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Lecture linéaire 3 

: la Princesse de Clèves :
Introduction :
Dans un XVIIème siècle marqué par le succès des romans-fleuve, œuvres en plusieurs tomes
se comptant en milliers de pages, Mme de La Fayette invente le roman psychologique
moderne, un récit court, resserré autour d’une intrigue unique et de quelques personnages,
montrant les tournants de l’amour. Elle est ainsi considérée comme un auteur du
classicisme. La Princesse de Clèves, son plus grand chef d’œuvre, est influencé par la pensée
janséniste. Mme de La Fayette livre en effet une œuvre pessimiste où l’amour est toujours
néfaste. Elle publie donc un roman historique en quatre parties qui se déroule au XVIème
siècle à la cour d’Henri II. Mme de Chartres introduit à la cour sa fille, Mlle de Chartres, qui
se distingue par sa beauté et son esprit. Elle ne tarde pas à épouser le Prince de Clèves sur
les conseils de sa mère, pour lequel elle ne ressent rien de plus que de l’amitié. Peu de
temps après son mariage, elle rencontre lors d’un bal le duc de Nemours dont elle tombe
éperdument amoureuse. Elle tente alors en vain de dissimuler ses sentiments.

Alternant les séjours à la campagne à Coulommiers pour fuir les tentations, et les séjours à la
cour, elle finira par avouer à son mari les sentiments dangereux qu’elle éprouve pour un
autre que lui. Cet aveu sera fatal à ce dernier et la princesse ainsi que le duc porteront la
responsabilité́ de sa mort.

Là ou le Duc croit encore à une idylle possible, la princesse reprend le chemin de la vertu.
Dans l’extrait à l’étude, elle fait en un ultime aveu, à la fois une déclaration d’amour au duc
mais c’est d’un amour impossible qu’il s’agit car elle s’y refuse par devoir et fidélité ́.

Composition du passage :
Nous pouvons découper ce texte en trois mouvements. Dans un premier temps, des lignes 1
à 11, la princesse présente une pensée raisonnée. Puis dans le deuxième paragraphe, le duc
exprime son désespoir et son incompréhension face à une décision si cruelle. Enfin, la
Princesse évoque les raisons de son choix dans le dernier paragraphe.
Projet de lecture :

Nous pouvons alors nous demander comment Mme de La Fayette fait de son héroïne une
femme incarnant la morale du XVIIème. Dans quelle mesure pouvons-nous dire que cet
extrait est emblématique de l’évolution du personnage éponyme ?
Premier mouvement : Pensée raisonnée de la Princesse :
La répétition du « je » confirme la prise d’assurance de la
princesse ; elle assume ses propos. La ponctuation, le «
mais » adversatif mettent en avant la clarté de son
discours, ses pensées sont structurées.

Les verbes comme « veux », « conjure » montrent la


Je veux vous parler encore, avec la même sincérité que
volonté de la princesse, sa détermination.
j’ai déjà commencé, reprit-elle et je vais passer par-
dessus toute la retenue et toutes les délicatesses que je
Le présent à valeur de futur proche souligne sa volonté de
devrais avoir dans une première conversation : mais je
dire les choses. L’utilisation répétée du déterminant « tout
vous conjure de m’écouter sans m’interrompre. Je crois
» insiste sur sa détermination sans faille, aucun obstacle ne
devoir à votre attachement la faible récompense de ne
l’arrêtera : l’image de la jeune fille naïve a disparu.
vous cacher aucun de mes sentiments, et de vous les
laisser voir tels qu’ils sont.
CC Manière souligne sa franchise et ôte le doute de sa
mauvaise foi (cf l’introspection)

Ce modalisateur montre que la princesse se sent


redevable vis–à-vis du Duc, elle lui offre la « faible
récompense de ne vous cacher aucun de mes sentiments
» : c’est une scène de refus mais en même temps d’aveu
de son amour
Les adverbes et connecteurs logiques structurent la pensée
Ce sera apparemment la seule fois de ma vie que je me
de la princesse qui se veut raisonnée et raisonnable. Le
donnerai la liberté de vous les faire paraître ; néanmoins
modalisateur « apparemment » montre qu’elle garde
je ne saurais vous avouer, sans honte, que la certitude de
toutefois une certaine mesure et ne jure de rien quant-à
n'être plus aimée de vous, comme je le suis, me paraît un
son avenir. Le terme « malheur » employé à deux reprises
si horrible malheur, que, quand je n'aurais point des
avec l’adverbe intensif « si » souligne la difficulté de dire,
raisons de devoir insurmontables, je doute si je pourrais
d’avouer son amour autant qu’elle met en avant sa
me résoudre à m'exposer à ce malheur.
souffrance
La démonstration de la situation est faite de manière
logique : les subordonnants « que », « et que », « d’une
sorte que » créent un effet de logique qui valident et
autorisent l ’amour entre la princesse et le duc. La
référence au « public » renvoie à la cour qui de fait, ne
Je sais que vous êtes libre, que je le suis, et que les pourrait s’opposer à cette union, les deux partis étant
choses sont d'une sorte que le public n'aurait peut-être libres. La négation « ni...non plus », mettant en valeur le
pas sujet de vous blâmer, ni moi non plus, quand nous pronom tonique « moi » insiste sur la réalisation très
nous engagerions ensemble pour jamais. Mais les envisageable de ce mariage et laisse envisager au Duc de
hommes conservent-ils de la passion dans ces Nemours une fin positive et heureuse.
engagements éternels ? Dois-je espérer un miracle en ma
faveur et puis-je me mettre en état de voir certainement Cependant la conjonction de coordination adversative «
finir cette passion dont je ferais toute ma félicité ? mais » vient rompre tout espérance et laisse d’emblée
envisager les réticences à venir. La princesse poursuit donc
sa réflexion par une série de questions rhétoriques mettant
en doute la pérennité de la passion chez les hommes. Le
terme « miracle » montre que sa naïveté a cessé et qu’elle
est à présent bien au fait des agissements masculins.
Monsieur de Clèves était peut-être l'unique homme du La Princesse répond à ses propres interrogations et fait de
monde capable de conserver de l'amour dans le mariage. Monsieur de Clèves l’exception à la règle. L’adjectif «
Ma destinée n'a pas voulu que j'aie pu profiter de ce unique » utilisé pour qualifier de manière hyperbolique «
l’unique homme du monde » souligne la place qu’elle
accorde a posteriori à son défunt mari. Elle se dédouane
cependant a minima faisant intervenir sa « destinée ».
Telle une héroïne tragique, la Princesse a subi le fatum et
s’est rendu à son sort décidé par Vénus. Le verbe « a voulu
» a bien pour sujet la destinée et non la princesse, qui dans
bonheur ; peut-être aussi que sa passion n'avait subsisté
ce jeu de la vie, n’a fait que subir son destin.
que parce qu'il n'en aurait pas trouvé en moi.
La deuxième analyse est également très clairvoyante : la
locution « peut-être » associée au conditionnel « n’en
aurait pas trouvé en moi » suppose que la passion ne peut
vivre que lorsqu’elle n’est pas réciproque. Sitôt partagée,
elle cesse d’exister.
Mais je n'aurais pas le même moyen de conserver la A nouveau le « mais » marque l’opposition entre le prince
vôtre : je crois même que les obstacles ont fait votre et le duc. Le champ lexical de l’obstacle est avancé «
constance. Vous en avez assez trouvé pour vous animer à obstacles », « vaincre », « rebuter » : la difficulté est le
vaincre ; et mes actions involontaires, ou les choses que moteur qui maintient la passion du Duc. La princesse est
le hasard vous a apprises, vous ont donné assez assurée que si elle donne suite à cette liaison, la passion
d'espérance pour ne vous pas rebuter. s’estompera d’elle-même.
Deuxième mouvement : Désespoir du duc de Nemours :
Ah ! Madame, reprit monsieur de Nemours, je ne saurais La réplique du Duc est spontanée : l’interjection « ah »
garder le silence que vous m'imposez : vous me faites souligne le désespoir qui pointe. Le terme « injustice » et
trop d'injustice, et vous me faites trop voir combien vous l’utilisation binaire de l’adverbe intensif « trop » placent le
êtes éloignée d'être prévenue en ma faveur. duc cette fois en position de victime, les rôles sont
inversés.
Troisième mouvement : Evocation des raisons de sa décision :
La Princesse fidèle à sa stratégie confirme ces craintes «
J'avoue, répondit-elle, que les passions peuvent me j’avoue que les passions peuvent me conduire ; mais... ».
conduire ; mais elles ne sauraient m'aveugler. Rien ne me Le raisonnement est concessif, elle connaît ses faiblesses
peut empêcher de connaître que vous êtes né avec mais à présent elle est en mesure de les contrôler ; le
toutes les dispositions pour la galanterie, et toutes les verbe « aveugler » a bien pour cod le pronom « moi » mais
qualités qui sont propres à y donner des succès heureux. il est employé avec la négation. La princesse est
clairvoyante.
Vous avez déjà eu plusieurs passions, vous en auriez Ce long passage explicatif met à jour le raisonnement qu’a
encore ; je ne ferais plus votre bonheur ; je vous verrais mené la princesse et qui l’a conduit à sa décision
pour une autre comme vous auriez été pour moi. J'en irréversible : elle dresse le bilan du passé à l’aide du passé
aurais une douleur mortelle, et je ne serais pas même composé « vous avez déjà eu » et se projette dans l’avenir
assurée de n'avoir point le malheur de la jalousie. Je vous avec l’utilisation du conditionnel à valeur de possible «
en ai trop dit pour vous cacher que vous me l'avez fait auriez » « verrais » « ferais ».
connaître, et que je souffris de si cruelles peines le soir
que la reine me donna cette lettre de madame de L’alternance des adverbes « déjà » et « encore » et la
Thémines, que l'on disait qui s'adressait à vous, qu'il m'en comparaison « pour une autre comme ...pour moi »
est demeuré une idée qui me fait croire que c'est le plus projette un cycle sans fin, se réitérant et faisant passer du
grand de tous les maux. « bonheur » à « la douleur mortelle » et au « malheur ».
Pour appuyer cette prédiction désastreuse à venir la
princesse s’appuie sur son expérience, sur son vécu c’est
donc une démonstration par le concret.

Le passé simple « souffris » associé à l’expression intensive


« de si cruelles peines » et justifié par la précision de la
cause dûment pointée par le déictique « cette lettre de
madame de Thémines » finissent par achever la
démonstration et amènent la conclusion finale mise en
exergue par le superlatif : la jalousie « est le plus grand de
tous les maux ».

Conclusion :

Madame de La Fayette fait de son héroïne une femme qui choisit la voie des valeurs
héroïques. Elle incarne la victoire de la vertu sur la passion. L’amour est présenté dans ce
roman comme une entrave à la liberté en ôtant à celui qui le ressent la maîtrise qu’il peut
avoir de lui-même. Il est source de dégradation morale et s’accompagne de jalousie, de
dissimulation et de tromperie.

La princesse connaît une fin qui semble digne, vertueuse, effectuant sa retraite faite de
charité. En effet, à la fin du livre il est précisé : « Sa vie, qui fut assez courte, laissa des
exemples de vertu inimitables ».

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