite. Et ils se lavèrent
les mains, et ils préparèrent les orges salées et Khrysès, à haute voix, les
bras levés, priait pour eux
― Entends-moi, Porteur de l’arc d’argent, qui protèges Khrysè et la
divine Killa, et commandes fortement sur Ténédos. Déjà tu as exaucé ma
prière ; tu m’as honoré et tu as couvert d’afflic on les peuples des
Akhaiens. Maintenant écoute mon vœu, et détourne loin d’eux la
contagion.
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l’exauça. Et, après avoir prié
et répandu les orges salées, renversant en arrière le cou des vic mes, ils les
égorgèrent et les écorchèrent. On coupa les cuisses, on les couvrit de
graisse des deux côtés, et on posa sur elles les entrailles crues.
Et le vieillard les brûlait sur du bois sec et les arrosait d’une liba on de

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vin rouge. Les jeunes hommes, auprès de lui, tenaient en mains des
broches à cinq pointes. Et, les cuisses étant consumées, ils goûtèrent les
entrailles ; et, séparant le reste en plusieurs morceaux, ils les transfixèrent
de leurs broches et les firent cuire avec soin, et le tout fut re ré du feu.
Après avoir achevé ce travail, ils préparèrent le repas ; et tous furent
conviés, et nul ne se plaignit, dans son âme, de l’inégalité des parts.
Ayant assouvi la faim et la soif, les jeunes hommes couronnèrent de vin
les kratères et les répartirent entre tous à pleines coupes. Et, durant tout le
jour, les jeunes Akhaiens apaisèrent le Dieu par leurs hymnes, chantant le
joyeux Paian et célébrant l’Archer Apollôn qui se réjouissait dans son cœur
de les entendre.
Quand Hélios tomba et que les ombres furent venues, ils se couchèrent
auprès des câbles, à la proue de leur nef et quand Éôs, aux doigts rosés,
née au ma n, apparut, ils s’en retournèrent vers la vaste armée des
Akhaiens, et l’Archer Apollôn leur envoya un vent propice. Et ils dressèrent
le mât, et ils déployèrent les voiles blanches ; et le vent les gonfla par le
milieu ; et l’onde pourprée sonnait avec bruit autour de la carène de la nef
qui courait sur l’eau en faisant sa route.
Puis, étant parvenus à la vaste armée des Akhaiens, ils rèrent la nef
noire au plus haut des sables de la plage ; et, l’ayant assuje e sur de longs
rouleaux, ils se dispersèrent parmi les tentes et les nefs.
Mais le divin fils de Pèleus, Akhilleus aux pieds rapides, assis auprès de
ses nefs légères, couvait son ressen ment ; et il ne se montrait plus ni dans
l’agora qui illustre les hommes, ni dans le combat. Et il restait là, se
dévorant le cœur et regrettant le cri de guerre et la mêlée.
Quand Éôs reparut pour la douzième fois, les Dieux qui vivent toujours
revinrent ensemble dans l’Olympos, et Zeus marchait en tête. Et Thé s
n’oublia point les prières de son fils ; et, émergeant de l’écume de la mer,
elle monta, ma nale, à travers le vaste Ouranos, jusqu’à l’Olympos, où elle
trouva Celui qui voit tout, le Kronide, assis loin des autres Dieux, sur le plus
haut faîte de l’Olympos aux cimes nombreuses. Elle s’assit devant lui,
embrassa ses genoux de la main gauche, lui toucha le menton de la main
droite, et, le suppliant, elle dit au Roi Zeus Kroniôn :
― Père Zeus ! si jamais, entre les Immortels, je t’ai servi, soit par mes
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paroles, soit par mes ac ons, exauce ma prière. Honore mon fils qui, de
tous les vivants, est le plus proche de la mort. Voici que le roi des hommes,
Agamemnôn, l’a outragé, et qu’il possède sa récompense qu’il lui a
enlevée. Mais toi, du moins, honore-le, Olympien, très-sage Zeus, et donne
le dessus aux Troiens jusqu’à ce que les Akhaiens aient honoré mon fils et
lui aient rendu hommage.
Elle parla ainsi, et Zeus, qui amasse les nuées, ne répondit pas et resta
longtemps muet. Et Thé s, ayant saisi ses genoux qu’elle tenait embrassés,
dit une seconde fois :
― Consens et promets avec sincérité, ou refuse-moi, car tu ne peux
craindre rien. Que je sache si je suis la plus méprisée des Déesses !
Et Zeus qui amasse les nuées, avec un profond soupir, lui dit :
― Certes, ceci va causer de grands malheurs, quand tu m’auras mis en
lu e avec Hèrè, et quand elle m’aura irrité par des paroles outrageantes.
Elle ne cesse, en effet, parmi les Dieux Immortels, de me reprocher de
soutenir les Troiens dans le combat. Maintenant, re re-toi en hâte, de
peur que Hèrè t’aperçoive. Je songerai à faire ce que tu demandes, et je
t’en donne pour gage le signe de ma tête, afin que tu sois convaincue. Et
c’est le plus grand de mes signes pour les Immortels. Et je ne puis ni
révoquer, ni renier, ni négliger ce que j’ai promis par un signe de ma tête.
Et le Kroniôn, ayant parlé, fronça ses sourcils bleus. Et la chevelure
ambroisienne s’agita sur la tête immortelle du Roi, et le vaste Olympos en
fut ébranlé.
Tous deux, s’étant ainsi parlé, se séparèrent. Et Thé s sauta dans la mer
profonde, du haut de l’Olympos éblouissant, et Zeus rentra dans sa
demeure. Et tous les Dieux se levèrent de leurs siéges à l’aspect de leur
Père, et nul n’osa l’a endre, et tous s’empressèrent au-devant de lui, et il
s’assit sur son trône. Mais Hèrè n’avait pas été trompée, l’ayant vu se
concerter avec la fille du Vieillard de la mer, Thé s aux pieds d’argent. Et
elle adressa d’amers reproches à Zeus Kroniôn :
― Qui d’entre les Dieux, ô plein de ruses, s’est encore concerté avec
toi ? Il te plaît sans cesse de prendre, loin de moi, de secrètes résolu ons,
et jamais tu ne me dis ce que tu médites.

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Et le Père des Dieux et des hommes lui répondit :


― Hèrè, n’espère point connaître toutes mes pensées. Elles te seraient
terribles, bien que tu sois mon épouse. Celle qu’il convient que tu saches,
aucun des Dieux et des hommes ne la connaîtra avant toi ; mais pour celle
que je médite loin des Dieux, ne la recherche ni ne l’examine.
Et la vénérable Hèrè aux yeux de bœuf lui répondit :
― Terrible Kronide, quelle parole as-tu dite ? Certes, je ne t’ai jamais
interrogé et n’ai point recherché tes pensées, et tu médites ce qu’il te plaît
dans ton esprit. Mais je tremble que la fille du Vieillard de la mer, Thé s
aux pieds d’argent, ne t’ait séduit ; car, dès le matin, elle s’est assise auprès
de toi et elle a saisi tes genoux. Tu lui as promis, je pense, que tu
honorerais Akhilleus et que tu ferais tomber un grand nombre d’hommes
auprès des nefs des Akhaiens.
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit, et il dit :
― Insensée ! tu me soupçonnes sans cesse et je ne puis me cacher de
toi. Mais, dans ton impuissance, tu ne feras que t’éloigner de mon cœur, et
ta peine en sera plus terrible. Si tes soupçons sont vrais, sache qu’il me
plaît d’agir ainsi. Donc, tais-toi et obéis à mes paroles. Prends garde que
tous les Dieux Olympiens ne puissent te défendre, si j’étends sur toi mes
mains sacrées.
Il parla ainsi, et la vénérable Hèrè aux yeux de bœuf fut saisie de
crainte, et elle demeura mue e, domptant son cœur al er. Et, dans la
demeure de Zeus, les Dieux Ouraniens gémirent.
Et l’illustre ouvrier Hèphaistos commença de parler, pour consoler sa
mère bien-aimée, Hèrè aux bras blancs :
― Certes, nos maux seront funestes et intolérables, si vous vous
querellez ainsi pour des mortels, et si vous me ez le tumulte parmi les
Dieux. Nos fes ns brillants perdront leur joie, si le mal l’emporte. Je
conseille à ma mère, bien qu’elle soit déjà persuadée de ceci, de calmer
Zeus, mon père bien-aimé, afin qu’il ne s’irrite point de nouveau et qu’il ne
trouble plus nos fes ns. Certes, si l’Olympien qui darde les éclairs le veut, il
peut nous précipiter de nos trônes, car il est le plus puissant. Tente donc
de le fléchir par de douces paroles, et aussitôt l’Olympien nous sera
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bienveillant.
Il parla ainsi, et, s’étant élancé, il remit une coupe profonde aux mains
de sa mère bien-aimée et lui dit :
― Sois pa ente, ma mère, et, bien qu’affligée, supporte ta disgrâce, de
peur que je te voie maltraitée, toi qui m’es chère, et que, malgré ma
douleur, je ne puisse te secourir, car l’Olympien est un terrible adversaire.
Déjà, une fois, comme je voulais te défendre, il me saisit par un pied et me
jeta du haut des demeures divines. Tout un jour je roulai, et, avec Hélios,
qui se couchait, je tombai dans Lèmnos, presque sans vie. Là les hommes
Sintiens me reçurent dans ma chute.
Il parla ainsi, et la divine Hèrè aux bras blancs sourit, et elle reçut la
coupe de son fils. Et il versait, par la droite, à tous les autres Dieux, puisant
le doux nektar dans le kratère. Et un rire inex nguible s’éleva parmi les
Dieux heureux, quand ils virent Hèphaistos s’agiter dans la demeure.
Et ils se livraient ainsi au fes n, tout le jour, jusqu’au coucher de Hélios.
Et nul d’entre eux ne fut privé d’une égale part du repas, ni des sons de la
lyre magnifique que tenait Apollôn, tandis que les Muses chantaient tour à
tour d’une belle voix. Mais après que la brillante lumière Hélienne se fut
couchée, eux aussi se re rèrent, chacun dans la demeure que l’illustre
Hèphaistos boiteux des deux pieds avait construite habilement. Et
l’Olympien Zeus, qui darde les éclairs, se rendit vers sa couche, là où il
reposait quand le doux sommeil le saisissait. Et il s’y endormit, et, auprès
de lui, Hèrè au trône d’or.

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Chant 2
Les Dieux et les cavaliers armés de casques dormaient tous dans la nuit ;
mais le profond sommeil ne saisissait point Zeus, et il cherchait dans son
esprit comment il honorerait Akhilleus et tuerait une foule d’hommes
auprès des nefs des Akhaiens. Et ce dessein lui parut le meilleur, dans son
esprit, d’envoyer un Songe menteur à l’Atréide Agamemnôn. Et, l’ayant
appelé, il lui dit ces paroles ailées :
― Va, Songe menteur, vers les nefs rapides des Akhaiens. Entre dans la
tente de l’Atréide Agamemnôn et porte-lui très-fidèlement mon ordre.
Qu’il arme la foule des Akhaiens chevelus, car voici qu’il va s’emparer de la
ville aux larges rues des Troiens. Les Immortels qui habitent les demeures
Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses
supplications, et les calamités sont suspendues sur les Troiens.
Il parla ainsi, et, l’ayant entendu, le Songe par t. Et il parvint aussitôt
aux nefs rapides des Akhaiens, et il s’approcha de l’Atréide Agamemnôn
qui dormait sous sa tente et qu’un sommeil ambroisien enveloppait. Et il
se nt auprès de la tête du Roi. Et il était semblable au Nèlèiôn Nestôr,
qui, de tous les vieillards, était le plus honoré d’Agamemnôn. Et, sous ce e
forme, le Songe divin parla ainsi :
― Tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux ? Il ne faut pas
qu’un homme sage à qui les peuples ont été confiés, et qui a tant de soucis
dans l’esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, écoute-moi sans tarder,
car je te suis envoyé par Zeus qui, de loin, s’inquiète de toi et te prend en
pi é. Il t’ordonne d’armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu
vas t’emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les Immortels qui
habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a
tous fléchis par ses supplica ons, et les calamités sont suspendues sur les
Troiens. Garde ces paroles dans ton esprit et n’oublie rien quand le doux
sommeil t’aura quitté.
Ayant ainsi parlé, il disparut et le laissa rouler dans son esprit ces
paroles qui ne devaient point s’accomplir. Et l’insensé crut qu’il allait
s’emparer, ce jour-là, de la ville de Priamos, ne sachant point ce que Zeus

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méditait. Et le Kronide se préparait à répandre encore, en de terribles


batailles, les douleurs et les gémissements sur les Troiens et sur les
Danaens.
Et l’Atréide s’éveilla, et la voix divine résonnait autour de lui. Il se leva
et revê t sa tunique moelleuse, belle et neuve. Et il se couvrit d’un large
manteau et noua à ses pieds robustes de belles sandales, et il suspendit à
ses épaules l’épée aux clous d’argent. Enfin, il prit le sceptre immortel de
ses pères et marcha ainsi vers les nefs des Akhaiens revêtus d’airain.
Et la divine Éôs gravit le haut Olympos, annonçant la lumière à Zeus et
aux Immortels. Et l’Atréide ordonna aux hérauts à la voix sonore de
convoquer à l’agora les Akhaiens chevelus. Et ils les convoquèrent, et tous
accoururent en foule ; et l’Atréide réunit un conseil de chefs magnanimes,
auprès de la nef de Nestôr, roi de Pylos. Et, les ayant réunis, il consulta leur
sagesse :
― Amis, entendez-moi. Un Songe divin m’a été envoyé dans mon
sommeil, au milieu de la nuit ambroisienne. Et il était semblable au divin
Nestôr par le visage et la stature, et il s’est arrêté au-dessus de ma tête, et
il m’a parlé ainsi :
― Tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux ? Il ne faut point
qu’un homme sage à qui les peuples ont été confiés, et qui a tant de soucis
dans l’esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, écoute-moi sans tarder,
car je te suis envoyé par Zeus qui, de loin, s’inquiète de toi et te prend en
pi é. Il t’ordonne d’armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu
vas t’emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les Immortels qui
habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a
tous fléchis par ses supplica ons, et les calamités sont suspendues sur les
Troiens. Garde ces paroles dans ton esprit.
En parlant ainsi il s’envola, et le doux sommeil me qui a. Maintenant,
songeons à armer les fils des Akhaiens. D’abord, je les tenterai par mes
paroles, comme il est permis, et je les pousserai à fuir sur leurs nefs
chargées de rameurs. Vous, par vos paroles, forcez-les de rester.
Ayant ainsi parlé, il s’assit. Et Nestôr se leva, et il était roi de la
sablonneuse Pylos, et, les haranguant avec sagesse, il leur dit :

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― Ô amis ! Rois et princes des Argiens, si quelqu’autre des Akhaiens


nous eût dit ce songe, nous aurions pu croire qu’il mentait, et nous
l’aurions repoussé ; mais celui qui l’a entendu se glorifie d’être le plus
puissant dans l’armée. Songeons donc à armer les fils des Akhaiens.
Ayant ainsi parlé, il sor t le premier de l’agora. Et les autres Rois porte-
sceptres se levèrent et obéirent au prince des peuples. Et les peuples
accouraient. Ainsi des essaims d’abeilles innombrables sortent toujours et
sans cesse d’une roche creuse et volent par légions sur les fleurs du
printemps, et les unes tourbillonnent d’un côté, et les autres de l’autre.
Ainsi la mul tude des peuples, hors des nefs et des tentes, s’avançait vers
l’agora, sur le rivage immense. Et, au milieu d’eux, Ossa, messagère de
Zeus, excitait et hâtait leur course, et ils se réunissaient.
Et l’agora était pleine de tumulte, et la terre gémissait sous le poids des
peuples. Et, comme les clameurs redoublaient, les hérauts à la voix sonore
les contraignaient de se taire et d’écouter les Rois divins. Et la foule s’assit
et resta silencieuse ; et le divin Agamemnôn se leva, tenant son sceptre.
Hèphaistos, l’ayant fait, l’avait donné au Roi Zeus Kroniôn. Zeus le donna
au Messager, tueur d’Argos ; et le roi Herméias le donna à Pélops,
dompteur de chevaux, et Pélops le donna au prince des peuples Atreus.
Atreus, en mourant, le laissa à Thyestès riche en troupeaux, et Thyestès le
laissa à Agamemnôn, afin que ce dernier le portât et commandât sur un
grand nombre d’îles et sur tout Argos. Appuyé sur ce sceptre, il parla ainsi
aux Argiens :
― Ô amis ! héros Danaens, serviteurs d’Arès, Zeus Kronide m’accable de
maux terribles. L’impitoyable ! Autrefois il me promit que je reviendrais
après avoir conquis Ilios aux fortes murailles ; mais il me trompait, et voici
qu’il me faut rentrer sans gloire dans Argos, ayant perdu un grand nombre
d’hommes. Et cela plaît au tout puissant Zeus qui a renversé et qui
renversera tant de hautes citadelles, car sa force est très-grande. Certes,
ceci sera une honte dans la postérité, que la race courageuse et
innombrable des Akhaiens ait comba u tant d’années, et vainement, des
hommes moins nombreux, sans qu’on puisse prévoir la fin de la lu e. Car,
si, ayant scellé par serment d’inviolables traités, nous, Akhaiens et Troiens,
nous faisions un dénombrement des deux races ; et que, les habitants de
Troiè s’étant réunis, nous nous rangions par décades, comptant un seul

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Troien pour présenter la coupe à chacune d’elles, certes, beaucoup de


décades manqueraient d’échansons, tant les fils des Argiens sont plus
nombreux que les Troiens qui habitent ce e ville. Mais voici que de
nombreux alliés, habiles à lancer la pique, s’opposent victorieusement à
mon désir de renverser la citadelle populeuse de Troiè. Neuf années du
grand Zeus se sont écoulées déjà, et le bois de nos nefs se corrompt, et les
cordages tombent en poussière ; et nos femmes et nos pe ts enfants
restent en nous a endant dans nos demeures, et la tâche est inachevée
pour laquelle nous sommes venus. Allons ! fuyons tous sur nos nef vers la
chère terre natale. Nous ne prendrons jamais la grande Troiè !
Il parla ainsi, et ses paroles agitèrent l’esprit de la mul tude qui n’avait
point assisté au conseil. Et l’agora fut agitée comme les vastes flots de la
mer Ikarienne que remuent l’Euros et le Notos échappés des nuées du Père
Zeus, ou comme un champ d’épis que bouleverse Zéphyros qui tombe
impétueusement sur la grande moisson. Telle l’agora était agitée. Et ils se
ruaient tous vers les nefs, avec des clameurs, et soulevant de leurs pieds un
nuage immobile de poussière. Et ils s’exhortaient à saisir les nefs et à les
traîner à la mer divine. Les cris montaient dans l’Ouranos, hâtant le
départ ; et ils dégageaient les canaux et re raient déjà les rouleaux des
nefs. Alors, les Argiens se seraient re rés, contre la des née, si Hèrè n’avait
parlé ainsi à Athènè :
― Ah ! fille indomptée de Zeus tempêtueux, les Argiens fuiront-ils vers
leurs demeures et la chère terre natale, sur le vaste dos de la mer, laissant
à Priamos et aux Troiens leur gloire et l’Argienne Hélénè pour laquelle tant
d’Akhaiens sont morts devant Troiè, loin de la chère patrie ? Va trouver le
peuple des Akhaiens armés d’airain. Re ens chaque guerrier par de douces
paroles, et ne permets pas qu’on traîne les nefs à la mer.
Elle parla ainsi, et la divine Athènè aux yeux clairs obéit. Et elle sauta du
faîte de l’Olympos, et, parvenue aussitôt aux nefs rapides des Akhaiens,
elle trouva Odysseus, semblable à Zeus par l’intelligence, qui restait
immobile. Et il ne saisissait point sa nef noire bien construite, car la
douleur emplissait son cœur et son âme. Et, s’arrêtant auprès de lui,
Athènè aux yeux clairs parla ainsi :
― Divin Laer ade, sage Odysseus, fuirez-vous donc tous dans vos nefs
chargées de rameurs, laissant à Priamos et aux Troiens leur gloire et
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l’Argienne Hélénè pour laquelle tant d’Akhaiens sont morts devant Troiè,
loin de la chère patrie ? Va ! hâte-toi d’aller vers le peuple des Akhaiens.
Re ens chaque guerrier par de douces paroles, et ne permets pas qu’on
traîne les nefs à la mer.
Elle parla ainsi, et il reconnut la voix de la Déesse, et il courut, jetant
son manteau que releva le héraut Eurybatès d’Ithakè, qui le suivait. Et,
rencontrant l’Atréide Agamemnôn, il reçut de lui le sceptre immortel de ses
pères, et, avec ce sceptre, il marcha vers les nefs des Akhaiens revêtus
d’airain. Et quand il se trouvait en face d’un Roi ou d’un homme illustre, il
l’arrêtait par de douces paroles :
― Malheureux ! Il ne te convient pas de trembler comme un lâche.
Reste et arrête les autres. Tu ne sais pas la vraie pensée de l’Atréide.
Maintenant il tente les fils des Akhaiens, et bientôt il les punira. Nous
n’avons point tous entendu ce qu’il a dit dans le conseil. Craignons que,
dans sa colère, il outrage les fils des Akhaiens, car la colère d’un Roi
nourrisson de Zeus est redoutable, et le très-sage Zeus l’aime, et sa gloire
vient de Zeus.
Mais quand il rencontrait quelque guerrier obscur et plein de clameurs,
il le frappait du sceptre et le réprimait par de rudes paroles :
― Arrête, misérable ! Écoute ceux qui te sont supérieurs, lâche et sans
force, toi qui n’as aucun rang ni dans le combat ni dans le conseil. Certes,
tous les Akhaiens ne seront point Rois ici. La mul tude des maîtres ne vaut
rien. Il ne faut qu’un chef, un seul Roi, à qui le fils de Kronos empli de ruses
a remis le sceptre et les lois, afin qu’il règne sur tous.
Ainsi Odysseus refrénait puissamment l’armée. Et ils se précipitaient de
nouveau, tumultueux, vers l’agora, loin des nefs et des tentes, comme
lorsque les flots aux bruits sans nombre se brisent en grondant sur le vaste
rivage, et que la haute mer en reten t. Et tous étaient assis à leurs rangs.
Et, seul, Thersitès poursuivait ses clameurs. Il abondait en paroles
insolentes et outrageantes, même contre les Rois, et parlait sans mesure,
afin d’exciter le rire des Argiens. Et c’était l’homme le plus difforme qui fût
venu devant Ilios. Il était louche et boiteux, et ses épaules recourbées se
rejoignaient sur sa poitrine, et quelques cheveux épars poussaient sur sa
tête pointue. Et il haïssait surtout Akhilleus et Odysseus, et il les

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outrageait. Et il poussait des cris injurieux contre le divin Agamemnôn. Les


Akhaiens le méprisaient et le haïssaient, mais, d’une voix haute, il
outrageait ainsi Agamemnôn
Atréide, que te faut-il encore, et que veux-tu ? Tes tentes sont pleines
d’airain et de nombreuses femmes fort belles que nous te donnons
d’abord, nous, Akhaiens, quand nous prenons une ville. As-tu besoin de
l’or qu’un Troien dompteur de chevaux t’apportera pour l’affranchissement
de son fils que j’aurai amené enchaîné, ou qu’un autre Akhaien aura
dompté ? Te faut-il une jeune femme que tu possèdes et que tu ne qui es
plus ? Il ne convient point qu’un chef accable de maux les Akhaiens. Ô
lâches ! opprobres vivants ! Akhaiennes et non Akhaiens ! Retournons
dans nos demeures avec les nefs ; laissons-le, seul devant Troiè, amasser
des dépouilles, et qu’il sache si nous lui é ons nécessaires ou non. N’a-t-il
point outragé Akhilleus, meilleur guerrier que lui, et enlevé sa
récompense ? Certes, Akhilleus n’a point de colère dans l’âme, car c’eût
été, Atréide, ta dernière insolence !
Il parla ainsi, outrageant Agamemnôn, prince des peuples. Et le divin
Odysseus, s’arrêtant devant lui, le regarda d’un œil sombre et lui dit
rudement :
― Thersitès, infa gable harangueur, silence ! Et cesse de t’en prendre
aux Rois. Je ne pense point qu’il soit un homme plus vil que toi parmi ceux
qui sont venus devant Troiè avec les Atréides, et tu ne devrais point
haranguer avec le nom des Rois à la bouche, ni les outrager, ni exciter au
retour. Nous ne savons point quelle sera notre des née, et s’il est bon ou
mauvais que nous par ons. Et voici que tu te plais à outrager l’Atréide
Agamemnôn, prince des peuples, parce que les héros Danaens l’ont comblé
de dons ! Et c’est pour cela que tu harangues ? Mais je te le dis, et ma
parole s’accomplira : si je te rencontre encore plein de rage comme
maintenant, que ma tête saute de mes épaules, que je ne sois plus nommé
le père de Tèlémakhos, si je ne te saisis, et, t’ayant arraché ton vêtement,
ton manteau et ce qui couvre ta nudité, je ne te renvoie, sanglotant, de
l’agora aux nefs rapides, en te frappant de coups terribles
Il parla ainsi, et il le frappa du sceptre sur le dos et les épaules. Et
Thersitès se courba, et les larmes lui tombèrent des yeux. Une tumeur
saignante lui gonfla le dos sous le coup du sceptre d’or, et il s’assit,
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tremblant et gémissant, hideux à voir, et il essuya ses yeux. Et les Akhaiens,


bien que soucieux, rirent aux éclats ; et, se regardant les uns les autres, ils
se disaient : Certes, Odysseus a déjà fait mille choses excellentes, par ses
sages conseils et par sa science guerrière ; mais ce qu’il a fait de mieux,
entre tous les Argiens, a été de réduire au silence ce harangueur injurieux.
De longtemps, il se gardera d’outrager les Rois par ses paroles injurieuses.
La mul tude parlait ainsi. Et le preneur de villes, Odysseus, se leva,
tenant son sceptre. Auprès de lui, Athènè aux yeux clairs, semblable à un
héraut, ordonna à la foule de se taire, afin que tous les fils des Akhaiens,
les plus proches et les plus éloignés, pussent entendre et comprendre. Et
l’excellent Agorète parla ainsi :
― Roi Atréide, voici que les Akhaiens veulent te couvrir d’opprobre en
face des hommes vivants, et ils ne ennent point la promesse qu’ils te
firent, en venant d’Argos féconde en chevaux, de ne retourner qu’après
avoir renversé la forte muraille d’Ilios. Et voici qu’ils pleurent, pleins du
désir de leurs demeures, comme des enfants et des veuves. Certes, c’est
une amère douleur de fuir après tant de maux soufferts. Je sais, il est vrai,
qu’un voyageur, éloigné de sa femme depuis un seul mois, s’irrite auprès
de sa nef chargée de rameurs, que re ennent les vents d’hiver et la mer
soulevée. Or, voici neuf années bientôt que nous sommes ici. Je n’en veux
donc point aux Akhaiens de s’irriter auprès de leurs nefs éperonnées ; mais
il est honteux d’être restés si longtemps et de s’en retourner les mains
vides. Souffrez donc, amis, et demeurez ici quelque temps encore, afin que
nous sachions si Kalkhas a dit vrai ou faux. Et nous le savons, et vous en
êtes tous témoins, vous que les Kères de la mort n’ont point emportés.
Était-ce donc hier ? Les nefs des Akhaiens étaient réunies devant Aulis,
portant les calamités à Priamos et aux Troiens. Et nous é ons autour de la
source, auprès des autels sacrés, offrant aux Immortels de complètes
hécatombes, sous un beau platane ; et, à son ombre, coulait une eau vive,
quand nous vîmes un grand prodige. Un dragon terrible, au dos
ensanglanté, envoyé de l’Olympien lui-même, sor t de dessous l’autel et
rampa vers le platane. Là étaient huit pe ts passereaux, tout jeunes, sur la
branche la plus haute et blo s sous les feuilles ; et la mère qui les avait
enfantés était la neuvième. Et le dragon les dévorait cruellement, et ils
criaient, et la mère, désolée, volait tout autour de ses pe ts. Et, comme
elle emplissait l’air de cris, il la saisit par une aile ; et quand il eut mangé la

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mère et les pe ts, le Dieu qui l’avait envoyé en fit un signe mémorable ; car
le fils de Kronos empli de ruses le changea en pierre. Et nous admirions
ceci, et les choses terribles qui étaient dans les hécatombes des Dieux. Et
voici que Kalkhas nous révéla aussitôt les volontés divines : — Pourquoi
êtes-vous muets, Akhaiens chevelus ? Ceci est un grand signe du très-sage
Zeus ; et ces choses s’accompliront fort tard, mais la gloire n’en périra
jamais. De même que ce dragon a mangé les pe ts passereaux, et ils
étaient huit, et la mère qui les avait enfantés, et elle était la neuvième, de
même nous comba rons pendant neuf années, et, dans la dixième, nous
prendrons Troiè aux larges rues. — C’est ainsi qu’il parla, et ses paroles se
sont accomplies. Restez donc tous, Akhaiens aux belles knèmides, jusqu’à
ce que nous prenions la grande citadelle de Priamos.
Il parla ainsi, et les Argiens, par des cris éclatants, applaudissaient la
harangue du divin Odysseus. Et, à ces cris, les nefs creuses rendirent des
sons terribles. Et le cavalier Gérennien Nestôr leur dit :
― Ah ! certes, ceci est une agora d’enfants étrangers aux fa gues de la
guerre ! Où iront nos paroles et nos serments ? Les conseils et la sagesse
des hommes, et les liba ons de vin pur, et les mains serrées en gage de
notre foi commune, tout sera-t-il jeté au feu ? Nous ne comba ons qu’en
paroles vaines, et nous n’avons rien trouvé de bon après tant d’années.
Atréide, sois donc inébranlable et commande les Argiens dans les rudes
batailles. Laisse périr un ou deux lâches qui conspirent contre les Akhaiens
et voudraient regagner Argos avant de savoir si Zeus tempêtueux a men .
Mais ils n’y réussiront pas. Moi, je dis que le terrible Kroniôn engagea sa
promesse le jour où les Argiens montaient dans les nefs rapides pour
porter aux Troiens les Kères de la mort, car il tonna à notre droite, par un
signe heureux. Donc, que nul ne se hâte de s’en retourner avant d’avoir
entraîné la femme de quelque Troien et vengé le rapt de Hélénè et tous les
maux qu’il a causés. Et si quelqu’un veut fuir malgré tout, qu’il saisisse sa
nef noire et bien construite, afin de trouver une prompte mort. Mais, ô Roi,
délibère avec une pensée droite et écoute mes conseils. Ce que je dirai ne
doit pas être négligé. Sépare les hommes par races et par tribus, et que
celles-ci se viennent en aide les unes les autres. Si tu fais ainsi, et que les
Akhaiens t’obéissent, tu connaîtras la lâcheté ou le courage des chefs et
des hommes, car chacun comba ra selon ses forces. Et si tu ne renverses
point ce e ville, tu sauras si c’est par la volonté divine ou par la faute des

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hommes.
Et le roi Agamemnôn, lui répondant, parla ainsi
― Certes, vieillard, tu surpasses dans l’agora tous les fils des Akhaiens.
Ô Père Zeus ! Athènè ! Apollôn ! Si j’avais dix conseillers tels que toi parmi
les Akhaiens, la ville du roi Priamos tomberait bientôt, emportée et
saccagée par nos mains ! Mais le Kronide Zeus tempêtueux m’a accablé de
maux en me jetant au milieu de querelles fatales. Akhilleus et moi nous
nous sommes divisés à cause d’une jeune vierge, et je me suis irrité le
premier. Si jamais nous nous réunissons, la ruine des Troiens ne sera point
retardée, même d’un jour. Maintenant, allez prendre votre repas, afin que
nous comba ons. Et que, d’abord, chacun aiguise sa lance, consolide son
bouclier, donne à manger à ses chevaux, s’occupe a en vement de son
char et de toutes les choses de la guerre, afin que nous fassions tout le jour
l’œuvre du terrible Arès. Et nous n’aurons nul relâche, jusqu’à ce que la
nuit sépare les hommes furieux. La courroie du bouclier préservateur sera
trempée de la sueur de chaque poitrine, et la main guerrière se fa guera
autour de la lance, et le cheval fumera, inondé de sueur, en traînant le char
solide. Et, je le dis, celui que je verrai loin du combat, auprès des nefs
éperonnées, celui-là n’évitera point les chiens et les oiseaux carnassiers.
Il parla ainsi, et les Argiens jetèrent de grands cris, avec le bruit que fait
la mer quand le Notos la pousse contre une côte élevée, sur un roc avancé
que les flots ne cessent jamais d’assiéger, de quelque côté que soufflent les
vents. Et ils coururent, se dispersant au milieu des nefs ; et la fumée sor t
des tentes, et ils prirent leur repas. Et chacun d’eux sacrifiait à l’un des
Dieux qui vivent toujours, afin d’éviter les blessures d’Arès et la mort. Et le
roi des hommes, Agamemnôn, sacrifia un taureau gras, de cinq ans, au
très-puissant Kroniôn, et il convoqua les plus illustres des Panakhaiens,
Nestôr, le roi Idoméneus, les deux Aias et le fils de Tydeus. Odysseus, égal à
Zeus par l’intelligence, fut le sixième. Ménélaos, brave au combat, vint de
lui-même, sachant les desseins de son frère. Entourant le taureau, ils
prirent les orges salées, et, au milieu d’eux, le roi des hommes,
Agamemnôn, dit en priant :
― Zeus ! Très-glorieux, très-grand, qui amasses les noires nuées et qui
habites l’Aithèr ! puisse Hélios ne point se coucher et la nuit ne point venir
avant que j’aie renversé la demeure enflammée de Priamos, après avoir
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brûlé ses portes et brisé, de l’épée, la cuirasse de Hektôr sur sa poitrine, vu


la foule de ses compagnons, couchés autour de lui dans la poussière,
mordre de leurs dents la terre !
Il parla ainsi, et le Kroniôn accepta le sacrifice, mais il ne l’exauça pas,
lui réservant de plus longues fa gues. Et, après qu’ils eurent prié et jeté les
orges salées, ils renversèrent la tête du taureau ; et, l’ayant égorgé et
dépouillé, ils coupèrent les cuisses qu’ils couvrirent deux fois de graisse ;
et, posant par-dessus des morceaux sanglants, ils les rô ssaient avec des
rameaux sans feuilles, et ils tenaient les entrailles sur le feu. Et quand les
cuisses furent rô es et qu’ils eurent goûté aux entrailles, ils coupèrent le
reste par morceaux qu’ils embrochèrent et firent rô r avec soin, et ils
re rèrent le tout. Et, après ce travail, ils préparèrent le repas, et aucun ne
put se plaindre d’une part inégale. Puis, ayant assouvi la faim et la soif, le
cavalier Gérennien Nestôr parla ainsi :
― Très-glorieux roi des hommes, Atréide Agamemnôn, ne tardons pas
plus longtemps à faire ce que Zeus nous permet d’accomplir. Allons ! que
les hérauts, par leurs clameurs, rassemblent auprès des nefs l’armée des
Akhaiens revêtus d’airain ; et nous, nous mêlant à la foule guerrière des
Akhaiens, excitons à l’instant l’impétueux Arès.
Il parla ainsi, et le roi des hommes, Agamemnôn, obéit, et il ordonna
aux hérauts à la voix éclatante d’appeler au combat les Akhaiens chevelus.
Et, autour de l’Atréiôn, les Rois divins couraient çà et là, rangeant l’armée.
Et, au milieu d’eux, Athènè aux yeux clairs portait l’Aigide glorieuse,
impérissable et immortelle. Et cent franges d’or bien ssues, chacune du
prix de cent bœufs, y étaient suspendues. Avec ce e Aigide, elle allait
ardemment à travers l’armée des Akhaiens, poussant chacun en avant, lui
me ant la force et le courage au cœur, afin qu’il guerroyât et comba t
sans relâche. Et aussitôt il leur semblait plus doux de comba re que de
retourner sur leurs nefs creuses vers la chère terre natale. Comme un feu
ardent qui brûle une grande forêt au faîte d’une montagne, et dont la
lumière resplendit au loin, de même s’allumait dans l’Ouranos l’airain
étincelant des hommes qui marchaient.
Comme les mul tudes ailées des oies, des grues ou des cygnes au long
cou, dans les prairies d’Asios, sur les bords du Kaystrios, volent çà et là,
agitant leurs ailes joyeuses, et se devançant les uns les autres avec des cris
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dont la prairie résonne, de même les innombrables tribus Akhaiennes


roulaient en torrents dans la plaine du Skamandros, loin des nefs et des
tentes ; et, sous leurs pieds et ceux des chevaux, la terre mugissait
terriblement. Et ils s’arrêtèrent dans la plaine fleurie du Skamandros, par
milliers, tels que les feuilles et les fleurs du printemps. Aussi nombreux que
les tourbillons infinis de mouches qui bourdonnent autour de l’étable,
dans la saison printanière, quand le lait abondant blanchit les vases, les
Akhaiens chevelus s’arrêtaient dans la plaine en face des Troiens, et
désirant les détruire. Comme les bergers reconnaissent aisément leurs
immenses troupeaux de chèvres confondus dans les pâturages, ainsi les
chefs rangeaient leurs hommes. Et le grand roi Agamemnôn était au milieu
d’eux, semblable par les yeux et la tête à Zeus qui se réjouit de la foudre,
par la stature à Arès, et par l’ampleur de la poitrine à Poseidaôn. Comme
un taureau l’emporte sur le reste du troupeau et s’élève au-dessus des
génisses qui l’environnent, de même Zeus, en ce jour, faisait resplendir
l’Atréide entre d’innombrables héros.
Et maintenant, Muses, qui habitez les demeures Olympiennes, vous qui
êtes Déesses, et présentes à tout, et qui savez toutes choses, tandis que
nous ne savons rien et n’entendons seulement qu’un bruit de gloire, dites
les Rois et les princes des Danaens. Car je ne pourrais nommer ni décrire la
mul tude, même ayant dix langues, dix bouches, une voix infa gable et
une poitrine d’airain, si les Muses Olympiades, filles de Zeus tempêtueux,
ne me rappellent ceux qui vinrent sous Ilios. Je dirai donc les chefs et
toutes les nefs.
Pènéléôs et Lèitos, et Arkésilaos, et Prothoènôr, et Klonios
commandaient aux Boiô ens. Et c’étaient ceux qui habitaient Hyriè et la
pierreuse Aulis, et Skhoinos, et Skôlos, et les nombreuses collines d’Étéôn,
et Thespéia, et Graia, et la grande Mikalèsos ; et ceux qui habitaient autour
de Harma et d’Eilésios et d’Érythra ; et ceux qui habitaient Éléôn et Hilè, et
Pétéôn, Okaliè et Médéôn bien bâ e, Kôpa et Eutrèsis et Thisbé abondante
en colombes ; et ceux qui habitaient Korônéia et Haliartos aux grandes
prairies ; et ceux qui habitaient Plataia ; et ceux qui vivaient dans Glissa ; et
ceux qui habitaient la cité bien bâ e de Hypothèba, et la sainte Onkhestos,
bois sacré de Poseidaôn ; et ceux qui habitaient Arnè qui abonde en raisin,
et Midéia, et la sainte Nissa, et la ville fron ère Anthèdôn. Et ils étaient
venus sur cinquante nefs, et chacune portait cent vingt jeunes Boiôtiens.

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Et ceux qui habitaient Asplèdôn et Orkhomènos de Mynias étaient


commandés par Askalaphos et Ialménos, fils d’Arès. Et Astyokhè Azéide les
avait enfantés dans la demeure d’Aktôr ; le puissant Arès ayant surpris la
vierge innocente dans les chambres hautes. Et ils étaient venus sur trente
nefs creuses.
Et Skhédios et Épistrophos, fils du magnanime Iphitos Naubolide,
commandaient aux Phôkèens. Et c’étaient ceux qui habitaient Kiparissos et
la pierreuse Pythôn et la sainte Krissa, et Daulis et Panopè ; et ceux qui
habitaient autour d’Anémôréia et de Hyampolis ; et ceux qui habitaient
auprès du divin fleuve Kèphisos et qui possédaient Lilaia, à la source du
Kèphisos. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires, et leurs chefs les
rangèrent à la gauche des Boiôtiens.
Et l’agile Aias Oilèide commandait aux Lokriens. Il était beaucoup moins
grand qu’Aias Télamônien, et sa cuirasse était de lin ; mais, par la lance, il
excellait entre les Panhellènes et les Akhaiens. Et il commandait à ceux qui
habitaient Kynos et Kalliaros, et Bèssa et Scarphè, et l’heureuse Augéia, et
Tarphè, et Thronios, auprès du Boagrios. Et tous ces Lokriens, qui
habitaient au-delà de la sainte Euboiè, étaient venus sur quarante nefs
noires.
Et les Abantes, pleins de courage, qui habitaient l’Euboia et Khalkis, et
Eirétria, et His aia qui abonde en raisin, et la mari me Kèrinthos, et la
haute citadelle de Diôs ; et ceux qui habitaient Karistos et Styra étaient
Éléphènôr Khalkodon ade, de la race d’Arès ; et il était le prince des
magnanimes Abantes. Et les Abantes agiles, aux cheveux flottant sur le dos,
braves guerriers, désiraient percer de près les cuirasses ennemies de leurs
piques de frêne. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Athéna, ville forte et bien bâ e du magnanime
Érékhtheus que nourrit Athènè, fille de Zeus, après que la terre féconde
l’eut enfanté, et qu’elle plaça dans le temple abondant où les fils des
Athènaiens offrent chaque année, pour lui plaire, des hécatombes de
taureaux et d’agneaux ; ceux-là étaient commandés par Ménèstheus, fils de
Pétéos. Jamais aucun homme vivant, si ce n’était Nestôr, qui était plus âgé,
ne fut son égal pour ranger en bataille les cavaliers et les porte-boucliers.
Et ils étaient venus sur cinquante nefs noires.

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Et Aias avait amené douze nefs de Salamis, et il les avait placées auprès
des Athènaiens.
Et ceux qui habitaient Argos et la forte Tiryntha, Hermionè et Asinè aux
golfes profonds, Troixènè, Eiôna et Épidauros qui abonde en vignes ; et
ceux qui habitaient Aigina et Masès étaient commandés par Diomèdès,
hardi au combat, et par Sthénélôs, fils de l’illustre Kapaneus, et par
Euryalos, semblable aux Dieux, fils du roi Mèkisteus Taliônide. Mais
Diomèdès, hardi au combat, les commandait tous. Et ils étaient venus sur
quatre-vingts nefs noires.
Et ceux qui habitaient la ville forte et bien bâ e de Mykèna, et la riche
Korinthos et Kléôn ; et ceux qui habitaient Ornéia et l’heureuse Araithyréè,
et Sikiôn où régna, le premier, Adrèstos ; et ceux qui habitaient Hipérèsia
et la haute Gonoessa et Pellèna, et qui vivaient autour d’Aigion et de la
grande Hélikè, et sur toute la côte, étaient commandés par le roi
Agamemnôn Atréide. Et ils étaient venus sur cent nefs, et ils étaient les
plus nombreux et les plus braves des guerriers. Et l’Atréide, revêtu de
l’airain splendide, était fier de commander à tous les héros, étant lui-même
très-brave, et ayant amené le plus de guerriers.
Et ceux qui habitaient la grande Lakédaimôn dans sa creuse vallée, et
Pharis et Sparta, et Messa qui abonde en colombes, et Bryséia et
l’heureuse Augéia, Amykla et la mari me Hélos ; et ceux qui habitaient
Laas et Oitylos, étaient commandés par Ménélaos hardi au combat, et
séparés des guerriers de son frère. Et ils étaient venus sur soixante nefs. Et
Ménélaos était au milieu d’eux, confiant dans son courage, et les excitant à
comba re ; car, plus qu’eux, il désirait venger le rapt de Hélénè et les maux
qui en venaient.
Et ceux qui habitaient Pylos et l’heureuse Arènè, et Thryos traversée par
l’Alphéos, et Aipy habilement construite, et Kiparissè et Amphigènéia,
Ptéléon, Hélos et Dôrion, où les Muses, ayant rencontré le Trakien Tamyris
qui venait d’Oikhaliè, de chez le roi Eurytos l’Oikhalien, le rendirent muet,
parce qu’il s’était vanté de vaincre en chantant les Muses elles-mêmes,
filles de Zeus tempêtueux. Et celles-ci, irritées, lui ôtèrent la science divine
de chanter et de jouer de la kithare. Et ceux-là étaient commandés par le
cavalier Gérennien Nestôr. Et ils étaient venus sur quatre-vingt-dix nefs
creuses.
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Et ceux qui habitaient l’Arkadia, aux pieds de la haute montagne de


Killènè où naissent les hommes braves, auprès du tombeau d’Aipy os ; et
ceux qui habitaient Phénéos et Orkhoménos riche en troupeaux, et Ripè, et
Stra è, et Enispè ba ue des vents ; et ceux qui habitaient Tégéè et
l’heureuse Man néè, et S mphèlos et Parrhasiè, étaient commandés par le
fils d’Ankaios, le roi Agapènôr. Et ils étaient venus sur cinquante nefs, et
dans chacune il y avait un grand nombre d’Arkadiens belliqueux. Et le roi
Agamemnôn leur avait donné des nefs bien construites pour traverser la
noire mer, car ils ne s’occupaient point des travaux de la mer.
Et ceux qui habitaient Bouprasios et la divine Élis, et la terre qui
renferme Hyrminè et la ville fron ère de Myrsinè, et la roche Olénienne et
Aleisios, étaient venus sous quatre chefs, et chaque chef conduisait dix
nefs rapides où étaient de nombreux Épéiens. Amphimakhos et Thalpios
commandaient les uns ; et le premier était fils de Kléatos, et le second
d’Eurytos Aktoriôn. Et le robuste Diôrès Amarynkéide commandait les
autres, et le divin Polyxeinos commandait aux derniers ; et il était fils
d’Agasthéneus Augéiade.
Et ceux qui habitaient Doulikiôn et les saintes îles Ekhinades qui sont à
l’horizon de la mer, en face de l’Élis, étaient commandés par Mégès
Phyléide, semblable à Arès. Et il était fils de Phyleus, habile cavalier cher à
Zeus, qui, s’étant irrité contre son père, s’était réfugié à Doulikhiôn. Et ils
étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Odysseus commandait les magnanimes Képhallèniens, et ceux qui
habitaient Ithakè et le Nèritos aux forêts agitées, et ceux qui habitaient
Krokyléia et l’aride Aigilipa et Zakyntos et Samos, et ceux qui habitaient
l’Épeiros sur la rive opposée. Et Odysseus, égal à Zeus par l’intelligence, les
commandait. Et ils étaient venus sur douze nefs rouges.
Et Thoas Andraimonide commandait les Aitôliens qui habitaient Pleurôn
et Olénos, et Pylènè, et la mari me Khalkis, et la pierreuse Kalidôn. Car les
fils du magnanime Oineus étaient morts, et lui-même était mort, et le
blond Méléagros était mort, et Thoas commandait maintenant les
Aitôliens. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Idoméneus, habile à lancer la pique, commandait les Krètois et ceux
qui habitaient Gnôssos et la forte Gortyna, et les villes populeuses de

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Lyktos, de Milètos, de Lykastos, de Phaistos et de Rhy ôn, et d’autres qui


habitaient aussi la Krètè aux cent villes. Et Idoméneus, habile à lancer la
pique, les commandait avec Mèrionès, pareil au tueur d’hommes Arès. Et
ils étaient venus sur quatre-vingts nefs noires.
Et Tlèpolémos Hèraklide, très-fort et très-grand, avait conduit de
Rhodos, sur neuf nefs, les fiers Rhodiens qui habitaient les trois par es de
Rhodos : Lindos, Ièlissos et la riche Kameiros. Et Tlèpolémos, habile à lancer
la pique, les commandait. Et Astyokhéia avait donné ce fils au grand
Hèraklès, après que ce dernier l’eut emmenée d’Ëphyrè, des bords du
Sellèis, où il avait renversé beaucoup de villes défendues par des jeunes
hommes. Et Tlèpolémos, élevé dans la belle demeure, tua l’oncle de son
père, Likymnios, race d’Arès. Et il construisit des nefs, rassembla une
grande mul tude et s’enfuit sur la mer, car les fils et les pe ts-fils du grand
Hèraklès le menaçaient. Ayant erré et subi beaucoup de maux, il arriva
dans Rhodos, où ils se partagèrent en trois tribus, et Zeus, qui commande
aux Dieux et aux hommes, les aima et les combla de richesses.
Et Nireus avait amené de Symè trois nefs. Et il était né d’Aglaiè et du roi
Kharopos, et c’était le plus beau de tous les Danaens, après l’irréprochable
Pèléiôn, mais il n’était point brave et commandait peu de guerriers.
Et ceux qui habitaient Nisyros et Krapathos, et Kasos, et Kôs, ville
d’Eurypylos, et les îles Kalynades, étaient commandés par Pheidippos et
An phos, deux fils du roi Thessalos Hèrakléide. Et ils étaient venus sur
trente nefs creuses.
Et je nommerai aussi ceux qui habitaient Argos Pélasgique, et Alos et
Alopè, et ceux qui habitaient Trakinè et la Phthiè, et la Hellas aux belles
femmes. Et ils se nommaient Myrmidones, ou Hellènes, ou Akhaiens, et
Akhilleus commandait leurs cinquante nefs. Mais ils ne se souvenaient plus
des clameurs de la guerre, n’ayant plus de chef qui les menât. Car le divin
Akhilleus aux pieds rapides était couché dans ses nefs, irrité au souvenir de
la vierge Breisèis aux beaux cheveux qu’il avait emmenée de Lyrnèssos,
après avoir pris ce e ville et renversé les murailles de Thèbè avec de
grandes fa gues. Là, il avait tué les belliqueux Mènytos et Épistrophos, fils
du roi Évènos Sélèpiade. Et, dans sa douleur, il restait couché mais il devait
se relever bientôt.

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Et ceux qui habitaient Phylakè et la fer le Pyrrhasos consacrée à


Dèmètèr, et Itôn riche en troupeaux, et la mari me Antrôn, et Ptéléos aux
grasses prairies, étaient commandés par le brave Prôtésilaos quand il
vivait ; mais déjà la terre noire le renfermait ; et sa femme se meurtrissait
le visage, seule à Phylakè, dans sa demeure abandonnée ; car un guerrier
Dardanien le tua, comme il s’élançait de sa nef, le premier de tous les
Akhaiens. Mais ses guerriers n’étaient point sans chef, et ils étaient
commandés par un nourrisson d’Arès, Podarkès, fils d’Iphiklos riche en
troupeaux, et il était frère du magnanime Prôtésilaos. Et ce héros était
l’aîné et le plus brave, et ses guerriers le regre aient. Et ils étaient venus
sur quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Phéra, auprès du lac Boibèis, et Boibè, et
Glaphyra, et Iôlkos, étaient commandés, sur onze nefs, par le fils bien-aimé
d’Admètès, Eumèlos, qu’Alkès s, la gloire des femmes et la plus belle des
filles de Pèlias, avait donné à Admètès.
Et ceux qui habitaient Mèthônè et Thaumakè, et Méliboia et l’aride
Olizôn, Philoktètès, très-excellent archer, les commandait, sur sept nefs. Et
dans chaque nef étaient cinquante rameurs, excellents archers, et très-
braves. Et Philoktètès était couché dans une île, en proie à des maux
terribles, dans la divine Lèmnôs, où les fils des Akhaiens le laissèrent,
souffrant de la mauvaise blessure d’un serpent venimeux. C’est là qu’il
gisait, plein de tristesse. Mais les Argiens devaient bientôt se souvenir,
dans leurs nefs, du roi Philoktètès. Et ses guerriers n’étaient point sans
chef, s’ils regre aient celui-là. Et Médôn les commandait, et il était fils du
brave Oileus, de qui Rhènè l’avait conçu.
Et ceux qui habitaient Trikkè et la montueuse Ithomè, et Oikhaliè, ville
d’Eurytos Oikhalien, étaient commandés par les deux fils d’Asklèpios,
Podaleiros et Makhaôn. Et ils étaient venus sur trente nefs creuses.
Et ceux qui habitaient Orménios et la fontaine Hypéréia, et Astériôn, et
les cimes neigeuses du Titanos, étaient commandés par Eurypylos, illustre
fils d’Évaimôn. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Argissa et Gyrtônè, Orthè et Élonè, et la blanche
Oloossôn, étaient commandés par le belliqueux Polypoitès, fils de
Peirithoos qu’engendra l’éternel Zeus. Et l’illustre Hippodaméia le donna

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pour fils à Peirithoos le jour où celui-ci dompta les Centaures féroces et les
chassa du Pèliôn jusqu’aux monts Aithiens. Et Polypoitès ne commandait
point seul, mais avec Léonteus, nourrisson d’Arès, et fils du magnanime
Koronos Kainéide. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Gouneus avait amené de Kyphos, sur vingt-deux nefs, les Éniènes et
les braves Péraibes qui habitaient la froide Dôdônè, et ceux qui habitaient
les champs baignés par l’heureux Titarèsios qui je e ses belles eaux dans
le Pènéios, et ne se mêle point au Pènéios aux tourbillons d’argent, mais
coule à sa surface comme de l’huile. Et sa source est Styx par qui jurent les
Dieux.
Et Prothoos, fils de Tenthrèdôn, commandait les Magnètes qui
habitaient auprès du Pènéios et du Pèliôn aux forêts secouées par le vent.
Et l’agile Prothoos les commandait, et ils étaient venus sur quarante nefs
noires.
Et tels étaient les Rois et les chefs des Danaens.
Dis-moi, Muse, quel était le plus brave, et qui avait les meilleurs
chevaux parmi ceux qui avaient suivi les Atréides.
Les meilleurs chevaux étaient ceux du Phèrè ade Eumèlos. Et ils étaient
rapides comme les oiseaux, du même poil, du même âge et de la même
taille. Apollôn à l’arc d’argent éleva et nourrit sur le mont Piérè ces cavales
qui portaient la terreur d’Arès. Et le plus brave des guerriers était Aias
Télamônien, depuis qu’Akhilleus se livrait à sa colère ; car celui-ci était de
beaucoup le plus fort, et les chevaux qui traînaient l’irréprochable Pèléiôn
étaient de beaucoup les meilleurs. Mais voici qu’il était couché dans sa nef
éperonnée, couvant sa fureur contre Agamemnôn. Et ses guerriers, sur le
rivage de la mer, lançaient pacifiquement le disque, la pique ou la flèche ;
et les chevaux, auprès des chars, broyaient le lotos et le sélinos des
marais ; et les chars solides restaient sous les tentes des chefs ; et ceux-ci,
regre ant leur Roi cher à Arès, erraient à travers le camp et ne
combattaient point.
Et les Akhaiens roulaient sur la terre comme un incendie ; et la terre
mugissait comme lorsque Zeus tonnant la fouette à coups de foudre autour
des rochers Arimiens où l’on dit que Typhôeus est couché. Ainsi la terre
rendait un grand mugissement sous les pieds des Akhaiens qui
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franchissaient rapidement la plaine.


Et la légère Iris, qui va comme le vent, envoyée de Zeus tempêtueux,
vint annoncer aux Troiens la nouvelle effrayante. Et ils étaient réunis,
jeunes et vieux, à l’agora, devant les ves bules de Priamos. Et la légère Iris
s’approcha, semblable par le visage et la voix à Politès Priamide, qui, se
fiant à la rapidité de sa course, s’était assis sur la haute tombe du vieux
Aisyètas, pour observer le moment où les Akhaiens se précipiteraient hors
des nefs.
Et la légère Iris, étant semblable à lui, parla ainsi :
— Ô vieillard ! tu te plais aux paroles sans fin, comme autrefois, du
temps de la paix ; mais voici qu’une bataille inévitable se prépare. Certes,
j’ai vu un grand nombre de combats, mais je n’ai point encore vu une
armée aussi formidable et aussi innombrable. Elle est pareille aux feuilles
et aux grains de sable ; et voici qu’elle vient, à travers la plaine, comba re
autour de la ville. Hektôr, c’est à toi d’agir. Il y a de nombreux alliés dans la
grande ville de Priamos, de races et de langues diverses. Que chaque chef
arme les siens et les mène au combat.
Elle parla ainsi, et Hektôr reconnut sa voix, et il rompit l’agora, et tous
coururent aux armes. Et les portes s’ouvrirent, et la foule des hommes,
fantassins et cavaliers, en sor t à grand bruit. Et il y avait, en avant de la
ville, une haute colline qui s’inclinait de tous côtés dans la plaine ; et les
hommes la nommaient Batéia, et les Immortels, le tombeau de l’agile
Myrinnè. Là, se rangèrent les Troiens et les alliés.
Et le grand Hektôr Priamide au beau casque commandait les Troiens, et
il était suivi d’hommes nombreux et braves qui désiraient frapper de la
pique.
Et le vaillant fils d’Ankhisès, Ainéias, commandait les Dardaniens. Et la
divine Aphroditè l’avait donné pour fils à Ankhisès, s’étant unie à un
mortel, quoique Déesse, sur les cimes de l’Ida. Et il ne commandait point
seul ; mais les deux Anténorides l’accompagnaient, Arkhilokhos et Akamas,
habiles à tous les combats.
Et ceux qui habitaient Zéléia, aux pieds de la dernière chaîne de l’Ida,
les riches Troadiens qui boivent l’eau profonde de l’Aisèpos, étaient

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commandés par l’illustre fils de Lykaôn, Pandaros, à qui Apollôn lui-même


avait donné son arc.
Et ceux qui habitaient Adrèstéia et Apeisos, et Pithyéia et les hauteurs
de Tèréiè, étaient commandés par Adrèstos et par Amphios à la cuirasse de
lin. Et ils étaient tous deux fils de Mérops, le Perkôsien, qui, n’ayant point
d’égal dans la science divinatoire, leur défendit de tenter la guerre qui
dévore les hommes ; mais ils ne lui obéirent point, parce que les Kères de
la noire mort les entraînaient.
Et ceux qui habitaient Perkôtè et Prak os, et Sèstos et Abydos, et la
divine Arisbè, étaient commandés par Asios Hyrtakide, que des chevaux
grands et ardents avaient amené des bords du fleuve Sellèis.
Et les tribus Pélasgiques habiles à lancer la pique, et ceux qui habitaient
Larissa aux plaines fer les, étaient commandés par Hippothoos et Pyleus,
nourrissons d’Arès, fils du Pélasge Lèthos Teutamide.
Et Akamas commandait les Thrakiens, et le héros Peirôs ceux
qu’enferme le Hellespontos rapide.
Et Euphèmos commandait les braves Kikoniens, et il était fils de
Troizènos Kéade, cher à Zeus.
Et Pyraikhmès commandait les archers Paiones, venus de la terre
lointaine d’Amydôn et du large Axios qui répand ses belles eaux sur la
terre.
Et le brave Pylaiméneus commandait les Paphlagones, du pays des
Énè ens, où naissent les mules sauvages. Et ils habitaient aussi Kytôros et
Sésamos, et les belles villes du fleuve Parthénios, et Krômna, et Aigialos et
la haute Érythinos.
Et Dios et Épistrophos commandaient les Halizônes, venus de la
lointaine Alybè, où germe l’argent.
Et Khromis et le divinateur Eunomos commandaient les Mysiens. Mais
Eunomos ne devina point la noire mort, et il devait tomber sous la main du
rapide Aiakide, dans le fleuve où celui-ci devait tuer tant de Troiens.
Et Phorkys commandait les Phrygiens, avec Askanios pareil à un Dieu. Et

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ils étaient venus d’Askaniè, désirant le combat.


Et Mesthlès et An phos, fils de Pylaiméneus, nés sur les bords du lac de
Gygéia, commandaient les Maiones qui habitent aux pieds du Tmolos.
Et Nastès commandait les Kariens au langage barbare qui habitaient
Milètos et les hauteurs Phthiriennes, et les bords du Maiandros ét les
cimes de Mykalè. Et Amphimakhos et Nastès les commandaient, et ils
étaient les fils illustres de Nomiôn. Et Amphimakhos combattait chargé d’or
comme une femme, et ceci ne lui fit point éviter la noire mort, le
malheureux ! Car il devait tomber sous la main du rapide Aiakide, dans le
fleuve, et le brave Akhilleus devait enlever son or.
Et l’irréprochable Sarpèdôn commandait les Lykiens, avec l’irréprochable
Glaukos. Et ils étaient venus de la lointaine Lykiè et du Xanthos plein de
tourbillons.

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Chant 3
Quand tous, de chaque côté, se furent rangés sous leurs chefs, les
Troiens s’avancèrent, pleins de clameurs et de bruit, comme des oiseaux.
Ainsi, le cri des grues monte dans l’air, quand, fuyant l’hiver et les pluies
abondantes, elles volent sur les flots d’Okéanos, portant le massacre et la
Kèr de la mort aux Pygmées. Et elles livrent dans l’air un rude combat. Mais
les Akhaiens allaient en silence, respirant la force, et, dans leur cœur,
désirant s’entre-aider. Comme le Notos enveloppe les hauteurs de la
montagne d’un brouillard odieux au berger et plus propice au voleur que la
nuit même, de sorte qu’on ne peut voir au-delà d’une pierre qu’on a jetée ;
de même une noire poussière montait sous les pieds de ceux qui
marchaient, et ils traversaient rapidement la plaine.
Et quand ils furent proches les uns des autres, le divin Alexandros
apparut en tête des Troiens, ayant une peau de léopard sur les épaules, et
l’arc recourbé et l’épée. Et, agitant deux piques d’airain, il appelait les plus
braves des Argiens à comba re un rude combat. Et dès que Ménélaos, cher
à Arès, l’eut aperçu qui devançait l’année et qui marchait à grands pas ;
comme un lion se réjouit, quand il a faim, de rencontrer un cerf cornu ou
une chèvre sauvage, et dévore sa proie, bien que les chiens agiles et les
ardents jeunes hommes le poursuivent ; de même Ménélaos se réjouit
quand il vit devant lui le divin Alexandros. Et il espéra se venger de celui
qui l’avait outragé, et il sauta du char avec ses armes.
Et dès que le divin Alexandros l’eut aperçu en tête de l’armée, son cœur
se serra, et il recula parmi les siens pour éviter la Kèr de la mort. Si
quelqu’un, dans les gorges des montagnes, voit un serpent, il saute en
arrière, et ses genoux tremblent, et ses joues pâlissent. De même le divin
Alexandros, craignant le fils d’Atreus, rentra dans la foule des hardis
Troiens.
Et Hektôr, l’ayant vu, l’accabla de paroles amères :
― Misérable Pâris, qui n’as que ta beauté, trompeur et efféminé, plût
aux Dieux que tu ne fusses point né, ou que tu fusses mort avant tes
dernières noces ! Certes, cela eût mieux valu de beaucoup, plutôt que

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d’être l’opprobre et la risée de tous ! Voici que les Akhaiens chevelus rient
de mépris, car ils croyaient que tu comba ais hardiment hors des rangs,
parce que ton visage est beau ; mais il n’y a dans ton cœur ni force ni
courage. Pourquoi, étant un lâche, as-tu traversé la mer sur tes nefs
rapides, avec tes meilleurs compagnons, et, mêlé à des étrangers, as-tu
enlevé une très-belle jeune femme du pays d’Apy, parente d’hommes
belliqueux ? Immense malheur pour ton père, pour ta ville et pour tout le
peuple ; joie pour nos ennemis et honte pour toi-même ! Et tu n’as point
osé attendre Ménélaos, cher à Arès. Tu saurais maintenant de quel guerrier
tu re ens la femme. Ni ta kithare, ni les dons d’Aphroditè, ta chevelure et
ta beauté, ne t’auraient sauvé d’être traîné dans la poussière. Mais les
Troiens ont trop de respect, car autrement, tu serais déjà revêtu d’une
tunique de pierre, pour prix des maux que tu as causés.
Et le divin Alexandros lui répondit :
― Hektôr, tu m’as réprimandé justement. Ton cœur est toujours
indompté, comme la hache qui fend le bois et accroît la force de l’ouvrier
constructeur de nefs. Telle est l’âme indomptée qui est dans ta poitrine. Ne
me reproche point les dons aimables d’Aphroditè d’or. Il ne faut point
rejeter les dons glorieux des Dieux, car eux seuls en disposent, et nul ne les
pourrait prendre à son gré. Mais si tu veux maintenant que je comba e et
que je lu e, arrête les Troiens et les Akhaiens, afin que nous comba ons
moi et Ménélaos, cher à Arès, au milieu de tous, pour Hélénè et pour
toutes ses richesses. Et le vainqueur emportera ce e femme et toutes ses
richesses, et, après avoir échangé des serments inviolables, vous, Troiens,
habiterez la féconde Troiè, et les Akhaiens retourneront dans Argos,
nourrice de chevaux, et dans l’Akhaiè aux belles femmes.
Il parla ainsi, et Hektôr en eut une grande joie, et il s’avança, arrêtant
les phalanges des Troiens, à l’aide de sa pique qu’il tenait par le milieu. Et
ils s’arrêtèrent. Et les Akhaiens chevelus raient sur lui et le frappaient de
flèches et de pierres. Mais le Roi des hommes, Agamemnôn, cria à voix
haute :
― Arrêtez, Argiens ! ne frappez point, fils des Akhaiens ! Hektôr au
casque mouvant semble vouloir dire quelques mots.
Il parla ainsi, et ils cessèrent et firent silence, et Hektôr parla au milieu

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d’eux :
― Écoutez, Troiens et Akhaiens, ce que dit Alexandros qui causa ce e
guerre. Il désire que les Troiens et les Akhaiens déposent leurs belles armes
sur la terre nourricière, et que lui et Ménélaos, cher à Arès, comba ent,
seuls, au milieu de tous, pour Hélénè et pour toutes ses richesses. Et le
vainqueur emportera ce e femme et toutes ses richesses, et nous
échangerons des serments inviolables.
Il parla ainsi, et tous restèrent silencieux. Et Ménélaos, hardi au combat,
leur dit :
― Écoutez-moi maintenant. Une grande douleur serre mon cœur, et
j’espère que les Argiens et les Troiens vont cesser la guerre, car vous avez
subi des maux infinis pour ma querelle et pour l’injure que m’a faite
Alexandros. Que celui des deux à qui sont réservées la Moire et la mort,
meure donc ; et vous, cessez aussitôt de comba re. Apportez un agneau
noir pour Gaia et un agneau blanc pour Hélios, et nous en apporterons
autant pour Zeus. Et vous amènerez Priamos lui-même, pour qu’il se lie par
des serments, car ses enfants sont parjures et sans foi, et que personne ne
puisse violer les serments de Zeus. L’esprit des jeunes hommes est léger,
mais, dans ses ac ons, le vieillard regarde à la fois l’avenir et le passé et
agit avec équité.
Il parla ainsi, et les Troiens et les Akhaiens se réjouirent, espérant
me re fin à la guerre mauvaise. Et ils re nrent les chevaux dans les rangs,
et ils se dépouillèrent de leurs armes déposées sur la terre. Et il y avait peu
d’espace entre les deux armées. Et Hektôr envoya deux hérauts à la ville
pour apporter deux agneaux et appeler Priamos. Et le roi Agamemnôn
envoya Talthybios aux nefs creuses pour y prendre un agneau, et
Talthybios obéit au divin Agamemnôn.
Et la messagère Iris s’envola chez Hélénè aux bras blancs, s’étant faite
semblable à sa belle-sœur Laodikè, la plus belle des filles de Priamos, et
qu’avait épousée l’Anténoride Élikaôn.
Et elle trouva Hélénè dans sa demeure, ssant une grande toile double,
blanche comme le marbre, et y retraçant les nombreuses batailles que les
Troiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens revêtus d’airain avaient
subies pour elle par les mains d’Arès. Et Iris aux pieds légers, s’étant
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approchée, lui dit :


― Viens, chère Nymphe, voir le spectacle admirable des Troiens
dompteurs de chevaux et des Akhaiens revêtus d’airain. Ils comba aient
tantôt dans la plaine, pleins de la fureur d’Arès, et les voici maintenant
assis en silence, appuyés sur leurs boucliers, et la guerre a cessé, et les
piques sont enfoncées en terre. Alexandros et Ménélaos cher à Arès
comba ront pour toi, de leurs longues piques, et tu seras l’épouse bien-
aimée du vainqueur.
Et la Déesse, ayant ainsi parlé, jeta dans son cœur un doux souvenir de
son premier mari, et de son pays, et de ses parents. Et Hélénè, s’étant
couverte aussitôt de voiles blancs, sor t de la chambre nup ale en
pleurant ; et deux femmes la suivaient, Aithrè, fille de Pi heus, et Klyménè
aux yeux de bœuf. Et voici qu’elles arrivèrent aux portes Skaies. Priamos,
Panthoos, Thymoitès, Lampos, Kly os, Hikétaôn, nourrisson d’Arès,
Oukalégôn et Antènôr, très-sages tous deux, siégeaient, vieillards
vénérables, au-dessus des portes Skaies. Et la vieillesse les écartait de la
guerre ; mais c’étaient d’excellents Agorètes ; et ils étaient pareils à des
cigales qui, dans les bois, assises sur un arbre, élèvent leur voix
mélodieuse. Tels étaient les princes des Troiens, assis sur la tour. Et quand
ils virent Hélénè qui montait vers eux, ils se dirent les uns aux autres, et à
voix basse, ces paroles ailées :
Certes, il est juste que les Troiens et les Akhaiens aux belles knèmides
subissent tant de maux, et depuis si longtemps, pour une telle femme, car
elle ressemble aux Déesses immortelles par sa beauté. Mais, malgré cela,
qu’elle s’en retourne sur ses nefs, et qu’elle ne nous laisse point, à nous et
à nos enfants, un souvenir misérable.
Ils parlaient ainsi, et Priamos appela Hélénè :
― Viens, chère enfant, approche, assieds-toi auprès de moi, afin de
revoir ton premier mari, et tes parents, et tes amis. Tu n’es point la cause
de nos malheurs. Ce sont les Dieux seuls qui m’ont accablé de ce e rude
guerre Akhaienne. Dis-moi le nom de ce guerrier d’une haute stature ; quel
est cet Akhaien grand et vigoureux ? D’autres ont une taille plus élevée,
mais je n’ai jamais vu de mes yeux un homme aussi beau et majestueux. Il
a l’aspect d’un Roi.

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Et Hélénè, la divine femme, lui répondit :


― Tu m’es vénérable et redoutable, père bien-aimé. Que n’ai-je subi la
noire mort quand j’ai suivi ton fils, abandonnant ma chambre nup ale et
ma fille née en mon pays lointain, et mes frères, et les chères compagnes
de ma jeunesse ! Mais telle n’a point été ma des née, et c’est pour cela
que je me consume en pleurant. Je te dirai ce que tu m’as demandé. Cet
homme est le roi Agamemnôn Atréide, qui commande au loin, roi habile et
brave guerrier. Et il fut mon beau-frère, à moi infâme, s’il m’est permis de
dire qu’il le fut.
Elle parla ainsi, et le vieillard, plein d’admiration, s’écria :
― Ô heureux Atréide, né pour d’heureuses des nées Certes, de
nombreux fils des Akhaiens te sont soumis. Autrefois, dans la Phrygiè
féconde en vignes, j’ai vu de nombreux Phrygiens, habiles cavaliers, tribus
belliqueuses d’Otreus et de Mygdôn égal aux Dieux, et qui étaient campés
sur les bords du Sangarios. Et j’étais au milieu d’eux, étant leur allié, quand
vinrent les Amazones viriles. Mais ils n’étaient point aussi nombreux que
les Akhaiens aux yeux noirs.
Puis, ayant vu Odysseus, le vieillard interrogea Hélénè :
― Dis-moi aussi, chère enfant, qui est celui-ci. Il est moins grand que
l’Atréide Agamemnôn, mais plus large des épaules et de la poitrine. Et ses
armes sont couchées sur la terre nourricière, et il marche, parmi les
hommes, comme un bélier chargé de laine au milieu d’un grand troupeau
de brebis blanches.
Et Hélénè, fille de Zeus, lui répondit :
― Celui-ci est le sub l Laer ade Odysseus, nourri dans le pays stérile
d’Ithakè. Et il est plein de ruses et de prudence.
Et le sage Antènôr lui répondit :
― Ô femme ! tu as dit une parole vraie. Le divin Odysseus vint autrefois
ici, envoyé pour toi, avec Ménélaos cher à Arès, et je les reçus dans mes
demeures, et j’ai appris à connaître leur aspect et leur sagesse. Quand ils
venaient à l’agora des Troiens, debout, Ménélaos surpassait Odysseus des
épaules, mais, assis, le plus majestueux était Odysseus. Et quand ils

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haranguaient devant tous, certes, Ménélaos, bien que le plus jeune, parlait
avec force et concision, en peu de mots, mais avec une clarté précise et
allant droit au but. Et quand le sub l Odysseus se levait, il se tenait
immobile, les yeux baissés, n’agitant le sceptre ni en avant ni en arrière,
comme un agorète inexpérimenté. On eût dit qu’il était plein d’une sombre
colère et tel qu’un insensé. Mais quand il exhalait de sa poitrine sa voix
sonore, ses paroles pleuvaient, semblables aux neiges de l’hiver. En ce
moment, nul n’aurait osé lu er contre lui ; mais, au premier aspect, nous
ne l’admirions pas autant.
Ayant vu Aias, une troisième fois le vieillard interrogea Hélénè : ― Qui
est cet autre guerrier Akhaien, grand et athlé que, qui surpasse tous les
Argiens de la tête et des épaules ?
Et Hélénè au long péplos, la divine femme, lui répondit :
― Celui-ci est le grand Aias, le bouclier des Akhaiens. Et voici, parmi les
Krètois, Idoméneus tel qu’un Dieu, et les princes Krètois l’environnent.
Souvent, Ménélaos cher à Arès le reçut dans nos demeures, quand il venait
de la Krètè. Et voici tous les autres Akhaiens aux yeux noirs, et je les
reconnais, et je pourrais dire leurs noms. Mais je ne vois point les deux
princes des peuples, Kastôr dompteur de chevaux et Polydeukès invincible
au pugilat, mes propres frères, car une même mère nous a enfantés.
N’auraient-ils point qui é l’heureuse Lakédaimôn, ou, s’ils sont venus sur
leurs nefs rapides, ne veulent-ils point se montrer au milieu des hommes, à
cause de ma honte et de mon opprobre ?
Elle parla ainsi, mais déjà la terre féconde les renfermait, à Lakédaimôn,
dans la chère patrie.
Et les hérauts, à travers la ville, portaient les gages sincères des Dieux,
deux agneaux, et, dans une outre de peau de chèvre, le vin joyeux, fruit de
la terre. Et le héraut Idaios portait un kratère é ncelant et des coupes
d’or ; et, s’approchant, il excita le vieillard par ces paroles :
― Lève-toi, Laomédon ade ! Les princes des Troiens dompteurs de
chevaux et des Akhaiens revêtus d’airain t’invitent à descendre dans la
plaine, afin que vous échangiez des serments inviolables. Et Alexandros et
Ménélaos cher à Arès comba ront pour Hélénè avec leurs longues piques,
et ses richesses appar endront au vainqueur. Et tous, ayant fait alliance et
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échangé des serments inviolables, nous, Troiens, habiterons la féconde


Troiè, et les Akhaiens retourneront dans Argos nourrice de chevaux et dans
l’Akhaiè aux belles femmes.
Il parla ainsi, et le vieillard frémit, et il ordonna à ses compagnons
d’a eler les chevaux, et ils obéirent promptement. Et Priamos monta,
tenant les rênes, et, auprès de lui, Antènôr entra dans le beau char ; et, par
les portes Skaies, tous deux poussèrent les chevaux agiles dans la plaine.
Et quand ils furent arrivés au milieu des Troiens et des Akhaiens, ils
descendirent du char sur la terre nourricière et se placèrent au milieu des
Troiens et des Akhaiens.
Et, aussitôt, le roi des hommes, Agamemnôn, se leva, ainsi que le sub l
Odysseus. Puis, les hérauts vénérables réunirent les gages sincères des
Dieux, mêlant le vin dans le kratère et versant de l’eau sur les mains des
Rois. Et l’Atréide Againemnôn, rant le couteau toujours suspendu à côté
de la grande gaîne de l’épée, coupa du poil sur la tête des agneaux, et les
hérauts le distribuèrent aux princes des Troiens et des Akhaiens. Et, au
milieu d’eux, l’Atréide pria, à haute voix, les mains étendues :
― Père Zeus, qui commandes du haut de l’Ida, très-glorieux, très-grand !
Hélios, qui vois et entends tout ! Fleuves et Gaia ! Et vous qui, sous la
terre, châ ez les parjures, soyez tous témoins, scellez nos serments
inviolables. Si Alexandros tue Ménélaos, qu’il garde Hélénè et toutes ses
richesses, et nous retournerons sur nos nefs rapides ; mais si le blond
Ménélaos tue Alexandros, que les Troiens rendent Hélénè et toutes ses
richesses, et qu’ils payent aux Argiens, comme il est juste, un tribut dont se
souviendront les hommes futurs. Mais si, Alexandros mort, Priamos et les
fils de Priamos refusaient de payer ce tribut, je resterai et comba rai pour
ceci, jusqu’à ce que je termine la guerre.
Il parla ainsi, et, de l’airain cruel, il trancha la gorge des agneaux et il les
jeta palpitants sur la terre et rendant l’âme, car l’airain leur avait enlevé la
vie. Et tous, puisant le vin du kratère avec des coupes, ils le répandirent et
prièrent les Dieux qui vivent toujours. Et les Troiens et les Akhaiens
disaient :
― Zeus, très-glorieux, très-grand, et vous, Dieux immortels ! que la
cervelle de celui qui violera le premier ce serment, et la cervelle de ses fils,
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soient répandues sur la terre comme ce vin, et que leurs femmes soient
outragées par autrui !
Mais le Kroniôn ne les exauça point. Et le Dardanide Priamos parla et
leur dit :
― Ecoutez-moi, Troiens et Akhaiens aux belles knèmides. Je retourne
vers la hauteur d’Ilios, car je ne saurais voir de mes yeux mon fils bien-aimé
lu er contre Ménélaos cher à Arès. Zeus et les Dieux immortels savent
seuls auquel des deux est réservée la mort.
Ayant ainsi parlé, le divin vieillard plaça les agneaux dans le char, y
monta, et saisit les rênes. Et Antènôr, auprès de lui, entra dans le beau
char, et ils retournèrent vers Ilios.
Et le Priamide Hektôr et le divin Odysseus mesurèrent l’arène d’abord,
et remuèrent les sorts dans un casque, pour savoir qui lancerait le premier
la pique d’airain. Et les peuples priaient et levaient les mains vers les
Dieux, et les Troiens et les Akhaiens disaient :
― Père Zeus, qui commandes au haut de l’Ida, très-glorieux, très-grand !
que celui qui nous a causé tant de maux descende chez Aidès, et puissions-
nous sceller une alliance et des traités inviolables !
Ils parlèrent ainsi, et le grand Hektôr au casque mouvant agita les sorts
en détournant les yeux, et celui de Pâris sor t le premier. Et tous s’assirent
en rangs, chacun auprès de ses chevaux agiles et de ses armes éclatantes.
Et le divin Alexandros, l’époux de Hélénè aux beaux cheveux, couvrit ses
épaules de ses belles armes. Et il mit autour de ses jambes ses belles
knèmides aux agrafes d’argent, et, sur sa poitrine, la cuirasse de son frère
Lykaôn, faite à sa taille ; et il suspendit à ses épaules l’épée d’airain aux
clous d’argent. Puis il prit le bouclier vaste et lourd, et il mit sur sa tête
guerrière un riche casque orné de crins, et ce panache s’agitait fièrement ;
et il saisit une forte pique faite pour ses mains. Et le brave Ménélaos se
couvrit aussi de ses armes.
Tous deux, s’étant armés, avancèrent au milieu des Troiens et des
Akhaiens, se jetant de sombres regards ; et les Troiens dompteurs de
chevaux et les Akhaiens aux belles knèrnides les regardaient avec terreur.
Ils s’arrêtèrent en face l’un de l’autre, agitant les piques et pleins de fureur.

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Et Alexandros lança le premier sa longue pique et frappa le bouclier poli


de l’Atréide, mais il ne perça point l’airain, et la pointe se ploya sur le dur
bouclier. Et Ménélaos, levant sa pique, supplia le Père Zeus :
― Père Zeus ! fais que je punisse le divin Alexandros, qui le premier m’a
outragé, et fais qu’il tombe sous mes mains, afin que, parmi les hommes
futurs, chacun tremble d’outrager l’hôte qui l’aura reçu avec bienveillance !
Ayant parlé ainsi, il brandit sa longue pique, et, la lançant, il en frappa
le bouclier poli du Priaimide. Et la forte pique, à travers le bouclier
éclatant, perça la riche cuirasse et déchira la tunique auprès du flanc. Et
Alexandros, se courbant, évita la noire Kèr. Et l’Atréide, ayant ré l’épée
aux clous d’argent, en frappa le cône du casque ; mais l’épée, rompue en
trois ou quatre morceaux, tomba de sa main, et l’Atréide gémit en
regardant le vaste Ouranos :
― Père Zeus ! nul d’entre les Dieux n’est plus inexorable que toi !
Certes, j’espérais me venger de l’outrage d’Alexandros ; et l’épée s’est
rompue dans ma main, et la pique a été vainement lancée, et je ne l’ai
point frappé !
Il parla ainsi, et, d’un bond, il le saisit par les crins du casque, et il le
traîna vers les Akhaiens aux belles knèmides. Et le cuir habilement orné,
qui liait le casque sous le menton, étouffait le cou délicat d’Alexandros ; et
l’Atréide l’eût traîné et eût remporté une grande gloire, si la fille de Zeus,
Aphroditè, ayant vu cela, n’eût rompu le cuir de boeuf ; et le casque vide
suivit la main musculeuse de Ménélaos. Et celui-ci le fit tournoyer et le jeta
au milieu des Akhaiens aux belles knèmides, et ses chers compagnons
l’emportèrent. Puis, il se rua de nouveau désirant tuer le Priamide de sa
pique d’airain ; mais Aphroditè, étant Déesse, enleva très-facilement
Alexandros en l’enveloppant d’une nuée épaisse, et elle le déposa dans sa
chambre nup ale, sur son lit parfumé. Et elle sor t pour appeler Hélénè,
queue trouva sur la haute tour, au milieu de la foule des Troiennes. Et la
divine Aphroditè, s’étant faite semblable à une vieille femme habile à tisser
la laine, et qui la ssait pour Hélénè dans la populeuse Lakédaimôn, et qui
aimait Hélénè, saisit celle-ci par sa robe nektaréenne et lui dit :
― Viens ! Alexandros t’invite à revenir. Il est couché, plein de beauté et
richement vêtu, sur son lit habilement travaillé. Tu ne dirais point qu’il

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vient de lu er contre un homme, mais tu croirais qu’il va aux danses, ou


qu’il repose au retour des danses.
Elle parla ainsi, et elle troubla le cœur de Hélénè mais dès que celle-ci
eut vu le beau cou de la Déesse, et son sein d’où naissent les désirs, et ses
yeux éclatants, elle fut saisie de terreur, et, la nommant de son nom, elle
lui dit :
― Ô mauvaise ! Pourquoi veux-tu me tromper encore ? Me conduiras-tu
dans quelque autre ville populeuse de la Phrygiè ou de l’heureuse Maioniè,
si un homme qui t’est cher y habite ? Est-ce parce que Ménélaos, ayant
vaincu le divin Alexandros, veut m’emmener dans ses demeures, moi qui
me suis odieuse, que tu viens de nouveau me tendre des pièges ? Va
plutôt ! abandonne la demeure des Dieux, ne retourne plus dans
l’Olympos, et reste auprès de lui, toujours inquiète ; et prends-le sous ta
garde, jusqu’à ce qu’il fasse de toi sa femme ou son esclave ! Pour moi, je
n’irai plus orner son lit, car ce serait trop de honte, et toutes les Troiennes
me blâmeraient, et j’ai trop d’amers chagrins dans le cœur.
Et la divine Aphroditè, pleine de colère, lui dit :
― Malheureuse ! crains de m’irriter, de peur que je t’abandonne dans
ma colère, et que je te haïsse autant que je t’ai aimée, et que, jetant des
haines inexorables entre les Troiens et les Akhaiens, je te fasse périr d’une
mort violente !
Elle parla ainsi, et Hélénè, fille de Zeus, fut saisie de terreur, et, couverte
de sa robe éclatante de blancheur, elle marcha en silence, s’éloignant des
Troiennes, sur les pas de la Déesse.
Et quand elles furent parvenues à la belle demeure d’Alexandros, toutes
les servantes se mirent à leur tâche, et la divine femme monta dans la
haute chambre nup ale. Aphroditè qui aime les sourires avança un siége
pour elle auprès d’Alexandros, et Hélénè, fille de Zeus tempêtueux, s’y assit
en détournant les yeux ; mais elle adressa ces reproches à son époux :
― Te voici revenu du combat. Que n’y restais-tu, mort et dompté par
l’homme brave qui fut mon premier mari ! Ne te vantais-tu pas de
l’emporter sur Ménélaos cher à Arès, par ton courage, par ta force et par ta
lance ? Va ! défie encore Ménélaos cher à Arès, et combats de nouveau

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contre lui ; mais non, je te conseille plutôt de ne plus lu er contre le blond


Ménélaos, de peur qu’il te dompte aussitôt de sa lance !
Et Pâris, lui répondant, parla ainsi :
― Femme ! ne blesse pas mon cœur par d’amères paroles. Il est vrai,
Ménélaos m’a vaincu à l’aide d’Athènè, mais je le vaincrai plus tard, car
nous avons aussi des Dieux qui nous sont amis. Viens ! couchons-nous et
aimons-nous ! Jamais le désir ne m’a brûlé ainsi, même lorsque, naviguant
sur mes nefs rapides, après t’avoir enlevée de l’heureuse Lakédaimôn, je
m’unis d’amour avec toi dans l’île de Kranaè, tant je t’aime maintenant et
suis saisi de désirs !
Il parla ainsi et marcha vers son lit, et l’épouse le suivit, et ils se
couchèrent dans le lit bien construit.
Cependant l’Atréide courait comme une bête féroce au travers de la
foule, cherchant le divin Alexandros. Et nul des Troiens ni des illustres
Alliés ne put montrer Alexandros à Ménélaos cher à Arès. Et certes, s’ils
l’avaient vu, ils ne l’auraient point caché, car ils le haïssaient tous comme
la noire Kèr. Et le roi des hommes, Agamemnôn, leur parla ainsi :
― Écoutez-moi, Troiens, Dardaniens et Alliés. La victoire, certes, est à
Ménélaos cher à Arès. Rendez-nous donc l’Argienne Hélénè et ses
richesses, et payez, comme il est juste, un tribut dont se souviendront les
hommes futurs.
L’Atréide parla ainsi, et tous les Akhaiens applaudirent.

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Chant 4
Les Dieux, assis auprès de Zeus, étaient réunis sur le pavé d’or, et la
vénérable Hèbè versait le nektar, et tous, buvant les coupes d’or,
regardaient la ville des Troiens. Et le Kronide voulut irriter Hèrè par des
paroles mordantes, et il dit :
— Deux Déesses défendent Ménélaos, Hèrè l’Argienne et la Protectrice
Athènè ; mais elles restent assises et ne font que regarder, tandis
qu’Aphroditè qui aime les sourires ne qui e jamais Alexandros et écarte
de lui les Kères. Et voici qu’elle l’a sauvé comme il allait périr. Mais la
victoire est à Ménélaos cher à Arès. Songeons donc à ceci. Faut-il exciter de
nouveau la guerre mauvaise et le rude combat, ou sceller l’alliance entre
les deux peuples ? S’il plaît à tous les Dieux, la ville du roi Priamos restera
debout, et Ménélaos emmènera l’Argienne Hélénè.
Il parla ainsi, et les Déesses Athènè et Hèrè se mordirent les lèvres, et,
assises à côté l’une de l’autre, elles méditaient la destruc on des Troiens.
Et Athènè restait mue e, irritée contre son père Zeus, et une sauvage
colère la brûlait ; mais Hèrè ne put contenir la sienne et dit :
Très-dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? Veux-tu rendre vaines toutes
mes fa gues et la sueur que j’ai suée ? J’ai lassé mes chevaux en
rassemblant les peuples contre Priamos et contre ses enfants. Fais donc,
mais les Dieux ne t’approuveront pas.
Et Zeus qui amasse les nuées, très-irrité, lui dit
— Malheureuse ! Quels maux si grands Priamos et les enfants de
Priamos t’ont-ils causés, que tu veuilles sans relâche détruire la forte
citadelle d’Ilios ? Si, dans ses larges murailles, tu pouvais dévorer Priamos
et les enfants de Priamos et les autres Troiens, peut-être ta haine serait
elle assouvie. Fais selon ta volonté, et que cette dissension cesse désormais
entre nous. Mais je te dirai ceci, et garde mes paroles dans ton esprit : Si
jamais je veux aussi détruire une ville habitée par des hommes qui te sont
amis, ne t’oppose point à ma colère et laisse-moi agir, car c’est à contre-
cœur que je te livre celle-ci. De toutes les villes habitées par les hommes
terrestres, sous Hélios et sous l’Ouranos étoilé, aucune ne m’est plus chère
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que la ville sacrée d’Ilios, où sont Priamos et le peuple de Priamos qui ent
la lance. Là, mon autel n’a jamais manqué de nourriture, de liba ons, et de
graisse ; car nous avons cet honneur en partage.
Et la vénérable Hèrè aux yeux de bœuf lui répondit :
— Certes, j’ai trois villes qui me sont très-chères, Argos, Spartè et
Mykènè aux larges rues. Détruis-les quand tu les haïras, et je ne les
défendrai point ; mais je m’opposerais en vain à ta volonté, puisque tu es
infiniment plus puissant. Il ne faut pas que tu rendes mes fa gues vaines.
Je suis Déesse aussi, et ma race est la enne. Le sub l Kronos m’a
engendrée, et je suis deux fois vénérable, par mon origine et parce que je
suis ton épouse, à toi qui commandes à tous les Immortels. Cédons-nous
donc tour à tour, et les Dieux Immortels nous obéiront. Ordonne
qu’Athènè se mêle au rude combat des Troiens et des Akhaiens. Qu’elle
pousse les Troiens à outrager, les premiers, les fiers Akhaiens, malgré
l’alliance jurée.
Elle parla ainsi, et le Père des hommes et des Dieux le voulut, et il dit à
Athènè ces paroles ailées :
— Va très-promptement au milieu des Troiens et des Akhaiens, et
pousse les Troiens à outrager, les premiers, les fiers Akhaiens, malgré
l’alliance jurée.
Ayant ainsi parlé, il excita Athènè déjà pleine de ce désir, et elle se
précipita des sommets de l’Olympos. Comme un signe lumineux que le fils
du sub l Kronos envoie aux marins et aux peuples nombreux, et d’où
jaillissent mille é ncelles, Pallas Athènè s’élança sur la terre et tomba au
milieu des deux armées. Et sa vue emplit de frayeur les Troiens dompteurs
de chevaux et les Akhaiens aux belles knèmides. Et ils se disaient entre eux
— Certes, la guerre mauvaise et le rude combat vont recommencer, ou
Zeus va sceller l’alliance entre les deux peuples, car il règle la guerre parmi
les hommes.
Ils parlaient ainsi, et Athènè se mêla aux Troiens, semblable au brave
Laodokos Anténoride, et cherchant Pandaros égal aux Dieux. Et elle trouva
debout le brave et irréprochable fils de Lykaôn, et, autour de lui, la foule
des hardis porte-boucliers qui l’avaient suivi des bords de l’Aisèpos. Et,

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s’étant approchée, Athènè lui dit en paroles ailées :


— Te laisseras-tu persuader par moi, brave fils de Lykaôn, et oserais-tu
lancer une flèche rapide à Ménélaos ? Certes, tu serais comblé de gloire et
de gra tude par tous les Troiens et surtout par le roi Alexandros. Et il te
ferait de riches présents, s’il voyait le brave Ménélaos, fils d’Atreus,
dompté par ta flèche et montant sur le bûcher funéraire. Courage ! Tire
contre le noble Ménélaos, et promets une belle hécatombe à l’illustre
Archer Apollôn Lykien, quand tu seras de retour dans la citadelle de Zéléiè
la sainte.
Athènè parla ainsi, et elle persuada l’insensé. Et il ra de l’étui un arc
luisant, dépouille d’une chèvre sauvage et bondissante qu’il avait percée à
la poitrine, comme elle sortait d’un creux de rocher. Et elle était tombée
morte sur la pierre. Et ses cornes étaient hautes de seize palmes. Un
excellent ouvrier les travailla, les polit et les dora à chaque extrémité. Et
Pandaros, ayant bandé cet arc, le posa à terre, et ses braves compagnons le
couvrirent de leurs boucliers, de peur que les fils des courageux Akhaiens
vinssent à se ruer avant que le brave Ménélaos, chef des Akhaiens, ne fût
frappé.
Et Pandaros ouvrit le carquois et en ra une flèche neuve, ailée, source
d’amères douleurs. Et il promit à l’illustre Archer Apollôn Lykien une belle
hécatombe d’agneaux premiers-nés, quand il serait de retour dans la
citadelle de Zéléiè la sainte.
Et il saisit à la fois la flèche et le nerf de bœuf, et, les ayant a rés, le
nerf toucha sa mamelle, et la pointe d’airain toucha l’arc, et le nerf vibra
avec force, et la flèche aiguë s’élança, désirant voler au travers de la foule.
Mais les Dieux heureux ne t’oublièrent point, Ménélaos ! Et la terrible
fille de Zeus se nt la première devant toi pour détourner la flèche amère.
Elle la détourna comme une mère chasse une mouche loin de son enfant
enveloppé par le doux sommeil. Et elle la dirigea là où les anneaux d’or du
baudrier forment comme une seconde cuirasse. Et la flèche amère tomba
sur le solide baudrier, et elle le perça ainsi que la cuirasse ar stement
ornée et la mitre qui, par-dessous, garan ssait la peau des traits. Et la
flèche la perça aussi, et elle effleura la peau du héros, et un sang noir jaillit
de la blessure.

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Comme une femme Maionienne ou Karienne teint de pourpre l’ivoire


des né à orner le mors des chevaux, et qu’elle garde dans sa demeure, et
que tous les cavaliers désirent, car il est l’ornement d’un roi, la parure du
cheval et l’orgueil du cavalier, ainsi, Ménélaos, le sang rougit tes belles
cuisses et tes jambes jusqu’aux chevilles. Et le roi des hommes,
Agamemnôn, frémit de voir ce sang noir couler de la blessure ; et Ménélaos
cher à Arès frémit aussi. Mais quand il vit que le fer de la flèche avait à
peine pénétré, son cœur se raffermit ; et, au milieu de ses compagnons qui
se lamentaient, Agamemnôn qui commande au loin, prenant la main de
Ménélaos, lui dit en gémissant :
— Cher frère, c’était ta mort que je décidais par ce traité, en t’envoyant
seul comba re les Troiens pour tous les Akhaiens, puisqu’ils t’ont frappé
et ont foulé aux pieds des serments inviolables. Mais ces serments ne
seront point vains, ni le sang des agneaux, ni les liba ons sacrées, ni le
gage de nos mains unies. Si l’Olympien ne les frappe point maintenant, il
les punira plus tard ; et ils expieront par des calamités terribles ce e
trahison qui retombera sur leurs têtes, sur leurs femmes et sur leurs
enfants. Car je le sais, dans mon esprit, un jour viendra où la sainte Ilios
périra, et Priamos, et le peuple de Priamos habile à manier la lance. Zeus
Kronide qui habite l’Aithèr agitera d’en haut sur eux sa terrible Aigide,
indigné de ce e trahison qui sera châ ée. Ô Ménélaos, ce serait une amère
douleur pour moi si, accomplissant tes des nées, tu mourais. Couvert
d’opprobre je retournerais dans Argos, car les Akhaiens voudraient aussitôt
rentrer dans la terre natale, et nous abandonnerions l’Argienne Hélénè
comme un triomphe à Priamos et aux Troiens. Et les orgueilleux Troiens
diraient, foulant la tombe de l’illustre Ménélaos :
— Plaise aux Dieux qu’Agamemnôn assouvisse toujours ainsi sa colère !
Il a conduit ici l’armée inu le des Akhaiens, et voici qu’il est retourné dans
son pays bien-aimé, abandonnant le brave Ménélaos ! Ils parleront ainsi
un jour ; mais, alors, que la profonde terre m’engloutisse !
Et le blond Ménélaos, le rassurant, parla ainsi :
— Reprends courage, et n’effraye point le peuple des Akhaiens. Le trait
aigu ne m’a point blessé à mort, et le baudrier m’a préservé, ainsi que la
cuirasse, le tablier et la mitre que de bons armuriers ont forgée.

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Et Agamemnôn qui commande au loin, lui répondant, parla ainsi :


— Plaise aux Dieux que cela soit, ô cher Ménélaos ! Mais un médecin
soignera ta blessure et mettra le remède qui apaise les noires douleurs.
Il parla ainsi, et appela le héraut divin Talthybios :
— Talthybios, appelle le plus promptement possible l’irréprochable
médecin Makhaôn Asklépiade, afin qu’il voie le brave Ménélaos, prince des
Akhaiens, qu’un habile archer Troien ou Lykien a frappé d’une flèche. Il
triomphe, et nous sommes dans le deuil.
Il parla ainsi, et le héraut lui obéit. Et il chercha, parmi le peuple des
Akhaiens aux tuniques d’airain, le héros Makhaôn, qu’il trouva debout au
milieu de la foule belliqueuse des porte-boucliers qui l’avaient suivi de
Trikkè, nourrice de chevaux. Et, s’approchant, il dit ces paroles ailées :
Lève-toi, Asklépiade ! Agamemnôn, qui commande au loin, t’appelle,
afin que tu voies le brave Ménélaos, fils d’Atreus, qu’un habile archer
Troien ou Lykien a frappé d’une flèche. Il triomphe, et nous sommes dans
le deuil.
Il parla ainsi, et le cœur de Makhaôn fut ému dans sa poitrine. Et ils
marchèrent à travers l’armée immense des Akhaiens ; et quand ils furent
arrivés à l’endroit où le blond Ménélaos avait été blessé et était assis, égal
aux Dieux, en un cercle formé par les princes, aussitôt Makhaôn arracha le
trait du solide baudrier, en ployant les crochets aigus ; et il détacha le riche
baudrier, et le tablier et la mitre que de bons armuriers avaient forgée. Et,
après avoir examiné la plaie faite par la flèche amère, et sucé le sang, il y
versa adroitement un doux baume que Khirôn avait autrefois donné à son
père qu’il aimait.
Et tandis qu’ils s’empressaient autour de Ménélaos hardi au combat,
l’armée des Troiens, porteurs de boucliers, s’avançait, et les Akhaiens se
couvrirent de nouveau de leurs armes, désirant combattre.
Et le divin Agamemnôn n’hésita ni se ralen t, mais il se prépara en hâte
pour la glorieuse bataille. Et il laissa ses chevaux et son char orné d’airain ;
et le serviteur Eurymédôn, fils de Ptolémaios Peiraide, les re nt à l’écart, et
l’Atréide lui ordonna de ne point s’éloigner, afin qu’il pût monter dans le
char, si la fa gue l’accablait pendant qu’il donnait partout ses ordres. Et il
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marcha à travers la foule des hommes. Et il encourageait encore ceux des


Danaens aux rapides chevaux, qu’il voyait pleins d’ardeur :
— Argiens ! ne perdez rien de ce e ardeur impétueuse, car le Père Zeus
ne protégera point le parjure. Ceux qui, les premiers, ont violé nos traités,
les vautours mangeront leur chair ; et, quand nous aurons pris leur ville,
nous emmènerons sur nos nefs leurs femmes bien-aimées et leurs pe ts
enfants.
Et ceux qu’il voyait lents au rude combat, il leur disait ces paroles
irritées :
— Argiens promis à la pique ennemie ! lâches, n’avez-vous point de
honte ? Pourquoi restez-vous glacés de peur, comme des biches qui, après
avoir couru à travers la vaste plaine, s’arrêtent épuisées et n’ayant plus de
force au cœur ? C’est ainsi que, glacés de peur, vous vous arrêtez et ne
comba ez point. A endez-vous que les Troiens pénètrent jusqu’aux nefs
aux belles poupes, sur le rivage de la blanche mer, et que le Kroniôn vous
aide ?
C’est ainsi qu’il donnait ses ordres en parcourant la foule des hommes.
Et il parvint là où les Krètois s’armaient autour du brave Idoméneus. Et
Idoméneus, pareil à un fort sanglier, était au premier rang ; et Mèrionès
hâtait les dernières phalanges. Et le roi des hommes, Agamemnôn, ayant
vu cela, s’en réjouit et dit à Idoméneus ces paroles flatteuses :
— Idoméneus, certes, je t’honore au-dessus de tous les Danaens aux
rapides chevaux, soit dans le combat, soit dans les repas, quand les princes
des Akhaiens mêlent le vin vieux dans les kratères. Et si les autres Akhaiens
chevelus boivent avec mesure, ta coupe est toujours aussi pleine que la
mienne, et tu bois selon ton désir. Cours donc au combat, et sois tel que tu
as toujours été.
Et le prince des Krètois, Idoméneus, lui répondit :
— Atréide, je te serai toujours fidèle comme je te l’ai promis. Va !
encourage les autres Akhaiens chevelus, afin que nous comba ons
promptement, puisque les Troiens ont violé nos traités. La mort et les
calamités les accableront, puisque, les premiers, ils se sont parjurés.
Il parla ainsi, et l’Atréide s’éloigna, plein de joie. Et il alla vers les Aias, à
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travers la foule des hommes. Et les Aias s’étaient armés, suivis d’un nuage
de guerriers. Comme une nuée qu’un chevrier a vue d’une hauteur,
s’élargissant sur la mer, sous le souffle de Zéphyros, et qui, par tourbillons
épais, lui apparaît de loin plus noire que la poix, de sorte qu’il s’inquiète et
pousse ses chèvres dans une caverne ; de même les noires phalanges
hérissées de boucliers et de piques des jeunes hommes nourrissons de
Zeus se mouvaient derrière les Aias pour le rude combat. Et Agamemnôn
qui commande au loin, les ayant vus, se réjouit et dit ces paroles ailées :
— Aias ! Princes des Argiens aux tuniques d’airain, il ne serait point
juste de vous ordonner d’exciter vos hommes, car vous les pressez de
comba re bravement. Père Zeus ! Athènè ! Apollôn ! que votre courage
emplisse tous les cœurs Bientôt la ville du Roi Priamos, s’il en était ainsi,
serait renversée, détruite et saccagée par nos mains
Ayant ainsi parlé, il les laissa et marcha vers d’autres. Et il trouva
Nestôr, l’harmonieux agorète des Pyliens, qui animait et rangeait en
bataille ses compagnons autour du grand Pélagôn, d’Alastôr, de Khromios,
de Haimôn et de Bias, prince des peuples. Et il rangeait en avant les
cavaliers, les chevaux et les chars, et en arrière les fantassins braves et
nombreux, pour être le rempart de la guerre, et les lâches au milieu, afin
que chacun d’eux comba t forcément. Et il enseignait les cavaliers, leur
ordonnant de contenir les chevaux et de ne point courir au hasard dans la
mêlée :
— Que nul ne s’élance en avant des autres pour comba re les Troiens,
et que nul ne recule, car vous serez sans force. Que le guerrier qui
abandonnera son char pour un autre comba e plutôt de la pique, car ce
sera pour le mieux, et c’est ainsi que les hommes anciens, qui ont eu ce
courage et cette prudence, ont renversé les villes et les murailles.
Et le vieillard les exhortait ainsi, étant habile dans la guerre depuis
longtemps. Et Agamemnôn qui commande au loin, l’ayant vu, se réjouit et
lui dit ces paroles ailées :
— Ô vieillard ! plût aux Dieux que tes genoux eussent autant de vigueur,
que tu eusses autant de force que ton cœur a de courage ! Mais la
vieillesse, qui est la même pour tous, t’accable. Plût aux Dieux qu’elle
accablât plutôt tout autre guerrier, et que tu fusses des plus jeunes !

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Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :


— Certes, Atréide, je voudrais être encore ce que j’étais quand je tuai le
divin Éreuthaliôn. Mais les Dieux ne prodiguent point tous leurs dons aux
hommes. Alors, j’étais jeune, et voici que la vieillesse s’est emparée de moi.
Mais tel que je suis, je me mêlerai aux cavaliers et je les exciterai par mes
conseils et par mes paroles, car c’est la part des vieillards.
Il parla ainsi, et l’Atréide, joyeux, alla plus loin. Et il trouva le cavalier
Ménèstheus immobile, et autour de lui les Athènaiens belliqueux, et,
auprès, le sub l Odysseus, et autour de ce dernier la foule hardie des
Képhallèniens. Et ils n’avaient point entendu le cri de guerre, car les
phalanges des Troiens dompteurs de chevaux et des Akhaiens
commençaient de s’ébranler. Et ils se tenaient immobiles, a endant que
d’autres phalanges Akhaiennes, s’élançant contre les Troiens,
commençassent le combat. Et Agamemnôn, les ayant vus, les injuria et leur
dit ces paroles ailées :
— Ô fils de Pétéos, d’un roi issu de Zeus, et toi, qui es toujours plein de
ruses sub les, pourquoi, saisis de terreur, a endez-vous que d’autres
comba ent ? Il vous appartenait de courir en avant dans le combat
furieux, ainsi que vous assistez les premiers à mes fes ns, où se réunissent
les plus vénérables des Akhaiens. Là, sans doute, il vous est doux de
manger des viandes rô es et de boire des coupes de bon vin autant qu’il
vous plaît. Et voici que, maintenant, vous verriez avec joie dix phalanges
des Akhaiens combattre avant vous, armées de l’airain meurtrier !
Et le subtil Odysseus, avec un sombre regard, lui répondit :
— Atréide, quelle parole s’est échappée de ta bouche ? Comment oses-
tu dire que nous hésitons devant le combat ? Lorsque nous pousserons le
rude Arès contre les Troiens dompteurs de chevaux, tu verras, si tu le veux,
et si cela te plaît le père bien-aimé de Tèlémakhos au milieu des Troiens
dompteurs de chevaux. Mais tu as dit une parole vaine.
Et Agamemnôn qui commande au loin, le voyant irrité, sourit, et, se
rétractant, lui répondit :
— Sub l Odysseus, divin Laer ade, je ne veux t’adresser ni injures ni
reproches. Je sais que ton cœur, dans ta poitrine, est plein de desseins

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excellents, car tes pensées sont les miennes. Nous réparerons ceci, si j’ai
mal parlé. Va donc, et que les Dieux rendent mes paroles vaines !
Ayant ainsi parlé, il les laissa et alla vers d’autres. Et il trouva Diomèdès,
l’orgueilleux fils de Tydeus, immobile au milieu de ses chevaux et de ses
chars solides. Et Sthénélos, fils de Kapaneus, était auprès de lui. Et
Agamemnôn qui commande au loin, les ayant vus, l’injuria et lui dit ces
paroles ailées :
— Ah ! fils du brave Tydeus dompteur de chevaux, pourquoi trembles-
tu et regardes-tu entre les rangs ? Certes, Tydeus n’avait point coutume de
trembler, mais il comba ait hardiment l’ennemi, et hors des rangs, en
avant de ses compagnons. Je ne l’ai point vu dans la guerre, mais on dit
qu’il était au-dessus de tous. Il vint à Mykènè avec Polyneikès égal aux
Dieux, pour rassembler les peuples et faire une expédi on contre les
saintes murailles de Thèbè. Et ils nous conjuraient de leur donner de
courageux alliés, et tous y consentaient, mais les signes contraires de Zeus
nous en empêchèrent. Et ils par rent, et quand ils furent arrivés auprès de
l’Asopos plein de joncs et d’herbes, Tydeus fut l’envoyé des Akhaiens. Et il
par t, et il trouva les Kadméiônes, en grand nombre, mangeant dans la
demeure de la Force Étéokléenne. Et là, le cavalier Tydeus ne fut point
effrayé, bien qu’étranger et seul au milieu des nombreux Kadméiônes. Et il
les provoqua aux lu es et les vainquit aisément, car Athènè le protégeait.
Mais les cavaliers Kadméiônes, pleins de colère, lui dressèrent, à son
départ, une embuscade de nombreux guerriers commandés par Maiôn
Haimonide, tel que les Immortels, et par Lyképhontès, hardi guerrier, fils
d’Autophonos. Et Tydeus les tua tous et n’en laissa revenir qu’un seul.
Obéissant aux signes des Dieux, il laissa revenir Maiôn. Tel était Tydeus
l’Aitôlien ; mais il a engendré un fils qui ne le vaut point dans le combat,
s’il parle mieux dans l’Agora.
Il parla ainsi, et le brave Diomèdès ne répondit rien, plein de respect
pour le roi vénérable. Mais le fils de l’illustre Kapaneus répondit à
l’Atréide :
— Atréide, ne mens point, sachant que tu mens. Certes nous nous
glorifions de valoir beaucoup mieux que nos pères, nous qui, confiants
dans les signes des Dieux, et avec l’aide de Zeus, avons pris Thèbè aux sept
portes, ayant conduit sous ses fortes murailles des peuples moins
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nombreux. Nos pères ont péri par leurs propres fautes. Ne compare donc
point leur gloire à la nôtre.
Et le robuste Diomèdès, avec un sombre regard, lui répondit :
— Ami, tais-toi et obéis. Je ne m’irrite point de ce que le prince des
peuples, Agamemnôn, excite les Akhaiens aux belles knèmides à
comba re ; car si les Akhaiens détruisent les Troiens et prennent la sainte
Ilios, il en aura la gloire ; mais si les Akhaiens sont détruits, il en portera le
deuil. Occupons-nous tous deux de la guerre impétueuse.
Il parla ainsi, et sauta de son char à terre avec ses armes, et l’airain
reten t terriblement sur la poitrine du Roi, et ce bruit aurait troublé le
cœur du plus brave.
Et comme le flot de la mer roule avec rapidité vers le rivage, poussé par
Zéphyros, et, se gonflant d’abord sur la haute mer, se brise violemment
contre terre, et se hérisse autour des promontoires en vomissant l’écume
de la mer, de même les phalanges pressées des Danaens se ruaient au
combat. Et chaque chef donnait ses ordres, et le reste marchait en silence.
On eût dit une grande mul tude mue e, pleine de respect pour ses chefs.
Et les armes brillantes resplendissaient tandis qu’ils marchaient en ordre.
Mais, tels que les nombreuses brebis d’un homme riche, et qui bêlent sans
cesse à la voix des agneaux, tandis qu’on trait leur lait blanc dans l’étable,
les Troiens poussaient des cris confus et tumultueux de tous les points de
la vaste armée. Et leurs cris étaient poussés en beaucoup de langues
diverses, par des hommes venus d’un grand nombre de pays lointains.
Et Arès excitait les uns, et Athènè aux yeux clairs excitait les autres, et
partout allaient la Crainte et la Terreur et la furieuse et insa able Éris,
sœur et compagne d’Arès tueur d’hommes, et qui, d’abord, est faible, et
qui, les pieds sur la terre, porte bientôt sa tête dans l’Ouranos. Et elle
s’avançait à travers la foule, éveillant la haine et mul pliant les
gémissements des hommes.
Et quand ils se furent rencontrés, ils mêlèrent leurs boucliers, leurs
piques et la force des hommes aux cuirasses d’airain ; et les boucliers
bombés se heurtèrent, et un vaste tumulte reten t. Et on entendait les cris
de victoire et les hurlements des hommes qui renversaient ou étaient
renversés, et le sang inondait la terre. Comme des fleuves, gonflés par
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l’hiver, tombent du haut des montagnes et mêlent leurs eaux furieuses


dans une vallée qu’ils creusent profondément, et dont un berger entend de
loin le fracas, de même le tumulte des hommes confondus roulait.
Et, le premier, An lokhos tua Ekhépôlos Thalysiade, courageux Troien,
brave entre tous ceux qui comba aient en avant. Et il le frappa au casque
couvert de crins épais, et il perça le front, et la pointe d’airain entra dans
l’os. Et le Troien tomba comme une tour dans le rude combat. Et le roi
Elphènôr Khalkodon ade, prince des magnanimes Abantes, le prit par les
pieds pour le traîner à l’abri des traits et le dépouiller de ses armes ; mais
sa tenta ve fut brève, car le magnanime Agènôr, l’ayant vu traîner le
cadavre, le perça au côté, d’une pique d’airain, sous le bouclier, tandis qu’il
se courbait, et le tua. Et, sur lui, se rua un combat furieux de Troiens et
d’Akhaiens ; et, comme des loups, ils se jetaient les uns sur les autres, et
chaque guerrier en renversait un autre.
C’est là qu’Aias Télamônien tua Simoéisios, fils d’Anthémiôn, jeune et
beau, et que sa mère, descendant de l’Ida pour visiter ses troupeaux avec
ses parents, avait enfanté sur les rives du Simoïs, et c’est pourquoi on le
nommait Simoéisios. Mais il ne rendit pas à ses parents bien-aimés le prix
de leurs soins, car sa vie fut brève, ayant été dompté par la pique du
magnanime Aias. Et celui-ci le frappa à la poitrine, près de la mamelle
droite, et la pique d’airain sor t par l’épaule. Et Simoéisios tomba dans la
poussière comme un peuplier dont l’écorce est lisse, et qui, poussant au
milieu d’un grand marais, commence à se couvrir de hauts rameaux, quand
un constructeur de chars le tranche à l’aide du fer aiguisé pour en faire la
roue d’un beau char ; et il gît, flétri, aux bords du fleuve. Et le divin Aias
dépouilla ainsi Simoéisios Anthémionide.
Et le Priamide An phos à la cuirasse éclatante, du milieu de la foule,
lança contre Aias sa pique aiguë ; mais elle le manqua et frappa à l’aine
Leukos, brave compagnon d’Odysseus, tandis qu’il traînait le cadavre, et le
cadavre lui échappa des mains. Et Odysseus, irrité de ce e mort, s’avança,
armé de l’airain éclatant, au-delà des premiers rangs, regardant autour de
lui et agitant sa pique éclatante. Et les Troiens reculèrent devant l’homme
menaçant ; mais il ne lança point sa pique en vain, car il frappa Dèmokoôn,
fils naturel de Priamos, et qui était venu d’Abydos avec ses chevaux
rapides. Et Odysseus, vengeant son compagnon, frappa Dèmokoôn à la

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tempe, et la pointe d’airain sor t par l’autre tempe, et l’obscurité couvrit


ses yeux. Et il tomba avec bruit, et ses armes reten rent. Et les Troiens les
plus avancés reculèrent, et même l’illustre Hektôr. Et les Akhaiens
poussaient de grands cris, entraînant les cadavres et se ruant en avant. Et
Apollôn s’indigna, les ayant vus du faîte de Pergamos, et d’une voix haute il
excita les Troiens :
— Troiens, dompteurs de chevaux, ne le cédez point aux Akhaiens. Leur
peau n’est ni de pierre ni de fer pour résister, quand elle en est frappée, à
l’airain qui coupe la chair. Akhilleus, le fils de Thé s à la belle chevelure, ne
combat point ; il couve, près de ses nefs, la colère qui lui ronge le cœur.
Ainsi parla le Dieu terrible du haut de la citadelle. Et Tritogénéia, la
glorieuse fille de Zeus, marchant au travers de la foule, excitait les Akhaiens
là où ils reculaient.
Et la Moire saisit Diôrès Amarynkéide, et il fut frappé à la cheville droite
d’une pierre anguleuse. Et ce fut l’Imbraside Peiros, prince des Thrakiens,
et qui était venu d’Ainos, qui le frappa. Et la pierre rude fracassa les deux
tendons et les os. Et Diôrès tomba à la renverse dans la poussière,
étendant les mains vers ses compagnons et respirant à peine. Et Peiros
accourut et enfonça sa pique près du nombril, et les intes ns se
répandirent à terre, et l’obscurité couvrit ses yeux. Et comme Peiros
s’élançait, l’Aitôlien Thoas le frappa de sa pique dans la poitrine, au-dessus
de la mamelle, et l’airain traversa le poumon. Puis il accourut, arracha de la
poitrine la pique terrible, et, rant son épée aiguë, il ouvrit le ventre de
l’homme et le tua. Mais il ne le dépouilla point de ses armes, car les
Thrakiens aux cheveux ras et aux longues lances entourèrent leur chef, et
repoussèrent Thoas, tout robuste, hardi et grand qu’il était. Et il recula loin
d’eux. Ainsi les deux chefs, l’un des Thrakiens, l’autre des Épéiens aux
tuniques d’airain, étaient couchés côte à côte dans la poussière, et les
cadavres s’amassaient autour d’eux.
Si un guerrier, sans peur du combat, et que l’airain aigu n’eût encore ni
frappé ni blessé, eût parcouru la mêlée furieuse, et que Pallas Athènè l’eût
conduit par la main, écartant de lui l’impétuosité des traits, certes, il eût
vu, en ce jour, une multitude de Troiens et d’Akhaiens renversés et couchés
confusément sur la poussière.

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Chant 5
Alors, Pallas Athènè donna la force et l'audace au Tydéide Diomèdès,
afin qu'il s'illustrât entre tous les Argiens et remportât une grande gloire. Et
elle fit jaillir de son casque et de son bouclier un feu inex nguible,
semblable à l'étoile de l'automne qui éclate et resplendit hors de
l'Okéanos. Tel ce feu jaillissait de sa tête et de ses épaules. Et elle le poussa
dans la mêlée où tous se ruaient tumultueusement.
Parmi les Troiens vivait Darès, riche et irréprochable sacrificateur de
Hèphaistos, et il avait deux fils, Phygeus et Idaios, habiles à tous les
combats. Et tous deux, sur un même char, se ruèrent contre le Tydéide, qui
était à pied. Et, lorsqu'ils se furent rapprochés, Phygeus, le premier, lança
sa longue pique, et la pointe effleura l'épaule gauche du Tydéide, mais il ne
le blessa point. Et celui-ci, à son tour, lança sa pique, et le trait ne fut point
inu le qui par t de sa main, car il s'enfonça dans la poitrine, entre les
mamelles, et jeta le guerrier à bas. Et Idaios s'enfuit, abandonnant son
beau char et n'osant défendre son frère tué. Certes, il n'eût point, pour
cela, évité la noire mort ; mais Hèphaistos, l'ayant enveloppé d'une nuée,
l'enleva, afin que la vieillesse de leur vieux père ne fût point désespérée. Et
le fils du magnanime Tydeus saisit leurs chevaux, qu'il remit à ses
compagnons pour être conduits aux nefs creuses.
Et les magnanimes Troiens, voyant les deux fils de Darès, l'un en fuite et
l'autre mort auprès de son char, furent troublés jusqu'au fond de leurs
cœurs. Mais Athènè aux yeux clairs, saisissant le furieux Arès par la main,
lui parla ainsi :
— Arès, Arès, fléau des hommes, tout sanglant, et qui renverses les
murailles, ne laisserons-nous point comba re les Troiens et les Akhaiens ?
Que le père Zeus accorde la gloire à qui il voudra. Re rons-nous et évitons
la colère de Zeus.
Ayant ainsi parlé, elle conduisit le furieux Arès hors du combat et le fit
asseoir sur la haute rive du Skamandros. Et les Danaens repoussèrent les
Troiens. Chacun des chefs tua un guerrier. Et, le premier, le roi Agamemnôn
précipita de son char le grand Odios, chef des Alizônes. Comme celui-ci

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fuyait, il lui enfonça sa pique dans le dos, entre les épaules, et elle traversa
la poitrine, et les armes d'Odios résonnèrent dans sa chute.
Et Idoméneus tua Phaistos, fils du Maiônien Bôros, qui était venu de la
fer le Tarnè, l'illustre Idoméneus le perça à l'épaule droite, de sa longue
pique, comme il montait sur son char. Et il tomba, et une ombre affreuse
l'enveloppa, et les serviteurs d'Idoméneus le dépouillèrent.
Et l'Atréide Ménélaos tua de sa pique aiguë Skamandrios habile à la
chasse, fils de Strophios. C'était un excellent chasseur qu'Artémis avait
instruit elle-même à percer les bêtes fauves, et qu'elle avait nourri dans les
bois, sur les montagnes. Mais ni son habileté à lancer les traits, ni Artémis
qui se réjouit de ses flèches, ne lui servirent. Comme il fuyait, l'illustre
Atréide Ménélaos le perça de sa pique dans le dos, entre les deux épaules,
et lui traversa la poitrine. Et il tomba sur la face, et ses armes résonnèrent.
Et Mèrionès tua Phéréklos, fils du charpen er Harmôn, qui fabriquait
adroitement toute chose de ses mains et que Pallas Athènè aimait
beaucoup. Et c'était lui qui avait construit pour Alexandros ces nefs égales
qui devaient causer tant de maux aux Troiens et à lui-même ; car il ignorait
les oracles des dieux. Et Mèrionès, poursuivant Phéréklos, le frappa à la
fesse droite, et la pointe pénétra dans l'os jusque dans la vessie. Et il
tomba en gémissant, et la mort l'enveloppa.
Et Mégès tua Pèdaios, fils illégi me d'Antènôr, mais que la divine
Théanô avait nourri avec soin au milieu de ses enfants bien-aimés, afin de
plaire à son mari. Et l'illustre Phyléide, s'approchant de lui, le frappa de sa
pique aiguë derrière la tête. Et l'airain, à travers les dents, coupa la langue,
et il tomba dans la poussière en serrant de ses dents le froid airain.
Et l'Évaimonide Eurypylos tua le divin Hypsènôr, fils du magnanime
Dolopiôn, sacrificateur du Skamandros, et que le peuple honorait comme
un dieu. Et l'illustre fils d'Évaimôn, Eurypylos, se ruant sur lui, comme il
fuyait, le frappa de l'épée à l'épaule et lui coupa le bras, qui tomba
sanglant et lourd. Et la mort pourprée et la Moire violente emplirent ses
yeux.
Tandis qu'ils comba aient ainsi dans la rude mêlée, nul n'aurait pu
reconnaître si le Tydéide était du côté des Troiens ou du côté des Akhaiens.
Il courait à travers la plaine, semblable à un fleuve furieux et débordé qui
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roule impétueusement et renverse les ponts. Ni les digues ne l'arrêtent, ni


les enclos des vergers verdoyants, car la pluie de Zeus abonde, et les beaux
travaux des jeunes hommes sont détruits. Ainsi les épaisses phalanges des
Troiens se dissipaient devant le Tydéide, et leur mul tude ne pouvait
soutenir son choc.
Et l'illustre fils de Lykaôn, l'ayant aperçu se ruant par la plaine et
dispersant les phalanges, tendit aussitôt contre lui son arc recourbé, et,
comme il s'élançait, le frappa à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse. Et
la flèche acerbe vola en sifflant et s'enfonça, et la cuirasse ruissela de sang.
Et l'illustre fils de Lykaôn s'écria d'une voix haute :
— Courage, Troiens, cavaliers magnanimes ! Le plus brave des Akhaiens
est blessé, et je ne pense pas qu'il supporte longtemps ma flèche violente,
s'il est vrai que le roi, fils de Zeus, m'ait poussé à quitter la Lykiè.
Il parla ainsi orgueilleusement, mais la flèche rapide n'avait point tué le
Tydéide, qui, reculant, s'arrêta devant ses chevaux et son char, et dit à
Sthénélos, fils de Kapaneus :
— Hâte-toi, ami Kapanéide ! Descends du char et re re ce e flèche
amère.
Il parla ainsi, et Sthénélos, sautant à bas du char, arracha de l'épaule la
flèche rapide. Et le sang jaillit sur la tunique, et Diomèdès hardi au combat
pria ainsi :
— Entends-moi, fille indomptée de Zeus tempêtueux ! Si jamais tu nous
as protégés, mon père et moi, dans la guerre cruelle, Athènè ! secours-moi
de nouveau. Accorde-moi de tuer ce guerrier. Amène-le au-devant de ma
pique impétueuse, lui qui m'a blessé le premier, et qui s'en glorifie, et qui
pense que je ne verrai pas longtemps encore la splendide lumière de
Hélios.
Il parla ainsi en priant, et Pallas Athènè l'exauça. Elle rendit tous ses
membres, et ses pieds et ses mains plus agiles ; et s'approchant, elle lui dit
en paroles ailées :
— Reprends courage, ô Diomèdès, et combats contre les Troiens, car j'ai
mis dans ta poitrine l'intrépide vigueur que possédait le porte-bouclier, le
cavalier Tydeus. Et j'ai dissipé le nuage qui était sur tes yeux, afin que tu
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reconnaisses les dieux et les hommes. Si un immortel venait te tenter, ne


lu e point contre les dieux immortels ; mais si Aphroditè, la fille de Zeus,
descendait dans la mêlée, frappe-la de l'airain aigu.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'éloigna, et le Tydéide
retourna à la charge, mêlé aux premiers rangs. Et, naguère, il était, certes,
plein d'ardeur pour comba re les Troiens, mais son courage est
maintenant trois fois plus grand. Il est comme un lion qui, dans un champ
où paissaient des brebis laineuses, au moment où il sautait vers l'étable, a
été blessé par un pâtre, et non tué. Ce e blessure accroît ses forces. Il
entre dans l'étable et disperse les brebis, qu'on n'ose plus défendre. Et
celles-ci gisent égorgées, les unes sur les autres ; et le lion bondit hors de
l'enclos. Ainsi le brave Diomèdès se rua sur les Troiens.
Alors, il tua Astynoos et Hypeirôn, princes des peuples. Et il perça l'un,
de sa pique d'airain, au-dessus de la mamelle ; et, de sa grande épée, il
brisa la clavicule de l'autre et sépara la tête de l'épaule et du dos. Puis, les
abandonnant, il se jeta sur Abas et Polyeidos, fils du vieux Eurydamas,
interprète des songes. Mais le vieillard ne les avait point consultés au
départ de ses enfants. Et le brave Diomèdès les tua.
Et il se jeta sur Xanthos et Thoôn, fils tardifs de Phainopos, qui les avait
eus dans sa triste vieillesse, et qui n'avait point engendré d'autres enfants
à qui il pût laisser ses biens. Et le Tydéide les tua, leur arrachant l'âme et
ne laissant que le deuil et les tristes douleurs à leur père, qui ne devait
point les revoir vivants au retour du combat, et dont l'héritage serait
partagé selon la loi.
Et Diomèdès saisit deux fils du Dardanide Priamos, montés sur un même
char, Ekhémôn et Khromios. Comme un lion, bondissant sur des bœufs,
brise le cou d'une génisse ou d'un taureau paissant dans les bois, ainsi le
fils de Tydeus, les renversant tous deux de leur char, les dépouilla de leurs
armes et remit leurs chevaux à ses compagnons pour être conduits aux
nefs.
Mais Ainéias, le voyant dissiper les lignes des guerriers, s'avança à
travers la mêlée et le bruissement des piques, cherchant de tous côtés le
divin Pandaros. Et il rencontra le brave et irréprochable fils de Lykaôn, et,
s'approchant, il lui dit :

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— Pandaros ! où sont ton arc et tes flèches ? Et ta gloire, quel guerrier


pourrait te la disputer ? Qui pourrait, en Lykiè, se glorifier de l'emporter sur
toi ? Allons, tends les mains vers Zeus et envoie une flèche à ce guerrier. Je
ne sais qui il est, mais il triomphe et il a déjà infligé de grands maux aux
Troiens. Déjà il a fait ployer les genoux d'une mul tude de braves. Peut-
être est-ce un dieu irrité contre les Troiens à cause de sacrifices négligés. Et
la colère d'un dieu est lourde.
Et l'illustre fils de Lykaôn lui répondit :
— Ainéias, conseiller des Troiens revêtus d'airain, je crois que ce
guerrier est le Tydéide. Je le reconnais à son bouclier, à son casque aux
trois cônes et à ses chevaux. Cependant, je ne sais si ce n'est point un dieu.
Si ce guerrier est le brave fils de Tydeus, comme je l'ai dit, certes, il n'est
point ainsi furieux sans l'appui d'un dieu. Sans doute, un des immortels,
couvert d'une nuée, se ent auprès de lui et détourne les flèches rapides.
Déjà je l'ai frappé d'un trait à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse.
J'étais certain de l'avoir envoyé chez Aidès, et voici que je ne l'ai point tué.
Sans doute quelque dieu est irrité contre nous. Ni mes chevaux ni mon
char ne sont ici. J'ai, dans les demeures de Lykaôn, onze beaux chars tout
neufs, couverts de larges draperies. Auprès de chacun d'eux sont deux
chevaux qui paissent l'orge et l'avoine. Certes, le belliqueux vieillard
Lykaôn, quand je par s de mes belles demeures, me donna de nombreux
conseils. Il m'ordonna, monté sur mon char et traîné par mes chevaux, de
devancer tous les Troiens dans les mâles combats. J'aurais mieux fait
d'obéir ; mais je ne le voulus point, désirant épargner mes chevaux
accoutumés à manger abondamment, et de peur qu'ils manquassent de
nourriture au milieu de guerriers assiégés. Je les laissai, et vins à pied vers
Ilios, certain de mon arc, dont je ne devais pas me glorifier cependant.
Déjà, je l'ai tendu contre deux chefs, l'Atréide et le Tydéide, et je les ai
blessés, et j'ai fait couler leur sang, et je n'ai fait que les irriter. Certes, ce
fut par une mauvaise des née que je détachai du mur cet arc recourbé, le
jour funeste où je vins, dans la riante Ilios, commander aux Troiens, pour
plaire au divin Hektôr. Si je retourne jamais, et si je revois de mes yeux ma
patrie et ma femme et ma haute demeure, qu'aussitôt un ennemi me
coupe la tête, si je ne jette, brisé de mes mains, dans le feu éclatant, cet arc
qui m'aura été un compagnon inutile !

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Et le chef des Troiens, Ainéias, lui répondit :


— Ne parle point tant. Rien ne changera si nous ne poussons à cet
homme, sur notre char et nos chevaux, et couverts de nos armes. Tiens !
monte sur mon char, et vois quels sont les chevaux de Trôs, habiles à
poursuivre ou à fuir rapidement dans la plaine. Ils nous ramèneront saufs
dans la ville, si Zeus donne la victoire au Tydéide Diomèdès. Viens ! saisis le
fouet et les belles rênes, et je descendrai pour comba re ; ou combats toi-
même, et je guiderai les chevaux.
Et l'illustre fils de Lykaôn lui répondit :
— Ainéias, charge-toi des rênes et des chevaux. Ils traîneront mieux le
char sous le conducteur accoutumé, si nous prenions la fuite devant le fils
de Tydeus. Peut-être, pleins de terreur, resteraient-ils inertes et ne
voudraient-ils plus nous emporter hors du combat, n'entendant plus ta
voix.
Ayant ainsi parlé, ils montèrent sur le char brillant et poussèrent les
chevaux rapides contre le Tydéide. Et l'illustre fils de Kapaneus, Sthénélos,
les vit ; et aussitôt il dit au Tydéide ces paroles ailées :
— Tydéide Diomèdès, le plus cher à mon âme, je vois deux braves
guerriers qui se préparent à te comba re. Tous deux sont pleins de force.
L'un est l'habile archer Pandaros, qui se glorifie d'être le fils de Lykaôn.
L'autre est Ainéias, qui se glorifie d'être le fils du magnanime Ankhisès, et
qui a pour mère Aphroditè elle-même. Reculons donc, et ne te je e point
en avant, si tu ne veux perdre ta chère âme.
Et le brave Diomèdès, le regardant d'un œil sombre, lui répondit :
— Ne parle point de fuir, car je ne pense point que tu me persuades. Ce
n'est point la coutume de ma race de fuir et de trembler. Je possède encore
toutes mes forces. J'irai au-devant de ces guerriers. Pallas Athènè ne me
permet point de craindre. Leurs chevaux rapides ne nous les arracheront
point tous deux, si, du moins, un seul en réchappe. Mais je te le dis, et
souviens-toi de mes paroles : si la sage Athènè me donnait la gloire de les
tuer tous deux, arrête nos chevaux rapides, a ache les rênes au char, cours
aux chevaux d'Ainéias et pousse-les parmi les Akhaiens aux belles
knèmides. Ils sont de la race de ceux que le prévoyant Zeus donna à Trôs

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en échange de son fils Ganymèdès, et ce sont les meilleurs chevaux qui


soient sous Éôs et Hélios. Le roi des hommes, Ankhisès, à l'insu de
Laomédôn, fit saillir des cavales par ces étalons, et il en eut six rejetons. Il
en re ent quatre qu'il nourrit à la crèche, et il a donné ces deux-ci, rapides
à la fuite, à Ainéias. Si nous les enlevons, nous remporterons une grande
gloire.
Pendant qu'ils se parlaient ainsi, les deux Troiens poussaient vers eux
leurs chevaux rapides, et le premier, l'illustre fils de Lykaôn, s'écria :
— Très-brave et très-excellent guerrier, fils de l'illustre Tydeus, mon trait
rapide, ma flèche amère, ne t'a point tué ; mais je vais tenter de te percer
de ma pique.
Il parla, et, lançant sa longue pique, frappa le bouclier du Tydéide. La
pointe d'airain siffla et s'enfonça dans la cuirasse, et l'illustre fils de Lykaôn
cria à voix haute :
— Tu es blessé dans le ventre ! Je ne pense point que tu survives
longtemps, et tu vas me donner une grande gloire.
Et le brave Diomèdès lui répondit avec calme :
— Tu m'as manqué, loin de m'a eindre ; mais je ne pense pas que vous
vous reposiez avant qu'un de vous, au moins, ne tombe et ne rassasie de
son sang Arès, l'audacieux combattant.
Il parla ainsi, et lança sa pique. Et Athènè la dirigea au-dessus du nez,
auprès de l'œil, et l'airain indompté traversa les blanches dents, coupa
l'extrémité de la langue et sor t sous le menton. Et Pandaros tomba du
char, et ses armes brillantes, aux couleurs variées, résonnèrent sur lui, et
les chevaux aux pieds rapides frémirent, et la vie et les forces de l'homme
furent brisées.
Alors Ainéias s'élança avec son bouclier et sa longue pique, de peur que
les Akhaiens n'enlevassent le cadavre. Et, tout autour, il allait comme un
lion confiant dans ses forces, brandissant sa pique et son bouclier bombé,
prêt à tuer celui qui oserait approcher, et criant horriblement. Mais le
Tydéide saisit de sa main un lourd rocher que deux hommes, de ceux qui
vivent aujourd'hui, ne pourraient soulever. Seul, il le remua facilement. Et il
en frappa Ainéias à la cuisse, là où le fémur tourne dans le cotyle. Et la
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pierre rugueuse heurta le cotyle, rompit les deux muscles supérieurs et


déchira la peau. Le héros, tombant sur les genoux, s'appuya d'une main
lourde sur la terre, et une nuit noire couvrit ses yeux. Et le roi des hommes,
Ainéias, eût sans doute péri, si la fille de Zeus, Aphroditè, ne l'eût aperçu :
car elle était sa mère, l'ayant conçu d'Ankhisès, comme il paissait ses
bœufs. Elle jeta ses bras blancs autour de son fils bien-aimé et l'enveloppa
des plis de son péplos éclatant, afin de le garan r des traits, et de peur
qu'un des guerriers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui
arrachât l'âme. Et elle enleva hors de la mêlée son fils bien-aimé.
Mais le fils de Kapaneus n'oublia point l'ordre que lui avait donné
Diomèdès hardi au combat. Il arrêta brusquement les chevaux aux sabots
massifs, en a achant au char les rênes tendues ; et, se précipitant vers les
chevaux aux longues crinières d'Ainéias, il les poussa du côté des Akhaiens
aux belles knèmides. Et il les remit à son cher compagnon Deipylos, qu'il
honorait au-dessus de tous, tant leurs âmes étaient d'accord, afin que
celui-ci les conduisît aux nefs creuses.
Puis le héros, remontant sur son char, saisit les belles rênes, et, traîné
par ses chevaux aux sabots massifs, suivit le Tydéide. Et celui-ci, de l'airain
meurtrier, pressait ardemment Aphroditè, sachant que c'était une déesse
pleine de faiblesse, et qu'elle n'était point de ces divinités qui se mêlent
aux lu es des guerriers, comme Athènè ou comme Ényô, la destructrice
des citadelles. Et, la poursuivant dans la mêlée tumultueuse, le fils du
magnanime Tydeus bondit, et de sa pique aiguë blessa sa main délicate. Et
aussitôt l'airain perça la peau divine à travers le péplos que les Kharites
avaient ssé elles-mêmes. Et le sang immortel de la déesse coula, sub l, et
tel qu'il sort des Dieux heureux. Car ils ne mangent point de pain, ils ne
boivent point le vin ardent, et c'est pourquoi ils n'ont point notre sang et
sont nommés Immortels. Elle poussa un grand cri et laissa tomber son fils ;
mais Phoibos Apollôn le releva de ses mains et l'enveloppa d'une noire
nuée, de peur qu'un des cavaliers Danaens enfonçât l'airain dans sa
poitrine et lui arrachât l'âme. Et Diomèdès hardi au combat cria d'une voix
haute à la Déesse :
— Fille de Zeus, fuis la guerre et le combat. Ne te suffit-il pas de tromper
de faibles femmes ? Si tu retournes jamais au combat, certes, je pense que
la guerre et son nom seul te feront trembler désormais.

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Il parla ainsi, et Aphroditè s'envola, pleine d'afflic on et gémissant


profondément. Iris aux pieds rapides la conduisit hors de la mêlée,
accablée de douleurs, et son beau corps était devenu noir. Et elle
rencontra l'impétueux Arès assis à la gauche de la bataille. Sa pique et ses
chevaux rapides étaient couverts d'une nuée. Et Aphroditè, tombant à
genoux, supplia son frère bien-aimé de lui donner ses chevaux liés par des
courroies d'or :
— Frère bien-aimé, secours-moi ! Donne-moi tes chevaux pour que
j'aille dans l'Olympos, qui est la demeure des Immortels. Je souffre
cruellement d'une blessure que m'a faite le guerrier mortel Tydéide, qui
combattrait maintenant le père Zeus lui-même.
Elle parla ainsi, et Arès lui donna ses chevaux aux aigre es dorées. Et,
gémissant dans sa chère âme, elle monta sur le char. Iris monta auprès
d'elle, prit les rênes en mains et frappa les chevaux du fouet, et ceux-ci
s'envolèrent et a eignirent aussitôt le haut Olympos, demeure des Dieux.
Et la rapide Iris arrêta les chevaux aux pieds prompts comme le vent, et,
sautant du char, leur donna leur nourriture immortelle. Et la divine
Aphroditè tomba aux ge noux de Diônè sa mère ; et celle-ci, entourant sa
fille de ses bras, la caressa et lui dit :
— Quel Ouranien, chère fille, t'a ainsi traitée, comme si tu avais
ouvertement commis une action mauvaise ?
Et Aphroditè qui aime les sourires lui répondit :
— L'audacieux Diomèdès, fils de Tydeus, m'a blessée, parce que
j'emportais hors de la mêlée mon fils bien-aimé Ainéias, qui m'est le plus
cher de tous les hommes. La bataille furieuse n'est plus seulement entre les
Troiens et les Akhaiens, mais les Danaens comba ent déjà contre les
Immortels.
Et l'illustre Déesse Diônè lui répondit :
— Subis et endure ton mal, ma fille, bien que tu sois affligée. Déjà
plusieurs habitants des demeures Ouraniennes, par leurs discordes
mutuelles, ont beaucoup souffert de la part des hommes. Arès a subi de
grands maux quand Otos et le robuste Éphialtès, fils d'Aloè, le lièrent de
fortes chaînes. Il resta treize mois enchaîné dans une prison d'airain. Et

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peut-être qu'Arès, insa able de combats, eût péri, si la belle Ériboia, leur
marâtre, n'eût aver Herméias, qui délivra fur vement Arès respirant à
peine, tant les lourdes chaînes l'avaient dompté. Hèrè souffrit aussi quand
le vigoureux Amphitryonade la blessa à la mamelle droite d'une flèche à
trois pointes, et une irrémédiable douleur la saisit. Et le grand Aidès
souffrit entre tous quand le même homme, fils de Zeus tempêtueux, le
blessa, sur le seuil du Hadès, au milieu des morts, d'une flèche rapide, et
l'accabla de douleurs. Et il vint dans la demeure de Zeus, dans le grand
Olympos, plein de maux et gémissant dans son cœur, car la flèche était
fixée dans sa large épaule et torturait son âme. Et Paièôn, répandant de
doux baumes sur la plaie, guérit Aidès, car il n'était point mortel comme un
homme. Et tel était Hèraklès, impie, irrésis ble, se souciant peu de
comme re des ac ons mauvaises et frappant de ses flèches les dieux qui
habitent l'Olympos. C'est la divine Athènè aux yeux clairs qui a excité un
insensé contre toi. Et le fils de Tydeus ne sait pas, dans son âme, qu'il ne
vit pas longtemps celui qui lu e contre les Immortels. Ses enfants, assis sur
ses genoux, ne le nomment point leur père au retour de la guerre et de la
rude bataille. Maintenant, que le Tydéide craigne, malgré sa force, qu'un
plus redoutable que toi ne le comba e. Qu'il craigne que la sage fille
d'Adrèstès, Aigialéia, la noble femme du dompteur de chevaux Diomèdès,
gémisse bientôt en s'éveillant et en troublant ses serviteurs, parce qu'elle
pleurera son premier mari, le plus brave des Akhaiens !
Elle parla ainsi, et, de ses deux mains, étancha la plaie, et celle-ci fut
guérie, et les amères douleurs furent calmées.
Mais Hèrè et Athènè, qui les regardaient, tentèrent d'irriter le Kronide
Zeus par des paroles mordantes. Et la divine Athènè aux yeux clairs parla
ainsi la première :
— Père Zeus, peut-être seras-tu irrité de ce que je vais dire ; mais voici
qu'Aphroditè, en cherchant à mener quelque femme Akhaienne au milieu
des Troiens qu'elle aime tendrement, en s'efforçant de séduire par ses
caresses une des Akhaiennes au beau péplos, a déchiré sa main délicate à
une agrafe d'or.
Elle parla ainsi, et le père des hommes et des dieux sourit, et, appelant
Aphroditè d'or, il lui dit :

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— Ma fille, les travaux de la guerre ne te sont point confiés, mais à


l'impétueux Arès et à Athènè. Ne songe qu'aux douces joies des Hyménées.
Et ils parlaient ainsi entre eux. Et Diomèdès hardi au combat se ruait
toujours sur Ainéias, bien qu'il sût qu'Apollôn le couvrait des deux mains.
Mais il ne respectait même plus un grand dieu, désirant tuer Ainéias et le
dépouiller de ses armes illustres. Et trois fois il se rua, désirant le tuer, et
trois fois Apollôn repoussa son bouclier éclatant. Mais, quand il bondit une
quatrième fois, semblable à un Dieu, Apollôn lui dit d’une voix terrible :
— Prends garde, Tydéide, et ne t’égale point aux Dieux, car la race des
Dieux Immortels n’est point semblable à celle des hommes qui marchent
sur la terre.
Il parla ainsi, et le Tydéide recula un peu, de peur d’exciter la colère de
l’archer Apollôn. Et celui-ci déposa Ainéias loin de la mêlée, dans la sainte
Pergamos, où était bâ son temple. Et Lètô et Artémis qui se réjouit de ses
flèches prirent soin de ce guerrier et l’honorèrent dans le vaste sanctuaire.
Et Apollôn à l’arc d’argent suscita une image vaine semblable à Ainéias et
portant des armes pareilles. Et autour de ce e image les Troiens et les
divins Akhaiens se frappaient sur les peaux de bœuf qui couvraient leurs
poitrines, sur les boucliers bombés et sur les cuirasses légères. Alors, le roi
Phoibos Apollôn dit à l’impétueux Arès :
— Arès, Arès, fléau des hommes sanglant, et qui renverses les murailles,
ne vas-tu pas chasser hors de la mêlée ce guerrier, le Tydéide, qui, certes,
comba rait maintenant même contre le Père Zeus ? Déjà il a blessé la main
d’Aphroditè, puis il a bondi sur moi, semblable à un Dieu.
Ayant ainsi parlé, il retourna s’asseoir sur la haute Pergamos, et le cruel
Arès, se mêlant aux Troiens, les excita à comba re, ayant pris la forme de
l’impétueux Akamas, prince des Thrakiens. Et il exhorta les fils de Priamos,
nourrissons de Zeus :
— Ô fils du roi Priamos, nourris par Zeus, jusqu’à quand laisserez-vous
les Akhaiens massacrer votre peuple ? A endrez-vous qu’ils comba ent
autour de nos portes solides ? Un guerrier est tombé que nous honorions
autant que le divin Hektôr, Ainéias, fils du magnanime Ankhisès. Allons !
Enlevons notre brave compagnon hors de la mêlée.

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Ayant ainsi parlé, il excita la force et le courage de chacun. Et Sarpèdôn


dit ces dures paroles au divin Hektôr :
— Hektôr, qu’est devenu ton ancien courage ? Tu te vantais naguère de
sauver ta ville, sans l’aide des autres guerriers, seul, avec tes frères et tes
parents, et je n’en ai guère encore aperçu aucun, car ils tremblent tous
comme des chiens devant le lion. C’est nous, vos alliés, qui comba ons.
Me voici, moi, qui suis venu de très-loin pour vous secourir. Elle est
éloignée, en effet, la Lykiè où coule le Xanthos plein de tourbillons. J’y ai
laissé ma femme bien-aimée et mon pe t enfant, et mes nombreux
domaines que le pauvre convoite. Et, cependant, j’excite les Lykiens au
combat, et je suis prêt moi-même à lu er contre les hommes, bien que je
n’aie rien à redouter ou à perdre des maux que vous apportent les
Akhaiens, ou des biens qu’ils veulent vous enlever. Et tu restes immobile,
et tu ne commandes même pas à tes guerriers de résister et de défendre
leurs femmes ! Ne crains-tu pas qu’enveloppés tous comme dans un filet
de lin, vous deveniez la proie des guerriers ennemis ? Sans doute, les
Akhaiens renverseront bientôt votre ville aux nombreux habitants. C’est à
toi qu’il appar ent de songer à ces choses, nuit et jour, et de supplier les
princes alliés, afin qu’ils ennent fermement et qu’ils cessent leurs durs
reproches.
Sarpèdôn parla ainsi, et il mordit l’âme de Hektôr, et celui-ci sauta
aussitôt de son char avec ses armes, et, brandissant deux lances aiguës,
courut de toutes parts à travers l’armée, l’excitant à comba re un rude
combat. Et les Troiens revinrent à la charge et nrent tête aux Akhaiens. Et
les Argiens les attendirent de pied ferme.
Ainsi que, dans les aires sacrées, à l’aide des vanneurs et du vent, la
blonde Dèmètèr sépare le bon grain de la paille, et que celle-ci, amoncelée,
est couverte d’une poudre blanche, de même les Akhaiens étaient
enveloppés d’une poussière blanche qui montait du milieu d’eux vers
l’Ouranos, et que soulevaient les pieds des chevaux frappant la terre,
tandis que les guerriers se mêlaient de nouveau et que les conducteurs de
chars les ramenaient au combat. Et le furieux Arès, couvert d’une nuée,
allait de toutes parts, excitant les Troiens. Et il obéissait ainsi aux ordres
que lui avait donnés Phoibos Apollôn qui porte une épée d’or, quand celui-
ci avait vu partir Athènè, protectrice des Danaens.

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Et l’Archer Apollôn fit sor r Ainéias du sanctuaire et remplit de vigueur


la poitrine du prince des peuples. Et ce dernier reparut au milieu de ses
compagnons, pleins de joie de le voir vivant, sain et sauf et possédant
toutes ses forces. Mais ils ne lui dirent rien, car les travaux que leur
préparaient Arès, fléau des hommes, Apollôn et Éris, ne leur permirent
point de l’interroger.
Et les deux Aias, Odysseus et Diomèdès exhortaient les Danaens au
combat ; et ceux-ci, sans craindre les forces et l’impétuosité des Troiens, les
a endaient de pied ferme, semblables à ces nuées que le Kroniôn arrête à
la cime des montagnes, quand le Boréas et les autres vents violents se sont
calmés, eux dont le souffle disperse les nuages épais et immobiles. Ainsi les
Danaens a endaient les Troiens de pied ferme. Et l’Atréide, courant çà et
là au milieu d’eux, les excitait ainsi :
— Amis, soyez des hommes ! ruez-vous, d’un cœur ferme, dans la rude
bataille. Ce sont les plus braves qui échappent en plus grand nombre à la
mort ; mais ceux qui fuient n’ont ni force ni gloire.
Il parla, et, lançant sa longue pique, il perça, au premier rang, le guerrier
Dèikoôn Pergaside, compagnon du magnanime Ainéias, et que les Troiens
honoraient autant que les fils de Priamos, parce qu’il était toujours parmi
les premiers au combat. Et le roi Agamemnôn le frappa de sa pique dans le
bouclier qui n’arrêta point le coup, car la pique le traversa et entra dans le
ventre en déchirant le ceinturon. Et il tomba avec bruit, et ses armes
résonnèrent sur son corps.
Alors, Ainéias tua deux braves guerriers Danaens, fils de Dioklès,
Krèthôn et Orsilokhos. Et leur père habitait Phèrè bien bâ e, et il était
riche, et il descendait du fleuve Alphéios qui coule largement sur la terre
des Pyliens. Et l’Alphéios avait engendré Orsilokhos, chef de nombreux
guerriers ; et Orsilokhos avait engendré le magnanime Dioklès, et de
Dioklès étaient nés deux fils jumeaux, Krèthôn et Orsilokhos, habiles à tous
les combats. Tout jeunes encore, ils vinrent sur leurs nefs noires vers Ilios
aux bons chevaux, ayant suivi les Argiens pour la cause et l’honneur des
Atréides, Agamemnôn et Ménélaos, et c’est là que la mort les a eignit.
Comme deux jeunes lions nourris par leur mère sur le sommet des
montagnes, au fond des épaisses forêts, et qui enlèvent les bœufs et les
brebis, et qui dévastent les étables jusqu’à ce qu’ils soient tués de l’airain
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aigu par les mains des pâtres, tels ils tombèrent tous deux, frappés par les
mains d’Ainéias, pareils à des pins élevés.
Et Ménélaos, hardi au combat, eut pi é de leur chute, et il s’avança au
premier rang, vêtu de l’airain é ncelant et brandissant sa pique. Et Arès
l’excitait afin qu’il tombât sous les mains d’Ainéias. Mais An lokhos, fils du
magnanime Nestôr, le vit et s’avança au premier rang, car il craignait pour
le prince des peuples, dont la mort eût rendu leurs travaux inu les. Et ils
croisaient déjà leurs piques aiguës, prêts à se comba re, quand An lokhos
vint se placer auprès du prince des peuples. Et Ainéias, bien que très-brave,
recula, voyant les deux guerriers prêts à l’a aquer. Et ceux-ci entraînèrent
les morts parmi les Akhaiens, et, les reme ant à leurs compagnons,
revinrent combattre au premier rang.
Alors ils tuèrent Pylaiménès, égal à Arès, chef des magnanimes
Paphlagones porteurs de boucliers. Et l’illustre Atréide Ménélaos le perça
de sa pique à la clavicule. Et An lokhos frappa au coude, d’un coup de
pierre, le conducteur de son char, le brave Atymniade Mydôn, comme il
faisait reculer ses chevaux aux sabots massifs. Et les blanches rênes ornées
d’ivoire s’échappèrent de ses mains, et An lokhos, sautant sur lui, le perça
à la tempe d’un coup d’épée. Et, ne respirant plus, il tomba du beau char,
la tête et les épaules enfoncées dans le sable qui était creusé en cet
endroit. Ses chevaux le foulèrent aux pieds, et An lokhos les chassa vers
l’armée des Akhaiens.
Mais Hektôr, les ayant aperçus tous deux, se rua à travers la mêlée en
poussant des cris. Et les braves phalanges des Troiens le suivaient, et
devant elles marchaient Arès et la vénérable Ényô. Celle-ci menait le
tumulte immense du combat, et Arès, brandissant une grande pique, allait
tantôt devant et tantôt derrière Hektôr.
Et Diomèdès hardi au combat ayant vu Arès, frémit. Comme un
voyageur troublé s’arrête, au bout d’une plaine immense, sur le bord d’un
fleuve impétueux qui tombe dans la mer, et qui recule à la vue de l’onde
bouillonnante, ainsi le Tydéide recula et dit aux siens :
— Ô amis, combien nous admirions justement le divin Hektôr, habile à
lancer la pique et audacieux en comba ant ! Quelque Dieu se ent
toujours à son côté et détourne de lui la mort. Maintenant, voici qu’Arès

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l’accompagne, semblable à un guerrier. C’est pourquoi reculons devant les


Troiens et ne vous hâtez point de combattre les Dieux.
Il parla ainsi, et les Troiens approchèrent. Alors, Hektôr tua deux
guerriers habiles au combat et montés sur un même char, Ménèsthès et
Ankhialos.
Et le grand Télamônien Aias eut pi é de leur chute, et, marchant en
avant, il lança sa pique brillante. Et il frappa Amphiôn, fils de Sélagos, qui
habitait Paisos, et qui était fort riche. Mais sa Moire l’avait envoyé secourir
les Priamides. Et le Télamônien Aias l’a eignit au ceinturon, et la longue
pique resta enfoncée dans le bas-ventre. Et il tomba avec bruit, et l’illustre
Aias accourut pour le dépouiller de ses armes. Mais les Troiens le
couvrirent d’une grêle de piques aiguës et brillantes, et son bouclier en fut
hérissé. Cependant, pressant du pied le cadavre, il en arracha sa pique
d’airain ; mais il ne put enlever les belles armes, étant accablé de traits. Et
il craignit la vigoureuse a aque des braves Troiens qui le pressaient de
leurs piques et le firent reculer, bien qu’il fût grand, fort et illustre.
Et c’est ainsi qu’ils lu aient dans la rude mêlée. Et voici que la Moire
violente amena, en face du divin Sarpèdôn, le grand et vigoureux Hèraklide
Tlèpolémos. Et quand ils se furent rencontrés tous deux, le fils et le pe t-
fils de Zeus qui amasse les nuées, Tlèpolémos, le premier, parla ainsi :
— Sarpèdôn, chef des Lykiens, quelle nécessité te pousse tremblant
dans la mêlée, toi qui n’es qu’un guerrier inhabile ? Des menteurs disent
que tu es fils de Zeus tempêtueux, tandis que tu es loin de valoir les
guerriers qui naquirent de Zeus, aux temps an ques des hommes, tels que
le robuste Hèraklès au cœur de lion, mon père. Et il vint ici autrefois, à
cause des chevaux de Laomédôn et, avec six nefs seulement et peu de
compagnons, il renversa Ilios et dépeupla ses rues. Mais toi, tu n’es qu’un
lâche, et tes guerriers succombent. Et je ne pense point que, même étant
brave, tu aies apporté de Lykiè un grand secours aux Troiens, car, tué par
moi, tu vas descendre au seuil d’Aidès.
Et Sarpèdôn, chef des Lykiens, lui répondit :
— Tlèpolémos, certes, Hèraklès renversa la sainte Ilios, grâce à la
témérité de l’illustre Laomédôn qui lui adressa injustement de mauvaises
paroles et lui refusa les cavales qu’il était venu chercher de si loin. Mais,
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pour toi, je te prédis la mort et la noire Kèr, et je vais t’envoyer, tué par ma
pique et me donnant une grande gloire, vers Aidès qui a d’illustres
chevaux.
Sarpèdôn parla ainsi. Et Tlèpolémos leva sa pique de frêne, et les deux
longues piques s’élancèrent en même temps de leurs mains. Et Sarpèdôn le
frappa au milieu du cou, et la pointe amère le traversa de part en part. Et
la noire nuit enveloppa les yeux de Tlèpolémos. Mais celui-ci avait percé de
sa longue pique la cuisse gauche de Sarpèdôn, et la pointe était restée
engagée dans l’os, et le Kronide, son père, avait détourné la mort de lui. Et
les braves compagnons de Sarpèdôn l’enlevèrent hors de la mêlée. Et il
gémissait, traînant la longue pique de frêne restée dans la blessure, car
aucun d’eux n’avait songé à l’arracher de la cuisse du guerrier, pour qu’il
pût monter sur son char, tant ils se hâtaient.
De leur côté, les Akhaiens aux belles knèmides emportaient Tlèpolémos
hors de la mêlée. Et le divin Odysseus au cœur ferme, l’ayant aperçu,
s’affligea dans son âme ; et il délibéra dans son esprit et dans son cœur s’il
poursuivrait le fils de Zeus qui tonne hautement, ou s’il arracherait l’âme à
une mul tude de Lykiens. Mais il n’était point dans la des née du
magnanime Odysseus de tuer avec l’airain aigu le brave fils de Zeus. C’est
pourquoi Athènè lui inspira de se jeter sur la foule des Lykiens. Alors il tua
Koiranos et Alastôr, et Khromios et Alkandros et Halios, et Noèmôn et
Prytanis. Et le divin Odysseus eût tué une plus grande foule de Lykiens, si le
grand Hektôr au casque mouvant ne l’eût aperçu. Et il s’élança aux
premiers rangs, armé de l’airain éclatant, jetant la terreur parmi les
Danaens. Et Sarpèdôn, fils de Zeus, se réjouit de sa venue et lui dit ce e
parole lamentable :
— Priamide, ne permets pas que je reste la proie des Danaens, et viens
à mon aide, afin que je puisse au moins expirer dans votre ville, puisque je
ne dois plus revoir la chère patrie, et ma femme bien-aimée et mon pe t
enfant.
Mais Hektôr au casque mouvant ne lui répondit pas, et il s’élança en
avant, plein du désir de repousser promptement les Argiens et d’arracher
l’âme à une foule d’entre eux. Et les compagnons du divin Sarpèdôn le
déposèrent sous le beau hêtre de Zeus tempêtueux, et le brave Pélagôn,
qui était le plus cher de ses compagnons, lui arracha hors de la cuisse la
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pique de frêne. Et son âme défaillit, et une nuée épaisse couvrit ses yeux.
Mais le souffle de Boréas le ranima, et il ressaisit son âme qui
s’évanouissait.
Et les Akhaiens, devant Arès et Hektôr au casque d’airain, ne fuyaient
point vers les nefs noires et ne se ruaient pas non plus dans la mêlée, mais
reculaient toujours, ayant aperçu Arès parmi les Troiens. Alors, quel fut le
guerrier qui, le premier, fut tué par Hektôr Priamide et par Arès vêtu
d’airain, et quel fut le dernier ? Teuthras, semblable à un Dieu, et l’habile
cavalier Orestès, et Trèkhos, comba ant Aitôlien ; Oinomaos et l’Oinopide
Hélénos, et Oresbios qui portait une mitre brillante. Et celui-ci habitait
Hylè, où il prenait soin de ses richesses, au milieu du lac Kèphisside, non
loin des riches tribus des Boiôtiens.
Et la divine Hèrè aux bras blancs, voyant que les Argiens périssaient
dans la rude mêlée, dit à Athènè ces paroles ailées :
— Ah ! fille indomptable de Zeus tempêtueux, certes, nous aurons
vainement promis à Ménélaos qu’il retournerait dans sa patrie après avoir
renversé Ilios aux fortes murailles, si nous laissons ainsi le cruel Arès
répandre sa fureur. Viens, et souvenons-nous de notre courage impétueux.
Elle parla ainsi, et la divine Athènè aux yeux clairs obéit. La vénérable
déesse Hèrè, fille du grand Kronos, se hâta de me re à ses chevaux leurs
harnais d’or. Hèbè a acha promptement les roues au char, aux deux bouts
de l’essieu de fer. Et les roues étaient d’airain à huit rayons, et les jantes
étaient d’un or incorrup ble, mais, par-dessus, étaient posées des bandes
d’airain admirables à voir. Les deux moyeux étaient revêtus d’argent, et le
siége était suspendu à des courroies d’or et d’argent, et deux cercles
étaient placés en avant d’où sortait le mon d’argent, et, à l’extrémité du
mon, Hèrè lia le beau joug d’or et les belles courroies d’or. Puis, avide de
discorde et de cris de guerre, elle soumit au joug ses chevaux aux pieds
rapides.
Et Athènè, fille de Zeus tempêtueux, laissa tomber sur le pavé de la
demeure paternelle le péplos sub l, aux ornements variés, qu’elle avait
fait et achevé de ses mains. Et elle revê t la cuirasse de Zeus qui amasse
les nuées, et l’armure de la guerre lamentable. Elle plaça autour de ses
épaules l’Aigide aux longues franges, horrible, et que la Fuite environnait.

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Et là, se tenaient la Discorde, la Force et l’effrayante Poursuite, et la tête


affreuse, horrible et divine du monstre Gorgô. Et Athènè posa sur sa tête
un casque hérissé d’aigre es, aux quatre cônes d’or, et qui eût recouvert
les habitants de cent villes. Et elle monta sur le char splendide, et elle saisit
une pique lourde, grande, solide, avec laquelle elle domptait la foule des
hommes héroïques, contre lesquels elle s’irritait, étant la fille d’un père
puissant.
Hèrè pressa du fouet les chevaux rapides, et, devant eux, s’ouvrirent
d’elles-mêmes les portes ouraniennes que gardaient les Heures. Et celles-ci,
veillant sur le grand Ouranos et sur l’Olympos, ouvraient ou fermaient la
nuée épaisse qui flo ait autour. Et les chevaux dociles franchirent ces
portes, et les Déesses trouvèrent le Kroniôn assis, loin des Dieux, sur le plus
haut sommet de l’Olympos aux cimes sans nombre. Et la divine Hèrè aux
bras blancs, retenant ses chevaux, parla ainsi au très-haut Zeus Kronide :
— Zeus, ne réprimeras-tu pas les cruelles violences d’Arès qui cause
impudemment tant de ravages parmi les peuples Akhaiens ? J’en ai une
grande douleur ; et voici qu’Aphroditè et Apollôn à l’arc d’argent se
réjouissent d’avoir excité cet insensé qui ignore toute jus ce. Père Zeus, ne
t’irriteras-tu point contre moi, si je chasse de la mêlée Arès rudement
châtié ?
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit :
— Va ! excite contre lui la dévastatrice Athènè, qui est accoutumée à lui
infliger de rudes châtiments.
Il parla ainsi, et la divine Hèrè aux bras blancs obéit, et elle frappa ses
chevaux, et ils s’envolèrent entre la terre et l’Ouranos étoilé. Autant un
homme, assis sur une roche élevée, et regardant la mer pourprée, voit
d’espace aérien, autant les chevaux des Dieux en franchirent d’un saut. Et
quand les deux Déesses furent parvenues devant Ilios, là où le Skamandros
et le Simoïs unissent leurs cours, la divine Hèrè aux bras blancs détela ses
chevaux et les enveloppa d’une nuée épaisse. Et le Simoïs fit croître pour
eux une pâture ambroisienne. Et les Déesses, semblables dans leur vol à de
jeunes colombes, se hâtèrent de secourir les Argiens.
Et quand elles parvinrent là où les Akhaiens luttaient en foule autour de
la force du dompteur de chevaux Diomèdès, tels que des lions mangeurs de
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chair crue, ou de sauvages et opiniâtres sangliers, la divine Hèrè aux bras


blancs s’arrêta et jeta un grand cri, ayant pris la forme du magnanime
Stentôr à la voix d’airain, qui criait aussi haut que cinquante autres :
— Honte à vous, ô Argiens, fiers d’être beaux, mais couverts
d’opprobre ! Aussi longtemps que le divin Akhilleus se rua dans la mêlée,
jamais les Troiens n’osèrent passer les portes Dardaniennes ; et,
maintenant, voici qu’ils combattent loin d’Ilios, devant les nefs creuses !
Ayant ainsi parlé, elle ranima le courage de chacun. Et la déesse Athènè
aux yeux clairs, cherchant le Tydéide, rencontra ce roi auprès de ses
chevaux et de son char. Et il rafraîchissait la blessure que lui avait faite la
flèche de Pandaros. Et la sueur l’inondait sous le large ceinturon d’où
pendait son bouclier bombé ; et ses mains étaient lasses. Il soulevait son
ceinturon et étanchait un sang noir. Et la Déesse, auprès du joug, lui parla
ainsi :
— Certes, Tydeus n’a point engendré un fils semblable à lui. Tydeus
était de pe te taille, mais c’était un homme. Je lui défendis vainement de
comba re quand il vint seul, envoyé à Thèbè par les Akhaiens, au milieu
des innombrables Kadméiônes. Et je lui ordonnai de s’asseoir paisiblement
à leurs repas, dans leurs demeures. Cependant, ayant toujours le cœur
aussi ferme, il provoqua les jeunes Kadméiônes et les vainquit aisément,
car j’étais sa protectrice assidue. Certes, aujourd’hui, je te protège, je te
défends et je te pousse à comba re ardemment les Troiens. Mais la fa gue
a rompu tes membres, ou la crainte t’a saisi le cœur, et tu n’es plus le fils
de l’excellent cavalier Tydeus Oinéide.
Et le brave Diomèdès lui répondit :
— Je te reconnais, Déesse, fille de Zeus tempêtueux. Je te parlerai
franchement et ne te cacherai rien. Ni la crainte ni la faiblesse ne
m’accablent, mais je me souviens de tes ordres. Tu m’as défendu de
comba re les Dieux heureux, mais de frapper de l’airain aigu Aphroditè, la
fille de Zeus, si elle descendait dans la mêlée. C’est pourquoi je recule
maintenant, et j’ai ordonné à tous les Argiens de se réunir ici, car j’ai
reconnu Arès qui dirige le combat.
Et la divine Athènè aux yeux clairs lui répondit :

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— Tydéide Diomèdès, le plus cher à mon cœur, ne crains ni Arès ni


aucun des autres Immortels, car je suis pour toi une protectrice assidue.
Viens ! pousse contre Arès tes chevaux aux sabots massifs ; frappe-le, et ne
respecte pas le furieux Arès, ce dieu changeant et insensé qui, naguère,
nous avait promis, à moi et à Hèrè, de comba re les Troiens et de secourir
les Argiens, et qui, maintenant, s’est tourné du côté des Troiens et oublie
ses promesses.
Ayant ainsi parlé, elle saisit de la main Sthénélos pour le faire descendre
du char, et celui-ci sauta promptement à terre. Et elle monta auprès du
divin Diomèdès, et l’essieu du char gémit sous le poids, car il portait une
Déesse puissante et un brave guerrier. Et Pallas Athènè, saisissant le fouet
et les rênes, poussa vers Arès les chevaux aux sabots massifs. Et le Dieu
venait de tuer le grand Périphas, le plus brave des Aitôliens, illustre fils
d’Okhèsios ; et, tout sanglant, il le dépouillait ; mais Athènè mit le casque
d’Aidès, pour que le puissant Arès ne la reconnût pas. Et dès que le fléau
des hommes, Arès, eut aperçu le divin Diomèdès, il laissa le grand Périphas
étendu dans la poussière, là où, l’ayant tué, il lui avait arraché l’âme, et il
marcha droit à l’habile cavalier Diomèdès.
Et quand ils se furent rapprochés l’un de l’autre, Arès, le premier, lança
sa pique d’airain par-dessus le joug et les rênes des chevaux, voulant
arracher l’âme du Tydéide ; mais la divine Athènè aux yeux clairs, saisissant
le trait d’une main, le détourna du char, afin de le rendre inu le. Puis,
Diomèdès hardi au combat lança impétueusement sa pique d’airain, et
Pallas-Athènè la dirigea dans le bas-ventre, sous le ceinturon.
Et le dieu fut blessé, et la pique, ramenée en arrière, déchira sa belle
peau, et le féroce Arès poussa un cri aussi fort que la clameur de dix mille
guerriers se ruant dans la mêlée. Et l’épouvante saisit les Akhaiens et les
Troiens, tant avait reten le cri d’Arès insa able de combats. Et, comme
apparaît, au-dessous des nuées, une noire vapeur chassée par un vent
brûlant, ainsi Arès apparut au brave Tydéide Diomèdès, tandis qu’il
traversait le vaste Ouranos, au milieu des nuages. Et il parvint à la demeure
des Dieux, dans le haut Olympos. Et il s’assit auprès de Zeus Kroniôn,
gémissant dans son cœur ; et, lui montrant le sang immortel qui coulait de
sa blessure, il lui dit en paroles ailées :
— Père Zeus, ne t’indigneras-tu point de voir ces violences ? Toujours,
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nous, les Dieux, nous nous faisons souffrir cruellement pour la cause des
hommes. Mais c’est toi qui es la source de nos querelles, car tu as enfanté
une fille insensée, perverse et inique. Nous, les Dieux Olympiens, nous
t’obéissons et nous te sommes également soumis ; mais jamais tu ne
blâmes ni ne réprimes celle-ci, et tu lui permets tout, parce que tu as
engendré seul ce e fille funeste qui pousse le fils de Tydeus, le magnanime
Diomèdès, à se jeter furieux sur les Dieux Immortels. Il a blessé d’abord la
main d’Aphroditè, puis, il s’est rué sur moi, semblable à un Dieu, et si mes
pieds rapides ne m’avaient emporté, je subirais mille maux, couché vivant
au milieu des cadavres et livré sans force aux coups de l’airain.
Et Zeus qui amasse les nuées, le regardant d’un œil sombre, lui
répondit :
— Cesse de te plaindre à moi, Dieu changeant ! Je te hais le plus entre
tous les Olympiens, car tu n’aimes que la discorde, la guerre et le combat,
et tu as l’esprit intraitable de ta mère, Hèrè, que mes paroles répriment à
peine. C’est son exemple qui cause tes maux. Mais je ne perme rai pas
que tu souffres plus longtemps, car tu es mon fils, et c’est de moi que ta
mère t’a conçu. Méchant comme tu es, si tu étais né de quelque autre
Dieu, depuis longtemps déjà tu serais le dernier des Ouraniens.
Il parla ainsi et ordonna à Paièôn de le guérir, et celui-ci le guérit en
arrosant sa blessure de doux remèdes liquides, car il n’était point mortel.
Aussi vite le lait blanc s’épaissit quand on l’agite, aussi vite le furieux Arès
fut guéri. Hèbè le baigna et le revê t de beaux vêtements, et il s’assit, fier
de cet honneur, auprès de Zeus Kroniôn. Et l’Argienne Hèrè et la protectrice
Athènè rentrèrent dans la demeure du grand Zeus, après avoir chassé le
cruel Arès de la mêlée guerrière.

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Chant 6
Livrée à elle-même, la rude bataille des Troiens et des Akhaiens se
répandit confusément çà et là par la plaine. Et ils se frappaient, les uns les
autres, de leurs lances d’airain, entre les eaux courantes du Simoïs et du
Xanthos.
Et, le premier, Aias Télamônien enfonça la phalange des Troiens et
ralluma l’espérance de ses compagnons, ayant percé un guerrier, le plus
courageux d’entre les Thrakiens, le fils d’Eussôros, Akamas, qui était
robuste et grand. Il frappa le cône du casque à l’épaisse crinière de cheval,
et la pointe d’airain, ouvrant le front, s’enfonça à travers l’os, et les
ténèbres couvrirent ses yeux.
Et Diomèdès hardi au combat tua Axylos Teuthranide qui habitait dans
Arisbè bien bâ e, était riche et bienveillant aux hommes, et les recevait
tous avec ami é, sa demeure étant au bord de la route. Mais nul alors ne
se mit au-devant de lui pour détourner la sombre mort. Et Diomèdès le
tua, ainsi que son serviteur Kalésios, qui dirigeait ses chevaux, et tous deux
descendirent sous la terre.
Et Euryalos tua Drèsos et Ophel os, et il se jeta sur Aisèpos et Pèdasos,
que la nymphe naïade Abarbaréè avait conçus autrefois de l’irréprochable
Boukoliôn. Et Boukoliôn était fils du noble Laomédôn, et il était son
premier-né, et sa mère l’avait enfanté en secret. En paissant ses brebis, il
s’était uni à la nymphe sur une même couche ; et, enceinte, elle avait
enfanté deux fils jumeaux ; mais le Mèkistèiade brisa leur force et leurs
souples membres, et arracha leurs armures de leurs épaules.
Et Polypoitès prompt au combat tua Astyalos ; et Odysseus tua Pidytès
le Perkosien, par la lance d’airain ; et Teukros tua le divin Arétaôn.
Et An lokhos Nestoréide tua Ablèros de sa lance éclatante ; et le roi des
hommes, Agamemnôn, tua Élatos qui habitait la haute Pèdasos, sur les
bords du Saméoïs au beau cours. Et le héros Lèitos tua Phylakos qui fuyait,
et Eurypylos tua Mélanthios. Puis, Ménélaos hardi au combat prit Adrèstos
vivant. Arrêtés par une branche de tamaris, les deux chevaux de celui-ci,
ayant rompu le char près du mon, s’enfuyaient, épouvantés, par la plaine,
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du côté de la ville, avec d’autres chevaux effrayés, et Adrèstos avait roulé


du char, auprès de la roue, la face dans la poussière. Et l’Atréide Ménélaos,
armé d’une longue lance, s’arrêta devant lui ; et Adrèstos saisit ses genoux
et le supplia :
— Laisse-moi la vie, fils d’Atreus, et accepte une riche rançon. Une
multitude de choses précieuses sont dans la demeure de mon père, et il est
riche. Il a de l’airain, de l’or et du fer ouvragé dont il te fera de larges dons,
s’il apprend que je vis encore sur les nefs des Argiens.
Il parla ainsi, et déjà il persuadait le cœur de Ménélaos, et celui-ci allait
le reme re à son serviteur pour qu’il l’emmenât vers les nefs rapides des
Akhaiens ; mais Agamemnôn vint en courant au-devant de lui, et lui cria
cette dure parole :
— Ô lâche Ménélaos, pourquoi prendre ainsi pi é des hommes ? Certes,
les Troiens ont accompli d’excellentes ac ons dans ta demeure ! Que nul
n’évite une fin terrible et n’échappe de nos mains ! Pas même l’enfant
dans le sein de sa mère ! qu’ils meurent tous avec Ilios, sans sépulture et
sans mémoire !
Par ces paroles équitables, le héros changea l’esprit de son frère qui
repoussa le héros Adrèstos. Et le roi Agamemnôn le frappa au front et le
renversa, et l’Atréide, lui me ant le pied sur la poitrine, arracha la lance de
frêne.
Et Nestôr, à haute voix, animait les Argiens :
— Ô amis, héros Danaens, serviteurs d’Arès, que nul ne s’a arde, dans
son désir des dépouilles et pour en porter beaucoup vers les nefs ! Tuons
des hommes ! Vous dépouillerez ensuite à loisir les morts couchés dans la
plaine !
Ayant ainsi parlé, il excitait la force et le courage de chacun. Et les
Troiens, domptés par leur lâcheté, eussent regagné la haute Ilios, devant
les Akhaiens chers à Arès, si le Priamide Hélénos, le plus illustre de tous les
divinateurs, ayant abordé Ainéias et Hektôr, ne leur eût dit :
— Ainéias et Hektôr, puisque le fardeau des Troiens et des Lykiens pèse
tout en er sur vous qui êtes les princes du combat et des délibéra ons,
debout ici, arrêtez de toutes parts ce peuple devant les portes, avant qu’ils
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se réfugient tous jusque dans les bras des femmes et soient en risée aux
ennemis. Et quand vous aurez exhorté toutes les phalanges, nous
comba rons, inébranlables, contre les Danaens, bien que rompus de
lassitude ; mais la nécessité le veut. Puis, Hektôr, rends-toi à la Ville, et dis
à notre mère qu’ayant réuni les femmes âgées dans le temple d’Athènè aux
yeux clairs, au sommet de la citadelle, et ouvrant les portes de la maison
sacrée, elle pose sur les genoux d’Athènè à la belle chevelure le péplos le
plus riche et le plus grand qui soit dans sa demeure, et celui qu’elle aime le
plus ; et qu’elle s’engage à sacrifier dans son temple douze génisses d’un
an encore indomptées, si elle prend pi é de la ville et des femmes
Troiennes et de leurs enfants, et si elle détourne de la sainte Ilios le fils de
Tydeus, le féroce guerrier qui répand le plus de terreur et qui est, je pense,
le plus brave des Akhaiens. Jamais nous n’avons autant redouté Akhilleus,
ce chef des hommes, et qu’on dit le fils d’une Déesse ; car Diomèdès est
plein d’une grande fureur, et nul ne peut égaler son courage.
Il parla ainsi, et Hektôr obéit à son frère. Et il sauta hors du char avec
ses armes, et, agitant deux lances aiguës, il allait de tous côtés par l’armée,
excitant au combat, et il suscita une rude bataille. Et tous, s’étant
retournés, firent tête aux Akhaiens ; et ceux-ci, reculant, cessèrent le
carnage, car ils croyaient qu’un Immortel était descendu de l’Ouranos
étoilé pour secourir les Troiens, ces derniers revenant ainsi à la charge. Et,
d’une voix haute, Hektôr excitait les Troiens :
— Braves Troiens, et vous, Alliés venus de si loin, soyez des hommes !
Souvenez-vous de tout votre courage, tandis que j’irai vers Ilios dire à nos
vieillards prudents et à nos femmes de supplier les Dieux et de leur vouer
des hécatombes.
Ayant ainsi parlé, Hektôr au beau casque s’éloigna, et le cuir noir qui
bordait tout autour l’extrémité du bouclier arrondi heurtait ses talons et
son cou.
Et Glaukos, fils de Hippolokhos, et le fils de Tydeus, prompts à
comba re, s’avancèrent entre les deux armées. Et quand ils furent en face
l’un de l’autre, le premier, Diomèdès hardi au combat lui parla ainsi :
— Qui es-tu entre les hommes mortels, ô très-brave ? Je ne t’ai jamais
vu jusqu’ici dans le combat qui glorifie les guerriers ; et certes, maintenant,

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tu l’emportes de beaucoup sur eux tous par ta fermeté, puisque tu as


a endu ma longue lance. Ce sont les fils des malheureux qui s’opposent à
mon courage. Mais si tu es quelque Immortel, et si tu viens de l’Ouranos, je
ne comba rai point contre les Ouraniens. Car le fils de Dryas, le brave
Lykoorgos, ne vécut pas longtemps, lui qui comba ait contre les Dieux
ouraniens. Et il poursuivait, sur le sacré Nysa, les nourrices du furieux
Dionysos ; et celles-ci, frappées du fouet du tueur d’hommes Lykoorgos,
jetèrent leurs Thyrses ; et Dionysos, effrayé, sauta dans la mer, et Thé s le
reçut dans son sein, tremblant et saisi d’un grand frisson à cause des
menaces du guerrier. Et les dieux qui vivent en repos furent irrités contre
celui-ci ; et le fils de Kronos le rendit aveugle, et il ne vécut pas longtemps,
parce qu’il était odieux à tous les Immortels. Moi, je ne voudrais point
comba re contre les Dieux heureux. Mais si tu es un des mortels qui
mangent les fruits de la terre, approche, afin d’a eindre plus
promptement aux bornes de la mort.
Et l’illustre fils de Hippolokhos lui répondit :
— Magnanime Tydéide, pourquoi t’informes-tu de ma race ? La
généra on des hommes est semblable à celle des feuilles. Le vent répand
les feuilles sur la terre, et la forêt germe et en produit de nouvelles, et le
temps du printemps arrive. C’est ainsi que la généra on des hommes naît
et s’éteint. Mais si tu veux savoir quelle est ma race que connaissent de
nombreux guerriers, sache qu’il est une ville, Éphyrè, au fond de la terre
d’Argos féconde en chevaux. Là vécut Sisyphos, le plus rusé des hommes,
Sisyphos Aiolidès ; et il engendra Glaukos, et Glaukos engendra
l’irréprochable Bellérophontès, à qui les Dieux donnèrent la beauté et la
vigueur charmante. Mais Proitos, qui était le plus puissant des Argiens, car
Zeus les avait soumis à son sceptre, eut contre lui de mauvaises pensées et
le chassa de son peuple. Car la femme de Proitos, la divine Antéia, désira
ardemment s’unir au fils de Glaukos par un amour secret ; mais elle ne
persuada point le sage et prudent Bellérophontès ; et, pleine de mensonge,
elle parla ainsi au roi Proitos :
— Meurs, Proitos, ou tue Bellérophontès qui, par violence, a voulu
s’unir d’amour à moi.
Elle parla ainsi, et, à ces paroles, la colère saisit le Roi. Et il ne tua point
Bellérophontès, redoutant pieusement ce meurtre dans son esprit ; mais il
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l’envoya en Lykiè avec des table es où il avait tracé des signes de mort,
afin qu’il les remît à son beau-père et que celui-ci le tuât. Et
Bellérophontès alla en Lykiè sous les heureux auspices des Dieux. Et quand
il y fut arrivé, sur les bords du rapide Xanthos, le roi de la grande Lykiè le
reçut avec honneur, lui fut hospitalier pendant neuf jours et sacrifia neuf
bœufs. Mais quand Eôs aux doigts rosés reparut pour la dixième fois, alors
il l’interrogea et demanda à voir les signes envoyés par son gendre Proitos.
Et, quand il les eut vus, il lui ordonna d’abord de tuer l’indomptable
Khimaira. Celle-ci était née des Dieux et non des hommes, lion par devant,
dragon par l’arrière, et chèvre par le milieu du corps. Et elle soufflait des
flammes violentes. Mais il la tua, s’étant fié aux prodiges des Dieux. Puis, il
comba t les Solymes illustres, et il disait avoir entrepris là le plus rude
combat des guerriers. Enfin il tua les Amazones viriles. Comme il revenait,
le Roi lui tendit un piège rusé, ayant choisi et placé en embuscade les plus
braves guerriers de la grande Lykiè. Mais nul d’entre eux ne revit sa
demeure, car l’irréprochable Bellérophontès les tua tous. Et le Roi connut
alors que cet homme était de la race illustre d’un Dieu, et il le re nt et lui
donna sa fille et la moi é de sa domina on royale. Et les Lykiens lui
choisirent un domaine, le meilleur de tous, plein d’arbres et de champs,
afin qu’il le cul vât. Et sa femme donna trois enfants au brave
Bellérophontès : Isandros, Hippolokhos et Laodaméia. Et le sage Zeus s’unit
à Laodaméia, et elle enfanta le divin Sarpèdôn couvert d’airain. Mais
quand Bellérophontès fut en haine aux Dieux, il errait seul dans le désert
d’Alèios. Arès insa able de guerre tua son fils Isandros, tandis que celui-ci
comba ait les illustres Solymes. Artémis aux rênes d’or, irritée, tua
Laodaméia ; et Hippolokhos m’a engendré, et je dis que je suis né de lui. Et
il m’a envoyé à Troiè, m’ordonnant d’être le premier parmi les plus braves,
afin de ne point déshonorer la généra on de mes pères qui ont habité
Éphyrè et la grande Lykiè. Je me glorifie d’être de cette race et de ce sang.
Il parla ainsi, et Diomèdès brave au combat fut joyeux, et il enfonça sa
lance dans la terre nourricière, et il dit avec bienveillance au prince des
peuples :
— Tu es certainement mon ancien hôte paternel. Autrefois, le noble
Oineus reçut pendant vingt jours dans ses demeures hospitalières
l’irréprochable Bellérophontès. Et ils se firent de beaux présents. Oineus
donna un splendide ceinturon de pourpre, et Bellérophontès donna une

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coupe d’or très-creuse que j’ai laissée, en partant, dans mes demeures. Je
ne me souviens point de Tydeus, car il me laissa tout pe t quand l’armée
des Akhaiens périt devant Thèbè. C’est pourquoi je suis un ami pour toi
dans Argos, et tu seras le mien en Lykiè quand j’irai vers ce peuple. Évitons
nos lances, même dans la mêlée. J’ai à tuer assez d’autres Troiens illustres
et d’alliés, soit qu’un Dieu me les amène, soit que je les a eigne, et toi
assez d’Akhaiens, si tu le peux. Échangeons nos armes, afin que tous
sachent que nous sommes des hôtes paternels.
Ayant ainsi parlé tous deux, ils descendirent de leurs chars et se
serrèrent la main et échangèrent leur foi. Mais le Kronide Zeus troubla
l’esprit de Glaukos qui donna au Tydéide Diomèdès des armes d’or du prix
de cent bœufs pour des armes d’airain du prix de neuf bœufs.
Dès que Hektôr fut arrivé aux portes Skaies et au Hêtre, toutes les
femmes et toutes les filles des Troiens couraient autour de lui, s’inquiétant
de leurs fils, de leurs frères, de leurs concitoyens et de leurs maris. Et il leur
ordonna de supplier toutes ensemble les Dieux, un grand deuil étant
réservé à beaucoup d’entre elles. Et quand il fut parvenu à la belle
demeure de Priamos aux por ques éclatants, — et là s’élevaient cinquante
chambres nup ales de pierre polie, construites les unes auprès des autres,
où couchaient les fils de Priamos avec leurs femmes légi mes ; et, en face,
dans la cour, étaient douze hautes chambres nup ales de pierre polie,
construites les unes auprès des autres, où couchaient les gendres de
Priamos avec leurs femmes chastes, — sa mère vénérable vint au-devant de
lui, comme elle allait chez Laodikè, la plus belle de ses filles, et elle lui prit
la main et parla ainsi :
— Enfant, pourquoi as-tu qui é la rude bataille ? Les fils odieux des
Akhaiens nous pressent sans doute et comba ent autour de la ville, et tu
es venu tendre les mains vers Zeus, dans la citadelle ? A ends un peu, et je
t’apporterai un vin mielleux afin que tu en fasses des liba ons au père
Zeus et aux autres Immortels, et que tu sois ranimé, en ayant bu ; car le vin
augmente la force du guerrier fa gué ; et ta fa gue a été grande, tandis
que tu défendais tes concitoyens.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :
— Ne m’apporte pas un vin mielleux, mère vénérable, de peur que tu

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m’affaiblisses et que je perde force et courage. Je craindrais de faire des


liba ons de vin pur à Zeus avec des mains souillées, car il n’est point
permis, plein de sang et de poussière, d’implorer le Krôniôn qui amasse les
nuées. Donc, porte des parfums et réunis les femmes âgées dans le temple
d’Athènè dévastatrice ; et dépose sur les genoux d’Athènè à la belle
chevelure le péplos le plus riche et le plus grand qui soit dans ta demeure,
et celui que tu aimes le plus ; et promets de sacrifier dans son temple
douze génisses d’un an, encore indomptées, si elle prend pi é de la Ville et
des femmes Troiennes et de leurs enfants, et si elle détourne de la sainte
Ilios le fils de Tydeus, le féroce guerrier qui répand le plus de terreur. Va
donc au temple d’Athènè dévastatrice, et moi, j’irai vers Pâris, afin de
l’appeler, si pourtant il veut entendre ma voix. Plût aux Dieux que la terre
s’ouvrît sous lui ! car l’Olympien l’a certainement nourri pour la ruine
en ère des Troiens, du magnanime Priamos et de ses fils. Si je le voyais
descendre chez Aidès, mon âme serait délivrée de ses amères douleurs.
Il parla ainsi, et Hékabè se rendit à sa demeure et commanda aux
servantes ; et celles-ci, par la ville, réunirent les femmes âgées. Puis Hékabè
entra dans sa chambre nup ale parfumée où étaient des péplos
diversement peints, ouvrage des femmes Sidoniennes que le divin
Alexandros avait ramenées de Sidôn, dans sa naviga on sur la haute mer
par où il avait conduit Hélènè née d’un père divin. Et, pour l’offrir à
Athènè, Hékabè en prit un, le plus beau, le plus varié et le plus grand ; et il
brillait comme une étoile et il était placé le dernier. Et elle se mit en
marche, et les femmes âgées la suivaient.
Et quand elles furent arrivées dans le temple d’Athènè, Théanô aux
belles joues, fille de Kissèis, femme du dompteur de chevaux Antènôr, leur
ouvrit les portes, car les Troiens l’avaient faite prêtresse d’Athènè. Et
toutes, avec un gémissement, tendirent les mains vers Athènè. Et Théanô
aux belles joues, ayant reçu le péplos, le déposa sur les genoux d’Athènè à
la belle chevelure, et, en le lui vouant, elle priait la fille du grand Zeus :
— Vénérable Athènè, gardienne de la Ville, très-divine Déesse, brise la
lance de Diomèdès, et fais-le tomber lui-même devant les portes Skaies,
afin que nous te sacrifiions dans ton temple douze génisses d’un an,
encore indomptées, si tu prends pi é de la Ville, des femmes Troiennes et
de leurs enfants.

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Elle parla ainsi dans son vœu, et elles suppliaient ainsi la fille du grand
Zeus ; mais Pallas Athènè les refusa.
Et Hektôr gagna les belles demeures d’Alexandros, que celui-ci avait
construites lui-même à l’aide des meilleurs ouvriers de la riche Troiè. Et ils
avaient construit une chambre nup ale, une maison et une cour, auprès
des demeures de Priamos et de Hektôr, au sommet de la citadelle. Ce fut là
que Hektôr, cher à Zeus, entra. Et il tenait à la main une lance haute de dix
coudées ; et une pointe d’airain é ncelait à l’extrémité de la lance, fixée
par un anneau d’or. Et, dans la chambre nup ale, il trouva Alexandros qui
s’occupait de ses belles armes, polissant son bouclier, sa cuirasse et ses
arcs recourbés. Et l’Argienne Hélénè était assise au milieu de ses femmes,
dirigeant leurs beaux travaux.
Et Hektôr, ayant regardé Pâris, lui dit ces paroles outrageantes :
— Misérable ! la colère que tu as ressen e n’était point bonne. Nos
troupes périssent autour de la Ville, sous les hautes murailles. Grâce à toi,
les clameurs de la guerre montent avec fureur autour de ce e ville, et tu
blâmerais toi-même celui que tu verrais s’éloigner de la rude bataille. Lève-
toi donc, si tu ne veux voir la Ville consumée bientôt par la flamme
ardente.
Et le divin Alexandros lui répondit :
— Hektôr, puisque tu ne m’as point blâmé avec violence, mais dans la
juste mesure, je te répondrai. Je ne restais point dans ma chambre nuptiale
par colère ou par indigna on contre les Troiens, mais pour me livrer à la
douleur. Maintenant que mon épouse me conseille par de douces paroles
de retourner au combat, je crois, comme elle, que cela est pour le mieux.
La victoire exauce tour à tour les guerriers. Mais a ends que je revête mes
armes belliqueuses, ou précède-moi, je vais te suivre.
Il parla ainsi, et Hektôr ne lui répondit rien ; et Hélénè dit à Hektôr ces
douces paroles :
— Mon frère, frère d’une misérable chienne de malheur, et horrible !
Plût aux Dieux qu’au jour même où ma mère m’enfanta un furieux souffle
de vent m’eût emportée sur une montagne ou abîmée dans la mer
tumultueuse, et que l’onde m’eût englou e, avant que ces choses fussent

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

arrivées ! Mais, puisque les Dieux avaient résolu ces maux, je voudrais être
la femme d’un meilleur guerrier, et qui souffrît au moins de l’indigna on et
des exécra ons des hommes. Mais celui-ci n’a point un cœur inébranlable,
et il ne l’aura jamais, et je pense qu’il en portera bientôt la peine. Viens,
mon frère, entre et prends ce siége, car ton âme est pleine d’un lourd
souci, grâce à moi, chienne que je suis, et grâce au crime d’Alexandros.
Zeus nous a fait à tous deux une mauvaise des née, afin que nous soyons
célèbres par là chez les hommes qui naîtront dans l’avenir.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :
— Ne me fais point asseoir, Hélénè, bien que tu m’aimes, car tu ne me
persuaderas point. Mon cœur est plein du désir de secourir les Troiens qui
regre ent vivement mon absence. Mais excite Pâris, et qu’il se hâte de me
suivre, tandis que je serai encore dans la Ville. Je vais, dans ma demeure,
revoir mes serviteurs, ma femme bien-aimée et mon pe t enfant. Je ne sais
s’il me sera permis de les revoir jamais plus, ou si les Dieux me dompteront
par les mains des Akhaiens.
Ayant ainsi parlé, Hektôr au casque mouvant sor t et parvint bientôt à
ses demeures, et il n’y trouva point Andromakhè aux bras blancs, car elle
était sor e avec son fils et une servante au beau péplos, et elle se tenait
sur la tour, pleurant et gémissant. Hektôr, n’ayant point trouvé dans ses
demeures sa femme irréprochable, s’arrêta sur le seuil et parla ainsi aux
servantes :
– Venez, servantes, et dites-moi la vérité. Où est allée, hors des
demeures, Andromakhè aux bras blancs ? Est-ce chez mes sœurs, ou chez
mes belles-sœurs au beau péplos, ou dans le temple d’Athènè avec les
autres Troiennes qui apaisent la puissante Déesse à la belle chevelure ?
Et la vigilante Intendante lui répondit :
– Hektôr, puisque tu veux que nous disions la vérité, elle n’est point
allée chez tes sœurs, ni chez tes belles-sœurs au beau péplos, ni dans le
temple d’Athènè avec les autres Troiennes qui apaisent la puissante
Déesse à la belle chevelure ; mais elle est au faîte de la vaste tour d’Ilios,
ayant appris une grande victoire des Akhaiens sur les Troiens. Et, pleine
d’égarement, elle s’est hâtée de courir aux murailles, et la nourrice, auprès
d’elle, portait l’enfant.
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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

Et la femme intendante parla ainsi. Hektôr, étant sor de ses demeures,


reprit son chemin à travers les rues magnifiquement construites et
populeuses, et, traversant la grande Ville, il arriva aux portes Skaies par où
il devait sor r dans la plaine. Et sa femme, qui lui apporta une riche dot,
accourut au-devant de lui, Andromakhè, fille du magnanime Êé ôn qui
habita sous le Plakos couvert de forêts, dans Thèbè Hypoplakienne, et qui
commanda aux Kilikiens. Et sa fille était la femme de Hektôr au casque
d’airain. Et quand elle vint au-devant de lui, une servante l’accompagnait
qui portait sur le sein son jeune fils, pe t enfant encore, le Hektoréide
bien-aimé, semblable à une belle étoile. Hektôr le nommait Skamandrios,
mais les autres Troiens Astyanax, parce que Hektôr seul protégeait Troiè. Et
il sourit en regardant son fils en silence ; mais Andromakhè, se tenant
auprès de lui en pleurant, prit sa main et lui parla ainsi :
— Malheureux, ton courage te perdra ; et tu n’as pi é ni de ton fils
enfant, ni de moi, misérable, qui serai bientôt ta veuve, car les Akhaiens te
tueront en se ruant tous contre toi. Il vaudrait mieux pour moi, après
t’avoir perdu, subir la sépulture, car rien ne me consolera quand tu auras
accompli ta des née, et il ne me restera que mes douleurs. Je n’ai plus ni
mon père ni ma mère vénérable. Le divin Akhilleus tua mon père, quand il
saccagea la ville populeuse des Kilikiens, Thèbè aux portes hautes. Il tua
Êé ôn, mais il ne le dépouilla point, par un respect pieux. Il le brûla avec
ses belles armes et il lui éleva un tombeau, et les Nymphes Ores ades,
filles de Zeus tempêtueux, plantèrent des ormes autour. J’avais sept frères
dans nos demeures ; et tous descendirent en un jour chez Aidès, car le
divin Akhilleus aux pieds rapides les tua tous, auprès de leurs bœufs aux
pieds lents et de leurs blanches brebis. Et il emmena, avec les autres
dépouilles, ma mère qui régnait sous le Plakos planté d’arbres, et il
l’affranchit bientôt pour une grande rançon ; mais Artémis qui se réjouit de
ses flèches la perça dans nos demeures. Hektôr ! Tu es pour moi un père,
une mère vénérable, un frère et un époux plein de jeunesse ! Aie pi é !
Reste sur ce e tour ; ne fais point ton fils orphelin et ta femme veuve.
Réunis l’armée auprès de ce figuier sauvage où l’accès de la Ville est le plus
facile. Déjà, trois fois, les plus courageux des Akhaiens ont tenté cet assaut,
les deux Aias, l’illustre Idoméneus, les Atréides et le brave fils de Tydeus,
soit par le conseil d’un divinateur, soit par le seul élan de leur courage.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :

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— Certes, femme, ces inquiétudes me possèdent aussi, mais je


redouterais cruellement les Troiens et les Troiennes aux longs péplos
traînants, si, comme un lâche, je fuyais le combat. Et mon cœur ne me
pousse point à fuir, car j’ai appris à être toujours audacieux et à combattre,
parmi les premiers, pour la gloire de mon père et pour la mienne. Je sais,
dans mon esprit et dans mon cœur, qu’un jour viendra où la sainte Troiè
périra, et Priamos, et le brave peuple de Priamos. Mais ni le malheur futur
des Troiens ni celui de Hékabè elle-même, du roi Priamos et de mes frères
courageux qui tomberont en foule sous les guerriers ennemis, ne m’afflige
autant que le en, quand un Akhaien cuirassé d’airain te ravira la liberté et
t’emmènera pleurante ! Et tu sseras la toile de l’Étranger, et tu porteras
de force l’eau de Messèis et de Hypéréiè, car la dure nécessité le voudra.
Et, sans doute, quelqu’un dira, te voyant répandre des larmes : — Celle-ci
est la femme de Hektôr qui était le plus brave des Troiens dompteurs de
chevaux quand il comba ait autour de Troiè. — Quelqu’un dira cela, et tu
seras déchirée d’une grande douleur, en songeant à cet époux que tu auras
perdu, et qui, seul, pourrait finir ta servitude. Mais que la lourde terre me
recouvre mort, avant que j’entende tes cris et que je te voie arracher d’ici !
Ayant ainsi parlé, l’illustre Hektôr tendit les mains vers son fils, mais
l’enfant se rejeta en arrière dans le sein de la nourrice à la belle ceinture,
épouvanté à l’aspect de son père bien-aimé, et de l’airain et de la queue
de cheval qui s’agitait terriblement sur le cône du casque. Et le père bien-
aimé sourit et la mère vénérable aussi. Et l’illustre Hektôr ôta son casque et
le déposa resplendissant sur la terre. Et il baisa son fils bien-aimé, et, le
berçant dans ses bras, il supplia Zeus et les autres Dieux :
– Zeus, et vous, Dieux, faites que mon fils s’illustre comme moi parmi les
Troiens, qu’il soit plein de force et qu’il règne puissamment dans Troiè !
Qu’on dise un jour, le voyant revenir du combat : Celui-ci est plus brave
que son père ! Qu’ayant tué le guerrier ennemi, il rapporte de sanglantes
dépouilles, et que le cœur de sa mère en soit réjoui !
Ayant ainsi parlé, il déposa son enfant entre les bras de sa femme bien-
aimée, qui le reçut sur son sein parfumé, en pleurant et en souriant ; et le
guerrier, voyant cela, la caressa de la main et lui dit :
– Malheureuse, ne te désespère point à cause de moi. Aucun guerrier ne
m’enverra chez Aidès contre ma des née, et nul homme vivant ne peut fuir
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sa des née, lâche ou brave. Mais retourne dans tes demeures, prends soin
de tes travaux, de la toile et de la quenouille, et mets tes servantes à leur
tâche. Le souci de la guerre appar ent à tous les guerriers qui sont nés
dans Ilios, et surtout à moi.
Ayant ainsi parlé, l’illustre Hektôr reprit son casque à flottante queue de
cheval. Et l’Épouse bien-aimée retourna vers ses demeures, regardant en
arrière et versant des larmes. Et aussitôt qu’elle fut arrivée aux demeures
du tueur d’hommes Hektôr, elle y trouva ses nombreuses servantes en
proie à une grande douleur. Et celles-ci pleuraient, dans ses demeures,
Hektôr encore vivant, ne pensant pas qu’il revînt jamais plus du combat,
ayant échappé aux mains guerrières des Akhaiens.
Et Pâris ne s’a ardait point dans ses hautes demeures mais, ayant
revêtu ses armes excellentes, d’un airain varié, il parcourait la Ville, de ses
pieds rapides, tel qu’un étalon qui, longtemps nourri d’orge à la crèche, ses
liens étant rompus, court dans la plaine en frappant la terre et saute dans
le fleuve au beau cours où il a coutume de se baigner. Et il redresse la tête,
et ses crins flo ent épars sur ses épaules, et, fier de sa beauté, ses jarrets
le portent d’un trait aux lieux où paissent les chevaux. Ainsi Pâris Priamide,
sous ses armes éclatantes comme l’éclair, descendait de la hauteur de
Pergamos ; et ses pieds rapides le portaient ; et voici qu’il rencontra le
divin Hektôr, son frère, comme celui-ci qui ait le lieu où il s’était entretenu
avec Andromakhè.
Et, le premier, le roi Alexandros lui dit :
– Frère vénéré, sans doute je t’ai retardé et je ne suis point venu
promptement comme tu me l’avais ordonné.
Hektôr au casque mouvant lui répondit :
– Ami, aucun guerrier, avec équité, ne peut te blâmer dans le combat,
car tu es brave ; mais tu te lasses vite, et tu refuses alors de comba re, et
mon cœur est a risté par les outrages que t’adressent les Troiens qui
subissent tant de maux à cause de toi. Mais, allons ! et nous apaiserons ces
ressen ments, si Zeus nous donne d’offrir un jour, dans nos demeures, un
libre kratèr aux Dieux Ouraniens qui vivent toujours, après avoir chassé
loin de Troiè les Akhaiens aux belles knèmides.

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Chant 7
Ayant ainsi parlé, l’illustre Hektôr sor t des portes, et son frère
Alexandros l’accompagnait, et tous deux, dans leur cœur, étaient pleins du
désir de comba re. Comme un Dieu envoie un vent propice aux matelots
suppliants qui se sont épuisés à ba re la mer de leurs avirons polis, de
sorte que leurs membres sont rompus de fa gue, de même les Priamides
apparurent aux Troiens qui les désiraient.
Et aussitôt Alexandros tua le fils du roi Arèithoos, Ménèsthios, qui
habitait dans Arnè, et que Arèithoos qui comba ait avec une massue
engendra de Philomédousa aux yeux de bœuf. Et Hektôr tua, de sa pique
aiguë, Eionèos ; et l’airain le frappa au cou, sous le casque, et brisa ses
forces. Et Glaukos, fils de Hippolokhos, chef des Lykiens, blessa, de sa
pique, entre les épaules, au milieu de la mêlée, Iphinoos Dexiade qui
sautait sur ses chevaux rapides. Et il tomba sur la terre, et ses forces furent
brisées.
Et la divine Athènè aux yeux clairs, ayant vu les Argiens qui périssaient
dans la rude bataille, descendit à la hâte du faîte de l’Olympos devant la
sainte Ilios, et Apollôn accourut vers elle, voulant donner la victoire aux
Troiens, et l’ayant vue de la hauteur de Pergamos. Et ils se rencontrèrent
auprès du Hêtre, et le roi Apollôn, fils de Zeus, parla le premier :
– Pourquoi, pleine d’ardeur, viens-tu de nouveau de l’Olympos, fille du
grand Zeus ? Est-ce pour assurer aux Danaens la victoire douteuse ? Car tu
n’as nulle pi é des Troiens qui périssent. Mais, si tu veux m’en croire, ceci
sera pour le mieux. Arrêtons pour aujourd’hui la guerre et le combat. Tous
lu eront ensuite jusqu’à la chute de Troiè, puisqu’il vous plaît, à vous,
immortels, de renverser cette ville.
Et la Déesse aux yeux clairs, Athènè, lui répondit :
– Qu’il en soit ainsi, ô archer ! C’est dans ce même dessein que je suis
venue de l’Olympos vers les Troiens et les Akhaiens. Mais comment
arrêteras-tu le combat des guerriers ?
Et le roi Apollôn, fils de Zeus, lui répondit :

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– Excitons le solide courage de Hektôr dompteur de chevaux, et qu’il


provoque, seul, un des Danaens à comba re un rude combat. Et les
Akhaiens aux knèmides d’airain exciteront un des leurs à comba re le
divin Hektôr.
Il parla ainsi, et la divine Athènè aux yeux clairs consen t. Et Hélénos, le
cher fils de Priamos, devina dans son esprit ce qu’il avait plu aux Dieux de
décider, et il s’approcha de Hektôr et lui parla ainsi :
– Hektôr Priamide, égal à Zeus en sagesse, voudras-tu m’en croire, moi
qui suis ton frère ? Fais que les Troiens et tous les Akhaiens s’arrêtent, et
provoque le plus brave des Akhaiens à comba re contre toi un rude
combat. Ta Moire n’est point de mourir et de subir aujourd’hui ta destinée,
car j’ai entendu la voix des Dieux qui vivent toujours.
Il parla ainsi, et Hektôr s’en réjouit, et, s’avançant en tête des Troiens, il
arrêta leurs phalanges à l’aide de la pique qu’il tenait par le milieu, et tous
s’arrêtèrent. Et Agamemnôn con nt aussi les Akhaiens aux belles
knèmides. Et Athènè et Apollôn qui porte l’arc d’argent, semblables à des
vautours, s’assirent sous le hêtre élevé du père Zeus tempêtueux qui se
réjouit des guerriers. Et les deux armées, par rangs épais, s’assirent,
hérissées et brillantes de boucliers, de casques et de piques. Comme, au
souffle de Zéphyros, l’ombre se répand sur la mer qui devient toute noire,
de même les rangs des Akhaiens et des Troiens couvraient la plaine. Et
Hektôr leur parla ainsi :
— Écoutez-moi, Troiens et Akhaiens aux belles knèmides, afin que je
vous dise ce que mon cœur m’ordonne de dire. Le sublime Kronide n’a
point scellé notre alliance, mais il songe à nous accabler tous de calamités,
jusqu’à ce que vous preniez Troiè aux fortes tours, ou que vous soyez
domptés auprès des nefs qui fendent la mer. Puisque vous êtes les princes
des Panakhaiens, que celui d’entre vous que son courage poussera à
comba re contre moi sorte des rangs et comba e le divin Hektôr. Je vous
le dis, et que Zeus soit témoin : si celui-là me tue de sa pique d’airain, me
dépouillant de mes armes, il les emportera dans ses nefs creuses ; mais il
renverra mon corps dans ma demeure, afin que les Troiens et les femmes
des Troiens brûlent mon cadavre sur un bûcher ; et, si je le tue, et
qu’Apollôn me donne ce e gloire, j’emporterai ses armes dans la sainte
Ilios et je les suspendrai dans le temple de l’archer Apollôn ; mais je
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renverrai son corps aux nefs solides, afin que les Akhaiens chevelus
l’ensevelissent. Et ils lui élèveront un tombeau sur le rivage du large
Hellèspontos. Et quelqu’un d’entre les hommes futurs, naviguant sur la
noire mer, dans sa nef solide, dira, voyant ce tombeau d’un guerrier mort
depuis longtemps :
— Celui-ci fut tué autrefois par l’illustre Hektôr dont le courage était
grand. — Il le dira, et ma gloire ne mourra jamais.
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, n’osant refuser ni accepter. Alors
Ménélaos se leva et dit, plein de reproches, et soupirant profondément :
— Hélas ! Akhaiennes menaçantes, et non plus Akhaiens ! certes, ceci
nous sera un grand opprobre, si aucun des Danaens ne se lève contre
Hektôr. Mais que la terre et l’eau vous manquent, à vous qui restez assis
sans courage et sans gloire ! Moi, je m’armerai donc contre Hektôr, car la
victoire enfin est entre les mains des Dieux Immortels.
Il parla ainsi, et il se couvrait de ses belles armes. Alors, Ménélaos, tu
aurais trouvé la fin de ta vie sous les mains de Hektôr, car il était beaucoup
plus fort que toi, si les Rois des Akhaiens, s’étant levés, ne t’eussent
retenu. Et l’Atréide Agamemnôn qui commande au loin lui prit la main et
lui dit :
— Insensé Ménélaos, nourrisson de Zeus, d’où te vient ce e démence ?
Con ens-toi, malgré ta douleur. Cesse de vouloir comba re contre un
meilleur guerrier que toi, le Priamide Hektôr, que tous redoutent.
Akhilleus, qui est beaucoup plus fort que toi dans la bataille qui illustre les
guerriers, craint de le rencontrer. Reste donc assis dans les rangs de tes
compagnons, et les Akhaiens exciteront un autre comba ant. Bien que le
Priamide soit brave et insa able de guerre, je pense qu’il se reposera
volontiers, s’il échappe à ce rude combat.
Il parla ainsi, et l’esprit du héros fut persuadé par les paroles sages de
son frère, et il lui obéit. Et ses serviteurs, joyeux, enlevèrent les armes de
ses épaules. Et Nestôr se leva au milieu des Argiens et dit :
— Ah ! certes, un grand deuil envahit la terre Akhaienne ! Et le vieux
cavalier Pèleus, excellent et sage agorète des Myrmidônes, va gémir
grandement, lui qui, autrefois, m’interrogeant dans sa demeure, apprenait,

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plein de joie, quels étaient les pères et les fils de tous les Akhaiens ! Quand
il saura que tous sont épouvantés par Hektôr, il étendra souvent les mains
vers les Immortels, afin que son âme, hors de son corps, descende dans la
demeure d’Aidès ! Plût à vous, ô Zeus, Athènè et Apollôn, que je fusse
plein de jeunesse, comme au temps où, près du rapide Kéladontès, les
Pyliens comba aient les Arkadiens armés de piques, sous les murs de
Phéia où viennent les eaux courantes du Iardanos. Au milieu d’eux était le
divin guerrier Éreuthaliôn, portant sur ses épaules les armes du roi
Arèithoos, du divin Arèithoos que les hommes et les femmes aux belles
ceintures appelaient le porte-massue, parce qu’il ne comba ait ni avec
l’arc, ni avec la longue pique, mais qu’il rompait les rangs ennemis à l’aide
d’une massue de fer. Lykoorgos le tua par ruse, et non par force, dans une
route étroite, où la massue de fer ne put écarter de lui la mort. Là,
Lykoorgos, le prévenant, le perça de sa pique dans le milieu du corps, et le
renversa sur la terre. Et il le dépouilla des armes que lui avait données le
rude Arès. Dès lors, Lykoorgos les porta dans la guerre ; mais, devenu vieux
dans ses demeures, il les donna à son cher compagnon Éreuthaliôn, qui,
étant ainsi armé, provoquait les plus braves. Et tous tremblaient, pleins de
crainte, et nul n’osait. Et mon cœur hardi me poussa à comba re, confiant
dans mes forces, bien que le plus jeune de tous. Et je comba s, et Athènè
m’accorda la victoire, et je tuai ce très-robuste et très-brave guerrier dont
le grand corps couvrit un vaste espace. Plût aux Dieux que je fusse ainsi
plein de jeunesse et que mes forces fussent intactes ! Hektôr au casque
mouvant commencerait aussitôt le combat. Mais vous ne vous hâtez point
de lutter contre Hektôr, vous qui êtes les plus braves des Panakhaiens.
Et le vieillard leur fit ces reproches, et neuf d’entre eux se levèrent. Et le
premier fut le roi des hommes, Agamemnôn. Puis, le brave Diomèdès
Tydéide se leva. Et après eux se levèrent les Aias revêtus d’une grande
force, et Idoméneus et le compagnon d’Idoméneus, Mèrionès, semblable
au tueur de guerriers Arès, et Eurypylos, l’illustre fils d’Évaimôn, et Thoas
Andraimonide et le divin Odysseus. Tous voulaient comba re contre le
divin Hektôr. Et le cavalier Gérennien Nestôr dit au milieu d’eux :
– Remuez maintenant tous les sorts, et celui qui sera choisi par le sort
comba ra pour tous les Akhaiens aux belles knèmides, et il se réjouira de
son courage, s’il échappe au rude combat et à la lutte dangereuse.

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Il parla ainsi, et chacun marqua son signe, et tous furent mêlés dans le
casque de l’Atréide Agamemnôn. Et les peuples priaient, élevant les mains
vers les Dieux, et chacun disait, regardant le large Ouranos :
– Père Zeus, fais sor r le signe d’Aias, ou du fils de Tydeus, ou du roi de
la très-riche Mykènè !
Ils parlèrent ainsi, et le cavalier Gérennien Nestôr agita le casque et en
fit sor r le signe d’Aias que tous désiraient. Un héraut le prit, le présentant
par la droite aux princes Akhaiens. Et ceux qui ne le reconnaissaient point
le refusaient. Mais quand il parvint à celui qui l’avait marqué et jeté dans
le casque, à l’illustre Aias, celui-ci le reconnut aussitôt, et, le laissant
tomber à ses pieds, il dit, plein de joie :
– Ô amis, ce signe est le mien ; et je m’en réjouis dans mon cœur, et je
pense que je dompterai le divin Hectôr. Allons ! pendant que je revê rai
mes armes belliqueuses, suppliez tout bas, afin que les Troiens ne vous
entendent point, le roi Zeus Kroniôn ; ou priez-le tout haut, car nous ne
craignons personne. Quel guerrier pourrait me dompter aisément, à l’aide
de sa force ou de ma faiblesse ? Je suis né dans Salamis, et je n’y ai point
été élevé sans gloire.
Il parla ainsi, et tous suppliaient le père Zeus Kroniôn, et chacun disait,
regardant le vaste Ouranos :
– Père Zeus, qui commandes de l’Ida, très-auguste, très-grand, donne la
victoire à Aias et qu’il remporte une gloire brillante ; mais, si tu aimes
Hektôr et le protèges, fais que le courage et la gloire des deux guerriers
soient égaux.
Ils parlèrent ainsi, et Aias s’armait de l’airain éclatant. Et après qu’il eut
couvert son corps de ses armes, il marcha en avant, pareil au monstrueux
Arès que le Kroniôn envoie au milieu des guerriers qu’il pousse à
comba re, le cœur plein de fureur. Ainsi marchait le grand Aias, rempart
des Akhaiens, avec un sourire terrible, à grands pas, et brandissant sa
longue pique. Et les Argiens se réjouissaient en le regardant, et un
tremblement saisit les membres des Troiens, et le cœur de Hektôr lui-
même palpita dans sa poitrine ; mais il ne pouvait reculer dans la foule des
siens, ni fuir le combat, puisqu’il l’avait demandé. Et Aias s’approcha,
portant un bouclier fait d’airain et de sept peaux de bœuf, et tel qu’une
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tour. Et l’excellent ouvrier Tykhios qui habitait Hylè l’avait fabriqué à l’aide
de sept peaux de forts taureaux, recouvertes d’une plaque d’airain. Et Aias
Télamônien, portant ce bouclier devant sa poitrine, s’approcha de Hektôr,
et dit ces paroles menaçantes :
– Maintenant, Hektôr, tu sauras, seul à seul, quels sont les chefs des
Danaens, sans compter Akhilleus au cœur de lion, qui rompt les phalanges
des guerriers. Il repose aujourd’hui, sur le rivage de la mer, dans ses nefs
aux poupes recourbées, irrité contre Agamemnôn le prince des peuples ;
mais nous pouvons tous combattre contre toi. Commence donc le combat.
Et Hektôr au casque mouvant lui répondit :
— Divin Aias Télamônien, prince des peuples, ne m’éprouve point
comme si j’étais un faible enfant ou une femme qui ignore les travaux de la
guerre. Je sais comba re et tuer les hommes, et mouvoir mon dur bouclier
de la main droite ou de la main gauche, et il m’est permis de comba re
audacieusement. Je sais, dans la rude bataille, de pied ferme marcher au
son d’Arès, et me jeter dans la mêlée sur mes cavales rapides. Mais je ne
veux point frapper un homme tel que toi par surprise, mais en face, si je
puis.
Il parla ainsi, et il lança sa longue pique vibrante et frappa le grand
bouclier d’Aias. Et la pique irrésis ble pénétra à travers les sept peaux de
bœuf jusqu’à la dernière lame d’airain. Et le divin Aias lança aussi sa
longue pique, et il en frappa le bouclier égal du Priamide ; et la pique
solide pénétra dans le bouclier éclatant, et, perçant la cuirasse ar stement
faite, déchira la tunique sur le flanc. Mais le Priamide se courba et évita la
noire Kèr.
Et tous deux, relevant leurs piques, se ruèrent, semblables à des lions
mangeurs de chair crue, ou à des sangliers dont la vigueur est grande. Et le
Priamide frappa de sa pique le milieu du bouclier, mais il n’en perça point
l’airain, et la pointe s’y tordit. Et Aias, bondissant, frappa le bouclier, qu’il
traversa de sa pique, et il arrêta Hektôr qui se ruait, et il lui blessa la gorge,
et un sang noir en jaillit. Mais Hektôr au casque mouvant ne cessa point de
comba re, et, reculant, il prit de sa forte main une pierre grande, noire et
rugueuse, qui gisait sur la plaine, et il frappa le milieu du grand bouclier
couvert de sept peaux de bœuf, et l’airain résonna sourdement. Et Aias,

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soulevant à son tour une pierre plus grande encore, la lança en lui
imprimant une force immense. Et, de ce e pierre, il brisa le bouclier, et les
genoux du Priamide fléchirent, et il tomba à la renverse sous le bouclier.
Mais Apollôn le releva aussitôt. Et déjà ils se seraient frappés tous deux de
leurs épées, en se ruant l’un contre l’autre, si les hérauts, messagers de
Zeus et des hommes, n’étaient survenus, l’un du côté des Troiens, l’autre
du côté des Akhaiens cuirassés, Talthybios et Idaios, sages tous deux. Et ils
levèrent leurs sceptres entre les deux guerriers, et Idaios, plein de conseils
prudents, leur dit :
— Ne comba ez pas plus longtemps, mes chers fils. Zeus qui amasse les
nuées vous aime tous deux, et tous deux vous êtes très-braves, comme
nous le savons tous. Mais voici la nuit, et il est bon d’obéir à la nuit.
Et le Télamônien Aias lui répondit :
— Idaios, ordonne à Hektôr de parler. C’est lui qui a provoqué au
combat les plus braves d’entre nous. Qu’il décide, et j’obéirai, et je ferai ce
qu’il fera.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :
— Aias, un Dieu t’a donné la prudence, la force et la grandeur, et tu
l’emportes par ta lance sur tous les Akhaiens. Cessons pour aujourd’hui la
lu e et le combat. Nous comba rons de nouveau plus tard, jusqu’à ce
qu’un Dieu en décide et donne à l’un de nous la victoire. Voici la nuit, et il
est bon d’obéir à la nuit, afin que tu réjouisses, auprès des nefs
Akhaiennes, tes concitoyens et tes compagnons, et que j’aille, dans la
grande ville du roi Priamos, réjouir les Troiens et les Troiennes ornées de
longues robes, qui prieront pour moi dans les temples divins. Mais faisons-
nous de mutuels et illustres dons, afin que les Akhaiens et les Troiens
disent : Ils ont comba u pour la discorde qui brûle le cœur, et voici qu’ils
se sont séparés avec amitié.
Ayant ainsi parlé, il offrit à Aias l’épée aux clous d’argent, avec la gaine
et les courroies ar stement travaillées, et Aias lui donna un ceinturon
éclatant, couleur de pourpre. Et ils se re rèrent, l’un vers l’armée des
Akhaiens, l’autre vers les Troiens. Et ceux-ci se réjouirent en foule, quand
ils virent Hektôr vivant et sauf, échappé des mains invaincues et de la force
d’Aias. Et ils l’emmenèrent vers la Ville, après avoir désespéré de son salut.
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Et, de leur côté, les Akhaiens bien armés conduisirent au divin


Agamemnôn Aias joyeux de sa victoire. Et quand ils furent arrivés aux
tentes de l’Atréide, le roi des hommes Agamemnôn sacrifia au puissant
Kroniôn un taureau de cinq ans. Après l’avoir écorché, disposé et coupé
adroitement en morceaux, ils percèrent ceux-ci de broches, les firent rô r
avec soin et les re rèrent du feu. Puis, ils préparèrent le repas et se mirent
à manger, et aucun ne put se plaindre, en son âme, de manquer d’une part
égale. Mais le héros Atréide Agamemnôn, qui commande au loin, honora
Aias du dos en er. Et, tous ayant bu et mangé selon leur soif et leur faim,
le vieillard Nestôr ouvrit le premier le conseil et parla ainsi, plein de
prudence :
— Atréides, et vous, chefs des Akhaiens, beaucoup d’Akhaiens chevelus
sont morts, dont le rude Arès a répandu le sang noir sur les bords du clair
Skamandros, et dont les âmes sont descendues chez Aidès. C’est pourquoi
il faut suspendre le combat dès la lueur du ma n. Puis, nous étant réunis,
nous enlèverons les cadavres à l’aide de nos bœufs et de nos mulets, et
nous les brûlerons devant les nefs, afin que chacun en rapporte les cendres
à ses fils, quand tous seront de retour dans la terre de la patrie. Et nous
leur élèverons, autour d’un seul bûcher, un même tombeau dans la plaine.
Et tout auprès, nous construirons aussitôt de hautes tours qui nous
protégeront nous et nos nefs. Et nous y mettrons des portes solides pour le
passage des cavaliers, et nous creuserons en dehors un fossé profond qui
arrêtera les cavaliers et les chevaux, si les braves Troiens poussent le
combat jusque là.
Il parla ainsi, et tous les Rois l’approuvèrent.
Et l’agora tumultueuse et troublée des Troiens s’était réunie devant les
portes de Priamos, sur la haute citadelle d’Ilios. Et le sage Antènôr parla
ainsi le premier :
— Écoutez-moi, Troiens, Dardaniens et Alliés, afin que je dise ce que
mon cœur m’ordonne. Allons ! rendons aux Atréides l’Argienne Hélénè et
toutes ses richesses, et qu’ils les emmènent. Nous comba ons maintenant
contre les serments sacrés que nous avons jurés, et je n’espère rien de bon
pour nous, si vous ne faites ce que je dis.
Ayant ainsi parlé, il s’assit. Et alors se leva du milieu de tous le divin

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Alexandros, l’époux de Hélénè à la belle chevelure. Et il répondit en


paroles ailées :
— Antènôr, ce que tu as dit ne m’est point agréable. Tu aurais pu
concevoir de meilleurs desseins, et, si tu as parlé sérieusement, certes, les
Dieux t’ont ravi l’esprit. Mais je parle devant les Troiens dompteurs de
chevaux, et je repousse ce que tu as dit. Je ne rendrai point ce e femme.
Pour les richesses que j’ai emportées d’Argos dans ma demeure, je veux les
rendre toutes, et j’y ajouterai des miennes.
Ayant ainsi parlé, il s’assit. Et, au milieu de tous, se leva le Dardanide
Priamos, semblable à un Dieu par sa prudence. Et, plein de sagesse, il parla
ainsi et dit :
— Écoutez-moi, Troiens, Dardaniens et Alliés, afin que je dise ce que
mon cœur m’ordonne. Maintenant, prenez votre repas comme d’habitude,
et faites tour à tour bonne garde. Que dès le ma n Idaios se rende aux
nefs creuses, afin de porter aux Atréides Agamemnôn et Ménélaos l’offre
d’Alexandros d’où viennent nos discordes. Et qu’il leur demande, par de
sages paroles, s’ils veulent suspendre la triste guerre jusqu’à ce que nous
ayons brûlé les cadavres. Nous comba rons ensuite de nouveau, en
a endant que le sort décide entre nous et donne la victoire à l’un des
deux peuples.
Il parla ainsi, et ceux qui l’écoutaient obéirent, et l’armée prit son repas
comme d’habitude. Dès le ma n, Idaios se rendit aux nefs creuses. Et il
trouva les Danaens, nourrissons de Zeus, réunis dans l’agora, auprès de la
poupe de la nef d’Agamemnôn. Et, se tenant au milieu d’eux, il parla ainsi :
— Atréides et Akhaiens aux belles knèmides, Priamos et les illustres
Troiens m’ordonnent de vous porter l’offre d’Alexandros d’où viennent nos
discordes, si toutefois elle vous est agréable. Toutes les richesses
qu’Alexandros a rapportées dans Ilios sur ses nefs creuses, — plût aux
Dieux qu’il fût mort auparavant ! — il veut les rendre et y ajouter des
siennes ; mais il refuse de rendre la jeune épouse de l’illustre Ménélaos,
malgré les supplica ons des Troiens. Et ils m’ont aussi ordonné de vous
demander si vous voulez suspendre la triste guerre jusqu’à ce que nous
ayons brûlé les cadavres. Nous comba rons ensuite de nouveau, en
a endant que le sort décide entre nous et donne la victoire à l’un des

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deux peuples.
Il parla ainsi, et tous restèrent muets. Et Diomèdès hardi au combat
parla ainsi :
— Qu’aucun de nous n’accepte les richesses d’Alexandros ni Hélénè elle-
même. Il est manifeste pour tous, fût-ce pour un enfant, que le suprême
désastre est suspendu sur la tête des Troiens.
Il parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens poussèrent des acclama ons,
admirant les paroles du dompteur de chevaux Diomèdès. Et le roi
Agamemnôn dit à Idaios
— Idaios, tu as entendu la réponse des Akhaiens. Ils t’ont répondu, et
ce qu’ils disent me plaît. Cependant, je ne vous refuse point de brûler vos
morts et d’honorer par le feu les cadavres de ceux qui ont succombé. Que
l’époux de Hèrè, Zeus qui tonne dans les hauteurs, soit témoin de notre
traité !
Ayant ainsi parlé, il éleva son sceptre vers tous les Dieux. Et Idaios
retourna dans la sainte Ilios, où les Troiens et les Dardaniens étaient réunis
en agora, a endant son retour. Et il arriva, et, au milieu d’eux, il rendit
compte de son message. Et aussitôt ils s’empressèrent de transporter,
ceux-ci les cadavres, ceux-là le bois du bûcher. Et les Argiens, de leur côté,
s’exhortaient, loin des nefs creuses, à relever leurs morts et à construire le
bûcher.
Hélios, à son lever, frappait les campagnes de ses rayons, et, montant
dans l’Ouranos, sortait doucement du cours profond de l’Okéanos. Et les
deux armées accouraient l’une vers l’autre. Alors, il leur fut difficile de
reconnaître leurs guerriers ; mais quand ils eurent lavé leur poussière
sanglante, ils les déposèrent sur les chars en répandant des larmes
brûlantes. Et le grand Priamos ne leur permit point de gémir, et ils
amassèrent les morts sur le bûcher, se lamentant dans leur cœur. Et, après
les avoir brûlés, ils retournèrent vers la sainte Ilios.
De leur côté, les Akhaiens aux belles knèmides amassèrent les cadavres
sur le bûcher, tristes dans leur cœur. Et, après les avoir brûlés, ils s’en
retournèrent vers les nefs creuses. Éôs n’était point levée encore, et déjà la
nuit était douteuse, quand un peuple des Akhaiens vint élever dans la

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plaine un seul tombeau sur l’unique bûcher. Et, non loin, d’autres guerriers
construisirent, pour se protéger eux-mêmes et les nefs, de hautes tours
avec des portes solides pour le passage des cavaliers. Et ils creusèrent, au
dehors et tout autour, un fossé profond, large et grand, qu’ils défendirent
avec des pieux. Et c’est ainsi que travaillaient les Akhaiens chevelus.
Et les Dieux, assis auprès du foudroyant Zeus, regardaient avec
admira on ce grand travail des Akhaiens aux tuniques d’airain. Et, au
milieu d’eux, Poseidaôn qui ébranle la terre parla ainsi :
— Père Zeus, qui donc, parmi les mortels qui vivent sur la terre
immense, fera connaître désormais aux Immortels sa pensée et ses
desseins ? Ne vois-tu pas que les Akhaiens chevelus ont construit une
muraille devant leurs nefs, avec un fossé tout autour, et qu’ils n’ont point
offert d’illustres hécatombes aux Dieux ? La gloire de ceci se répandra
autant que la lumière d’Éôs ; et les murs que Phoibos Apollôn et moi avons
élevés au héros Laomédôn seront oubliés.
Et Zeus qui amasse les nuées, avec un profond soupir, lui répondit :
— Ah ! Très-puissant, qui ébranles la terre, qu’as-tu dit ? Un Dieu,
moins doué de force que toi, n’aurait point ce e crainte. Certes, ta gloire
se répandra aussi loin que la lumière d’Éôs. Reprends courage, et quand les
Akhaiens chevelus auront regagné sur leurs nefs la terre bien-aimée de la
patrie, englou s tout en er dans la mer ce mur écroulé, couvre de
nouveau de sables le vaste rivage, et que ce e immense muraille des
Akhaiens s’évanouisse devant toi.
Et ils s’entretenaient ainsi. Et Hélios se coucha, et le travail des Akhaiens
fut terminé. Et ceux-ci tuaient des bœufs sous les tentes, et ils prenaient
leurs repas. Et plusieurs nefs avaient apporté de Lemnos le vin qu’avait
envoyé le Ièsonide Eunèos, que Hypsipylè avait conçu du prince des
peuples Ièsôn. Et le Ièsonide avait donné aux Atréides mille mesures de
vin. Et les Akhaiens chevelus leur achetaient ce vin, ceux-ci avec de l’airain,
ceux-là avec du fer brillant ; les uns avec des peaux de bœufs, les autres
avec les bœufs eux-mêmes, et d’autres avec leurs esclaves. Et tous enfin
préparaient l’excellent repas.
Et, pendant toute la nuit, les Akhaiens chevelus mangeaient ; et les
Troiens aussi et les alliés mangeaient dans la Ville. Et, au milieu de la nuit,
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le sage Zeus, leur préparant de nouvelles calamités, tonna terriblement ; et


la pâle crainte les saisit. Et ils répandaient le vin hors des coupes, et aucun
n’osa boire avant de faire des liba ons au très-puissant Kroniôn. Enfin,
s’étant couchés, ils goûtèrent la douceur du sommeil.

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

Chant 8
Éôs au péplos couleur de safran éclairait toute la terre, et Zeus qui se
réjouit de la foudre convoqua l’agora des Dieux sur le plus haut faîte de
l’Olympos aux sommets sans nombre. Et il leur parla, et ils écoutaient
respectueusement :
— Écoutez-moi tous, Dieux et Déesses, afin que je vous dise ce que j’ai
résolu dans mon cœur. Et que nul Dieu, mâle ou femelle, ne résiste à mon
ordre ; mais obéissez tous, afin que j’achève promptement mon œuvre. Car
si j’apprends que quelqu’un des Dieux est allé secourir soit les Troiens, soit
les Danaens, celui-là reviendra dans l’Olympos honteusement châ é. Et je
le saisirai, et je le je erai au loin, dans le plus creux des gouffres de la
terre, au fond du noir Tartaros qui a des portes de fer et un seuil d’airain,
au-dessous de la demeure d’Aidès, autant que la terre est au-dessous de
l’Ouranos. Et il saura que je suis le plus fort de tous les Dieux. Debout,
Dieux ! tentez-le, et vous le saurez. Suspendez une chaîne d’or du faîte de
l’Ouranos, et tous, Dieux et Déesses, a achez-vous à ce e chaîne. Vous
n’entraînerez jamais, malgré vos efforts, de l’Ouranos sur la terre, Zeus le
modérateur suprême. Et moi, certes, si je le voulais, je vous enlèverais
tous, et la terre et la mer, et j’a acherais ce e chaîne au faîte de
l’Olympos, et tout y resterait suspendu, tant je suis au-dessus des Dieux et
des hommes !
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, stupéfaits de ces paroles, car il
avait durement parlé. Et Athènè, la déesse aux yeux clairs, lui dit :
— Ô notre Père ! Kronide, le plus haut des Rois, nous savons bien que ta
force ne le cède à aucune autre ; mais nous gémissons sur les Danaens,
habiles à lancer la pique, qui vont périr par une des née mauvaise. Certes,
nous ne comba rons pas, si tu le veux ainsi, mais nous conseillerons les
Argiens, afin qu’ils ne périssent point tous, grâce à ta colère.
Et Zeus qui amasse les nuées, souriant, lui dit :
— Reprends courage, Tritogénéia, chère enfant. Certes, j’ai parlé très-
rudement, mais je veux être doux pour toi.

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

Ayant ainsi parlé, il lia au char les chevaux aux pieds d’airain, rapides,
ayant pour crinières des chevelures d’or ; et il s’enveloppa d’un vêtement
d’or ; et il prit un fouet d’or bien travaillé, et il monta sur son char. Et il
frappa les chevaux du fouet, et ils volèrent aussitôt entre la terre et
l’Ouranos étoilé. Il parvint sur l’Ida qui abonde en sources, où vivent les
bêtes sauvages, et sur le Gargaros, où il possède une enceinte sacrée et un
autel parfumé. Le Père des hommes et des Dieux y arrêta ses chevaux, les
délia et les enveloppa d’une grande nuée. Et il s’assit sur le faîte, plein de
gloire, regardant la ville des Troiens et les nefs des Akhaiens.
Et les Akhaiens chevelus s’armaient, ayant mangé en hâte sous les
tentes ; et les Troiens aussi s’armaient dans la Ville ; et ils étaient moins
nombreux, mais brûlants du désir de comba re, par nécessité, pour leurs
enfants et pour leurs femmes. Et les portes s’ouvraient, et les peuples,
fantassins et cavaliers, se ruaient au dehors, et il s’élevait un bruit
immense.
Et quand ils se furent rencontrés, les piques et les forces des guerriers
aux cuirasses d’airain se mêlèrent confusément, et les boucliers bombés se
heurtèrent, et il s’éleva un bruit immense. On entendait les cris de joie et
les lamenta ons de ceux qui tuaient ou mouraient, et la terre ruisselait de
sang ; et tant qu’Éôs brilla et que le jour sacré monta, les traits frappèrent
les hommes, et les hommes tombaient. Mais quand Hélios fut parvenu au
faîte de l’Ouranos, le Père Zeus étendit ses balances d’or, et il y plaça deux
Kères de la mort qui rend immobile à jamais, la Kèr des Troiens dompteurs
de chevaux et la Kèr des Akhaiens aux cuirasses d’airain. Il éleva les
balances, les tenant par le milieu, et le jour fatal des Akhaiens s’inclina ; et
la des née des Akhaiens toucha la terre nourricière, et celle des Troiens
monta vers le large Ouranos. Et il roula le tonnerre immense sur l’Ida, et il
lança l’ardent éclair au milieu du peuple guerrier des Akhaiens ; et, l’ayant
vu, ils restèrent stupéfaits et pâles de terreur.
Ni Idoméneus, ni Agamemnôn, ni les deux Aias, serviteurs d’Arès,
n’osèrent rester. Le Gérennien Nestôr, rempart des Akhaiens, resta seul,
mais contre son gré, par la chute de son cheval. Le divin Alexandros,
l’époux de Hélénè aux beaux cheveux, avait percé le cheval d’une flèche au
sommet de la tête, endroit mortel, là où croissent les premiers crins. Et,
l’airain ayant pénétré dans la cervelle, le cheval, saisi de douleur, se roulait

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et épouvantait les autres chevaux. Et, comme le vieillard se hâtait de


couper les rênes avec l’épée, les rapides chevaux de Hektôr, portant leur
brave conducteur, approchaient dans la mêlée, et le vieillard eût perdu la
vie, si Diomèdès ne l’eût vu. Et il jeta un cri terrible, appelant Odysseus :
— Divin Laer ade, sub l Odysseus, pourquoi fuis-tu, tournant le dos
comme un lâche dans la mêlée ? Crains qu’on ne te perce d’une pique dans
le dos, tandis que tu fuis. Reste, et repoussons ce rude guerrier loin de ce
vieillard.
Il parla ainsi, mais le divin et pa ent Odysseus ne l’entendit point et
passa outre vers les nefs creuses des Akhaiens. Et le Tydéide, bien que seul,
se mêla aux comba ants avancés, et se nt debout devant les chevaux du
vieux Nèlèide, et il lui dit ces paroles ailées :
— Ô vieillard, voici que de jeunes guerriers te pressent avec fureur. Ta
force est dissoute, la lourde vieillesse t’accable, ton serviteur est faible et
tes chevaux sont lents. Mais monte sur mon char, et tu verras quels sont
les chevaux de Trôs que j’ai pris à Ainéias, et qui savent, avec une rapidité
égale, poursuivre l’ennemi ou fuir à travers la plaine. Que nos serviteurs
prennent soin de tes chevaux, et poussons ceux-ci sur les Troiens
dompteurs de chevaux, et que Hektôr sache si ma pique est furieuse entre
mes mains.
Il parla ainsi, et le cavalier Gérennien Nestôr lui obéit. Et les deux braves
serviteurs, Sthénélos et Eurymédôn, prirent soin de ses cavales. Et les deux
Rois montèrent sur le char de Diomèdès, et Nestôr saisit les rênes
brillantes et foue a les chevaux ; et ils approchèrent. Et le fils de Tydeus
lança sa pique contre le Priamide qui venait à lui, et il le manqua ; mais il
frappa dans la poitrine, près de la mamelle, Éniopeus, fils du magnanime
Thèbaios, et qui tenait les rênes des chevaux. Et celui-ci tomba du char, et
ses chevaux rapides reculèrent, et il perdit l’âme et la force. Une amère
douleur enveloppa l’âme de Hektôr à cause de son compagnon ; mais il le
laissa gisant, malgré sa douleur, et chercha un autre brave conducteur. Et
ses chevaux n’en manquèrent pas longtemps, car il trouva promptement le
hardi Arképtolémos Iphi de ; et il lui confia les chevaux rapides, et il lui
remit les rênes en main.
Alors, il serait arrivé un désastre, et des ac ons furieuses auraient été

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commises, et les Troiens auraient été renfermés dans Ilios comme des
agneaux, si le Père des hommes et des Dieux ne s’était aperçu de ceci. Et il
tonna fortement, lançant la foudre éclatante devant les chevaux de
Diomèdès ; et l’ardente flamme du soufre brûlant jaillit. Les chevaux
effrayés s’aba rent sous le char, et les rênes splendides échappèrent des
mains de Nestôr ; et il craignit dans son cœur, et il dit à Diomèdès :
— Tydéide ! retourne, fais fuir les chevaux aux sabots épais. Ne vois-tu
point que Zeus ne t’aide pas ? Voici que Zeus Kronide donne maintenant la
victoire à Hektôr, et il nous la donnera aussi, selon sa volonté. Le plus
brave des hommes ne peut rien contre la volonté de Zeus dont la force est
sans égale.
Et Diomèdès hardi au combat lui répondit :
— Oui, vieillard, tu as dit vrai, et selon la jus ce ; mais une amère
douleur envahit mon âme. Hektôr dira, haranguant les Troiens : Le Tydéide
a fui devant moi vers ses nefs ! Avant qu’il se glorifie de ceci, que la terre
profonde m’engloutisse !
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
— Ah ! fils du brave Tydeus, qu’as-tu dit ? Si Hektôr te nommait lâche et
faible, ni les Troiens, ni les Dardaniens, ne l’en croiraient, ni les femmes des
magnanimes Troiens porteurs de boucliers, elles dont tu as renversé dans
la poussière les jeunes époux.
Ayant ainsi parlé, il prit la fuite, poussant les chevaux aux sabots
massifs à travers la mêlée. Et les Troiens et Hektôr, avec de grands cris, les
accablaient de traits ; et le grand Hektôr au casque mouvant cria d’une voix
haute :
— Tydéide, certes, les cavaliers Danaens t’honoraient entre tous, te
réservant la meilleure place, et les viandes, et les coupes pleines.
Aujourd’hui, ils t’auront en mépris, car tu n’es plus qu’une femme ! Va
donc, fille lâche ! Tu es par ma faute sur nos tours, et tu emmèneras point
nos femmes dans tes nefs. Auparavant, je t’aurai donné la mort.
Il parla ainsi, et le Tydéide hésita, voulant fuir et comba re face à face.
Et il hésita trois fois dans son esprit et dans son cœur ; et trois fois le sage
Zeus tonna du haut des monts Idaiens, en signe de victoire pour les
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Troiens. Et Hektôr, d’une voix puissante, animait les Troiens :


— Troiens, Lykiens et hardis Dardaniens, amis, soyez des hommes et
souvenez-vous de votre force et de votre courage. Je sens que le Kroniôn
me promet la victoire et une grande gloire, et réserve la défaite aux
Danaens. Les insensés ! Ils ont élevé ces murailles inu les et méprisables
qui n’arrêteront point ma force ; et mes chevaux sauteront aisément par-
dessus le fossé profond. Mais quand j’aurai a eint les nefs creuses,
souvenez-vous de préparer le feu destructeur, afin que je brûle les nefs, et
qu’auprès des nefs je tue les Argiens eux-mêmes, aveuglés par la fumée.
Ayant ainsi parlé, il dit à ses chevaux :
— Xanthos, Podargos, Aithôn et divin Lampos, payez-moi les soins
infinis d’Andromakhè, fille du magnanime Êé ôn, qui vous présente le
doux froment et vous verse du vin, quand vous le désirez, même avant moi
qui me glorifie d’être son jeune époux. Hâtez-vous donc, courez ! Si nous
ne pouvons enlever le bouclier de Nestôr, qui est tout en or ainsi que ses
poignées, et dont la gloire est parvenue jusqu’à l’Ouranos, et la riche
cuirasse de Diomèdès dompteur de chevaux, et que Hèphaistos a forgée
avec soin, j’espère que les Akhaiens remonteront ce e nuit même dans
leurs nefs rapides.
Il parla ainsi dans son désir, et le vénérable Hèrè s’en indigna ; et elle
s’agita sur son trône, et le vaste Olympos s’ébranla. Et elle dit en face au
grand Dieu Poseidaôn :
— Toi qui ébranle la terre, ah ! Tout-puissant, ton cœur n’est-il point
ému dans ta poitrine quand les Danaens périssent ? Ils t’offrent cependant,
dans Hélikè et dans Aigas, un grand nombre de beaux présents. Donne-leur
donc la victoire. Si nous voulions, nous tous qui soutenons les Danaens,
repousser les Troiens et résister à Zeus dont la voix sonne au loin, il serait
bientôt seul assis sur l’Ida.
Et le Puissant qui ébranle la terre, plein de colère, lui dit :
— Audacieuse Hèrè, qu’as-tu dit ? Je ne veux point que nous
combattions Zeus Kroniôn, car il est bien plus fort que nous.
Et tandis qu’ils se parlaient ainsi, tout l’espace qui séparait les nefs du
fossé était empli confusément de chevaux et de porteurs de boucliers, car
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Hektôr Priamide, semblable à l’impétueux Arès, les avait enfermés là, Zeus
l’ayant glorifié. Et il eût consumé les nefs égales, à l’aide du feu, si la
vénérable Hèrè n’eût inspiré à Agamemnôn de ranimer à la hâte les
Akhaiens. Et il parcourut les tentes et les nefs des Akhaiens, portant à sa
main robuste un grand manteau pourpré. Et il s’arrêta sur la grande et
noire nef d’Odysseus, qui était au centre de toutes, afin d’être entendu des
deux extrémités, des tentes d’Aias Télamôniade à celles d’Akhilleus, car
tous deux avaient ré sur le sable leurs nefs égales aux bouts du camp,
certains de leur force et de leur courage. Et là, d’une voix haute, il cria aux
Akhaiens :
— Honte à vous, Argiens couverts d’opprobre, qui n’avez qu’une vaine
beauté ! Que sont devenues vos paroles orgueilleuses, quand, à Lemnos,
mangeant la chair des bœufs aux longues cornes, et buvant les kratères
pleins de vin, vous vous van ez d’être les plus braves et de vaincre les
Troiens, un contre cent et contre deux cents ? Et maintenant, nous ne
pouvons même résister à un seul d’entre eux, à Hektôr qui va consumer
nos nefs par le feu. Père Zeus ! as-tu déjà accablé d’un tel désastre
quelqu’un des Rois tout-puissants, et l’as-tu privé de tant de gloire ?
Certes, je n’ai jamais passé devant tes temples magnifiques, quand je vins
ici pour ma ruine, sur ma nef chargée de rameurs, plein du désir de
renverser les hautes murailles de Troiè, sans brûler sur tes nombreux
autels la graisse et les cuisses des bœufs. Ô Zeus ! exauce donc mon vœu :
que nous puissions au moins échapper et nous enfuir, et que les Troiens ne
tuent pas tous les Akhaiens !
Il parla ainsi, et le Père Zeus eut pi é de ses larmes, et il promit par un
signe que les peuples ne périraient pas. Et il envoya un aigle, le plus sûr
des oiseaux, tenant entre ses serres le jeune faon d’une biche agile. Et
l’aigle jeta ce faon sur l’autel magnifique de Zeus, où les Akhaiens
sacrifiaient à Zeus, source de tous les oracles. Et quand ils virent l’oiseau
envoyé par Zeus, il retournèrent dans la mêlée et se ruèrent sur les
Troiens.
Et alors aucun des Danaens innombrables ne put se glorifier, poussant
ses chevaux rapides au-delà du fossé, d’avoir devancé le Tydéide et
comba u le premier. Et, tout d’abord, il tua un guerrier Troien, Agélaos
Phradmonide, qui fuyait. Et il lui enfonça sa pique dans le dos, entre les

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épaules ; et la pique traversa la poitrine. Le Troien tomba du char, et ses


armes retentirent.
Et les Atréides le suivaient, et les deux Aias pleins d’une vigueur
indomptable, et Idoméneus, et Mèrionès, tel qu’Arès, compagnon
d’Idoméneus, et le tueur d’hommes Euryalos, et Eurypylos, fils illustre
d’Évaimôn. Et Teukros survint le neuvième, avec son arc tendu, et se tenant
derrière le bouclier d’Aias Télamôniade. Et quand le grand Aias soulevait le
bouclier, Teukros, regardant de toutes parts, ajustait et frappait un ennemi
dans la mêlée, et celui-ci tombait mort. Et il revenait auprès d’Aias comme
un enfant vers sa mère, et Aias l’abritait de l’éclatant bouclier.
Quel fut le premier Troien que tua l’irréprochable Teukros ? D’abord
Orsilokhos, puis Orménos, et Ophélestès, et Daitôr, et Khromios, et le divin
Lykophontès, et Amopaôn Polyaimonide, et Ménalippos. Et il les coucha
tour à tour sur la terre nourricière. Et le roi des hommes, Agamemnôn,
plein de joie de le voir renverser de ses flèches les phalanges des Troiens,
s’approcha et lui dit :
— Cher Teukros Télamônien, prince des peuples, con nue à lancer tes
flèches pour le salut des Danaens, et pour glorifier ton père Télamôn qui
t’a nourri et soigné dans ses demeures tout pe t et bien que bâtard. Et je
te le dis, et ma parole s’accomplira : si Zeus tempêtueux et Athènè me
donnent de renverser la forte citadelle d’Ilios, le premier après moi tu
recevras une glorieuse récompense : un trépied, deux chevaux et un char,
et une femme qui partagera ton lit.
Et l’irréprochable Teukros lui répondit :
— Très-illustre Atréide, pourquoi m’excites-tu quand je suis plein
d’ardeur ? Certes, je ferai de mon mieux et selon mes forces. Depuis que
nous les repoussons vers Ilios, je tue les guerriers de mes flèches. J’en ai
lancé huit, et toutes se sont enfoncées dans la chair des jeunes hommes
impétueux ; mais je ne puis frapper ce chien enragé !
Il parla ainsi, et il lança une flèche contre Hektôr, plein du désir de
l’a eindre, et il le manqua. Et la flèche perça la poitrine de l’irréprochable
Gorgythiôn, brave fils de Priamos, qu’avait enfanté la belle Kathanéira,
venue d’Aisimè, et semblable aux Déesses par sa beauté. Et, comme un
pavot, dans un jardin, penche la tête sous le poids de ses fruits et des
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rosées printanières, de même le Priamide pencha la tête sous le poids de


son casque. Et Teukros lança une autre flèche contre Hektôr, plein du désir
de l’a eindre, et il le manqua encore ; et il perça, près de la mamelle, le
brave Arkhéptolémos, conducteur des chevaux de Hektôr ; et
Arkhéptolémos tomba du char ; ses chevaux rapides reculèrent, et sa vie et
sa force furent anéan es. Le regret amer de son compagnon serra le cœur
de Hektôr, mais, malgré sa douleur, il le laissa gisant, et il ordonna à son
frère Kébriôn de prendre les rênes, et ce dernier obéit.
Alors, Hektôr sauta du char éclatant, poussant un cri terrible ; et,
saisissant une pierre, il courut à Teukros, plein du désir de l’en frapper. Et
le Télamônien avait ré du carquois une flèche amère, et il la plaçait sur le
nerf, quand Hektôr au casque mouvant, comme il tendait l’arc, le frappa de
la pierre dure à l’épaule, là où la clavicule sépare le cou de la poitrine, à un
endroit mortel. Et le nerf de l’arc fut brisé, et le poignet fut écrasé, et l’arc
s’échappa de sa main, et il tomba à genoux. Mais Aias n’abandonna point
son frère tombé, et il accourut, le couvrant de son bouclier. Puis, ses deux
chers compagnons, Mèkisteus, fils d’Ekhios, et le divin Alastôr, emportèrent
vers les nefs creuses Teukros qui poussait des gémissements.
Et l’Olympien rendit de nouveau le courage aux Troiens, et ils
repoussèrent les Akhaiens jusqu’au fossé profond ; et Hektôr marchait en
avant, répandant la terreur de sa force. Comme un chien qui poursuit de
ses pieds rapides un sanglier sauvage ou un lion, le touche aux cuisses et
aux fesses, épiant l’instant où il se retournera, de même Hektôr poursuivait
les Akhaiens chevelus, tuant toujours celui qui restait en arrière. Et les
Akhaiens fuyaient. Et beaucoup tombaient sous les mains des Troiens, en
traversant les pieux et le fossé. Mais les autres s’arrêtèrent auprès des
nefs, s’animant entre eux, levant les bras et suppliant tous les Dieux. Et
Hektôr poussait de tous côtés ses chevaux aux belles crinières, ayant les
yeux de Gorgô et du sanguinaire Arès. Et la divine Hèrè aux bras blancs, à
cette vue, fut saisie de pitié et dit à Athènè ces paroles ailées :
— Ah ! fille de Zeus tempêtueux, ne secourrons-nous point, en ce
combat suprême, les Danaens qui périssent ? Car voici que, par une
des née mauvaise, ils vont périr sous la violence d’un seul homme. Le
Priamide Hektôr est plein d’une fureur intolérable, et il les accable de
maux.

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Et la divine Athènè aux yeux clairs lui répondit :


— Certes, le Priamide aurait déjà perdu la force avec la vie et serait
tombé mort sous la main des Argiens, sur sa terre natale, si mon père,
toujours irrité, dur et inique, ne s’opposait à ma volonté. Et il ne se
souvient plus que j’ai souvent secouru son fils accablé de travaux par
Eurystheus. Hèraklès criait vers l’Ouranos, et Zeus m’envoya pour le
secourir. Certes, si j’avais prévu ceci, quand Hèraklès fut envoyé dans les
demeures aux portes massives d’Aidès, pour enlever, de l’Érébos, le Chien
du haïssable Aidès, certes, il n’aurait point repassé l’eau courante et
profonde de Styx ! Et Zeus me hait, et il cède aux désirs de Thé s qui a
embrassé ses genoux et lui a caressé la barbe, le suppliant d’honorer
Akhilleus le destructeur de citadelles. Et il me nommera encore sa chère
fille aux yeux clairs ! Mais a elle nos chevaux aux sabots massifs, tandis
que j’irai dans la demeure de Zeus prendre l’Aigide et me couvrir de mes
armes guerrières. Je verrai si le Priamide Hektôr au casque mouvant sera
joyeux de nous voir descendre toutes deux dans la mêlée. Certes, plus d’un
Troien couché devant les nefs des Akhaiens va rassasier les chiens et les
oiseaux carnassiers de sa graisse et de sa chair !
Elle parla ainsi, et la divine Hèrè aux bras blancs obéit. Et la divine et
vénérable Hèrè, fille du grand Kronos, se hâta d’a eler les chevaux liés par
des harnais d’or. Et Athènè, fille de Zeus tempêtueux, laissa tomber son
riche péplos, qu’elle avait travaillé de ses mains, sur le pavé de la demeure
de son père, et elle prit la cuirasse de Zeus qui amasse les nuées, et elle se
revêtit de ses armes pour la guerre lamentable.
Et elle monta dans le char flamboyant, et elle saisit la lance lourde,
grande et solide, avec laquelle, étant la fille d’un père tout-puissant, elle
dompte la foule des héros contre qui elle s’irrite. Et Hèrè frappa du fouet
les chevaux rapides, et les portes de l’Ouranos s’ouvrirent d’elles-mêmes
en criant, gardées par les Heures qui sont chargées d’ouvrir le grand
Ouranos et l’Olympos, ou de les fermer avec un nuage épais. Et ce fut par là
que les Déesses poussèrent les chevaux obéissant à l’aiguillon. Et le Père
Zeus, les ayant vues de l’Ida, fut saisi d’une grande colère, et il envoya la
Messagère Iris aux ailes d’or :
— Va ! hâte-toi, légère Iris ! Fais-les reculer, et qu’elles ne se présentent
point devant moi, car ceci serait dangereux pour elles. Je le dis, et ma
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parole s’accomplira : J’écraserai les chevaux rapides sous leur char que je
briserai, et je les en précipiterai, et, avant dix ans, elles ne guériront point
des plaies que leur fera la foudre. Athènè aux yeux clairs saura qu’elle a
comba u son père. Ma colère n’est point aussi grande contre Hèrè, car elle
est habituée à toujours résister à ma volonté.
Il parla ainsi, et la Messagère Iris aux pieds prompts comme le vent
s’élança, et elle descendit des cimes Idaïennes dans le grand Olympos, et
elle les arrêta aux premières portes de l’Olympos aux vallées sans nombre,
et elle leur dit les paroles de Zeus :
— Où allez-vous ? Pourquoi votre cœur est-il ainsi troublé ? Le Kronide
ne veut pas qu’on vienne en aide aux Argiens. Voici la menace du fils de
Kronos, s’il agit selon sa parole : Il écrasera les chevaux rapides sous votre
char qu’il brisera, et il vous en précipitera, et, avant dix ans, vous ne
guérirez point des plaies que vous fera la foudre. Athènè aux yeux clairs, tu
sauras que tu as comba u ton père ! Sa colère n’est point aussi grande
contre Hèrè, car elle est habituée à toujours résister à sa volonté. Mais toi,
très-violente et audacieuse chienne, oseras-tu lever ta lance terrible contre
Zeus ?
Ayant ainsi parlé, Iris aux pieds rapides s’envola, et Hèrè dit à Athènè :
— Ah ! fille de Zeus tempêtueux, je ne puis perme re que nous
comba ons contre Zeus pour des mortels. Que l’un meure, que l’autre
vive, soit ! Et que Zeus décide, comme il est juste, et selon sa volonté, entre
les Troiens et les Danaens.
Ayant ainsi parlé, elle fit retourner les chevaux aux sabots massifs, et les
Heures dételèrent les chevaux aux belles crinières et les a achèrent aux
crèches divines, et appuyèrent le char contre le mur éclatant. Et les
Déesses, le cœur triste, s’assirent sur des siéges d’or au milieu des autres
Dieux. Et le Père Zeus poussa du haut de l’Ida, vers l’Olympos, son char aux
belles roues et ses chevaux, et il parvint aux siéges des Dieux. Et l’Illustre
qui ébranle la terre détela les chevaux, posa le char sur un autel et le
couvrit d’un voile de lin. Et Zeus à la grande voix s’assit sur son trône d’or,
et le large Olympos trembla sous lui. Et Athènè et Hèrè étaient assises loin
de Zeus, et elles ne lui parlaient ni ne l’interrogeaient ; mais il les devina et
dit :

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— Athènè et Hèrè, pourquoi êtes-vous ainsi affligées ? Vous ne vous


êtes point longtemps fa guées, du moins, dans la bataille qui illustre les
guerriers, afin d’anéan r les Troiens pour qui vous avez tant de haine.
Non ! Tous les Dieux de l’Olympos ne me résisteront point, tant la force de
mes mains invincibles est grande. La terreur a fait trembler vos beaux
membres avant d’avoir vu la guerre et la mêlée violente. Et je le dis, et ma
parole se serait accomplie : frappées toutes deux de la foudre, vous ne
seriez point revenues sur votre char dans l’Olympos qui est la demeure des
Immortels.
Et il parla ainsi, et Athènè et Hèrè gémissaient, assises à côté l’une de
l’autre, et méditant le malheur des Troiens. Et Athènè restait mue e,
irritée contre son père Zeus, et une sauvage colère la brûlait ; mais Hèrè ne
put contenir la sienne, et elle dit :
— Très-dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? Nous savons bien que ta
force est grande, mais nous gémissons sur les belliqueux Danaens qui vont
périr par une des née mauvaise. Nous ne comba rons point, si tu le veux ;
mais nous aiderons les Argiens de nos conseils, afin qu’ils ne périssent
point tous par ta colère.
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit :
— Certes, au retour d’Éôs, tu pourras voir, vénérable Hèrè aux yeux de
bœuf, le tout-puissant Kroniôn mieux détruire encore l’armée innombrable
des Argiens ; car le brave Hektôr ne cessera point de comba re, que le
rapide Pèléiôn ne se soit levé auprès des nefs, le jour où les Akhaiens
comba ront sous leurs poupes, lu ant dans un étroit espace sur le
cadavre de Patroklos. Ceci est fatal. Je me soucie peu de ta colère, quand
même tu irais aux dernières limites de la terre et de la mer, où sont
couchés Iapétos et Kronos, loin des vents et de la lumière de Hélios, fils de
Hypériôn, dans l’enceinte du creux Tartaros. Quand même tu irais là, je me
soucie peu de ta colère, car rien n’est plus impudent que toi.
Il parla ainsi, et Hèrè aux bras blancs ne répondit rien. Et la brillante
lumière Hélienne tomba dans l’Okéanos, laissant la noire nuit sur la terre
nourricière. La lumière disparut contre le gré des Troiens, mais la noire nuit
fut la bienvenue des Akhaiens qui la désiraient ardemment.
Et l’illustre Hektôr réunit l’agora des Troiens, les ayant conduits loin des
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nefs, sur les bords du fleuve tourbillonnant, en un lieu où il n’y avait point
de cadavres. Et ils descendirent de leurs chevaux pour écouter les paroles
de Hektôr cher à Zeus. Et il tenait à la main une pique de onze coudées, à
la brillante pointe d’airain retenue par un anneau d’or. Et, appuyé sur
cette pique, il dit aux Troiens ces paroles ailées :
— Écoutez-moi, Troiens, Dardaniens et alliés. J’espérais ne retourner
dans Ilios ba ue des vents qu’après avoir détruit les nefs et tous les
Akhaiens ; mais les ténèbres sont venues qui ont sauvé les Argiens et les
nefs sur le rivage de la mer. C’est pourquoi, obéissons à la nuit noire, et
préparons le repas. Dételez les chevaux aux belles crinières et donnez-leur
de la nourriture. Amenez promptement de la Ville des bœufs et de grasses
brebis, et apportez un doux vin de vos demeures, et amassez beaucoup de
bois, afin que, toute la nuit, jusqu’au retour d’Éôs qui naît le ma n, nous
allumions beaucoup de feux dont l’éclat s’élève dans l’Ouranos, et afin que
les Akhaiens chevelus ne profitent pas de la nuit pour fuir sur le vaste dos
de la mer. Qu’ils ne montent point tranquillement du moins sur leurs nefs,
et que chacun d’eux, en montant sur sa nef, emporte dans son pays une
blessure faite par nos piques et nos lances aiguës ! Que tout autre redoute
désormais d’apporter la guerre lamentable aux Troiens dompteurs de
chevaux. Que les hérauts chers à Zeus appellent, par la Ville, les jeunes
enfants et les vieillards aux tempes blanches à se réunir sur les tours
élevées par les Dieux ; et que les femmes mides, chacune dans sa
demeure, allument de grands feux, afin qu’on veille avec vigilance, de peur
qu’on entre par surprise dans la Ville, en l’absence des hommes. Qu’il soit
fait comme je le dis, magnanimes Troiens, car mes paroles sont salutaires.
Dès le retour d’Éôs je parlerai encore aux Troiens dompteurs de chevaux. Je
me vante, ayant supplié Zeus et les autres Dieux, de chasser bientôt d’ici
ces chiens que les kères ont amenés sur les nefs noires. Veillons sur nous-
mêmes pendant la nuit ; mais, dès la première heure du ma n, couvrons-
nous de nos armes et poussons l’impétueux Arès sur les nefs creuses. Je
saurai si le brave Diomèdès Tydéide me repoussera loin des nefs jusqu’aux
murailles, ou si, le perçant de l’airain, j’emporterai ses dépouilles
sanglantes. Demain, il pourra se glorifier de sa force, s’il résiste à ma
pique ; mais j’espère plutôt que, demain, quand Hélios se lèvera, il
tombera des premiers, tout sanglant, au milieu d’une foule de ses
compagnons. Et plût aux Dieux que je fusse immortel et toujours jeune, et

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honoré comme Athènè et Apollôn, autant qu’il est certain que ce jour sera
funeste aux Argiens !
Hektôr parla ainsi, et les Troiens poussèrent des acclama ons. Et ils
détachèrent du joug les chevaux mouillés de sueur, et ils les lièrent avec
des lanières auprès des chars ; et ils amenèrent promptement de la Ville
des bœufs et des brebis grasses ; et ils apportèrent un doux vin et du pain
de leurs demeures, et ils amassèrent beaucoup de bois. Puis, ils sacrifièrent
de complètes hécatombes aux immortels, et le vent en portait la fumée
épaisse et douce dans l’Ouranos. Mais les Dieux heureux n’en voulurent
point et la dédaignèrent, car ils haîssaient la sainte Ilios, et Priamos, et le
peuple de Priamos aux piques de frêne.
Et les Troiens, pleins d’espérance, passaient la nuit sur le sen er de la
guerre, ayant allumé de grands feux. Comme, lorsque les astres é ncellent
dans l’Ouranos autour de la claire Sélènè, et que le vent ne trouble point
l’air, on voit s’éclairer les cimes et les hauts promontoires et les vallées, et
que l’aithèr infini s’ouvre au faîte de l’Ouranos, et que le berger joyeux voit
luire tous les astres ; de même, entre les nefs et l’eau courante du Xanthos,
les feux des Troiens brillaient devant Ilios. Mille feux brûlaient ainsi dans la
plaine ; et, près de chacun, étaient assis cinquante guerriers autour de la
flamme ardente. Et les chevaux, mangeant l’orge et l’avoine, se tenaient
auprès des chars, attendant Éôs au beau trône.

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

Chant 9
Tandis que les Troiens plaçaient ainsi leurs gardes, le désir de la fuite,
qui accompagne la froide terreur, saisissait les Akhaiens. Et les plus braves
étaient frappés d’une accablante tristesse.
De même, lorsque les deux vents Boréas et Zéphyros, soufflant de la
Thrèkè, bouleversent la haute mer poissonneuse, et que l’onde noire se
gonfle et se déroule en masses d’écume, ainsi, dans leurs poitrines, se
déchirait le cœur des Akhaiens. Et l’Atréide, frappé d’une grande douleur,
ordonna aux hérauts à la voix sonore d’appeler, chacun par son nom, et
sans clameurs, les hommes à l’agora. Et lui-même appela les plus proches.
Et tous vinrent s’asseoir dans l’agora, pleins de tristesse. Et Agamemnôn se
leva, versant des larmes, comme une source abondante qui tombe
largement d’une roche élevée. Et, avec un profond soupir, il dit aux
Argiens :
— Ô amis, Rois et chefs des Argiens, le Kronide Zeus m’a accablé d’un
lourd malheur, lui qui m’avait solennellement promis que je ne m’en
retournerais qu’après avoir détruit Ilios aux murailles solides. Maintenant,
il médite une fraude funeste, et il m’ordonne de retourner sans gloire dans
Argos, quand j’ai perdu tant de guerriers déjà ! Et ceci plaît au tout-
puissant Zeus qui a renversé les citadelles de tant de villes, et qui en
renversera encore, car sa puissance est très-grande. Allons ! obéissez tous à
mes paroles : fuyons sur nos nefs vers la terre bien-aimée de la patrie.
Nous ne prendrons jamais Ilios aux larges rues.
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, et les fils des Akhaiens étaient
tristes et silencieux. Enfin, Diomèdès hardi au combat parla au milieu
d’eux :
— Atréide, je comba rai le premier tes paroles insensées, comme il est
permis, ô Roi, dans l’agora ; et tu ne t’en irriteras pas, car toi-même tu m’as
outragé déjà au milieu des Danaens, me nommant faible et lâche. Et ceci,
les Argiens le savent, jeunes et vieux. Certes, le fils du sub l Kronos t’a
doué inégalement. Il t’a accordé le sceptre et les honneurs suprêmes, mais
il ne t’a point donné la fermeté de l’âme, qui est la plus grande vertu.

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Extrait Homère : Oeuvres complètes Homère

Malheureux ! penses-tu que les fils des Akhaiens soient aussi faibles et
aussi lâches que tu le dis ? Si ton cœur te pousse à retourner en arrière,
va ! voici la route ; et les nombreuses nefs qui t’ont suivi de Mykènè sont
là, auprès du rivage de la mer. Mais tous les autres Akhaiens chevelus
resteront jusqu’à ce que nous ayons renversé Ilios. Et s’ils veulent eux-
mêmes fuir sur leurs nefs vers la terre bien-aimée de la patrie, moi et
Sthénélos nous comba rons jusqu’à ce que nous ayons vu la fin d’Ilios, car
nous sommes venus ici sur la foi des Dieux !
Il parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens applaudirent, admirant le
discours du dompteur de chevaux Diomèdès. Et le cavalier Nestôr, se levant
au milieu d’eux, parla ainsi :
— Tydéide, tu es le plus hardi au combat, et tu es aussi le premier à
l’agora parmi tes égaux en âge. Nul ne blâmera tes paroles, et aucun des
Akhaiens ne les contredira mais tu n’as pas tout dit. À la vérité, tu es jeune,
et tu pourrais être le moins âgé de mes fils ; et, cependant, tu parles avec
prudence devant les Rois des Argiens, et comme il convient. C’est à moi de
tout prévoir et de tout dire, car je me glorifie d’être plus vieux que toi. Et
nul ne blâmera mes paroles, pas même le Roi Agamemnôn. Il est sans
intelligence, sans jus ce et sans foyers domes ques, celui qui aime les
affreuses discordes intes nes. Mais obéissons maintenant à la nuit noire :
préparons notre repas, plaçons des gardes choisies auprès du fossé
profond, en avant des murailles. C’est aux jeunes hommes de prendre ce
soin, et c’est à toi, Atréide, qui es le chef suprême, de le leur commander.
Puis, offre un repas aux chefs, car ceci est convenable et t’appar ent. Tes
tentes sont pleines du vin que les nefs des Akhaiens t’apportent chaque
jour de la Thrèkè, à travers l’immensité de la haute mer. Tu peux aisément
beaucoup offrir, et tu commandes à un grand nombre de serviteurs. Quand
les chefs seront assemblés, obéis à qui te donnera le meilleur conseil ; car
les Akhaiens ont tous besoin de sages conseils au moment où les ennemis
allument tant de feux auprès des nefs. Qui de nous pourrait s’en réjouir ?
Cette nuit, l’armée sera perdue ou sauvée.
Il parla ainsi, et tous, l’ayant écouté, obéirent. Et les gardes armées
sor rent, conduites par le Nestoréide Thrasymèdès, prince des peuples,
par Askalaphos et Ialménos, fils d’Arès, par Mèrionès, Apharèos et
Dèipiros, et par le divin Lykomèdès, fils de Kréôn. Et les sept chefs des

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gardes conduisaient, chacun, cent jeunes guerriers armés de longues


piques. Et ils se placèrent entre le fossé et la muraille, et ils allumèrent des
feux et prirent leur repas. Et l’Atréide conduisit les chefs des Akhaiens sous
sa tente et leur offrit un abondant repas. Et tous étendirent les mains vers
les mets. Et, quand ils eurent assouvi la soif et la faim, le premier d’entre
eux, le vieillard Nestôr, qui avait déjà donné le meilleur conseil, parla ainsi,
plein de sagesse, et dit :
— Très-illustre Atréide Agamemnôn, roi des hommes, je commencerai et
je finirai par toi, car tu commandes à de nombreux peuples, et Zeus t’a
donné le sceptre et les droits afin que tu les gouvernes. C’est pourquoi il
faut que tu saches parler et entendre, et accueillir les sages conseils, si leur
cœur ordonne aux autres chefs de t’en donner de meilleurs. Et je te dirai ce
qu’il y a de mieux à faire, car personne n’a une meilleure pensée que celle
que je médite maintenant, et depuis longtemps, depuis le jour où tu as
enlevé, ô race divine, contre notre gré, la vierge Breisèis de la tente
d’Akhilleus irrité. Et j’ai voulu te dissuader, et, cédant à ton cœur
orgueilleux, tu as outragé le plus brave des hommes, que les Immortels
mêmes honorent, et tu lui as enlevé sa récompense. Délibérons donc
aujourd’hui, et cherchons comment nous pourrons apaiser Akhilleus par
des présents pacifiques et par des paroles flatteuses.
Et le Roi des hommes, Agamemnôn, lui répondit :
— Ô vieillard, tu ne mens point en rappelant mes injus ces. J’ai commis
une offense, et je ne le nie point. Un guerrier que Zeus aime dans son cœur
l’emporte sur tous les guerriers. Et c’est pour l’honorer qu’il accable
aujourd’hui l’armée des Akhaiens. Mais, puisque j’ai failli en obéissant à de
funestes pensées, je veux maintenant apaiser Akhilleus et lui offrir des
présents infinis. Et je vous dirai quels sont ces dons illustres : sept trépieds
vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la
flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers
prix par la rapidité de leur course. Et il ne manquerait plus de rien, et il
serait comblé d’or celui qui posséderait les prix que m’ont rapportés ces
chevaux aux sabots massifs. Et je donnerai encore au Pèléide sept belles
femmes Lesbiennes, habiles aux travaux, qu’il a prises lui-même dans
Lesbos bien peuplée, et que j’ai choisies, car elles étaient plus belles que
toutes les autres femmes. Et je les lui donnerai, et, avec elles, celle que je

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lui ai enlevée, la vierge Breisèis ; et je jurerai un grand serment qu’elle n’a


point connu mon lit, et que je l’ai respectée. Toutes ces choses lui seront
livrées aussitôt. Et si les Dieux nous donnent de renverser la grande Ville de
Priamos, il remplira abondamment sa nef d’or et d’airain. Et quand nous,
Akhaiens, partagerons la proie, qu’il choisisse vingt femmes Troiennes, les
plus belles après l’Argienne Hélénè. Et si nous retournons dans la fer le
Argos, en Akhaiè, qu’il soit mon gendre, et je l’honorerai autant
qu’Orestès, mon unique fils nourri dans les délices. J’ai trois filles dans mes
riches demeures, Khrysothémis, Laodikè et Iphianassa. Qu’il emmène, sans
lui assurer une dot, celle qu’il aimera le mieux, dans les demeures de
Pèleus. Ce sera moi qui la doterai, comme jamais personne n’a doté sa fille,
car je lui donnerai sept villes très-illustres : Kardamylè, Énopè, Hira aux
prés verdoyants, la divine Phèra, Anthéia aux gras pâturages, la belle
Aipéia et Pèdasos riche en vignes. Toutes sont aux bords de la mer, auprès
de la sablonneuse Pylos. Leurs habitants abondent en bœufs et en
troupeaux, et, par leurs dons, ils l’honoreront comme un Dieu ; et, sous
son sceptre, ils lui payeront de riches tributs. Je lui donnerai tout cela s’il
dépose sa colère. Qu’il s’apaise donc. Aidès seul est implacable et
indompté, et c’est pourquoi, de tous les Dieux, il est le plus haï des
hommes. Qu’il me cède comme il est juste, puisque je suis plus puissant et
plus âgé que lui.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
— Très-illustre Atréide Agamemnôn, roi des hommes, certes, ils ne sont
point à mépriser les présents que tu offres au roi Akhilleus. Allons !
envoyons promptement des messagers choisis sous la tente du Pèléide
Akhilleus. Je les désignerai moi-même, et ils obéiront. Que Phoinix aimé de
Zeus les conduise, et ce seront le grand Aias et le divin Odysseus, suivis des
hérauts Hodios et Eurybatès. Trempons nos mains dans l’eau, et supplions
en silence Zeus Kronide de nous prendre en pitié.
Il parla ainsi, et tous furent sa sfaits de ses paroles. Et les hérauts
versèrent aussitôt de l’eau sur leurs mains, et les jeunes hommes emplirent
les kratères de vin qu’ils distribuèrent, selon l’ordre, à pleines coupes. Et,
après avoir bu autant qu’ils le voulaient, ils sor rent de la tente de
l’Atréide Agamemnôn. Et le cavalier Gérennien Nestôr exhorta longuement
chacun d’eux, et surtout Odysseus, à faire tous leurs efforts pour apaiser et

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fléchir l’irréprochable Pèléide. Et ils allaient le long du rivage de la mer aux


bruits sans nombre, suppliant Celui qui entoure la terre de leur accorder
de toucher le grand cœur de l’Aiakide.
Et ils parvinrent aux nefs et aux tentes des Myrmidones. Et ils
trouvèrent le Pèléide qui charmait son âme en jouant d’une kithare aux
doux sons, belle, ar stement faite et surmontée d’un joug d’argent, et qu’il
avait prise parmi les dépouilles, après avoir détruit la ville d’Êé ôn. Et il
charmait son âme, et il chantait les ac ons glorieuses des hommes. Et
Patroklos, seul, était assis auprès de lui, l’écoutant en silence jusqu’à ce
qu’il eût cessé de chanter.
Et ils s’avancèrent, précédés par le divin Odysseus, et ils s’arrêtèrent
devant le Pèléide. Et Akhilleus, étonné, se leva de son siége, avec sa
kithare, et Patroklos se leva aussi en voyant les guerriers. Et Akhilleus aux
pieds rapides leur parla ainsi :
— Je vous salue, guerriers. Certes, vous êtes les bienvenus, mais quelle
nécessité vous amène, vous qui, malgré ma colère, m’êtes les plus chers
parmi les Akhaiens ?
Ayant ainsi parlé, le divin Akhilleus les conduisit et les fit asseoir sur des
siéges aux draperies pourprées. Et aussitôt il dit à Patroklos :
— Fils de Ménoi os, apporte un grand kratèr, fais un doux mélange, et
prépare des coupes pour chacun de nous, car des hommes très-chers sont
venus sous ma tente.
Il parla ainsi, et Patroklos obéit à son cher compagnon. Et Akhilleus
étendit sur un grand billot, auprès du feu, le dos d’une brebis, celui d’une
chèvre grasse et celui d’un porc gras. Et tandis qu’Automédôn maintenait
les chairs, le divin Akhilleus les coupait par morceaux et les embrochait. Et
le Ménoi ade, homme semblable à un Dieu, allumait un grand feu. Et
quand la flamme tomba et s’éteignit, il étendit les broches au-dessus des
charbons en les appuyant sur des pierres, et il les aspergea de sel sacré. Et
Patroklos, ayant rô les chairs et les ayant posées sur la table, distribua le
pain dans de belles corbeilles. Et Akhilleus coupa les viandes, et il s’assit en
face du divin Odysseus, et il ordonna à Patroklos de sacrifier aux Dieux. Et
celui-ci fit des liba ons dans le feu. Et tous étendirent les mains vers les
mets offerts. Et quand ils eurent assouvi la faim et la soif, Aias fit signe à
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Phoinix. Aussitôt le divin Odysseus le comprit, et, remplissant sa coupe de


vin, il parla ainsi à Akhilleus :
— Salut, Akhilleus ! Aucun de nous n’a manqué d’une part égale, soit
sous la tente de l’Atréide Agamemnôn, soit ici. Les mets y abondent
également. Mais il ne nous est point permis de goûter la joie des repas, car
nous redoutons un grand désastre, ô race divine ! et nous l’a endons, et
nous ne savons si nos nefs solides périront ou seront sauvées, à moins que
tu ne t’armes de ton courage. Voici que les Troiens orgueilleux et leurs
alliés venus de loin ont assis leur camp devant nos murailles et nos nefs. Et
ils ont allumé des feux sans nombre, et ils disent que rien ne les re endra
plus et qu’ils vont se jeter sur nos nefs noires. Et le Kronide Zeus a lancé
l’éclair, montrant à leur droite des signes propices. Hektôr, appuyé par
Zeus, et très-orgueilleux de sa force, est plein d’une fureur terrible,
n’honorant plus ni les hommes ni les Dieux. Une rage s’est emparée de lui.
Il fait des impréca ons pour que la divine Éôs reparaisse promptement. Il
se vante de rompre bientôt les éperons de nos nefs et de consumer celles-
ci dans le feu ardent, et de massacrer les Akhaiens aveuglés par la fumée.
Je crains bien, dans mon esprit, que les Dieux n’accomplissent ses menaces,
et que nous périssions inévitablement devant Troiè, loin de la fer le Argos
nourrice de chevaux. Lève-toi, si tu veux, au dernier moment, sauver les fils
des Akhaiens de la rage des Troiens. Sinon, tu seras saisi de douleur, car il
n’y a point de remède contre un mal accompli. Songe donc maintenant à
reculer le dernier jour des Danaens. Ô ami, ton père Pèleus te disait, le jour
où il t’envoya, de la Phthiè, vers Agamemnôn : — Mon fils, Athènè et Hèrè
te donneront la victoire, s’il leur plaît ; mais réprime ton grand cœur dans
ta poitrine, car la bienveillance est au-dessus de tout. Fuis la discorde qui
engendre les maux, afin que les Argiens, jeunes et vieux, t’honorent. ―
Ainsi parlait le vieillard, et tu as oublié ses paroles ; mais aujourd’hui
apaise-toi, refrène la colère qui ronge le cœur, et Agamemnôn te fera des
présents dignes de toi. Si tu veux m’écouter, je te dirai ceux qu’il promet de
reme re sous tes tentes : — Sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or,
vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui
ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course. Et il
ne manquerait plus de rien, et il serait comblé d’or, celui qui posséderait
les prix qu’ont rapportés à l’Atréide Agamemnôn ces chevaux aux sabots
massifs. Et il te donnera encore sept belles femmes Lesbiennes, habiles aux

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travaux, que tu as prises toi-même dans Lesbos bien peuplée, et qu’il a


choisies, car elles étaient plus belles que toutes les autres femmes. Et il te
les donnera, et, avec elles, celle qu’il t’a enlevée, la vierge Breisèis ; et il
jurera un grand serment qu’elle n’a point connu son lit et qu’il l’a
respectée. Toutes ces choses te seront livrées aussitôt. Mais si les Dieux
nous donnent de renverser la grande Ville de Priamos, tu rempliras
abondamment ta nef d’or et d’airain. Et quand nous, Akhaiens, nous
partagerons la proie, tu choisiras vingt femmes Troiennes, les plus belles
après l’Argienne Hélénè. Et si nous retournons dans la fer le Argos, en
Akhaiè, tu seras son gendre, et il t’honorera autant qu’Orestès, son unique
fils nourri dans les délices. Il a trois filles dans ses riches demeures :
Krysothémis, Laodikè et Iphianassa. Tu emmèneras, sans lui assurer une
dot, celle que tu aimeras le mieux, dans les demeures de Pèleus. Ce sera lui
qui la dotera comme jamais personne n’a doté sa fille, car il te donnera
sept villes très-illustres : Kardamylè, Énopè, Hira aux prés verdoyants, la
divine Phèra, Anthéia aux gras pâturages, la belle Aipéia et Pèdasos riche
en vignes. Toutes sont aux bords de la mer, auprès de la sablonneuse
Pylos. Leurs habitants abondent en bœufs et en troupeaux. Et, par leurs
dons, ils t’honoreront comme un Dieu ; et, sous ton sceptre, ils te payeront
de riches tributs. Et il te donnera tout cela si tu déposes ta colère. Mais si
l’Atréide et ses présents te sont odieux, aie pi é du moins des Panakhaiens
accablés de douleur dans leur camp et qui t’honoreront comme un Dieu.
Certes, tu leur devras une grande gloire, et tu tueras Hektôr qui viendra à
ta rencontre et qui se vante que nul ne peut se comparer à lui de tous les
Danaens que les nefs ont apportés ici.
Et Akhilleus aux pieds rapides lui répondit :
— Divin Laer ade, très-sub l Odysseus, il faut que je dise clairement ce
que j’ai résolu et ce qui s’accomplira, afin que vous n’insis ez pas tour à
tour. Celui qui cache sa pensée dans son âme et ne dit point la vérité m’est
plus odieux que le seuil d’Aidès. Je dirai donc ce qui me semble préférable.
Ni l’Atréide Agamemnôn, ni les autres Danaens ne me persuaderont,
puisqu’il ne m’a servi à rien de comba re sans relâche les guerriers
ennemis. Celui qui reste au camp et celui qui combat avec courage ont une
même part. Le lâche et le brave remportent le même honneur, et l’homme
oisif est tué comme celui qui agit. Rien ne m’est resté d’avoir souffert des
maux sans nombre et d’avoir exposé mon âme en comba ant. Comme

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l’oiseau qui porte à ses pe ts sans plume la nourriture qu’il a ramassée et


dont il n’a rien gardé pour lui-même, j’ai passé sans sommeil
d’innombrables nuits, j’ai lu é contre les hommes pendant des journées
sanglantes, pour la cause de vos femmes ; j’ai dévasté, à l’aide de mes nefs,
douze villes, demeures des hommes ; sur terre, j’en ai pris onze autour de
la fer le Ilios ; j’ai rapporté de toutes ces villes mille choses précieuses et
superbes, et j’ai tout donné à l’Atréide Agamemnôn, tandis qu’assis auprès
des nefs rapides, il n’en distribuait qu’une moindre part aux Rois et aux
chefs et se réservait la plus grande. Du moins ceux-ci ont gardé ce qu’il leur
a donné ; mais, de tous les Akhaiens, à moi seul il m’a enlevé ma
récompense ! Qu’il se réjouisse donc de ce e femme et qu’il en jouisse !
Pourquoi les Argiens comba ent-ils les Troiens ? Pourquoi les Atréides ont-
ils conduit ici ce e nombreuse armée ? N’est-ce point pour la cause de
Hélénè à la belle chevelure ? Sont-ils les seuls de tous les hommes qui
aiment leurs femmes ? Tout homme sage et bon aime la sienne et en prend
soin. Et moi aussi, j’aimais celle-ci dans mon cœur, bien que cap ve.
Maintenant que, de ses mains, il m’a arraché ma récompense, et qu’il m’a
volé, il ne me persuadera, ni ne me trompera plus, car je suis aver . Qu’il
délibère avec toi, ô Odysseus, et avec les autres Rois, afin d’éloigner des
nefs la flamme ardente. Déjà il a fait sans moi de nombreux travaux ; il a
construit un mur et creusé un fossé profond et large, défendu par des
pieux. Mais il n’en a pas réprimé davantage la violence du tueur d’hommes
Hektôr. Quand je comba ais au milieu des Akhaiens, Hektôr ne sortait que
rarement de ses murailles. À peine se hasardait-il devant les portes Skaies
et auprès du hêtre. Et il m’y a endit une fois, et à peine put-il échapper à
mon impétuosité. Maintenant, puisque je ne veux plus comba re le divin
Hektôr, demain, ayant sacrifié à Zeus et à tous les Dieux, je traînerai à la
mer mes nefs chargées ; et tu verras, si tu le veux et si tu t’en soucies, mes
nefs voguer, dès le ma n, sur le Hellespontos poissonneux, sous l’effort
vigoureux des rameurs. Et si l’Illustre qui entoure la terre me donne une
heureuse naviga on, le troisième jour j’arriverai dans la fer le Phthiè, où
sont les richesses que j’y ai laissées quand je vins ici pour mon malheur. Et
j’y conduirai l’or et le rouge airain, et les belles femmes et le fer luisant que
le sort m’a accordés, car le roi Atréide Agamemnôn m’a arraché la
récompense qu’il m’avait donnée. Et répète-lui ouvertement ce que je dis,
afin que les Akhaiens s’indignent, s’il espère tromper de nouveau
quelqu’autre des Danaens. Mais, bien qu’il ait l’impudence d’un chien, il

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n’oserait me regarder en face. Je ne veux plus ni délibérer, ni agir avec lui,


car il m’a trompé et outragé. C’est assez. Mais qu’il reste en repos dans sa
méchanceté, car le très-sage Zeus lui a ravi l’esprit. Ses dons me sont
odieux, et lui, je l’honore autant que la demeure d’Aidès. Et il me
donnerait dix et vingt fois plus de richesses qu’il n’en a et qu’il n’en aura,
qu’il n’en vient d’Orkhoménos, ou de Thèba dans l’Aigyp a, où les trésors
abondent dans les demeures, qui a cent portes, et qui, par chacune, voit
sor r deux cents guerriers avec chevaux et chars ; et il me ferait autant de
présents qu’il y a de grains de sable et de poussière, qu’il n’apaiserait point
mon cœur avant d’avoir expié l’outrage sanglant qu’il m’a fait. Et je ne
prendrai point pour femme légi me la fille de l’Atréide Agamemnôn, fût-
elle plus belle qu’Aphroditè d’or et plus habile aux travaux qu’Athènè aux
yeux clairs. Je ne la prendrai point pour femme légi me. Qu’il choisisse un
autre Akhaien qui lui plaise et qui soit un roi plus puissant. Si les Dieux me
gardent, et si je rentre dans ma demeure, Pèleus me choisira lui-même une
femme légi me. Il y a, dans l’Akhaiè, la Hellas et la Phthiè, de nombreuses
jeunes filles de chefs guerriers qui défendent les citadelles, et je ferai de
l’une d’elles ma femme légi me bien-aimée. Et mon cœur généreux me
pousse à prendre une femme légi me et à jouir des biens acquis par le
vieillard Pèleus. Toutes les richesses que renfermait la grande Ilios aux
nombreux habitants pendant la paix, avant la venue des fils des Akhaiens,
ne sont point d’un prix égal à la vie, non plus que celles que renferme le
sanctuaire de pierre de l’archer Phoibos Apollôn, dans l’âpre Pythô. Les
bœufs, les grasses brebis, les trépieds, les blondes crinières des chevaux,
tout cela peut être conquis ; mais l’âme qui s’est une fois échappée d’entre
nos dents ne peut être ressaisie ni rappelée. Ma mère, la Déesse Thé s aux
pieds d’argent, m’a dit que deux kères m’étaient offertes pour arriver à la
mort. Si je reste et si je combats autour de la ville des Troiens, je ne
retournerai jamais dans mes demeures, mais ma gloire sera immortelle. Si
je retourne vers ma demeure, dans la terre bien-aimée de ma patrie, je
perdrai toute gloire, mais je vivrai très-vieux, et la mort ne me saisira
qu’après de très-longues années. Je conseille à tous les Akhaiens de
retourner vers leurs demeures, car vous ne verrez jamais le dernier jour de
la haute Ilios. Zeus qui tonne puissamment la protège de ses mains et a
rempli son peuple d’une grande audace. Pour vous, allez porter ma
réponse aux chefs des Akhaiens, car c’est là le partage des anciens ; et ils
chercheront dans leur esprit un meilleur moyen de sauver les nefs et les

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tribus Akhaiennes, car ma colère rend inu le celui qu’ils avaient trouvé. Et
Phoinix restera et couchera ici, afin de me suivre demain, sur mes nefs,
dans notre patrie, s’il le désire, du moins, car je ne le contraindrai point.
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, accablés de ce discours et de ce
dur refus. Enfin, le vieux cavalier Phoinix parla ainsi, versant des larmes,
tant il craignait pour les nefs des Akhaiens :
— Si déjà tu as résolu ton retour, illustre Akhilleus, et si tu refuses
d’éloigner des nefs rapides la violence du feu destructeur, parce que la
colère est tombée dans ton cœur, comment, cher fils, pourrai-je
t’abandonner et rester seul ici ? Le vieux cavalier Pèleus m’ordonna de
t’accompagner le jour où il t’envoya, loin de la Phthiè, vers Agamemnôn,
tout jeune encore, ignorant la guerre lamentable et l’agora où les hommes
deviennent illustres. Et il m’ordonna de t’accompagner afin que je pusse
t’enseigner à parler et à agir. C’est pourquoi je ne veux point me séparer
de toi, cher fils, même quand un Dieu me prome rait de m’épargner la
vieillesse et me rendrait à ma jeunesse florissante, tel que j’étais quand je
qui ai pour la première fois la Hellas aux belles femmes, fuyant la colère
de mon père Amyntôr Orménide. Et il s’était irrité contre moi à cause de sa
concubine aux beaux cheveux qu’il aimait et pour laquelle il méprisait sa
femme légi me, ma mère. Et celle-ci me suppliait toujours, à genoux, de
séduire ce e concubine, pour que le vieillard la prît en haine. Et je lui
obéis, et mon père, s’en étant aperçu, se répandit en impréca ons, et
supplia les odieuses Erinnyes, leur demandant que je ne sentisse jamais sur
mes genoux un fils bien-aimé, né de moi ; et les Dieux, Zeus le Souterrain et
la cruelle Perséphonéia accomplirent ses impréca ons. Alors je ne pus me
résoudre dans mon âme à rester dans les demeures de mon père irrité. Et
de nombreux amis et parents, venus de tous côtés, me re nrent. Et ils
tuèrent beaucoup de grasses brebis et de bœufs noirs aux pieds lents ; et
ils passèrent à l’ardeur du feu les porcs lourds de graisse, et ils burent, par
grandes cruches, le vin du vieillard. Et pendant neuf nuits ils dormirent
autour de moi, et chacun me gardait tour à tour. L’un se tenait sous le
por que de la cour, l’autre dans le ves bule de la salle bien fermée. Et le
feu ne s’éteignait jamais. Mais, dans l’obscurité de la dixième nuit, ayant
rompu les portes de la salle, j’échappai facilement à mes gardiens et aux
serviteurs, et je m’enfuis loin de la grande Hellas, et j’arrivai dans la fer le
Phthiè, nourrice de brebis, auprès du roi Pèleus. Et il me reçut avec

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bienveillance, et il m’aima comme un père aime un fils unique, né dans son


extrême vieillesse, au milieu de ses domaines. Et il me fit riche, et il me
donna à gouverner un peuple, aux confins de la Phthiè, et je commandai
aux Dolopiens. Et je t’ai aimé de même dans mon cœur, ô Akhilleus égal
aux Dieux. Et tu ne voulais t’asseoir aux repas et manger dans tes
demeures qu’assis sur mes genoux, et rejetant parfois le vin et les mets
dont tu étais rassasié, sur ma poitrine et ma tunique, comme font les petits
enfants. Et j’ai beaucoup souffert et beaucoup travaillé pour toi, pensant
que, si les Dieux m’avaient refusé une postérité, je t’adopterais pour fils, ô
Akhilleus semblable aux Dieux, afin que tu pusses un jour me défendre des
outrages et de la mort. Ô Akhilleus, apaise ta grande âme, car il ne te
convient pas d ’avoir un cœur sans pi é. Les Dieux eux-mêmes sont
exorables, bien qu’ils n’aient point d’égaux en vertu, en honneurs et en
puissance ; et les hommes les fléchissent cependant par les prières, par les
vœux, par les liba ons et par l’odeur des sacrifices, quand ils les ont
offensés en leur désobéissant. Les prières, filles du grand Zeus, boiteuses,
ridées et louches, suivent à grand’peine Atè. Et celle-ci, douée de force et
de rapidité, les précède de très-loin et court sur la face de la terre en
maltraitant les hommes. Et les Prières la suivent, en guérissant les maux
qu’elle a faits, secourant et exauçant celui qui les vénère, elles qui sont
filles de Zeus. Mais elles supplient Zeus Kroniôn de faire poursuivre et
châ er par Atè celui qui les repousse et les renie. C’est pourquoi, ô
Akhilleus, rends aux filles de Zeus l’honneur qui fléchit l’âme des plus
braves. Si l’Atréide ne t’offrait point de présents, s’il ne t’en annonçait
point d’autres encore, s’il gardait sa colère, je ne t’exhorterais point à
déposer la enne, et à secourir les Argiens qui, cependant, désespèrent du
salut. Mais voici qu’il t’offre dès aujourd’hui de nombreux présents et qu’il
t’en annonce d’autres encore, et qu’il t’envoie, en suppliants, les premiers
chefs de l’armée Akhaienne, ceux qui te sont chers entre tous les Argiens.
Ne méprise donc point leurs paroles, afin que nous ne blâmions point la
colère que tu ressentais ; car nous avons appris que les anciens héros
qu’une violente colère avait saisis se laissaient fléchir par des présents et
par des paroles pacifiques. Je me souviens d’une histoire an que. Certes,
elle n’est point récente. Amis, je vous la dirai. ― les Kourètes comba aient
les Aitôliens belliqueux, autour de la ville de Kalidôn ; et les Kourètes
voulaient la saccager. Et Artémis au siége d’or avait attiré cette calamité sur
les Aitôliens, irritée qu’elle était de ce qu’Oineus ne lui eût point offert de

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prémices dans ses grasses prairies. Tous les Dieux avaient joui de ses
hécatombes ; mais, oublieux ou imprudent, il n’avait point sacrifié à la
seule fille du grand Zeus, ce qui causa des maux amers ; car, dans sa colère,
la Race divine qui se réjouit de ses flèches suscita un sanglier sauvage, aux
blanches défenses, qui causa des maux innombrables, dévasta les champs
d’Oineus et arracha de grands arbres, avec racines et fleurs.
Et le fils d’Oineus, Méléagros, tua ce sanglier, après avoir appelé, des
villes prochaines, des hommes chasseurs et des chiens. Et ce e bête
sauvage ne fut point domptée par peu de chasseurs, et elle en fit monter
plusieurs sur le bûcher. Mais Artémis excita la discorde et la guerre entre
les Kourètes et les magnanimes Aitôliens, à cause de la hure du sanglier et
de sa dépouille hérissée. Aussi longtemps que Méléagros cher à Arès
comba t, les Kourètes, vaincus, ne purent rester hors de leurs murailles ;
mais la colère, qui trouble l’esprit des plus sages, envahit l’âme de
Méléagros, et irrité dans son cœur contre sa mère Althaiè, il resta inac f
auprès de sa femme légi me, la belle Kléopatrè, fille de la vierge Marpissè
Événide et d’Idaios, le plus brave des hommes qui fussent alors sur la terre.
Et celui-ci avait tendu son arc contre le roi Phoibos Apollôn, à cause de la
belle nymphe Marpissè. Et le père et la mère vénérable de Kléopatrè
l’avaient surnommée Alkyonè, parce que la mère d’ Alkyôn avait gémi
amèrement quand l’Archer Phoibos Apollôn la ravit. Et Méléagros restait
auprès de Kléopatrè, couvant une ardente colère dans son cœur, à cause
des impréca ons de sa mère qui suppliait en gémissant les Dieux de venger
le meurtre fraternel. Et, les genoux ployés, le sein baigné de pleurs,
frappant de ses mains la terre nourricière, elle conjurait Aidès et la cruelle
Perséphonéia de donner la mort à son fils Méléagros. Et Érinnys à l’âme
implacable, qui erre dans la nuit, l’entendit du fond de l’Érébos. Et les
Kourètes se ruèrent, en fureur et en tumulte, contre les portes de la ville,
et ils heurtaient les tours. Et les vieillards Aitôliens supplièrent Méléagros ;
et ils lui envoyèrent les sacrés sacrificateurs des Dieux, afin qu’il sor t et
secourût les siens. Et ils lui offrirent un très-riche présent, lui disant de
choisir le plus fer le et le plus beau domaine de l’heureuse Kalydôn, vaste
de cinquante arpents, moi é en vignes, moi é en terres arables. Et le vieux
cavalier Oineus le suppliait, debout sur le seuil élevé de la chambre
nup ale et frappant les portes massives. Et ses sœurs et sa mère vénérable
le suppliaient aussi ; mais il ne les écoutait point, non plus que ses plus

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chers compagnons, et ils ne pouvaient apaiser son cœur. Mais déjà les
Kourètes escaladaient les tours, incendiaient la Ville et approchaient de la
chambre nup ale. Alors, la belle jeune femme le supplia à son tour, et elle
lui rappela les calamités qui accablent les habitants d’une ville prise
d’assaut : les hommes tués, les demeures réduites en cendre, les enfants et
les jeunes femmes emmenés. Et enfin son âme fut ébranlée au tableau de
ces misères. Et il se leva, revê t ses armes éclatantes, et recula le dernier
jour des Aitôliens, car il avait déposé sa colère. Et ils ne lui firent point de
nombreux et riches présents, et cependant il les sauva ainsi. Mais ne songe
point à ces choses, ami, et qu’un Dieu contraire ne te détermine point à
faire de même. Il serait plus honteux pour toi de ne secourir les nefs que
lorsqu’elles seront en flammes. Viens ! reçois ces présents, et les Akhaiens
t’honoreront comme un Dieu. Si tu comba ais plus tard, sans accepter ces
dons, tu serais moins honoré, même si tu repoussais le danger loin des
nefs.
Et Akhilleus aux pieds rapides lui répondit :
— Ô Phoinix, père divin et vénérable, je n’ai nul besoin d’honneurs. Je
suis assez honoré par la volonté de Zeus qui me re ent auprès de mes nefs
aux poupes recourbées, et je le serai tant qu’il y aura un souffle dans ma
poitrine et que mes genoux pourront se mouvoir. Mais je te le dis, garde
mes paroles dans ton esprit : Ne trouble point mon cœur, en pleurant et
en gémissant, à cause du héros Atréide, car il ne te convient point de
l’aimer, à moins de me devenir odieux, à moi qui t’aime. Il est juste que tu
haïsses celui qui me hait. Règne avec moi et défends ta part de mon
honneur. Ceux-ci vont par r, et tu resteras ici, couché sur un lit moelleux ;
et, aux premières lueurs d’Éôs, nous délibérerons s’il nous faut retourner
vers notre patrie, ou rester.
Il parla, et, de ses sourcils, il fit signe à Patroklos, afin que celui-ci
préparât le lit épais de Phoinix et que les envoyés sor ssent promptement
de la tente. Mais le Télamônien Aias, semblable à un Dieu, parla ainsi :
— Divin Laer ade, très-sub l Odysseus, allons-nous-en ! Ces discours
n’auront point de fin, et il nous faut rapporter promptement une réponse,
bien que mauvaise, aux Danaens qui nous a endent. Akhilleus garde une
colère orgueilleuse dans son cœur implacable. Dur, il se soucie peu de
l’ami é de ses compagnons qui l’honorent entre tous auprès des nefs. Ô
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inexorable ! n’accepte-t-on point le prix du meurtre d’un frère ou d’un


fils ? Et celui qui a tué reste au milieu de son peuple, dès qu’il a expié son
crime, et son ennemi, sa sfait, s’apaise. Les Dieux ont allumé dans ta
poitrine une sombre et inex nguible colère, à cause d’une seule jeune fille,
quand nous t’en offrons sept très-belles et un grand nombre d’autres
présents. C’est pourquoi, prends un esprit plus doux, et respecte ta
demeure, puisque nous sommes tes hôtes domes ques envoyés par la
foule des Danaens, et que nous désirons être les plus chers de tes amis,
entre tous les Akhaiens.
Et Akhilleus aux pieds rapides lui répondit :
— Divin Aias Télamônien, prince des peuples, ce que tu as dit est sage,
mais mon cœur se gonfle de colère quand je songe à l’Atréide qui m’a
outragé au milieu des Danaens, comme il eût fait d’un misérable. Allez
donc, et rapportez votre message. Je ne me soucierai plus de la guerre
sanglante avant que le divin Hektôr, le fils du brave Priamos, ne soit
parvenu jusqu’aux tentes et aux nefs des Myrmidones, après avoir
massacré les Argiens et incendié leurs nefs. C’est devant ma tente et ma
nef noire que je repousserai le furieux Hektôr loin de la mêlée.
Il parla ainsi. Et chacun, ayant saisi une coupe profonde, fit ses
libations, et ils s’en retournèrent vers les nefs, et Odysseus les conduisait.
Et Patroklos commanda à ses compagnons et aux servantes de préparer
promptement le lit épais de Phoinix. Et, lui obéissant, elles préparèrent le
lit, comme il l’avait commandé. Et elles le firent de peaux de brebis, de
couvertures et de fins ssus de lin. Et le vieillard se coucha, en a endant la
divine Éôs. Et Akhilleus se coucha dans le fond de la tente bien construite,
et, auprès de lui, se coucha une femme qu’il avait amenée de Lesbos, la
fille de Phorbas, Diomèda aux belles joues. Et Patroklos se coucha dans une
autre par e de la tente, et, auprès de lui, se coucha la belle Iphis que lui
avait donnée le divin Akhilleus quand il prit la haute Skyros, citadelle
d’Ényeus.
Et, les Envoyés étant arrivés aux tentes de l’Atréide, les fils des
Akhaiens, leur offrant des coupes d’or, s’empressèrent autour d’eux, et ils
les interrogeaient. Et, le premier, le roi des hommes, Agamemnôn, les
interrogea ainsi :

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— Dis-moi, Odysseus, très-digne de louanges, illustre gloire des


Akhaiens, veut-il défendre les nefs de la flamme ardente, ou refuse-t-il,
ayant gardé sa colère dans son cœur orgueilleux ?
Et le patient et divin Odysseus lui répondit :
— Très-illustre Atréide Agamemnôn, roi des hommes, il ne veut point
éteindre sa colère, et il n’est que plus irrité. Il refuse tes dons. Il te conseille
de délibérer avec les autres Argiens comment tu sauveras les nefs et
l’armée des Akhaiens. Il menace, dès les premières lueurs d’Éôs, de traîner
à la mer ses nefs solides ; et il exhorte les autres Argiens à retourner vers
leur patrie, car il dit que vous ne verrez jamais le dernier jour de la haute
Ilios, et que Zeus qui tonne puissamment la protège de ses mains et a
rempli son peuple d’une grande audace. Il a parlé ainsi, et ceux qui m’ont
suivi, Aias et les deux hérauts pleins de prudence peuvent l’affirmer. Et le
vieillard Phoinix s’est couché sous sa tente, et il l’emmènera demain sur ses
nefs vers leur chère patrie, s’il le désire, car il ne veut point le contraindre.
Il parla ainsi, et tous restèrent muets, accablés de ce discours et de ces
dures paroles. Et les fils des Akhaiens restèrent longtemps muets et tristes.
Enfin, Diomèdès hardi au combat parla ainsi :
— Très-illustre roi des hommes, Atréide Agamemnôn, plût aux Dieux
que tu n’eusses point supplié l’irréprochable Pèléide, en lui offrant des
dons infinis ! Il avait un cœur orgueilleux, et tu as enflé son orgueil.
Laissons-le ; qu’il parte ou qu’il reste. Il comba ra de nouveau quand il lui
plaira et qu’un Dieu l’y poussera. Allons ! faites tous ce que je vais dire.
Reposons-nous, puisque nous avons ranimé notre âme en buvant et en
mangeant, ce qui donne la force et le courage. Mais aussitôt que la belle
Éôs aux doigts rosés paraîtra, rangeons l’armée et les chars devant les nefs.
Alors, Atréide, exhorte les hommes au combat, et combats toi-même aux
premiers rangs.
Il parla ainsi, et tous les Rois applaudirent, admirant les paroles de
l’habile cavalier Diomèdès. Et après avoir fait des liba ons, ils se re rèrent
sous leurs tentes, où ils se couchèrent et s'endormirent.

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Homère : Oeuvres complètes et annexes


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Table des matières


ARVENSA ÉDITIONS 2
NOTE DE L’ÉDITEUR 3
LISTE DES TITRES 4
L’ILIADE 7
Table des matières 8
Présentation 9
Chant 1 11
Chant 2 26
Chant 3 46
Chant 4 57
Chant 5 69
Chant 6 90
Chant 7 102
Chant 8 114
Chant 9 127

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