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Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1731 et habituellement désigné simplement sous le titre de

Manon Lescaut, raconte l’histoire d’amour et les aventures de Manon Lescaut et de Des Grieux,
entraînés dans une marginalisation et une déchéance progressives.

Présentation du passage

Au début du roman, Des Grieux raconte sa rencontre avec Manon, point de départ de tous ses malheurs.
Dans ce passage, on trouve donc le topos littéraire de la rencontre amoureuse, teinté d’un caractère
funeste et tragique.

Problématique

Nous nous demanderons comment cette scène de rencontre annonce le dénouement tragique de
l’histoire.

Plan

Pour mener cette analyse linéaire de la rencontre de Manon Lescaut et de Des Grieux, nous suivrons les
mouvements du texte.

D’abord un récit plein de remords du début du passage à “curiosité” ;

Ensuite la naissance d’un sentiment dévorant de “Il en sortit quelques femmes” à “maîtresse de mon
cœur” ;

Enfin l’annonce d’un dénouement tragique “Quoi qu’elle fut encore moins âgée” à la fin du passage.

Texte de la rencontre dans Manon Lescaut pour l’analyse linéaire

J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j’aurais
porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant
à me promener avec mon ami, qui s’appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le
suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité.
Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule
dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait
pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à
la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde
admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le
défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette
faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle
reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y
avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses
parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon
cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui
lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle
qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré et
qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.

La rencontre de Manon Lescaut et Des Grieux : Analyse Linéaire

Un récit plein de remords – Analyse Linéaire de la rencontre de Manon Lescaut

La rencontre, rapportée par un narrateur personnage, Des Grieux lui-même, est un souvenir chargé
d’émotions pour le jeune homme.

Si le plus-que-parfait de la première phrase (“j’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens”) semble
proposer un retour précis et neutre sur les événements, les sentiments du narrateur refont surface dès
les premiers mots.

C’est donc un récit chargé de commentaires que nous propose l’Abbé Prévost. On ressent tout de suite la
dichotomie entre l’allégresse d’une première rencontre, et le regret ressenti après coup par le
personnage.

L’interjection “Hélas !” marque un fort regret et permet donc au lecteur de comprendre que le récit de
cette rencontre est chargé de remords.

Le poids des remords est d’ailleurs immédiatement confirmé par la modalité exclamative utilisée dans la
phrase : “que ne le marquais-je un jour plus tôt !”

Des Grieux imagine que s’il était parti une journée plus tôt, il aurait “porté chez (son) père toute (son)
innocence”. Le temps employé ici est le conditionnel passé qui marque l’irréel du passé.
Le jeune homme aurait pu conserver le soutien indéfectible de son père et poursuivre ses études.
Pourtant, le destin a voulu qu’il rencontre Manon et l’accompagne dans une lente mais sûre déchéance.

Des Grieux renforce la coïncidence ayant mené à la rencontre avec l’adverbe “même” : “la veille même
de celui que je devais quitter cette ville.” L’auteur trace en filigrane une intrigue tragique où le destin des
personnages est scellé dès le début du texte.

Cependant, le narrateur cherche à faire sentir au lecteur le caractère inévitable de cette rencontre. Il n’a
rien fait pour mériter le sort que lui réserve Manon. En témoignent le cadre spatio-temporel
parfaitement anodin du passage et la situation de tous les jours : “Amiens” ; “Arras” ; “étant à me
promener avec mon ami” ; “nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité”.

Des Grieux suggère en fait que n’importe qui aurait pu tomber sur Manon Lescaut, comme pour se
dédouaner de la passion dans laquelle il s’apprête à se jeter.

La négation restrictive “nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité” peut également se lire comme
une tentative de justification de la part du narrateur. Au moment de la rencontre fatale, il n’était qu’un
enfant, portant encore toute son “innocence”.

Pourtant, la mécanique tragique se met en place dès que les deux amis commencent à suivre le coche
d’Arras : “nous vîmes arriver le coche d’Arras, et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie”.

Les deux passés simples, temps utilisé pour présenter les actions de premier plan, lancent, à proprement
parler, l’intrigue. Des Grieux est comme ferré par l’appât du coche et le suit sans vraiment savoir
pourquoi.

La naissance d’un sentiment dévorant – Analyse Linéaire de la rencontre de Manon Lescaut

L’effet que fait Manon à Des Grieux est accentué par le désintéressement total que le jeune homme
marque pour les autres femmes : “il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt”.
On note dans cette phrase, la tournure impersonnelle qui ne permet pas de conférer d’identité réelle
aux femmes, comme si Des Grieux ne les regardait pas. Le déterminant indéfini “quelques” montre
d’ailleurs qu’il ne les a pas suffisamment regardées pour les décrire, ni même les compter.

Cependant, s’opposant au nombre indéfini des “quelques femmes”, demeure “une”, qui sort du lot.

L’emploi de la conjonction de coordination “mais” souligne l’intérêt exacerbé de Des Grieux pour cette
femme, alors qu’il avait à peine regardé toutes les autres.

L’opposition entre Manon et le groupe de femmes est également marquée par une antithèse : “qui
aussitôt se retirèrent. Mais il en resta une.”

La longueur de la phrase d’introduction du personnage de Manon, par trois fois relancée par deux
propositions subordonnées relatives et une conjonctive circonstancielle de temps, mime pour le lecteur
le regard d’aigle de Des Grieux qui s’intéresse soudain au moindre détail de la situation.

“Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé,
qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers“

Première description de Manon

L’intérêt que Des Grieux porte à Manon est également souligné par l’adverbe d’intensité “fort jeune”. On
comprend que le jeune homme est subjugué par la beauté de Manon.

Le fait que Des Grieux n’affirme pas que “l’homme d’un âge avancé” est le conducteur de Manon, mais
qu’il le suppose avec le verbe “paraître” témoigne au lecteur que l’intérêt du personnage est
suffisamment piqué pour qu’il cherche à faire de suppositions.

Pourtant, le narrateur ne décrit pas Manon, ou plutôt il ne la décrit qu’à travers le souvenir de ses
émotions : “Elle me parût si charmante”.
On peut penser qu’il ne trouve pas les mots pour décrire si grande beauté. Ce qui compte finalement,
c’est l’effet qu’elle a produit sur lui. En ne révélant pas le moindre détail du physique de Manon au
lecteur, l’Abbé Prévost fait le choix d’ajouter une touche mystère au personnage.

Ce mystère qui l’entoure participe de l’atmosphère tragique qui se déploie dans cette scène de rencontre
: Des Grieux est comme ensorcelé, il ne peut pas lutter contre son destin.

Ici, la construction de la phrase est intéressante :

“Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une
fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me
trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport.”

On note par exemple que le complément de conséquence “je me trouvai enflammé tout d’un coup
jusqu’au transport” est séparé de sa cause par deux propositions subordonnées ainsi qu’une incise :
“moi, dis-je”.

Cette séparation fait attendre la conséquence, donc met en valeur la force des sentiments du
personnage. Mais surtout, elle insiste encore sur la tentative de justification.

L’incise confère un caractère oral à la phrase. Le narrateur sort presque de son récit pour prier le lecteur
de bien vouloir croire qu’il n’est pas le genre d’homme à tomber amoureux au premier regard, à se
laisser dominer par ses sentiments.

Des Grieux met son innocence en avant avec les hyperboles “qui n’avais jamais pensé à la différence des
sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention”. Il cherche vraiment à se présenter comme un jeune
homme naïf.

D’ailleurs l’utilisation du système corrélatif “ne + jamais” pour la négation donne un caractère solennel à
ses paroles.
Enfin, l’enchaînement de la seconde proposition subordonnée relative “dont tout le monde admirait la
sagesse et la retenue” avec le complément de conséquence “je me trouvai enflammé tout d’un coup
jusqu’au transport” crée un effet d’antithèse : subitement, Des Grieux devient le contraire de ce qu’il a
toujours été.

Ce changement ne sera pas sans conséquences, car il condamne le personnage. Le choix de la


métaphore du feu pour représenter les sentiments de Des Grieux : “je me trouvai enflammé” n’est pas
sans évoquer les flammes de l’enfer.

L’auteur suggère bien ici que la relation amoureuse va conduire les deux amants à renier toute foi et
toute bonne conduite.

La dernière phrase consacre la transformation de Des Grieux par sa rencontre avec Manon : “J’avais le
défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette
faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur.”

La première proposition, à l’imparfait, se rapporte à l’ancien Des Grieux ; “timide et facile à déconcerter”.
La dernière proposition, avec un verbe au passé simple montre le personnage agissant : “je m’avançai
vers la maîtresse de mon coeur”.

Cette nouvelle audace vient donc s’opposer à l’ancienne timidité, que Des Grieux considère déjà comme
une “faiblesse”.

La périphrase “la maîtresse de mon coeur”, qui désigne évidemment Manon, possède un caractère
précoce. Il ne connaît même pas cette femme qu’il a vu pour la première fois quelques instants
auparavant, mais il sait déjà qu’il se trouve sous sa domination.

Ainsi, cette périphrase peut être lue comme un commentaire du narrateur a posteriori, puisque Des
Grieux raconte l’histoire après la mort de Manon.

En effet, pendant l’ensemble du roman, Des Grieux va se dévouer corps et âme à Manon Lescaut.
Pour le lecteur, une étape est franchie. L’inconnue du coche est maintenant la “maîtresse” de Des
Grieux, et lui est pleinement impliqué dans la relation, il n’est plus l’enfant timide du début du passage.

L’annonce d’un dénouement tragique – Analyse Linéaire de la rencontre de Manon Lescaut

Alors que Des Grieux prend enfin le courage de parler à Manon, l’Abbé Prévost crée un effet déceptif en
se montrant de nouveau avare en détails sur la description de Manon qui est “encore moins âgée” que
Des Grieux ou la teneur de leur conversation : “elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée”.

Le lecteur aurait pu attendre ici l’utilisation du discours direct, mais le narrateur conserve jalousement le
secret de leurs premiers mots en les rapportant au mode indirect.

Ce sur quoi Des Grieux insiste, c’est l’opposition entre le jeune âge de Manon, et son assurance : elle lui
parle “sans paraître embarrassée” et il la décrit comme “plus expérimentée” que lui.

Le lecteur perçoit dès lors Des Grieux comme à la merci de la jeune femme.

La suite de la conversation est marquée par une grande sobriété. On voit ici que Des Grieux conserve des
restes de sa timidité naturelle.

“Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me
répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse.”

L’utilisation du discours indirect, de l’adverbe “ingénument” et de la tournure passive dans la réponse de


Manon semble faite pour adoucir le personnage.

On peut penser que Des Grieux cherche, une fois encore, à blanchir Manon. On sait d’ailleurs qu’il se
montrera toujours prêt à la pardonner dans la suite de l’histoire.
Le mot qui suit “religion” est “amour”. Il se forme ici une sorte d’antithèse entre la vie retirée que Manon
aurait dû mener, et la passion marginalisante qu’elle est sur le point d’entamer avec Des Grieux.

Lui nomme pour la première fois le sentiment qu’il ressent depuis qu’il a vu la jeune femme sortir de sa
voiture.

Ce sentiment s’oppose bel et bien à la religion puisque Des Grieux perçoit le projet de Manon de se faire
religieuse comme “un coup mortel”. On notera ici l’hyperbole qui insiste sur la force de la passion du
jeune homme.

De plus, la référence à la mort revêt ici un caractère prophétique pour la fin du roman.

La conversation se poursuit par la révélation par Des Grieux de ses sentiments : “Je lui parlai d’une
manière qui lui fit comprendre mes sentiments”. Il est intéressant de remarquer qu’ici, Des Grieux pense
être à l’initiative de la relation, comme si Manon n’avait pas déjà remarqué son intérêt.

La dernière phrase est capitale. Des Grieux rapporte au discours indirect libre, le fait que Manon est
envoyée au couvent contre sa volonté : “C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent”.

La religion est donc présentée comme une punition, mais également comme une dernière tentative pour
sauver l’âme de la jeune femme, ayant déjà développé un “penchant au plaisir”.

Ici, la luxure qui caractérise le personnage de Manon est évoquée pudiquement à l’aide d’un
euphémisme, mais reste parfaitement compréhensible pour le lecteur. Cette révélation pique sa
curiosité.

Enfin, le caractère prophétique de la dernière phrase “qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les
miens.” permet encore une fois de susciter l’intérêt du lecteur.

Comme dans une tragédie, le lecteur sait les personnages condamnés, mais ne connaît pas la teneur des
événements qui vont les conduire inexorablement vers leur destin.

On peut donc affirmer que, comme dans une tragédie, le lecteur voit se dessiner une fenêtre d’espoir,
celle que Manon se rende au couvent et s’y fasse religieuse, qui se referme immédiatement en
rapprochant les personnages de leur fin malheureuse.

Conclusion de l’analyse linéaire de la scène de la rencontre dans Manon Lescaut

Rappel du développement

Nous avons pu constater que le récit de la rencontre entre Manon et Des Grieux est l’occasion pour le
jeune homme de revenir sur les sentiments forts qu’il a ressentis dès les premiers instants.

Pour le lecteur, c’est surtout une manière de comprendre que Des Grieux était condamné à tout
abandonner pour Manon dès le premier regard.

Enfin, tel un prologue tragique, cette scène annonce une fin malheureuse pour les deux protagonistes.

Réponse à la problématique

En proposant au lecteur un récit basé sur ses souvenirs, Des Grieux ajoute des remarques a posteriori. Il
apporte un nouveau regard sur ses sentiments aveugles d’alors.

On se demandait comment cette scène de rencontre annonce le dénouement tragique de l’histoire.

Pour répondre à cette question, on peut dire que le statut du narrateur participe de beaucoup dans cette
annonce prophétique de la fin malheureuse de Manon.

On remarque aussi son penchant au plaisir, avant même qu’il soit explicitement nommé, notamment au
regard de l’opposition entre son jeune âge et son expérience.
Ouverture

Il est intéressant de comparer la structure de ce roman avec celle d’une tragédie. Si l’on pense à Roméo
et Juliette, on trouve plusieurs similitudes : le lecteur/spectateur sait avant même que les personnages
ne se rencontrent qu’ils sont condamnés à un destin tragique.

On note également que, comme dans une tragédie, Manon et Des Grieux se débattent face à leur
inexorable destin, ce qui n’a pour effet que de les marginaliser et les rapprocher de leur fin.

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