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L’Abbé Prévost, Manon Lescaut

Les personnages

Chaque personnage a une dimension individuelle, participe à

l’intrigue, mais aussi une dimension symbolique, nous renseignant sur
le regard que l’abbé Prévost porte sur la société de son époque…

M. de Renoncour

C’est le fameux « Homme de qualité » qui rédige les mémoires

inventées par l’Abbé Prévost. Il rencontre Des Grieux une première
fois à Pacy, puis deux ans plus tard à Calais : Des Grieux rentre tout
juste des Amériques et lui raconte son histoire.
Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire presque aussitôt après
l’avoir entendue, et qu’on peut s’assurer par conséquent, que rien n’est plus
exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation
des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la
meilleure grâce du monde. Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai,
jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui.

Renoncour laisse donc tout le loisir au lecteur de se faire sa propre

idée sur l’histoire qui lui est racontée.

Des Grieux

C’est le personnage principal du roman, il nous apparaît tout de suite

comme un personnage naïf, mais tout au long du récit, on peut se
demander s’il l’est vraiment. peut-être que ce n’est qu’une façade qui
lui permet de mieux convaincre ses interlocuteurs.
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Des Grieux étudie la philosophie à Amiens, et se destine d’abord à

devenir chevalier de l’Ordre de Malte, il fait donc partie d’une haute
aristocratie. Et puis, après ses premières mésaventures, il rentre au
séminaire de Saint-Sulpice pour devenir prêtre.

Mais il est profondément amoureux de Manon Lescaut, et dès qu’elle

réapparaît dans vie, il ne peut autrement que de la suivre. Il lui
pardonne à chaque fois qu’elle le trompe, et il est prêt à tout pour lui
apporter le confort et les divertissements qu’elle réclame.

Il se présente lui-même comme un jouet du sort, mais en fait, il est

protégé par son éloquence et surtout par son statut social, finalement,
lui s’en sortira toujours, ce qui n’est pas le cas de Manon Lescaut.

Manon Lescaut

Manon Lescaut, d’abord, c’est un nom populaire, sans particule, elle

n’est pas noble. Ses parents appartiennent certainement à la petite
bourgeoisie mais ce sont les grands absents du roman. Ils envoient
leur fille au couvent, à 16 ans, pour une faute qu’elle a commise.
On l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir
[...] qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

Est-ce que Manon se prostitue ? Au XVIIIe siècle, la prostitution est une

activité occasionnelle, pas un métier comme on peut l’imaginer
aujourd’hui. Et c’est vrai, Manon utilise ses charmes pour obtenir des
cadeaux : des bijoux, de l’argent.
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Sans avoir un véritable portrait du personnage, on sait qu’elle est

d’une grande beauté. C’est une véritable femme fatale, irrésistible,
d’ailleurs, de nombreux personnages tombent amoureux d’elle tout au
long du roman.

Il y a un véritable mystère autour de Manon : est-ce qu’elle aime

vraiment Des Grieux ? Ou du moins, à quel point cet amour est-il
détourné par d’autres passions : l’argent, le prestige de la noblesse, les
divertissements ?

Une hypothèse, c’est qu’elle apprend à se détacher progressivement

de ces différentes passions : la richesse après M. de B. , la noblesse
après M. de G.M. père, le prestige après le prince italien, les
divertissements après M. de T.

Une autre hypothèse, c’est que la passion des divertissements est celle
qui engendre toute les autres. Cela fait justement de Manon un
personnage plus complexe qu’il n’y paraît, qui lit beaucoup, s’intéresse
aux procédés théâtraux, ayant une vie culturelle cachée.

Manon a des qualités évidentes : son dévouement pour Des Grieux,

son courage, elle prend sur elle tous les sévices qu’elle subit,
notamment à la Pitié Salpêtrière, pour préserver son amant.

Symboliquement, elle est surtout la victime d’un ordre social qui

n’accorde de la valeur qu’à sa beauté, son unique moyen de survie.
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Ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans l'état où nous sommes
réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité ? Crois-tu qu'on puisse être bien
tendre lorsqu'on manque de pain ?

Tiberge

Tiberge est l'ami fidèle de Des Grieux, c’est même en quelque sorte
l’incarnation même des valeurs de l’amitié telles qu’elles sont décrites
dans l’antiquité : toujours compatissant, généreux et intègre.
Tiberge, quoique âgé seulement de trois ans plus que moi, était un garçon
d’un sens mûr et d’une conduite fort réglée. Il m’aimait avec une tendresse
extraordinaire.

C’est aussi un personnage profondément religieux. Il se destine à

devenir prêtre. Mais on peut se demander parfois si le zèle n’est pas
une passion chez lui, et s’il n’est pas un peu excessif dans sa vertu…

En tout cas, il désapprouve l’amour de Des Grieux pour Manon

Lescaut, et il va même jusqu’à s’éloigner quand il devine ses activités
de tricheur. Mais en réalité, il réapparaît dès que Des Grieux rencontre
un moment de crise, et il lui prête régulièrement de l’argent.

À la fin, il va même chercher Des Grieux en Amérique, mais son navire

est détourné par des pirates : il ne retrouve Des Grieux qu’après la
mort de Manon, c’est-à-dire à un moment où Des Grieux n’a plus de
raisons de s’écarter du droit chemin !
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Je lui déclarai que les semences de vertu qu’il avait jetées autrefois dans
mon cœur commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. Il
me protesta qu’une si douce assurance le dédommageait de toutes les
fatigues de son voyage.

Le père et le frère de Des Grieux

Le frère aîné de Des Grieux est en quelque sorte l’émissaire du père,

les deux personnages ont à peu près les mêmes intérêts. Ils incarnent
des valeurs traditionnelles, et surtout un modèle de filiation qui est
justement bousculé par l’attitude de Des Grieux.

Le père de Des Grieux aimerait faire de son fils un chevalier de l’ordre

de Malte, mais il n’est pas non plus intransigeant : il accepte qu’il se
marie ou qu’il devienne prêtre. Par contre, Manon le devine tout de
suite, il n’acceptera jamais une mésalliance : que Des Grieux épouse
une roturière.

Dans un premier temps, Le père et le frère de Des Grieux se

contentent de rire de la situation, parce qu’ils ne prennent pas cet
amour au sérieux. Mais en voyant l'obstination de Des Grieux, ils
n’hésitent pas à le séquestrer.

C’est le père qui prend la décision d’envoyer Manon en Amérique, ce

qui occasionne la dernière dispute avec son fils :
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— Tu refuses donc de me suivre ? s’écria-t-il avec une vive colère. Va, cours
à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle.
— Adieu, lui dis-je dans mon transport, adieu, père barbare et dénaturé.

Quand Des Grieux reviendra d’Amérique, ce sera pour apprendre que

son père est mort. Il n’assistera donc pas à la véritable destinée de son
fils, qui deviendra vraisemblablement chevalier de l’Ordre de Malte,
comme le laisse entendre le titre du roman.

M. de B.

C’est un personnage secondaire, un fermier général qui habite dans la

même rue que Des Grieux et Manon au début du roman. Comme le
couple dépense beaucoup, Manon s'adresse à lui, en cachette de Des
Grieux. C’est un moment révélateur : à ce moment-là du roman, pour
Manon, la fidélité est moins importante que leur train de vie.

Lescaut

On parle ici du Frère de Manon, mais l’est-il vraiment ? Il se comporte

surtout comme son proxénète car c’est lui qui la présente au vieux M.
de G.M. et l’incite à prendre ses présents.

Plus tard dans le roman, il propose à DG de se prostituer avant de

l’introduire dans Ligue de L’Industrie, l'association de tricheurs.
Il me répondit que se casser la tête était la ressource des sots ; [...] quand ils
ne voulaient pas faire usage de leurs talents ; qu’il m’assurait de son secours
et de ses conseils dans toutes mes entreprises.
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Lescaut permet donc à l’Abbé Prévost de décrire deux mécanismes :

d’abord, les conditions économiques sont telles qu’il est plus simple
pour la classe populaire de se tourner vers activités illégales.

Ensuite, ces activités se répandent dans toute la société… Les

personnages comme Lescaut sont un lien entre les différentes classes
sociales qui participent à une même décadence.

M. de G. M. père et fils

Le vieux et le jeune libertin. Le premier a vraisemblablement connu

tout le règne de Louis XIV. Il appartient à cette noblesse qui a été mise
au pas, qui a perdu de sa puissance, devenant une noblesse de cour.
Le premier compliment du vieillard fut d’offrir [...] des bracelets et des
pendants de perles, qui valaient au moins mille écus. [...] Il assaisonna son
présent de [...] douceurs dans le goût de la vieille cour.

Le deuxième sera la génération de la Régence et du règne de Louis XV,

que l’Abbé Prévost connaît déjà quand il écrit ce roman. Ces deux
personnages permettent donc à l’auteur de dénoncer une lente
décadence de l’aristocratie.

Le Supérieur de Saint-Lazare

Sensible à la naissance de Des Grieux, et à ses bonnes manières, il

croit sincèrement à son repentir, le prend sous sa protection et le
défend, même quand Des Grieux saute à la gorge M. de G.M. qui lui
rend visite.
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Mais Des Grieux le trompe très consciemment :

J’observais soigneusement le visage et les discours du supérieur pour
m’assurer de ce qu’il pensait de moi, et je me faisais une étude de lui plaire,
comme à l’arbitre de ma destinée.

Des Grieux va même le menacer d’un pistolet, avec beaucoup de

courtoisie, pour prendre les clés et fuir de Saint-Lazare, en tuant
même un portier dans sa fuite.

Malgré cette trahison, le Supérieur couvrira ce meurtre et DG ne sera

pas inquiété.

M. de T.

M. de T est le fils d’un administrateur de l’Hôpital, Des Grieux vient lui

rendre visite pour trouver un moyen de délivrer Manon…
— Je m’imagine, que M. de T... le fils, qui est riche et de bonne famille, est
dans un certain goût de plaisirs, comme la plupart des jeunes gens de son
âge. Il ne saurait être ennemi des femmes, ni ridicule au point de refuser ses
services pour une affaire d’amour.

Et en effet, les deux personnages ont le même âge, le même statut

social, ils deviennent vite de bons amis. M. de T. prendra alors
toujours le parti de Des Grieux, il lui conseille même de se venger du
jeune M. de G. M. qu’il regrette de leur avoir présenté.
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Marcel

Marcel est le valet qui s’occupe de la chambre de Manon à l’Hôpital. Il

participe à leur plan d’évasion, et leur reste attaché jusqu’à l’épisode
du Châtelet.

Les risques sont bien plus importants pour lui que pour Des Grieux
qui ne se rend pas compte de son courage.
Le souvenir de ce qu’il avait fait à l’Hôpital, pour délivrer Manon, joint à la
terreur que G... M... lui inspirait, fit tant d’impression sur son esprit faible
qu’il s’imagina qu’on allait le conduire à la potence ou sur la roue. Il promit
de découvrir tout ce qui était venu à sa connaissance, si l’on voulait lui
sauver la vie.

Le Prince italien

Le Prince italien est-il vraiment prince ? Ce n’est pas sûr, mais il

rencontre Manon au bois de Boulogne et échange des lettres avec elle.
On découvre alors que ce n’est qu’un simulacre inventé par Manon.

Ce petit épisode ajouté par Prévost en 1753 nous révèle bien les
intentions de l’auteur : Manon Lescaut est plus complexe qu’il n’y
paraît : moins intéressée à ce moment-là par les richesses et le
prestige que par la petite comédie qu’elle a décidé de jouer.

Le Capitaine du navire
et le Gouverneur du Nouvel-Orléans

Je mets ces deux personnages ensemble, parce qu’ils incarnent la

même autorité royale, sur l’Océan et au-delà de l’Océan Atlantique.
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Alors que les colonies pourraient représenter un nouveau départ,

finalement, c’est à travers ces différentes figures d’autorité que l’ordre
social de la métropole persiste.

Et en effet, Des Grieux a laissé croire au capitaine du navire qu’il est

marié avec Manon, cela fait d’eux un jeune couple aristocrate très
respectable. Ensuite, cette fausse information est répétée par le
capitaine au gouverneur :
– J’apprends du capitaine, que vous êtes mariés et qu’il vous a reconnus sur
la route pour deux personnes d’esprit et de mérite. [...] S’il est vrai que vous
ayez autant de savoir-vivre que votre figure me le promet, je n’épargnerai
rien pour adoucir votre sort.

On devine donc que c’est pour cette raison que Des Grieux et Manon
sont très respectés dans toute la colonie. Naturellement, cette
bienveillance prend fin dès que Des Grieux va demander Manon en
mariage.

Synnelet

Le neveu du gouverneur. Il cache son amour pour Manon, parce qu’il

pense qu’elle est mariée. Quand il demande sa main, Des Grieux le
provoque en duel et le laisse pour mort.

Mais il n’est que blessé et quand Des Grieux rentre à la colonie après
la mort de Manon, au lieu de l’accabler, il le défend et obtient sa grâce.
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Ce geste est en fait très révélateur du sens que l’abbé Prévost veut
donner à son roman : Des Grieux, par sa naissance et son éloquence,
s’en tirera toujours, alors que Manon n’est que l’allégorie d’une
passion fugace. C’est elle la véritable figure tragique du roman.
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