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Sujet : Dans quelle mesure peut-on dire que Manon Lescaut est une tragédie qui, outre la

crainte et la pitié, suscite le plaisir du lecteur ?

Le XVIIIème siècle est placé sous le signe du plaisir et des frivolités. Après le règne de
Louis XIV, le peuple est à la quête du bonheur et de la liberté. C’est dans ce contexte que le
plaisir prend une place importante dans la littérature. Un écrivain se doit alors de rendre ses
œuvres divertissantes pour le public et cela amène alors à la réadaptation des styles
littéraires. l’œuvre de l’Abbé Prévost, Manon Lescaut, nous permet d’évoquer la tragédie
et la relation qui la lie au plaisir éprouvé par le lecteur à travers notamment de la crainte
et la pitié. La tragédie est alors souvent propre aux pièces de théâtre et dans lesquelles les
personnages sont soumis à des évènements tragiques dont la seule issue est fatale. Ce genre
théâtral amène alors principalement à l’évocation de la peur et au sentiment d’une certaine
compassion du lecteur envers les protagonistes. Mais tout cela reste en lien avec le
sentiment de bonheur éphémère permis par le plaisir que nous prouvons éprouver dans
certaines mesures à la lecture d’une telle œuvre. On peut alors soulever le questionnement
suivant : comment pouvons-nous affirmer que Manon Lescaut est une tragédie qui en plus
de susciter la crainte et la pitié peut nous faire éprouver du plaisir ? On tentera alors de
raisonner en évoquant premièrement la tragédie instructive qu’est Manon Lescaut puis
après avoir démontré les nuances de cette tragédie, nous évoquerons l’attirance que peut
avoir le lecteur pour cette œuvre singulière.

Le roman de l’Abbé Prévost est alors un récit dans lequel les protagonistes principaux
sont en proies à la tristesse et aux retombés catastrophiques. Manon et le chevalier Des
Grieux font face à des aventures tragiques qui les amènent plus d’une fois à vivre la tristesse
et la déception. Leur rencontre leur permet un amour passionné qui se révèlera être pour les
deux jeunes gens plus néfastes que bénéfiques. En effet, les catastrophes s’enchaîneront et
ils se verront progressivement tomber de plus en plus profond jusqu’à en arriver à l’exil total
et à une des fatalités les plus extrêmes : la mort. On peut alors qualifier ce récit tel une
tragédie romanesque qui reste captivante. En effet, la tragédie a pour but fondamental de
susciter chez son lecteur la crainte ainsi que la pitié. Notamment, Aristote affirme que le
lecteur ressent « de la crainte pour lui et de la pitié pour les personnages ». Ainsi, cette peur
est provoquée par l’appréhension de se retrouver dans une telle situation et de subir les
mêmes retombées. Or la pitié est, elle, amené par une certaine compassion du lecteur
envers le sort des personnages. Mais à travers ces deux sentiments, le plaisir ressort.
Effectivement, le lecteur éprouve à travers cette pitié le plaisir de ne pas se trouver dans la
même situation et peut même en venir à apprécier d’autant plus sa propre situation qui, en
comparaison à celle du jeune couple est probablement meilleure. Ainsi, la lecture de l’œuvre
peut permettre à un lecteur d’améliorer ses propres conditions de vie.
Aussi dans un autre contexte, l’analyse de cette œuvre peut permettre à un individu
d’éprouver du plaisir dans le sens où il se sentirait compris et accompagné. En effet, la pitié
qu’il éprouvera pour les personnages pourra lui permettre de se rendre compte qu’il n’est
pas le seul à faire face à cette pitié. Notamment à la lecture de l’œuvre Une Vie de Guy de
Maupassant, nous faisons face à la vie d’une femme délaissée et trompée par son mari,
menant une vie solitaire et triste. Après analyse de ce roman on peut alors être amené à se
rendre compte du confort de notre vie personnelle ou alors, nous pouvons nous identifier à
la pitié que nous ressentirons pour cette épouse.
D’autre part, la crainte qui naît de la tragédie nous amène paradoxalement à en retirer du
plaisir. Cette peur nourrit notre expérience et nous permet ainsi de pouvoir l’éviter. C’est à
travers cette capacité à pouvoir éviter le malheur et les épreuves que nous retirons un
certain plaisir.
Ainsi, on voit par cette interprétation une sorte d’instruction puisqu’en effet, la tragédie de
l’Abé Prévost est en grande partie instructive. Il dit lui-même : « c’est rendre, à mon avis, un
service considérable au public que de l’instruire en l’amusant ». Tout au long du récit,
l’auteur livre une morale à son lecteur. Chacun des évènements nous pousse à réfléchir sur
notre propre comportement. Notamment Manon Lescaut nous éduque « sur la force des
passions » comme l’affirme lui-même l’auteur. Nous sommes alors amené à observer le sort
de personnages esclaves de leur passion comme l’est Des grieux avec son amour pour
Manon ou Manon pour son amour de l’argent et des plaisirs. On voit ainsi à travers cette
œuvre le sort fatal qui est réservé aux êtres insouciants et frivoles. Par le biais de cette
tragédie romanesque, nous ressentons alors le plaisir de l’instruction et de l’apprentissage.
Cependant cette volonté de l’auteur de nous éduquer laisse alors le libre arbitre aux
protagonistes de leur propres actes. Ainsi, l’œuvre n’est alors pas totalement une tragédie.

Le principe même de la tragédie se définit par la mise en scène de personnages en


proie à un destin malheureux. Or, Manon et Des Grieux, cherchent en quelque sorte cette
fatalité. Même si le destin joue un rôle important dans leur relation puisque tous deux ont
conscience dès leur rencontre qu’ils seront voués à cet amour passionnel. Ainsi, ils savent
que cet amour est tellement fort qu’il subsistera. Or ce sont les choix qu’ils feront qui les
mèneront à l’échec. Effectivement, la passion de l’argent qui obnubile Manon la poussera
dans des situations malheureuses. Par exemple, lorsqu’elle décide de tromper des Grieux
une première fois, elle le fait volontairement, sans aucune nécessité parce qu’elle se laisse
attirer par la volonté de vouloir toujours plus d’argent. De son côté, Des Grieux fait le choix à
chaque reprise de retourner vers la jeune femme. Il se laisse contrôler par cet amour sans
jamais retourner vers la raison. Or tout au long du livre, de nombreux éléments ont tenter
de rappeler le jeune couple dans le droit chemin. Notamment, l’ami du chevalier, Tiberge a
porté ce rôle face à chaque obstacle. Il a toujours cherché à raisonner Des Grieux et à lui
éviter toutes ces catastrophes. Ainsi, la notion de tragédie évoquée reste à nuancer pour le
cas de Manon Lescaut. A l’inverse dans la pièce de Shakespeare, Roméo et Juliette, les deux
jeunes gens sont livrés à cette tragédie peu importe leur choix, c’est une réelle fatalité.
Cependant, dans Manon Lescaut, cette nuance apportée au récit est renforcée par la
marginalité des personnages. Effectivement, les décisions qu’ils prennent, malgré le fait
qu’ils sachent la fatalité que cela engendrera est justifiable par leur marginalité. Ces jeunes
gens vivent en marge de la société. Les choix qu’ils font cassent les codes et ne sont donc
plus en accord avec les normes sociales. C’est pour cela, qu’il leur est impossible de vivre
l’idylle. C’est cette marginalité qui les empêche de se raisonner et d’éviter le malheur. Ils ne
respectent ni la religion, ni la morale, ni la famille… Le monde leur est fermé et est hostile à
leur bonheur. Par exemple, dans l’étranger d’Albert Camus, Meursault renonce de se plier
aux codes sociétales, il ne cherche pas à les comprendre et n’y prête aucune attention , or
c’est ça qui lui coutera sa perte. Il sera jugé pour cette marginalité et non pour le meurtre
qu’il aura commis. Dans notre monde, le fait de ne pas se plier aux règles induit la fatalité.
On ne peut pas espérer le bonheur sans rentrer dans les codes imposés. Et on le comprend à
la fin du roman lorsque Manon et le chevalier sont exilés en Amérique, qu’ils vivent une vie
sereine, qu’ils se rapprochent de la religion et qu’ils s’écartent de la marginalité. C’est lors de
ce moment de bonheur qu’on est amené à croire qu’ils pourraient éviter leur défunt sort.
Ainsi, les personnages vivent un malheur qu’ils auraient pu éviter en faisant les bons choix.
L’auteur nuance alors le principe de la tragédie puisque les personnages gardent un libre
arbitre sur leurs choix. Mais, ce n’est pas pour autant que cette œuvre hors du commun
reste attirante.

En effet, le mélange de cette tragédie réinventée avec la marginalité qui y réside


permet un plaisir complet au lecteur. Celui-ci est plongé dans un monde rempli de périples
de rebondissements ainsi que de nouveauté. Effectivement, il prend plaisir à lire cette
tragédie nouvelle dans laquelle les personnages cherchent la fatalité. Il découvre alors des
personnages hors du commun qui divertissent par leur propre comportement mais aussi
grâce à leurs malheurs qui amènent encore plus de péripéties. Ils vivent une vie
mouvementée poussée par leurs choix improbables qui ne font qu’empirer leur sort.
Notamment lors de la scène du souper, Manon, Des Grieux et Lescaut cherchent à
entourlouper un homme riche afin de lui soutirer de l’argent. C’est dans ce contexte qu’ils
seront amenés à la prison, au meurtre ainsi qu’à l’exil. Les évènements s’enchaînent et
rendent l’histoire animée. Ainsi, le lecteur est diverti et prend du plaisir à la lecture. Il est
plongé dans un monde qu’il ne connait pas et est en immersion dans une vie d’aventure.
Ainsi, celui-ci se libère de son quotidien pour rentrer, à l’ouverture de ce livre, dans un récit
divertissant. Notamment dans les récits picaresques tels que Gil Blas de Santillane d’Alain
René Lesage, le lecteur se trouve plongé dans un monde où les aventures s’enchainent afin
de voir le protagoniste principal grimper dans l’échelle sociale. C’est alors d’autant plus
divertissant qu’il y a une quête finale. D’autre part, le plaisir peut être trouvé dans
l’identification du lecteur. Effectivement, celui-ci, en plus d’être plongé dans une
atmosphère amusante, est transporté dans un monde auquel il peut s’identifier. La lecture
est alors encore plus attirante puisqu’elle permet au lecteur de se retrouver dans les propos
évoqués. En effet, nous prenons plus de plaisir à lire une œuvre à laquelle nous pouvons
personnellement nous rapporter. Les personnages peuvent illustrer nos pensées ou nos
envies. Par exemple, nous pouvons rêver de vivre l’histoire d’amour des jeunes amants ou
nous pouvons ressentir le besoin de Manon de toujours être proche de l’argent. Chacun de
nous pouvons nous identifier à des personnages ou voir dans le récit une cause qui nous
touche personnellement. C’est ainsi que la littérature nous touche et nous apporte le
bonheur. On peut citer par exemple, l’œuvre de Voltaire, Candide dans laquelle nous
pouvons nous retrouver dans la naïveté du jeune homme de croire à un monde parfait et à
un bonheur possible. Mais nous pouvons aussi voir les causes défendues telles que la liberté,
l’esclavage ou encore la religion.

Enfin, Manon Lescaut est une œuvre complète qui permet par de nombreux moyens
de donner du plaisir au lecteur. C’est un récit tragique mais dans lequel les personnages ont
le pouvoir de décider de leur sort. Cela fait de ce roman une œuvre novatrice qui met en
scène des personnages eux-mêmes hors du commun qui rendent le plaisir encore plus
grand.

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