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LA RENCONTRE DE MANON

L’abbé Prévost a rédigé Manon Lescaut en 1731. Jugé scandaleux, le roman est condamné en 1733
et 1735. Manon Lescaut met en scène la passion naissante du chevalier Des Grieux pour Manon
Lescaut. C’est pour l’abbé Prévost l’occasion de réaliser un traité de morale sur les dangers de la
passion. Situé dans la 1ère partie du roman, le texte proposé constitue un topos (discours) de la
rencontre amoureuse. LECTURE
En quoi cette rencontre amoureuse pose-t-elle les marques d’une passion funeste (malheurs) ?

Le 1er mvt : de « j’avais marqué le temps » à « aussitôt ». Le chevalier DG fait un récit rétrospectif
de sa rencontre avec ML
Le 2ème mvt : « mais il en resta une » à « maîtresse de mon coeur ». Il peint la naissance du
sentiment amoureux
Le 3ème mvt : « quoiqu’elle...âgée » à « tous ses malheurs.. ». Nous étudierons que cette rencontre
déterminante scelle indéniablement le destin des personnages.

I-Le récit d’un souvenir


L’extrait en focalisation interne s’ouvre par un récit rétrospectif. Il permet ainsi d’entremêler le
souvenir lui-même et son récit distancié. C’est ce que le lecteur constate dès les 2 premières phrases
grâce à l’usage du plus-que-parfait (« j’avais marqué le temps » et « que ne le marquais-je ».
Le chevalier DG ne cache aucune émotion quant au souvenir qu’il va rapporter. En effet,
l’utilisation de l’interjection « hélas », de la tournure exclamative introduite par « que » et du
conditionnel passé «(« j’aurais porté ») souligne d’emblée le regret.
L’expression « toute mon innocence » peut se comprendre de 2 manières : par son jeune âge et par
l’absence de péché.
L’expression du regret se lit également dans la phrase « je devais quitter cette ville ». Le destin du
personnage semble scellé dès le début.
Cette première partie définit un cadre spatio-temporel précis par l’usage des noms des villes
(Amiens, Arras) et par le champ lexical du temps (« la veille », « le temps », « un jour plus tôt »).
La scène décrite est banale : un cadre urbain (« hôtellerie », « coche », « voitures »), une promenade
avec un ami, une scène de rue dont les 2 ais sont témoins à partir du passage au passé simple :
« nous vîmes..et nous le suivîmes ».
La négation restrictive « Nous n’avions pas d ‘autre motif que la curiosité » propose une
justification de la scène que le lecteur ignore encore.
Ce premier mvt s’achève sur une observation anodine, comme le souligne la tournure impersonnelle
(« il en sortit ») et le dét indéfini (« qq femmes »). Les 2 amis sont spectateurs d’une scène de rue et
le regard du narrateur âgé pique la curiosité du lecteur.

II- La naissance du sentiment amoureux


La conjonction de coordination « mais » fait émerger une femme , vue par DG qui devient
spectateur ébloui.
Dès lors, cette seule femme devient l’objet de toutes les attentions du chevalier.
Elle se détache et n’agit pas de la même façon que les autres : c’est ce que montre l’antithèse « se
retirèrent »/ « s’arrêta » : les autres femmes « se retirèrent aussitôt » mais elle « s’arrêta seule dans
la cour ».
De plus, l’intérêt ud chevalier se traduit par l’emploi de l’adverbe intensif (« fort jeune ») et par son
acuité visuelle chaque détail fait l’objet d’une description afin de cerner au mieux l’identité de la
femme.
Ainsi l’homme plus âgé qui l’accompagne « paraissait lui servir de conducteur » : le verbe d’état
suggère qu le chevalier n’est plus spectateur passif dans une rue mais spectateur obnubilé par une
seule femme, qui fait des suggestions.
Il ne sera fait aucune mention de la description physique de cette femme ni de son nom. Seule
prédomine l’expression lyrique de l’émotion du chevalier, à travers l’emploi de l’intensif « si
charmante ».
La construction même de la phrase épouse l’état « enflammé » du narrateur.
En effet, ce qui ressemble à un coup de foudre se traduit dans le souffle de la phrase : le
complément circonstanciel de conséquence dont l’importance émotionnelle est capitale se trouve
relégué en fin de phrase.
Les mots se précipitent, s’enchevêtrent : « moi qui.. », « ni.. » au point de nécessiter une incise
« moi-je ».
L’état amoureux dans lequel se trouve le chevalier est intense : « je me trouvai enflammé tout d’un
coup jusqu’au transport ».
Dans le détail, il souligne que cette rencontre a bousculé la personne qu’il était : auparavant
indifférent aux femmes , mesuré comme l’indique la proposition subordonnée relative « dont tout le
monde admirait la sagesse et la retenue », il est désormais passionné.
Ce changement brutal de personnalité oppose donc 2 périodes de la vie de DG : l’une marquée par 2
défauts qu’il nomme (« timide et facile à déconcerter ») ; l’autre désormais placée sous le sceau de
l’audace, comme l’illustre la phrase « je m’avançai vers la maîtresse de mon coeur ».
La périphrase « maîtresse de mon coeur » souligne que le narrateur est désormais sous la
domination d’une femme à laquelle il n’a pas encore parlé.

III- Une rencontre déterminante


La scène de rue anodine au détour d’une promenade amicale devient une rencontre déterminante
pour le chevalier dont les sentiments sont déjà à leur paroxysme (+ haut degré).
Ainsi, le portrait de cette femme s’esquisse à travers une conversation, retranscrite de façon
elliptique (« elle reçut mes politesses ») et par le discours direct : « je lui demandai », « elle me
répondit ».
Le portrait qui en résulte est ambivalent : la mention de son jeune âge (« encore moins âgée que
moi »), voire de sa naïveté (l’adverbe « ingénument ») tranche avec une assurance marquée (« sans
paraître embarrassée », « elle était plus expérimentée que moi »).
L’échange permet ainsi d’attiser la curiosité u lecteur pour cette jeune fille ambiguë. L’audace du
chevalier se traduit par les questions indirectes. La réponse est indirectement rapportée par la
proposition subordonnée conjonctive « qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse ».
La tournure passive de la réponse (qu’elle y était envoyée) rappelle les codes dans l’éducation d’une
femme, et sa soumission à un ordre familial.
L’effet de surprise que provoque cette réponse sur le chevalier est d’autant plus fort qu’il nomme
pour la première fois le sentiment qu’il l’envahissait « l’amour me rendait déjà si éclairé ».
Contre la naissance des sentiments s’érige donc un obstacle : celui d’une morale religieuse
mortifère, incompatible avec le coeur.
L’échange s’achève sous la forme d’un discours indirect libre « c’était malgré elle qu’on l’envoyait
au couvent ». La vie religieuse est présentée comme le dernier rempart contre « le penchant au
plaisir » de Manon.
Le péché de chair évoqué à demi-mot est développé par 2 propo sub successives. La 1ere « qui s’était
déjà déclaré » laisse sous-entendre un passé sulfureux ; la seconde « et qui a causé, dans la suite,
tous ses malheurs et les miens » clôt de façon proleptique et tragique cet extrait tout en plaçant le
lecteur dans un effet d’attente. Par cette rencontre, le destin des personnages est scellé.

Conclusion : La rencontre amoureuse racontée par le double regard d’un narrateur jeun et passionné
et d’un narrateur plus âgé et critique et place le lecteur au coeur d’une histoire complexe. Témoin de
la naissance des sentiments intenses de DG, le lecteur assiste, impuissant, aux débuts de cette
passion, à l’étymologie double : à la fois source d’amour et de souffrance entre sentiments et
interdits la tragédie se noue déjà.

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