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Dissertation corrigée – Manon Lescaut

Sujet :

Est-il pertinent, pour un romancier, de conduire la destinée de ses


personnages en marge de la société pour emporter l’adhésion de son
lecteur ?

Vous répondrez dans un développement structuré, en prenant appui sur votre


lecture de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, sur les textes étudiés en classe ou
lus dans le cadre du parcours associé, ainsi que sur votre culture personnelle.

1. L’analyse du sujet
Conseil : Il est d’abord essentiel de repérer les termes les plus importants du
sujet, ceux qui en déterminent le sens et l’articulation logique, puis de les
définir pour éclairer l’énoncé.
Le sujet articule ainsi le travail du romancier et la réception du lecteur en termes
d’efficacité (c’est le sens de l’adjectif « pertinent ») dans le but de susciter
« l’adhésion » du lecteur. L’adhésion est l’un des termes les plus importants de
l’énoncé : il renvoie d’abord à l’attachement du lecteur à l’œuvre, cette adhésion
pouvant se comprendre comme le développement de l’envie du lecteur de
connaître la suite, son investissement dans la lecture et sa projection dans
l’intrigue, son attachement, voire sa sympathie pour les personnages. Mais adhérer
à un groupe, une opinion, une doctrine, c’est aussi les reconnaître comme valables,
en partager les idées ou les valeurs. Or le sujet se demande s’il est efficace dans
cette perspective de représenter des « personnages en marge de la société », c’est-
à-dire des marginaux, des êtres qui ne respectent pas les normes de la société, qui
en sont exclus ou qui s’en extraient. On pensera bien sûr au statut, à la condition
sociale de Manon et des Grieux. L’expression « conduire la destinée » souligne
enfin l’importance du déroulement de l’intrigue et peut renvoyer à l’atmosphère
tragique qui plane sur le roman.
Ensuite, on peut noter la forme de la question : il s’agit ici d’une question totale
qui invite à adopter un plan dialectique, à nuancer le présupposé véhiculé par
l’énoncé.
On reformule alors le sujet : pour susciter l’adhésion du lecteur (c’est-à-dire à
la fois son intérêt, sa curiosité, son désir de lire, son approbation morale, son
attachement aux personnages), est-il bon de représenter des personnages de
marginaux ?
On cherche ensuite des arguments et des exemples qui permettent de construire
la thèse et l’antithèse et on les note au brouillon.

Conseil : pour éviter de basculer dans le hors-sujet, il est préférable


d’employer les termes du sujet dans les passages clés de la démonstration : les
annonces de parties, les transitions, la formulation de l’argument de chaque
sous-partie… Mieux vaut être insistant(e) mais clair(e), que viser la subtilité et
basculer dans l’approximatif.
On cherchera d’abord à montrer que la représentation de personnages menés par
leur destinée en marge de la société est un moyen efficace pour susciter l’adhésion
du lecteur au récit (AXE 2 – arg 1). Plusieurs arguments pourront être avancés :

 on rappellera d’abord que le déroulement de l’intrigue mène les


personnages vers une déchéance certaine, annoncée dès l’incipit. Le
roman donne ainsi à découvrir Manon dans une scène mémorable, qui
présente une population « en alarme » devant le spectacle offert par « douze
filles, […] enchaînées six à six par le milieu du corps ». Le récit rétrospectif
de des Grieux retrace ensuite la destinée de cette jeune fille dotée d’un fort «
penchant au plaisir » depuis sa rencontre avec le jeune noble jusqu’à sa mort
tragique dans le désert. Les rebondissements et les péripéties qui ponctuent
ce récit tragique renforcent dès lors l’attachement du lecteur à l’intrigue.
 la représentation de lieux étrangers au lecteur suscite une impression de
dépaysement, d’exotisme d’une part, tout en rendant les
rebondissements de l’intrigue plus effrayants, en menant les personnages
dans des lieux hostiles qui inquiètent le lecteur d’autre part. On pourra ainsi
évoquer le passage de des Grieux à la prison de Saint-Lazare et de Manon à
celle de la Salpêtrière, l’atmosphère licencieuse des petites maisons des
seigneurs libertins qui sollicitent Manon, ou encore l’espace sublime du
désert américain.
 la mise en scène de personnages audacieux, qui refusent de se conformer
aux poids des règles religieuses, des normes sociales, des injonctions
familiales, suscite l’admiration du lecteur. Leur goût de la liberté, de la
transgression, leur révolte contre l’hypocrisie et la puissance de leur passion
amoureuse, en font des êtres fascinants. On pourra par exemple s’appuyer
sur une analyse de l’humiliation que Manon fait subir au prince italien qui la
courtise, se jouant de lui malgré son titre et sa jeunesse. On pourrait
également citer Flaubert qui écrit dans sa correspondance que « [c]e qu’il y a
de fort dans Manon Lescaut, c’est le souffle sentimental, la naïveté de la
passion qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables,
quoiqu’ils soient fripons ».

Après avoir démontré que la représentation d’espaces étrangers au lecteur et de


personnages hors normes vivant des aventures intenses et connaissant un sort
tragique entretiennent l’intérêt, la curiosité et la sympathie du lecteur, nous
devons maintenant montrer en quoi cette thèse n’a rien d’évident, et quelles sont
les limites de cette position.

Nous pourrions alors évoquer la désapprobation morale du lecteur qui


condamne les personnages ou peine à s’identifier à ces figures marginales
(AXE 1 – arg 2).
Il serait temps alors de mobiliser l’avant-propos ajouté par l’abbé Prévost à
l’œuvre, dans lequel il présente le roman comme « un traité de morale réduit
agréablement en exercices » et rappelle que celui-ci doit « servir à l’instruction
des mœurs ». La destinée de des Grieux est censée être pour le lecteur « un
exemple terrible de la force des passions ». L’auteur condamne en effet
longuement l’attitude de son héros « qui refuse d’être heureux pour se précipiter
volontairement dans les dernières infortunes ». À travers cette énumération des
fautes de des Grieux, l’abbé Prévost feint d’inviter le lecteur à désapprouver son
héros. L’attachement du lecteur au sort du personnage n’est donc recherché que
pour mieux susciter ensuite sa désapprobation morale.
L’on pourrait ainsi rappeler les épisodes dans lesquels la sympathie du lecteur
pour le personnage se trouve émoussée par sa conduite immorale (épisodes de
vols, triche, mensonges, mauvaise foi, meurtre…). On pourrait également
s’interroger sur « l’adhésion » du lecteur au personnage de Manon, qui a suscité de
très nombreux commentaires moralisateurs condamnant son infidélité, son
penchant au plaisir ou son goût pour le luxe.
On pourrait enfin évoquer la figure de Tiberge, pour se demander si ce
personnage ne suscite pas davantage l’attachement du lecteur, son intérêt, son
admiration, pour ses vertus morales, sa loyauté, sa sincérité, sa foi profonde. C’est
d’ailleurs sur lui que le récit de Des Grieux s’achève comme s’il était le garant
d’un retour à l’ordre moral à la fin du roman : « Je ne pouvais marquer trop de
reconnaissance pour un ami si généreux et si constant. »
L’on voit ainsi que l’adhésion du lecteur au roman n’a rien d’évident dans la
mesure où il met en scène des figures de marginaux, immorales et
transgressives. Il serait alors temps de se demander par quels moyens l’abbé
Prévost emporte l’adhésion du lecteur en rendant ses personnages attachants ou
fascinants malgré tout.(AXE 2 – arg 1-2)

Si le lecteur n’adhère pas totalement aux personnages représentés, à Manon et des


Grieux, s’il ne valide pas leur conduite ou leurs décisions, il adhère pourtant au
roman, à l’œuvre réalisée par l’abbé Prévost, comme en témoignent la postérité du
roman et les nombreuses études qui lui furent consacrées. C’est que ces figures
hautes en couleur sont mises en valeur par un montage narratif soigné et une
construction narrative efficace et qu’ils symbolisent la puissance de l’amour.
L’on pourrait d’abord montrer que c’est moins la marginalité des personnages
qui intéresse le lecteur que la puissance de la passion amoureuse qui pousse les
héros malgré eux en marge de la société. On pourrait également évoquer
les critiques de certains lecteurs masculins qui ont témoigné de leur fascination
pour le personnage de Manon, perçu comme un fantasme. Maupassant écrit ainsi, à
propos de des Grieux, que « nous le comprenons, nous ne nous indignons plus
ainsi que nous le ferions pour un autre, nous l’absolvons presque, nous lui
pardonnons assurément à cause d’elle, parce que nous nous sentons faibles aussi
devant cette image ravissante, devant cette unique évocation de la créature
d’amour ».
Il faudrait surtout montrer que c’est le montage du roman, sa construction
rétrospective, sa narration enchâssée, qui permettent au lecteur d’adhérer
pleinement au récit. En effet, cette structure fait de la narration un commentaire
vivant, un témoignage sensible, qui annonce d’emblée un récit tragique, les
prolepses ne cessant d’alimenter la curiosité du lecteur. Sa compassion est
entretenue par la narration pathétique de des Grieux, ses nombreux commentaires
soulignant ses regrets et ses souffrances (on pourra ici commenter certaines
exclamations contenues dans la scène de la rencontre telles que : « Hélas ! que ne
le marquai-je un jour plus tôt ! j’aurais porté chez mon père toute mon
innocence »).
L’on pourrait enfin se demander si l’adhésion du lecteur au roman ne serait pas
davantage lié au mystère qui entoure le personnage de Manon qu’à sa vie en
marges. (AXE 2) Dans la mesure où Manon n’est saisie qu’à la troisième
personne, par deux narrateurs internes (Renoncourt, puis des Grieux), qui
l’objectifient par leur regard et ne peuvent en pénétrer la conscience, elle apparaît
bien souvent comme un personnage insaisissable, qui échappe au lecteur. Ainsi les
décisions de Manon, ses choix, ses actes, paraissent souvent déconcertants à des
Grieux et dès lors au lecteur qui la perçoit à travers sa narration uniquement. Si le
lecteur adhère au roman, c’est donc aussi parce qu’il est fasciné par Manon,
personnage trouble qui lui échappe en permanence.

3. l’introduction
Manon Lescaut, roman publié par l’abbé Prévost en 1731, connut
un vif succès, tant au XVIIIe siècle qu’au siècle suivant, en témoignent les
commentaires enthousiastes de nombreux écrivains tels que Flaubert ou
Maupassant. Il a pourtant pour protagonistes des personnages de marginaux, un
prêtre défroqué et une fille, qui s’écartent des lois sociales ou y contreviennent, et
fréquentent des lieux en marges de la norme. La marginalité des héros apparaît
toutefois ambivalente : si elle peut susciter l’intérêt du lecteur en le menant vers
des espaces romanesques qui lui sont à priori étrangers et peuvent éveiller sa
curiosité, dans un récit ponctué de rebondissements et de coups de théâtre
particulièrement dramatiques justifiés par leur destinée anti-sociale, elle peut aussi
exciter la désapprobation du lecteur, qui n’adhère pas, moralement, à leur conduite.
Dans ce qui suit, nous analyserons l’immoralité des personnages de Des Grieux
et Manon Lescaut pour ensuite montrer l’attachement du lecteur à ce type de
personnage.
AXE 1 - l’immoralité des personnages de Des Grieux et Manon Lescaut
Arg 1 – la représentation de personnages menés par leur destinée en marge de la
société est un moyen efficace pour susciter l’adhésion du lecteur au récit
Arg 2 - la désapprobation morale du lecteur qui condamne les personnages ou
peine à s’identifier à ces figures marginales
AXE 2- l’attachement du lecteur à ce type de personnage
Arg 1 – Des Grieux et Manon, des personnages extraordinaires
Arg 2 – Les moyens employés par l’abbé Prévost pour prouver l’adhésion du
lecteur en rendant ses personnages attachants ou fascinants malgré tout

4. la conclusion
La représentation de personnages menés par leur destinée en marge de la
société apparaît ainsi comme un moyen efficace d’emporter l’adhésion du
lecteur, puisqu’ils le mènent dans des espaces singuliers, connaissent des
aventures romanesques, manifestent des sentiments intenses. Toutefois, représenter
des personnages qui transgressent les normes sociales, qui dérogent aux
conventions et agissent à l’encontre de la morale risque de susciter le désaccord
du lecteur.
Il serait intéressant de comparer la vie vécue par Emma Bovary et celle vécue
par Manon Lescaut dans une étude ultérieure.

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