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de NEMOURS)
SITUATION. Mme de CHARTRES est décédée. M. de CLEVES est mort de chagrin, mme de CLEVES est
retirée à COULOMMIERS où m. de NEMOURS vient la retrouver.
A priori, rien ne s’oppose plus à leur union. Le défi imposé à la Princesse n’a jamais été aussi grand. Mise
à l’épreuve ultime de l’héroïne (si l’on adopte une lecture initiatique du roman avec une suite de défis et un
parcours d’obstacles à franchir pour maintenir une morale fondée sur la vertu digne d’une honnête femme
et la gloire de son rang).
Dialogue CLEVES / NEMOURS initié par NEMOURS avec répliques croissantes mais conclu (plus loin) par
madame de CLEVES qui aura le dernier mot. Nous sommes ici dans la seconde moitié de l’échange.
En apparence, il s’agit de convaincre NEMOURS de la vanité d’exprimer au grand jour leur passion.
En vérité, il s’agit de maintenir un discours ambigu : rassurer NEMOURS sur l’amour partagé et compris,
réciproque et acquis entre les deux mais dissuader de vivre cette passion. Il faut donc concéder dans
céder.
Au fond, il s’agit surtout pour la Princesse d’agir sur elle-même comme le garde-fou qu’elle n’a plus (sa
mère est morte, le spectre de son mari n’est plus là). Moins que de convaincre NEMOURS de renoncer à
elle, il s’agit pour la Princesse de se persuader elle-même de rester à la hauteur (toute idéale) qu’elle veut
se reconnaître à elle-même, bref, de rester digne de son statut d’exception.
L’extrait comporte deux paragraphes, signes d’une pensée structurée et séquencée : nature démonstrative
du propos. On est loin des échanges galants et badins, improvisés et spontanés que l’on pourrait prêter à
un couple amoureux.
Ces deux paragraphes, la narratrice va les laisser se déployer (on en comprend qu’elle y adhère et
n’entrave pas leur déroulement) à part, au début, une petite interruption du discours principal par le verbe
introducteur de parole « répondit-elle ».
CONCLUSION
Un passage célèbre, qui propose, en deux paragraphes, le triomphe de la volonté sur les sentiments. =
démarche rationnelle mais aussi formidable entreprise rhétorique qui rend le discours auto-persuasif maître
des âmes et des destins.
Statut de la parole intéressant dans le roman : dire c’est trahir (cf. RACINE, Phèdre, pièce quasi
contemporaine), mais la parole a aussi ses vertu en ce qu’elle permet d’assainir des systèmes de valeur et
de là, d’affirmer une identité. Cette clarification trouvera son apogée dans l’excipit où « passion » et
« douleur » seront définitivement dissociées, après la tentation de faire fusionner le tout dans les
« passions ». C’était ici l’enjeu : faire éclater une mise en relation pernicieuse et renvoyer chaque terme à
son monde, son contexte et sa hauteur. Ce texte constitue donc pour l’héroïne un apprentissage moral,
psychologique mais aussi terminologique.
Cette dissociation garantit sans doute un certain héroïsme mais elle s’oppose à l’humanité en tant que
nécessaire contradiction telle que PASCAL la définit dans son fragment 28 des Pensées, consacré aux «
passions » :
Cette guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se
sont partagés en deux sectes : les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux, les autres
ont voulu renoncer à la raison et devenir bête brute. Des Barreaux. Mais ils ne l’ont pu ni les uns ni
les autres, et la raison demeure toujours qui accuse la bassesse et l’injustice des passions et qui
trouble le repos de ceux qui s’y abandonnent, et les passions sont toujours vivantes dans ceux qui y
veulent renoncer.