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Lecture linéaire 

: El Desdichado :
Introduction :
« El Desdichado » (« Le déshérité » en espagnol) est le premier sonnet des Chimères,
groupement de douze sonnets, publié en 1854, en dernière partie des Filles du feu. Par cette
place liminaire, ce poème est le blason sous lequel se présente le poète. Cette dénomination
est empruntée à Walter Scott : dans Ivanhoé, un mystérieux chevalier dépossédé de son fief
par Jean sans Terre, paraît au tournoi et est ainsi désigné : « Il n’avait sur son bouclier
d’autres armoiries qu’un jeune chêne déraciné, et sa devise était le mot espagnol
Desdichado, c’est-à-dire « Déshérité » » (chapitre VIII).
Les Chimères dessinent une autobiographie imaginaire, onirique, et ce poème se présente
comme une mosaïque d’images qui échappent au contrôle de la raison (procédé que
radicaliseront plus tard les poètes surréalistes, qui verront en Nerval un écrivain majeur
ayant tenté d’explorer les profondeurs de l’inconscient et d’abolir les frontières entre rêve et
réalité). Associées à un rythme musical et entêtant, ces images exercent un charme
mystérieux sur l’esprit du lecteur. Malgré l’aspect général décousu et les images
flamboyantes ou obscures, nous pouvons discerner une progression logique entre les
strophes qui dessinent un parcours initiatique.
Ainsi nous pouvons nous demander comment l’alchimie poétique du texte permet au poète
de reconquérir sa vie.
On dénombre quatre mouvements dans ce texte. Dans le premier quatrain, le poète affirme
son désespoir. Puis, dans le deuxième quatrain, il est en quête du bonheur. Il en vient à se
questionner sur l’identité profonde dans le premier tercet puis est enfin libéré grâce à la
poésie.
Analyse :

Vers Relevé Procédé Analyse


Le titre : « El Desdichado »
Idée de manque évident. Terme
énigmatique comme un manque de mot
« El desdichado » Mot espagnol : déshérité
pour exprimer correctement ses émotions
en français.
Premier quatrain : l’affirmation du désespoir
Pronom personnel « Je ». Le sujet du poème bien affirmé : le poète
Premier vers qui pose un décor de
Allégorie du veuvage et de la
désespoir, l’idée de la mort qui guette le
souffrance.
poète.
Identité démultipliée du poète. Une
Adjectif substantivé.
« Je suis le Ténébreux, recherche du soi.
v.1 - le Veuf, - Dialogue qui rappelle la polyphonie
Présence de tiret : idée de
l’Inconsolé » intérieure de l’esprit romantique qui
dialogue. Cadratins
privilégie l’expression des sentiments.
Cassure dans la rythmique de
Brisure dans la vie du poète, trouble
l’alexandrin : pas de césure
personnel.
(6/2/4) au veuf.
Rythme ternaire. Rappelle la figure de la trinité religieuse.
« Le Prince
Identité problématique et violente auquel
d’Aquitaine à la Tour Métaphore médiévale
s’assimile le poète.
v.2 abolie »
Figure mystique de la cartomancie : image
« Tour abolie »
du tarot signe d’orgueil.
Comparaison d’une femme à une étoile.
« Ma seule Etoile est Métaphore d’une femme
Renvoie à la poésie romantique.
morte, - et mon luth
Figure mystique de la cartomancie : image
v.3 constellé »
de l’espérance et de l’amour.
« seule » Intensifie le vide de la vie du poète.
« luth » Rappel un lien entre Nerval et Orphée
Idée de contradiction :
« Porte le Soleil noir
Oxymore - Chaos total dans l’esprit du poète
de la Mélancolie »
- Perte de repère
v.4
Figure mystique de la cartomancie : image
« Soleil » de l’homme jamais seul qui s’annule avec
l’oxymore.
« Ma seule Etoile est
morte, - et mon luth
v. 3- Musicalité du texte qui assimile Nerval à
constellé » Allitération en [m]
4 Orphée.
« Porte le Soleil noir
de la Mélancolie »
Premier quatrain : Personnage épris dans une quête d’identité – protéiforme et en plein doute. Images
négatives voire destructive.
Quelques idées positives étouffées par l’omniprésence de la mélancolie : figure d’Orphée.
Deuxième quatrain : Une quête du bonheur
Euphémisme de la Mort. Le poète parle directement à quelqu’un
« Dans la nuit du
Adresse précise à une personne (certainement Jenny Colon, 1842).
v.5 Tombeau, Toi qui m’as
(pronom personnel mis en Rappel de la mort mais aussi l’idée de
consolé »
majuscule) consolation : recherche du mieux.
« Rends-moi le Verbe à l’impératif : ordre Volonté de « redonner » et de
Pausilippe et la mer tourné vers le souhait. « retrouver » des souvenirs plaisants.
d’Italie »
« La fleur qui plaisait
tant à mon cœur
v.6-8
désolé » Echo « consolé » / « désolé » : Appel à la douleur du poète. Volonté de
« Et la treille où le paronomase guérir.
Pampre à la Rose
s’allie »

Idée du poète à faire revivre la poésie


2e quatrain

latine (cf. Virgile)


« Pausilippe » / « mer
Espaces géographiques Images positives du poète. Personne qui
d’Italie » / « Pampre »
semble vouloir faire son deuil, passer à
autre chose.
« Rends-moi le Convoque l’image de Virgile : appel aux
v.6 Pausilippe et la mer Périphrase figures mythologiques et poétiques. Source
d’Italie » de réconfort ?
Contradiction entre le sens propre et le
« La fleur qui plaisait sens figuré d’un même mot : la fleur qui
v.7 tant à mon cœur Antithèse rassure le cœur mais la fleur à connotation
désolé » négative (la folie). Le poète est sur deux
plans : le réconfort et la folie.
« Et la treille où le Caractère protéiforme du poète. Il dépasse
Pampre à la Rose C.L Mythologie son existence habituelle et cherche à se
s’allie »  sublimer.
v.8
« Ténébreux » /
Couleurs crépusculaires qui renvoient à un
« noir » / « rose » / Champ lexical des couleurs
décor mélancolique : lutte du poète.
« rouge »
Deuxième quatrain : Le poète cherche à quitter ses douleurs passées en convoquant les images qui le
soulagent. Nous pouvons nous poser la question : qu’est-ce qui peut l’aider à s’en sortir ? Le mysticisme et la
poésie semblent être une première réponse.

Premier tercet : Questionnement sur l’identité profonde


Présence de forme interrogative Suggestion du texte, quête d’identité,
et aposiopèse. doute.
Conjonction de coordination Souligne la perte d’identité, le poète ne
« Suis-je Amour ou « ou ». sait plus qui il est.
v.9 Phébus ? … Lusignan Renvoie aux valeurs nobles et
Dimension moyenâgeuse
ou Biron ? » chevaleresques.
Caractère protéiforme du poète. Il dépasse
C.L mythologie son existence habituelle et cherche à se
sublimer.
Renvoie à l’épisode de la crucifixion. Echo
« Mon front est rouge avec la trinité du premier quatrain.
v. 10 encor du baiser de la Image religieuse Recherche de rédemption.
Reine » Figure de la Reine et du baiser : positivisme
de son passé.
« Suis-je Amour ou
Phébus ? … Lusignan
v. 9- ou Biron ? » Musicalité du texte qui assimile Nerval à a
Assonances en [ou] et [on]
10 « Mon front est rouge figure d’Orphée qui sera traitée plus loin.
encor du baiser de la
Reine »
Idée mystique du rêve comme figure
positive pour le poète (rêve et poésie).
Thématique de l’eau qui s’oppose au feu et
aux ténèbres du premier quatrain : image
« J’ai rêvé dans la
d’expiation chez le poète.
v.11 Grotte où nage la Thématique du rêve et de l’eau.
sirène… »
Convocation de la multiplicité des figures
mythologiques (grecques et scandinaves) :
pluralité pour un seul but.

Premier tercet : Le poète se cherche et cherche à devenir plus que ce qu’il n’a jamais été. Il se questionne sur
son identité mythologique ou noble et convoque le rêve pour tenter d’atteindre un statut meilleur à sa
condition.
Deuxième tercet : La poésie libératrice
« Et j’ai deux fois
vainqueurs traversé
Caractère protéiforme du poète. Il dépasse
v.12- l’Achéron »
C.L Mythologie son existence habituelle et cherche à se
13 « Modulant tour à
sublimer. Il a vaincu deux fois la mort.
tour sur la lyre
d’Orphée »
« Et j’ai deux fois
Anacoluthe (rupture Volonté de chercher une nouvelle liberté
V.12 vainqueurs traversé
syntaxique) dans le langage.
l’Achéron »
« Modulant tour à
V.13 tour sur la lyre C.L de la musique Rappel un lien entre Nerval et Orphée
d’Orphée »
« Les soupirs de la Renvoie à l’épisode de la crucifixion : idée
Métaphore religieuse et
v.14 Sainte et les cris de la cathartique (se purger des maux par la
mystique convoquée.
fée » musique).
Parallélisme entre Nerval et
Nerval pleure l’être aimé (Jenny Colon
Orphée (cf. histoire Orphée) :
meurt en 1842).
- désespoir amoureux
v.12 « Achéron » : allégorie de Cf. Crises de folies de Nerval (1851 et
la folie 1853).
Histoire d’Orphée
Nerval sort vainqueur de ses malheurs et
convoque l’esprit lyrique pour
v.12 « vainqueur » : adjectif
l’accompagner au quotidien.
épique
Lyrisme au sens poétique : expression de
sentiments profonds par la poésie.
Deuxième tercet : La poésie se voit ici libératrice des maux de Gérard de Nerval. Il a accepté son désespoir et
utilise le lyrisme pour tenter d’évacuer la douleur qui vit.

Conclusion :
Ainsi, « El Desdichado » de Nerval est une réponse à la folie qui menace le poète et qui
l’emportera en 1855. Ce sonnet dense, intense et profond sonne comme un chant de
libération. Figure majeure du romantisme noire français, Nerval est un alchimiste qui
transforme le désordre et la folie en poésie. Le mysticisme de Nerval intéressera les
surréalistes qui verront en lui, avant Rimbaud, un voyant. Ainsi, Arcane 17 d’André Breton
est un hommage discret à Nerval, lointain précurseur selon lui du surréalisme.

Mythe d’Orphée :
Orphée était un musicien et un poète de la mythologie grecque, fils de la Muse Calliope et
d'Œagre, roi de Thrace.
Orphée a reçu d'Apollon une lyre à sept cordes. Il en ajouta deux pour porter leur nombre à
neuf (en hommage aux neuf Muses). Grâce à cette lyre, il pouvait charmer les humains et
même les animaux sauvages. Orphée est un héros voyageur qui participa à l'expédition des
Argonautes où il triompha des sirènes.
Dès sa rencontre avec Eurydice, ils s'aimèrent tout de suite et décidèrent de se marier. Mais
le jour de son mariage, Eurydice fut mordue au mollet par un serpent venimeux. Le venin lui
monta au cœur et en un instant, celui-ci cessa de battre. Eurydice morte, Orphée ne savait
plus comment vivre. Il était tellement triste qu'il décida de descendre au royaume des morts
et de demander à Hadès de lui rendre sa femme.
Jouant de la lyre, il put endormir Cerbère, le chien à trois têtes qui gardait l'entrée des Enfers
et les terribles Euménides, pour approcher le maître des lieux. Hadès, accompagné de
Perséphone lui donna la permission de ramener sa femme à une seule condition : il ne devait
pas se retourner, ni la regarder et ni parler à sa femme avant d'être de retour dans le monde
des vivants. Mais arrivé au bout du chemin, Orphée se retourna car il n'entendait plus
Eurydice et qu'il pensait être sorti des Enfers. Mais, Orphée n'avait pas vu qu'un de ses pieds
étaient restés dans les Enfers et il perdit Eurydice à jamais qui s'évanouit dans les Enfers.
Orphée demeurait inconsolable de cette disparition. Son chant triste exaspéra les ménades
qui le décapitèrent et il rejoignit ainsi son Eurydice dans le séjour des morts. Selon une autre
version de la légende, Apollon, ému par le chant d'Orphée, descendit de l'Olympe pour
l'emmener au Firmament des Musiciens. On ne le reverra plus jamais. Il partit également
avec les Argonautes. L'histoire signifie peut-être qu'écouter les dieux est très important.

Jenny Colon :
Le 31 octobre 1837 est créé à l'Opéra-Comique Piquillo sur une musique de Monpou ;
Dumas signe seul le livret, malgré la collaboration de Nerval ; l’actrice Jenny Colon tient le
premier rôle. Nerval se serait épris de cette actrice qui n'aurait pas répondu à ses
sentiments. Il fréquente alors le salon de Madame Boscary de Villeplaine, où une rivalité
amoureuse l'oppose au financier William Hope pour la conquête de l'actrice.
Virgile :
Virgile - Vikidia, l’encyclopédie des 8-13 ans

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