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Texte 1.
Le personnage nommé Gnathon s’inspire de la pièce comique L’Eunuque (-166 avt JC) de Térence,
poète comique latin d’origine berbère (vers -184 ; -159 avt JC).
Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non
content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le
repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre 1 de chaque service :
il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous
tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes2, les remanie, démembre, déchire, et
en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne
aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui
dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un
autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut 3 et avec grand bruit ; il roule les yeux en
mangeant ; la table est pour lui un râtelier 4 ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part
où il se trouve, une manière d'établissement5, et ne souffre pas d'être plus pressé6 au sermon ou au théâtre
que dans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre,
si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient 7 dans les
hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son
usage ; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu'il trouve sous sa
main lui est propre, hardes8, équipages9. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint
personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion 10 et sa bile, ne pleure point la mort des autres,
n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain.
Texte 2.
Jean de La Bruyère, Les Caractères, « De l’homme », XI, Remarque 35. 1688. Irène Livre :
pages 238-239)
Dans Les Caractères, La Bruyère observe en moraliste les comportements de ses contemporains et des
hommes en général. Le livre XI des Caractères, intitulé « De l’Homme », brosse un portrait « d’après
nature » de l’être humain, ainsi que La Bruyère le formule dans sa préface. S’appuyant sur ses propres
observations de la vie de cour, le moraliste rédige des maximes et des portraits de types sociaux incarnant
des défauts et des vices communément répandus.
Irène se transporte à grands frais en Épidaure 1, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous
ses maux. D’abord elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce que cela lui arrive
par la longueur du chemin qu’elle vient de faire. Elle dit qu’elle est le soir sans appétit ; l’oracle lui ordonne
de dîner peu. Elle ajoute qu’elle est sujette à des insomnies ; et il lui prescrit de n’être au lit que pendant la
nuit. Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l’oracle répond qu’elle doit se lever
avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher. Elle lui déclare que le vin lui est nuisible :
l’oracle lui dit de boire de l’eau ; qu’elle a des indigestions : et il ajoute qu’elle fasse diète. « Ma vue
s’affaiblit, dit Irène. – Prenez des lunettes, dit Esculape. – Je m’affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne
suis ni si forte ni si saine que j’ai été. – C’est, dit le dieu, que vous vieillissez. – Mais quel moyen de guérir
de cette langueur2 ? – Le plus court, Irène, c’est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. – Fils
d’Apollon, s’écrie Irène, quel conseil me donnez-vous ? Est-ce là toute cette science que les hommes
publient, et qui vous fait révérer de toute la terre ? Que m’apprenez-vous de rare et de mystérieux, et ne
savais-je pas tous ces remèdes que vous m’enseignez ? – Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu, sans
venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ? »
1. Épidaure : région de Grèce où se trouve le temple d’Esculape, dieu de la médecine. Esculape est le fils
d’Apollon.
Montesquieu, philosophe et écrivain du XVIIIème siècle, siècle des Lumières naît en 1689 et meurt en 1755.
De souche noble, contemporain des encyclopédistes, Voltaire, Rousseau, D’Alembert et Diderot, auteur
des Lettres persanes (1721) et de L’Esprit des lois,(1768) (Essai)Montesquieu a beaucoup voyagé en
Europe. Il est doté d'une ouverture d'esprit ce qui lui donne une vision de la société différente des autres.
Usbeck et Rica, originaires d’Ispahan, visitent la France. Au-delà de l’exotisme oriental, les Lettres
Persanes proposent une critique des mœurs et des institutions françaises. Le passage se situe sous Louis
XIV.
Cette œuvre épistolaire est fictive et publiée anonymement à Amsterdam en 1721. Elle regroupe 150 lettres
durant lesquelles l'auteur s'imagine la correspondance entre des grands seigneurs (Rica et Usbek),
voyageant en France, et un ami Persan à l'époque de Louis XIV. Cette lettre constitue la trentième lettre.
Rica à Ibben.
A Smyrne.
Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus
regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si
je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former
autour de moi; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait; si j'étais
aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été
vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre,
qui disaient entre eux: "Il faut avouer qu'il a l'air bien persan." Chose admirable! Je trouvais de mes portraits
partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne
m'avoir pas assez vu.
Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare;
et, quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos
d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan et à en endosser un à
l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit
connaître ce que je valais réellement: libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste.
J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime
publique: car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une
compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. Mais, si quelqu'un,
par hasard, apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un
bourdonnement: "Ah! ah! Monsieur est Persan? c'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être
Persan?"
Sganarelle
Quoi ? Vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien1 ?
Dom Juan
Et pourquoi non ? Il y en a tant d’autres comme moi, qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même
masque pour abuser le monde !
Sganarelle.
Dom Juan
Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode
passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse
jouer. Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est
toujours respectée ; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des
hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un
vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine.
On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les
attire tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour
être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent bonnement dans le
panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en
connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un
bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants
hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas
pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux
roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je
veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai
soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit.
1. Homme de bien : Homme d'une véritable vertu, dont la conduite est conforme à la morale.
CRÉON
C'était après cette dispute. Ton père n'a pas voulu le faire juger. Il s'est engagé dans l'armée argyenne. Et,
dès qu'il a été chez les Argyens, la chasse à l'homme a commencé contre ton père, contre ce vieil homme qui
ne se décidait pas à mourir, à lâcher son royaume. Les attentats se succédaient et les tueurs que nous
prenions finissaient toujours par avouer qu'ils avaient reçu de l'argent de lui. Pas seulement de lui, d'ailleurs.
Car c'est cela que je veux que tu saches, les coulisses de ce drame où tu brûles de jouer un rôle, la cuisine.
J'ai fait faire hier des funérailles grandioses à Etéocle. Etéocle est un héros et un saint pour Thèbes
maintenant. Tout le peuple était là. Les enfants des écoles ont donné tous les sous de leur tirelire pour la
couronne ; des vieillards, faussement émus, ont magnifié, avec des trémolos dans la voix, le bon frère, le fils
d'Œdipe, le prince royal. Moi aussi, j'ai fait un discours. Et tous les prêtres de Thèbes au grand complet, avec
la tête de circonstance. Et les honneurs militaires… Il fallait bien. Tu penses que je ne pouvais tout de même
pas m'offrir le luxe d'une crapule dans les deux camps. Mais je vais te dire quelque chose, à toi, quelque
chose que je sais seul, quelque chose d'effroyable : Etéocle, ce prix de vertu, ne valait pas plus cher que
Polynice. Le bon fils avait essayé, lui aussi, de faire assassiner son père, le prince loyal avait décidé, lui
aussi, de vendre Thèbes au plus offrant. Oui, crois-tu que c'est drôle ? Cette trahison pour laquelle le corps
de Polynice est en train de pourrir au soleil, j'ai la preuve maintenant qu'Etéocle, qui dort dans son tombeau
de marbre, se préparait, lui aussi, à la commettre. C'est un hasard si Polynice a réussi son coup avant lui.
Nous avions affaire à deux larrons en foire qui se trompaient l'un l'autre en nous trompant et qui se sont
égorgés comme deux petits voyous qu'ils étaient, pour un règlement de comptes… Seulement, il s'est trouvé
que j'ai eu besoin de faire un héros de l'un d'eux. Alors, j'ai fait rechercher leurs cadavres au milieu des
autres. On les a retrouvés embrassés -pour la première fois de leur vie sans doute. Ils s'étaient embrochés
mutuellement, et puis la charge de la cavalerie argyenne leur avait passé dessus. Ils étaient en bouillie,
Antigone, méconnaissables. J'ai fait ramasser un des corps, le moins abîmé des deux, pour mes funérailles
nationales, et j'ai donné l'ordre de laisser pourrir l'autre où il était. Je ne sais même pas lequel. Et je t'assure
que cela m'est égal.
Séquence 5.
Texte 7. Le prologue.
LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après
– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après‚
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop
violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour
annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un
homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin
que j’ose me souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne
connais pas (trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et
d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître.
Antoine. Moi ?
C’est de moi ?
Je suis désagréable ?
Suzanne. Tu ne te rends même pas compte,
Tu es désagréable, c’est invraisemblable,
Tu ne t’entends pas, tu t’entendrais …
Antoine. Qu’est-ce que c’est encore que ça ?
Elle est impossible aujourd’hui, ce que je disais,
je ne sais pas ce qu’elle a après moi,
je ne sais pas ce que tu as après moi,
tu es différente.
Si c’est Louis, la présence de Louis,
je ne sais pas, j’essaie de comprendre,
si c’est Louis,
Catherine, je ne sais pas,
je ne disais rien,
peut-être que j’ai cessé tout à fait de comprendre
Catherine aide-moi,
je ne disais rien,
on règle le départ de Louis,
il veut partir.
Catherine. Antoine.