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Etude linéaire n°3 : La Princesse de Clèves, Madame de la Fayette, 1678

Madame de LaFayette, est une femme de lettres française du XVIIème. Elle anime un salon littéraire
à Paris et, étant une femme écrivain, elle s’inscrit alors dans la lignée de ces précieuses lettrées,
symbolisées par Madeleine de Scudéry. Sa rencontre avec La Rochefoucauld (l’auteur des Maximes) va
lui permettre de fréquenter beaucoup de grands esprits littéraires du temps, y compris Racine et Boileau.
C’est en 1678, qu’elle publie anonymement la princesse de Clèves, un roman court, influencé par la
pensée Janséniste. La Princesse de Clèves est un roman en quatre parties s'inscrivant dans un cadre
historique bien précis : celui de la France sous le règne d’Henri II, à la cour des Valois. Le récit raconte,
avec une prose parfois aux accents précieux, les amours impossibles d’une femme mariée, et du plus bel
homme de la Cour. Le passage a étudié est l’excipit du roman. En effet, après la mort du prince, Mme de
Clèves se sent terriblement coupable et décide alors de se retirer dans un couvent en renonçant ainsi à
l’amour du duc de Nemours . Comment l’extrait met en scène ces deux personnages aux sentiments
toujours bel et bien présents mais aux passions et aux comportements désormais opposés ?

Nous analyserons dans un premier temps la dernière tentative du duc pour reconquérir la princesse de
“A la première nouvelle” à “ sur le prétexte d'aller à des bains” puis nous verrons la réaction de cette
dernière qui reflète son état d’esprit de “Elle fut extrêmement troublée” à “dans les mêmes dispositions
où elle était”. Nous étudierons ensuite les conséquences de la passion du duc de “Monsieur de Nemours
pensa expirer de douleur” à “éteignirent sa passion.” Et enfin nous porterons une réflexion sur la mort
vertueuse de la princesse de“Madame de Clèves” à la fin.

Dans le premier mouvement allant de “A la première nouvelle” à “ sur le prétexte d'aller à des bains”
nous voyons M. de Nemours, plein de vie, débordant de passion et qui recherche une dernière
confrontation. Il veut revoir une dernière fois celle qu’il aime follement en espérant la faire changer
d’avis. La première phrase de l’extrait nous montre à quel point cette relation non morale avec la
princesse est importante aux yeux du prince. La périphrase “ le poids de sa retraite” nous présente le
départ de la princesse comme un fardeau pour lui. C’est un peu comme si, il venait de réaliser qu’il ne
pouvait pas vivre sans Mme de Clèves. Tout au long du mouvement le passé simple domine “ crut” “fit”
“vit” “sentit”, plaçant alors le lecteur dans un point de vue interne, nous lisons en effet, les sentiments du
prince. Même si la négation totale “qu'il n'avait plus rien à espérer” marque les résolutions de la
princesse, nous remarquons cependant la détermination du prince dans l’expression “tout mettre en usage
pour faire revenir madame”. Ainsi l’énumération des verbes d’actions qui s'enchaînent, les phrases
courtes et le passé simple utilisés sont à ce titre tout à fait significatif : « Il fit écrire la reine, il fit écrire le
vidame, il l’y fit aller …». La répétition crée un rythme, mais la conjonction de coordination “mais”
annonce déjà la réaction de la princesse. On apprend ensuite que le vidame a pu voir cette dernière mais
qu'il “jugea néanmoins qu'elle ne reviendrait jamais” alors Nemours choisit d’y aller “lui-même”. La
brièveté de cette phrase de nouveau au passé simple insiste encore une fois sur la détermination du prince
qui cherche des excuses pour voir sa maîtresse. Tout cela montre bien que le duc est dans l’action au
contraire de la posture plus réflexive de Mme de Clèves. Il incarne ici la figure de l’obstination avec des
actions quelque peu désespérées que sa passion lui dicte.
Nous entrons alors dans le second mouvement, allant de “Elle fut extrêmement troublée” à “dans les
mêmes dispositions où elle était”, nous lisons maintenant les sentiments de la princesse. L’utilisation de
l’adverbe “extrêmement” qui montre l’intensité des sentiments, est ici accompagné de deux adjectifs
“troublée et surprise”, “troublé” qui renvoie à l’émotion donnée par le sentiment amoureux et “surprise”
qui marque l’étonnement et qui montrent que la princesse ressent encore des sentiments à l’égard du
duc.. L’expression “d’apprendre sa venue “ montre bien qu’elle ne lui parle pas directement donc qu’elle
refuse de le voir. Entre alors un nouveau personnage :l’intermédiaire il est présenté comme une “personne
de mérite qu'elle aimait, et qu'elle avait alors auprès d'elle”. La princesse ne reverra donc pas le duc. Cette
position montre à quel point ses sentiments sont encore prégnants, et qu’elle n’est pas sûre qu’elle
resterait vertueuse si elle le rencontrait . De plus, l' utilisation du nom “péril” le prouve. Accompagné du
verbe “devoir” on voit qu’ elle souhaite donc éviter tout contact, et c’est d’ailleurs renforcé par
l’utilisation du COI “de détruire par sa présence” qui met bien en évidence que la princesse n’est pas sûre
d’elle et que sa vertu ne tient qu’à son isolement. Car si la passion de Mmede Clèves est toujours
présente, elle est systématiquement évoquée au sein d’une structure syntaxique qui l’atténue, et lui
oppose la raison. Ainsi on relèvera toutes les subordonnées imbriquées et l’imparfait, utilisés entre les
lignes 1238 à 1243 (… qu’elle voulait bien qu’il sût … qu’elle ne pensait plus qu’à celles de l’autre vie...)
qui montrent comment l’héroïne s’appuie sur sa raison pour justifier et expliquer de façon maladroite son
choix de ne pas revoir le duc. Avec l’expression « les autres choses du monde » elle montre que le monde
ne la concerne plus. L’utilisation de l’adverbe « pour jamais » renvoie à la certitude qu’elle a de devoir
d’agir ainsi. Le verbe “renoncer” marque d’ailleurs bien cet abandon profond. On remarque ensuite que
la périphrase “ celles de l’autre vie” représente une litote pour évoquer la mort et la formule restrictive
“elle ne pensait plus qu’à” montre bien l’exclusivité de sa pensée, comme si elle se forçait à exclure toute
autre réflexion. Elle attend donc la mort qui semble être la seule possibilité pour parvenir à rester fidèle à
celle qu’elle a décidé d’être. L’expression “qu’il ne lui restait aucun sentiment que” met en place un
glissement sémantique, on est passé des sentiments amoureux aux sentiments amicaux. Ainsi la passion
n’a plus sa place ici. La Philia prend la place de l’Eros. Son seul désir est donc que le duc respecte sa
volonté et soit dans le même état d’esprit qu’elle “dans les mêmes dispositions où elle était” : elle lui
demande donc expressément à la fin de ce mouvement de renoncer à son amour et de lutter contre ses
sentiments.
Ce mouvement est une suite de propositions subordonnées qui est le moyen utilisé par le narrateur pour
donner beaucoup d’informations en une seule phrase. L’utilisation du discours indirect montre que les
deux protagonistes principaux ne se parlent pas et ne se parlent plus directement. Toutes ces informations
nous montrent bien l’état d’esprit de la princesse à ce moment de l’histoire et amènent irrémédiablement
l’idée de la mort de l’héroïne qui en renonçant à l’amour renonce à la vie.

Nous retournons alors dans la tête de monsieur de Nemours. Il s'agit du 3ème mouvement allant de
“Monsieur de Nemours pensa expirer de douleur” à “éteignirent sa passion.” Ce passage met en évidence
le désespoir du duc avec l’hyperbole “pensa expirer de douleur”. Tout au long du mouvement, la PDC
reste dissimulée derrière son intermédiaire révélé par le pronom démonstratif “celle” qui maintient
l’anonymat de cette femme mais renforce sa position. Elle est le témoin du trouble des deux personnages
et le duc lui-même doit se dévoiler face à elle “en présence”, il n’a pas d’autre choix. Il montre son
insistance, sa demande semble vitale “il la pria vingt fois”. L’utilisation du verbe “prier” montre bien son
imploration et l’hyperbole utilisée rend la détresse du duc plus marquée, donc sa persévérance est ici mise
en évidence. Mais la supplication amoureuse du duc se heurte au refus de la princesse. Et quant à sa
position, elle est renforcée par la gradation “lui avait non seulement…mais même”, la détermination
profonde de la princesse est ici clairement exprimée. La tournure impersonnelle “Il fallut enfin que ce
prince repartit” , soulignée par une allitération en “ f” exprime bien l'échec de l'assaut amoureux du duc et
la disparition de ce dernier. On pourrait aussi penser que la distance impersonnelle de l'article indéfini
“un” dans “un homme qui perdait toute sorte d'espérance... “ et “une personne” contribue à effacer peu à
peu M. de Nemours en faisant de lui une allégorie de l'amour souffrant. S’en suit alors l'énumération
ternaire qui exprime également l'amour de façon hyperbolique : “passion la plus violente, la plus naturelle
et la mieux fondée”.
Le mouvement se termine par la métaphore du feu qui s’éteint et les verbes au passé simple qui marquent
que l'action est définitivement terminée. Cela montre la fin de la douleur et de la passion, il aura donc
survécu à cette séparation. Ce qui souligne d’ailleurs que le duc de Nemours n'est pas un héros tragique,
au contraire, il incarne le principe de réalité : avec “le temps et l'absence” , sa passion disparaît. Cette
vision de l'amour est pessimiste : la fin de la “folle et violente passion” du duc est scellée en une seule
phrase, donnant raison à la princesse de Clèves qui avait conscience que l'amour ne dure pas.
Contrairement aux romans-fleuves en vogue à l'époque qui idéalisaient l'amour, Madame de la Fayette
fait preuve d'un pragmatisme émouvant en dépeignant l'amour dans son imperfection et sa fragilité.

Le roman se termine ainsi sur un dernier mouvement, court où le lecteur se retrouve plongé dans la
triste fin de Madame de Clèves. En effet, les deux dernières phrases du roman se concentrent sur
l'héroïne qui fait preuve d'une vertu exemplaire. Le champ lexical de la religion montre que La princesse
de Clèves consacre le reste de sa vie à Dieu: “maison religieuse”, "retraite" “saintes”, “austères”, “vertu”.
La négation “ jamais” souligne que La Princesse quitte définitivement la Cour et, métaphoriquement, la
Carte du Tendre (carte imaginaire retraçant les étapes de la vie amoureuse selon les Précieuses du XVIIe
siècle). Le comparatif et superlatif de supériorité qui accompagnent les adjectifs “saintes” et “austères” ;
“dans les occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères” indique que la vertu de la
princesse est édifiante. On remarque aussi que la mort précoce de l'héroïne est rendue encore plus
frappante par l’accélération du temps à la fin du roman : “et sa vie, qui fut assez courte”. Cette mort
précoce associée au champ lexical de la religion contribue à rapprocher la destinée de la princesse de
Clèves à celle d'une sainte chrétienne. La fermeté morale de la princesse de Clèves offre également un
contraste saisissant avec la disparition progressive de la passion du duc de Nemours : alors que la passion
amoureuse cesse, l'amour divin est durable et guide une vie. La phrase finale de La princesse de Clèves
montre la vocation moralisatrice et chrétienne du roman qui offre au lecteur un exemple de vertu : la
princesse de Clèves “laissa des exemples de vertu inimitable.”

L’auteur conclut ainsi toutes les trames narratives de son œuvre : il n’y a aucun futur possible pour les
protagonistes, aucun avenir pour leur histoire.Cette œuvre s'inscrit dans un pessimisme moral influencé
du jansénisme propre à cette époque, et auquel participent notamment les Maximes de La Rochefoucauld.
Lire cet excipit de La princesse de Clèves en miroir de son incipit qui louait “La magnificence et la
galanterie" révèle la dynamique de dégradation qui structure ce roman. Cet extrait nous fait penser au
dénouement de la pièce de théâtre On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset où la séparation
finale est le prix à payer pour les deux amoureux qui n'auront finalement jamais profité de l'amour qu'ils
se vouaient l’un à l’autre, à leur façon.

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