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Au XVII° siècle, alors que le genre romanesque est souvent décrié pour ses
invraisemblances, voire son immoralité, Manon Lescaut qui est le 7 ème tome des
Mémoires d’un jeune homme de qualité connaît un grand succès. L'écrivain
Montesquieu, philosophe précurseur des Lumières, dit dans ses pensées ne pas
s'étonner que « ce roman dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin [...]
plaise » et avance une explication : « parce que toutes les actions du héros [...]
ont pour motif l'amour ».
Nous pouvons donc nous demander comment ces amants parviennent-ils à
nous émouvoir malgré leur conduite condamnable et peut-on l’expliquer par
d'autres raisons la complaisance qu'exerce le roman ? Dans le développement
qui suit, nous nous attacherons à étayer le point de vue de Montesquieu dans
un premier temps puis nous nous demanderons quels autres ressorts le roman
met en œuvre pour nous plaire.
Dans son roman, l’abbé Prevost nous présente Manon Lescaut comme une
jeune fille pauvre très séduisante et envoyée au couvent par ses parents « pour
arrêter [...] son penchant au plaisir ». Malgré son très jeune âge, Manon est
décrite comme bien plus « expérimentée » dans les relations amoureuses que
le chevalier Des Grieux. Elle semble se révéler comme une personne immorale,
usant de ses charmes et prête à se vendre au plus offrant, afin de s'assurer une
vie confortable. Ce caractère n'est pas spécifique pour Des grieux. En effet elle
n’hésitera pas à faire de ses charmes à M. de G…M… devant Des grieux pour
arriver à ses fins. Le comportement de Manon fait donc écho à celui de la
prostituée Nara, l’héroïne du roman d’Emile Zola qui exploite son amant.
Le chevalier Des Grieux est quant à lui présenter comme un gentilhomme, de
bonne éducation mais qui dès le but du roman va nous révéler son côté hors la
loi. En effet il vole de l’argent à son père pour financer son voyage à Paris. Il se
retrouve de plus ensuite impliqué dans une affaire de jeu clandestin, organisé
par Tiberge. Cependant, c'est sa relation avec Manon qui va le conduire à
commettre des actes encore plus répréhensibles. Pour elle, il n'hésite pas à
enfreindre la loi et à se mettre en danger. Il enlève Manon alors qu'elle est
enfermée à la Salpêtrière, une prison pour femmes, et la cache dans une
chambre louée sous un faux nom. Il participe également à un plan pour faire
évader Manon, organisé par son frère Lescaut et des bandits, au cours duquel
plusieurs gardes sont tués.
Nos deux héros font donc preuve d’une morale douteuse et qui devrait
normalement être renâcler par le lecteur cependant comme l’énonce
Montesquieu dans sa remarque, l’amour est un sentiment noble qui permet de
se lier aux personnages.
En effet Manon Lescaut est un roman avec une intrigue riche et pleine de
rebondissement. La conduite transgressive des héros permet une source
inépuisable de péripétie que doivent affronter les héros et tiennent donc en
haleine le lecteur. Les différents rebondissements comme les escroqueries,
arrestations, enlèvements, évasions s’enchaine à un rythme effréné ce qui
suscite un véritable plaisir chez le lecteur qui ne peut jamais s’ennuyer pendant
sa lecture. Le chemin que suivent les deux amants devient une aventure
rocambolesque digne du genre de roman espagnol picaresque. L’abbé Prevost
cherche donc aussi à divertir son lecteur.
Le roman n'est pas seulement distrayant ou touchant. Dans son « Avis de
l'auteur », Prévost annonce dès le début son intention d'« instruire » le lecteur.
Le récit est effectivement jalonné de débats éthiques sur le choix entre la
raison et la vertu. La question que pose l’abbé Prevost est ne faut-il pas
préférer la passion de l’amour, malgré ses désordres qu’elle génère, à une
conduite fondée sur la raison et le respect des conventions sociales ?
Le roman semble donc faire l’apologie de la passion. À travers Des Grieux,
Prévost proclame le triomphe de l’amour sur la bêtise humaine. Mais enfin il
soulève également le problème de la liberté d’aimer comme on le souhaite et
qui on le souhaite sans y être imposé dans la société des dernières années du
règne de Louis XIV.
Ainsi, le lecteur se laisse envouter par ces héros peu fréquentables à qui il
pardonne tout pour le seul motif puissant de l’amour qui gagne toujours. Les
péripéties s'accumulent jusqu'à la rédemption finale, le roman semble inciter à
cultiver la passion, malgré ses désordres. Il interroge ainsi les chemins qui
mènent au bonheur, dans une société très normée. C’est ce qui fait que ce
roman plaise autant au lecteur malgré pourtant des personnages que l’on ne
trouverait pas satisfaisant dans la société du XVIII
Ce roman n’est que la continuité d’histoire ou un amour semble impossible
tout comme la pièce de Shakespeare, Roméo & Juliette