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Correction de la dissertation :

Dans quelle mesure la fiction littéraire est-elle capable de convaincre et de persuader le


lecteur ? Vous répondrez à cette question en prenant appui sur le corpus et sur vos lectures
personnelles.

Pour éduquer les enfants, on recourt souvent à des histoires fîctives et à leurs personnages
inventés, souvent destinés à forger leur vision de la vie ou à leur donner un message moral.
L'âge adulte oublie ce goût du recit et préËre des genres argumentatifs, cependant des
écrivains tels que Voltaire ou La Fontaine ont tiré profit de la force argumentative de la
fiction.
<<Une morale nue apporte de I'ennui
Leconte fait passer le précepte avec lui » ( « Le Pâtre et le Lion >» V[, I les Fables). Pour
emporter I'adhésion du lecteur, quels atouts présente la fiction ? Pourquoi certains écrivains
ont-ils recours à des fictions pour faire passer un message ? Nous vetrons dans un premier
temps les atouts de la fiction, puis les charmes de la fiction pour le lecteur avant d'en montrer
les limites dans un troisième temps.

La fiction comporte des atouts pour l'écrivain qui peut ainsi s'exprimer librement et en
toute fantaisie.
En premier lieurle but de l'auteur en necourant à la liction est de plaire à ses lecteurs
, avec des écrits divers, vifs et généralement courts pour rester dans la mémoire du lecteur :
des genres variés sont ainsi proposés tels que l'apologue comme les fables avec leurs
animaux, leurs objets et les végétaux même qui se conduisent comme des hommes et ces
fables composent un univers réaliste, la fable « Le Chêne et le Roseau » propose une étude
comparée entre ces deux plantes avec de façon allégorique, le fort et le faible qui n'est pas
celui que l'on croit, comme Ie conte philosophique où I'auteur veut donner à réflechir par un
recit plaisant comme Candide par exemple qui évoque un voyage initiatique d'un jeune
homme à la recherche du bonheur. Le théâtrc aussi propose des utopies sur scène comme
Marivaux dans l'île des esclaves où les esclaves arrivés sur une île peuvent enfin s'affianchir
de leurs maîtres voire les dominer et leur faire subir qu'ils ont enduré, il est aussi une
« tribune >», en présentant des idées sociales comme le fait Victor Hugo avec Ruy Blæ. il est
aussi défense d'idées en danger comme l'a présenté Jean Giraudoux dans sa pièce de 1938 La
Guerre de Troie n'aura pas lieu. Enfin, Ie roman aussi peut avoir une portée sociale, le
mouvement du naturalisme a cette valeur intrinsèque et Zola l'a exploitée dans Germinal par
exemple en évoquant la revolte des mineurs de Montsou. Les registres aussi sont variés : on
retrouve l'humour chez Voltaire, le pathétique à la mort de Ruy Blas...
De plus, I'auteur est libre de choisir son récit et ses peruonnages pour rendre sa
démonstration eflicace. Il peut comptxrer d'abord une histoirc selon ses souhaits, avec une
grande liberté, comme les événements et les actions ne sont pas historiques, on peut les
exagérer pour apitoyer le lecteur ou pour les amuser, par exemple, quand Candide subit le
châtiment de l'autodafé, il est « fessé »> ce qui peut prêter à sourire. De même, I'auteur peut
choisir ses penronnages et les adapter à sa démonstraüon, par exemple Fantine dans les
Misérables rencontre une déchéance qui correspond à la volonté de l'auteur, ou bien Javert est
volontairement odieux. En outre, I'ecrivain peut grossir les traits de caractère pour mieux
dénoncer, les personnages sont alors frappants, par exemple, Harpagon est réellement avare et
obsédé par l'argen! Candide est très naîfet aura besoin de beaucoup decouvrir pour dessiller
ses yeux. tr peut aussi representer toute une époque et s'en prendre largement à toute une
société , c'est le cas de Beaumarchais qui dans Le Mariage de Figaro s'en prend aux
à la justice et défend les opprimés. Cela conduit alors à
aristocrates, aux séducteurs,
construire des histoires qui semblent vraies, par exemple, dans Le Père Goriot, les
personnages semblent réels car Balzac en voulant « faire concurrence à l'état civil » crée des
personnages avec des traits marquants, un nom et un prénom, une originq une profession,
ainsi Goriot a pour prenom Jean- Joachim, il s'est ruiné pour ses deux filles, Anastasie et
Delphine, il est retraité à la pension Vauquer et était vermicellier. Certains personnages qui
étaient mÿhiques au départ existent dans notre réalité : c'est le cas de Dom Juan, un
mÿhe, qui à présent représente le séducteur. Enfin, la fiction permet de déjouer la censure par
le biais de I'ironie, ce que fait Montesquieu par exemple dans Les Lettres persanes où les
interrogations d'un Persan sur la société française permettent à l'auteur de critiquer les travers
de son pays.
Tëls sont les atouts de lafiction auc yewc de l'auteur qui s'engage à raconter une histoire
plaisonte pour mietn convqinc,re le lecteur: ce dernier est-il alors toujours convaincu a-t-il
plaisir à lire ces récits fictifs ?

Le récit lictif s'adresse aux lecteurs et met en valeur I'affectivité et I'imaginaüon, le


Iecteur lit par plaisir des histoires qui le transportent hors de son quotidien.
Tout d'abord, le lecteur éprouve le plaisir du divertissement : il s'intéresse alrx
personnages, aux rebondissements de l'intrigue, à l'action. Dans Candide. le lecteur se
demande quelles vont être les nouvelles réactions du jeune homme, s'il va retrouver
Cunégonde, s'il va l'épouser, s'il va abandonner les préceptes de Pangloss, son professeur
optimiste. Comme l'écrit La Fontaine « Si Peau d'âne m'était conté,/ J'y prendrais un plaisir
exffime » ( « Le Pouvoir des Fables » VIII,4). Le lecteur s'imagine dans un monde irreel, où
il s'évade, c'est le cas de Candide lorsque le jeune héros et son valet Cacambo sont à
l'Eldorado, l'utopie le transporte dans un univers totalement imaginaire, elle sert ici de §et
de notre monde, par exemple le Roi est très proche de ses sujets puisque Candide peut se
précipiter pour l'embrasser, il s'agit pour Voltaire de critiquer la monarchie où rien n'est fait
pour rapprocher le peuple de son Roi. Le lecteur admet alors le merveilleux, comme on le voit
dans les contes, par la transformation de objets ou des pouvoirs extraordinaires.
En outre, le lecteur peut s'identifier à ces pelsonnages ou alors éprouver de la
sympathie : il s'attache avec émotion à certains d'entre eux, on ne peut nier le caractère
sympathique de l'Ingénu, le Huron de Voltaire par son naturel et sa franchise est très
séduisant, comme on le voit dans l'extrait de notre corpus où il tente en vain de rencontrer le
Roi, il peut même arriver à certains lecteurs sensibles de pleurer à certaines histoires, la fin du
Père Goriot peut toucher le lecteur par l'égoïsme de ses filles et l'ingratitude d'une société qui
laisse de côté ses aînés, on peut de la même façon rejeter un personnage ou se prendre pour
lui: par exemple, Julien Sorel dans I.e Rouee et le Noir de Stendhal peut rencontrer un certain
écho par son arrivisme et ses aspects séducteurs et fins.
En dernier lieu, le lecteur est donc persuadé: la fiction pennet de faire passer
agréablement un message et dans ce cas, I'auteur a donc usé de persuasion : il n'y a pas dans
ces récits fictifs de ton didactique pesant on s'amuse, ils touchent un public large et de tous
âges : les fables peuvent être lues par les enfants mais aussi par les adultes comme << La
Cigale et la Fourmi » par exemple. trs permettent au lecteur d'éprouver des émotions, le
lecteur a envie de continuer les aventures du héros, de savoir s'il sera vainqueur ou non et cela
prend encore plus de force au théâtre où les émotions sont transmises en direet par le biais des
acteurs. Uauteur peut enfin tendre un piège à son public qui a été conffaint d'accepter sa
démonstration, il a imposé sa lecture du monde, c'est le cas dans les transpositions animales
par exemple les fables imposent un sens critique, ou la lecture de la pièce de Rhinocéros de
Ionesco. On admet aisément la critique dans un monde fictif : la transposition dans notre
monde nous est imposée.
Comme on le voit, la transposition dans tm mondeJictdpeut aussi imposer un sens de lecture
au public et lafiction littéroire peut aussi svoir ses limites.

Choisir la fiction pour argumenter exige cependant des précauüons et des lecteurs
avertis, qui ont compris l'argumentation de I'auteur et qui ont raisonné correetement.
Il faut en premier lieu que l'ecrivain prenne certaines précautions : il doit éviter la
simplification excessive pour éviter la caricature , par exemple, la pièce Ubu Roi de Jarry est
très plaisante mais le comique et l'outrance ont tendance à faire oublier le propos de l'auteur
contre les totalitarismes. C'est ainsi aussi que le lecteur ne peut adhérer à des situations
grossies où la vie racontée est simplifiée et c'est souvent le cas dans les histoires courtes, la
fiction est faite sur mesure mais l'histoire est créée pour une démonstration, le fait que les
personnages ressuscitent dans Candide peut être un frein à l'apitoiement du lecteur, le lecteur
est davantage touché par la mort de Jean Calas ou du chevalier de La Bane qui ont existé que
par le destin de Candide. De même la fiction ne doit pas cacher le message de l'écrivain et
aboutir à l'inverse de ce qu'il a voulu transmettre, par exemple, Jean-Jacques Rousseau pense
que les fables sont amorales et qu'elles apprennent aux enfants la malice et la méchanceté, ils
admirent le renard qui trompe le corbeau, approuvent la fourmi qui repousse la cigogne...[
faut aussi de l'humour et une bonne intelligence pour comprendre les histoires et saisir
l'ironie, ce qu'il est parfois difficile de faire pour certains récits de Montesquieu par exemple.
De même, le lecteur peut préférer l'histoire racontée au message en lui-même, le plaisir
l'emporte sur le savoir et il oublie l'arrivisme de Julien Sorel par exemple, il ne retient que la
beauté de sa mort, son sort pathétique. L'argumentation direck a elle le mérite d'être claire ce
que l'argumentation indirecte n'est pas.
Pour que l'argumentation soit efficace enfiin, il faut tenir compte du goût de son temps
et de son époque par exemple, le conte philosophique est à la mode au XVIIIème, les récits
scientistes et positivistes s'accordent bien avec le XD(ème siècle, le siècle classique aime les
récits de morale. Il faut aussi que le lecteur puisse s'affranchir de sa sensibilite, par exemple
on sait que les personnes qui ont été déportees ont du mal à soutenir certains récits fictifs
ayant trait à leur vécu, certains récits peuvent choquer parce que certains sujets ne se prêtent
pas à la fiction mais à la vérité absolue de l'horreur telles que l'ont décrite ces auteurs comme
Primo Levi ou Borges par exemple. I1 paraît en ce sens intéressant de se plonger dans les
histoires de Isaac Bashevis Singer qui raconte le quotidien de juifs polonais à Varsovie, cette
vie retranscrite montre au lecteur une humanité decimée qui peut nous émouvoir. C'est ainsi
que ce sont les auteurs eux-mêmes qui par leur talent nous peruuadent et nous
convainquent en même temps : Voltaire par son humour et son intelligence vive nous séduit
aussi au- delà de ses écrits, on admire l'homme courageux qui pourfend l'intolérance, Hugo
par sa force de conviction et son génie incroyable nous touche dans ses discours contre la
misère et Camus peut nous amener à réflechir par le personnage de Meursaulg incompris par
son absence de sociabilité, nous pouvons admirer cette perspective de réflexion

La littérature qui s'éloigne du reel nous transporte dans un univers imaginaire et nous permet
de mieux comprendre le monde, elle a le désir si classique de « plaire et d'instruire » .
L efficacité de la réalité et de la fiction dépend de nombreux facteurs : le contexte, les
aptitudes du créateur,la sensibilité du destinataire... Il convient comme dans les siècles
passés de savoir maîtriser à la fois I'argumentation directe et l'argumentation indirecte. Nous
pouvons cependant nous demander si l'argumentation indirecte poura être comprise à
l'avenir par un public de plus en plus à des consommations faciles, qui ne lui demandent pas
de réfléchir à l'implicite.

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