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Manon Lescaut L’Abbé Prévost

LL5 – La rencontre entre le chevalier des Grieux et


Manon Lescaux
Introduction
Antoine François Prévost (1697-1763) est né dans une famille
aisée de la noblesse lui a permis de suivre une éducation
soignée. Entre vocation religieuse et plaisirs mondains, il
s’engage plusieurs dans l’armée, devient bénédictin chez les
Jésuites en 1721 et effectue de nombreux voyages en Europe.
L’Abbé Prévost a rédigé l’Histoire du chevalier des Grieux et de
Manon Lescaut en 1731. Jugé scandaleux pour les délits et
crimes racontés, le roman est condamné en 1733, et republié
en 1751. Mais il se révèle être une œuvre majeure du XVIIIème
siècle qui s'inscrit dans le mouvement du retour de la sensibilité
après le rationalisme des Lumières.
En effet, cette œuvre, dont le registre est lyrique te tragique,
met en scène la passion naissante du chevalier des Grieux
pour Manon Lescaut. C’est l’occasion pour l’Abbé Prévost de
réaliser un traité de morale sur les dangers de la passion.
Située dans la première partie du roman, le texte proposé
constitue un exposé de la rencontre amoureuse. Dans l’extrait
étudié, nous retrouvons, au début, la première impression qu’a
des Grieux en voyant Manon Lescaut ; puis, nous assistons à
leur rencontre. Cette partie nous permet donc de découvrir les
deux personnages principaux.
Lecture
Nous allons étudier ce texte en trois mouvements. D’abord,
l’apparition de Manon et la fascination de des Grieux : le coup
de foudre ; ensuite, la discussion s’engage : la fatalité est en
marche ; pour finir, le regard rétrospectif : l’annonce des
transgressions à venir.

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À travers cette étude, nous allons donc nous poser la question


suivante : « En quoi ce récit exploite-t-il le topo de la rencontre
amoureuse de manière tragique ? »

Mouvement I - L’apparition de Manon et la fascination de


des Grieux : le coup de foudre (l. 1 à 7)
À la lecture de la ligne 1, Manon apparaît au milieu d’un groupe
de femme et est mise en valeur au départ de ce dernier. Nous
avons donc deux oppositions : tout d’abord, celle du pluriel et
du singulier, mais également celle de l’effervescence et de
l’immobilité. Manon est, ainsi, mise en valeur.
Ensuite, une description de Manon : « fort jeune » (l.1),
« charmante » (l.3), et « maîtresse de mon cœur » (l.6-7), nous
la présente exceptionnelle à travers les yeux de des Grieux. Cet
effet est renforcé par l’hyperbole « enflammé tout d’un coup
jusqu’au transport » (l.5) et l’adjectif qualificatif « charmante »
(l.3) qui renvoie à l’envoutement, au sortilège que subit le
chevalier.
Pour finir, la métaphore « maîtresse de mon cœur » (l.6-7) et la
conjonction de coordination « mais » (l.6) montrent que des
Grieux est soumis à une attraction irrésistible ; ce qui met en
évidence le pouvoir de séduction qu’a Manon sur le héros.
Ce premier mouvement nous permet de conclure que cette
rencontre produit un véritable bouleversement dans la mesure
où elle révèle à des Grieux la violence de la passion. Cette
rencontre est pour lui un véritable coup de foudre.

Mouvement II – La discussion s’engage : la fatalité en


marche (l. 7 à 13)
Après la fascination à la vue de Manon, nous assistons au
rapprochement physique des deux protagonistes. Les

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associations de la négation « sans » avec l’expression


« paraître embarrassée » (l.7), et du superlatif « bien plus »
(l.11) avec l’adjectif qualificatif « expérimentée » (l.12) mettent
en évidence l’assurance de Manon malgré son jeune âge. Cette
aisance est inhabituelle pour une jeune fille du 18ème siècle : ce
qui attire le lecteur, mais surtout des Grieux.
Ainsi, des Grieux s’approche de Manon et entame le dialogue :
cet acte est transcrit par la voix passive (l.9) et les verbes de
parole « demander » (l.8) et « répondit » (l.9). On découvre
alors que Manon est sous la domination familiale : en effet, elle
est envoyée au couvent contre son gré.
Après cette information, des Grieux réagit disproportion-
nellement avec l’hyperbole « coup mortel pour mes désirs »
(l.9). Cette surréaction montre la domination de ses sentiments
qui vont guider ses choix pendant tout le roman malgré le
double obstacle qui se présente sous la forme de la famille et
de la religion.
On apprend la raison de la présence de Manon au couvent :
bien qu’elle ne soit qu’une jeune fille, elle a péché. Ceci est
évoqué de manière implicite. La phrase « c’était malgré elle
qu’on l’envoyait au couvent » (l.12) renvoie à la décision de ses
parents et au regard de la société sur les comportements
déviants des jeunes filles à cette époque. La proposition
subordonnée relative « qui a causé dans la suite tous ses
malheurs et les miens » (l.13) introduit les péripéties qui
suscitent l’empathie et la curiosité de son auditeur et font
apparaître une dimension tragique.
Ce deuxième mouvement retranscrit les premiers échanges
entre les deux jeunes gens : ce qui permet de comprendre la
situation de Manon en même temps que la déflagration
émotionnelle ressentie par des Grieux. Les obstacles qui se
dressent devant eux lancent le romanesque. L’effet d’attente va
se confirmer.

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Mouvement III – Le regard rétrospectif : l’annonce des


transgressions à venir (l. 13 à 22)
Le verbe « combattit » (l.13) et l’opposition entre les groupes
nominaux « la cruelle intention » et « mon amour naissant »
(l.14) témoignent du désaccord de des Grieux avec la décision
des parents de Manon. On devine le combat que va mener des
Grieux contre l’autorité parentale.
La triple négation « elle n’affecta ni rigueur ni dédain » (l.15) ne
donne aucune information sur les pensées de Manon : le
lecteur est dans le flou, et celui-ci peut se demander si le coup
de foudre est réciproque.
L’adverbe « malheureusement » (l.16) et les expressions « un
moment de silence » et « la volonté du ciel » (l.16) font
référence au registre tragique : on en déduit donc que Manon
est également soumise à la puissance divine.
Le lecteur peut se demander s’il existe un lien de causalité
entre le charme de Manon et le comportement de des Grieux.
En effet, « la douceur de ses regards » (l.17), le récit
rétrospectif « l’ascendant de ma destinée » et la négation « ne
me permirent pas » (l.18) nous font comprendre que des Grieux
n’est plus en possession de ses moyens et qu’il ne peut plus
revenir en arrière : le lecteur est, ainsi, pris de curiosité et
attend la suite.
Nous remarquons que des Grieux est seul contre tous et
contraint d’agir : cela est dû à la promesse qu’il a faite à Manon,
comme tout bon chevalier se respecte : on se doute donc que
des Grieux va accomplir des exploits pour sa dame. Ces actes
s’inscrit dans le cadre du romanesque.
Pour finir, le « je » narrant des dernières lignes rappelle les
liens entre les sentiments amoureux et l’audace qui en résulte.
Le narrateur, qui est des Grieux, a pris du recul avec les
événements relatés.

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Ce troisième mouvement porte un regard rétrospectif qui


permet d’annoncer les manquements à venir, mais il n’y a pas
de condamnation de la passion amoureuse, quand bien même
si celle-ci occasionnerait une déchéance.
Conclusion
Ainsi, on le voit, cette rencontre annonce une histoire d’amour
vouée au malheur et à la mort. Des Grieux refuse la voie
religieuse qui a été choisie pour Manon. On comprend aussi
que leurs conditions sociales ne sont pas les mêmes. Des
Grieux est noble, ce que n’est pas du tout Manon. Leur passion
apparaît ainsi contraire aux normes de la société, de la famille
et de la religion.
Mais les deux gens, malgré leur jeunesse, ne sont pas aussi
limpides qu’il semble. Manon est déjà expérimentée et sait
jouer de ses charmes. Son goût du plaisir est mis en avant.
Quant à Des Grieux, il apprend vite. Jeune homme soi-disant
timide, il manipule facilement le langage pour séduire la jeune
fille et se déclare prêt en quelques minutes à fuir avec elle. La
suite du roman ne fera que confirmer cette désagrégation
morale. Mais il est également vrai que la société de la Régence
dépeinte par l’abbé Prévost ne vaut pas mieux, en termes
d’hypocrisie et de vices.

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Premier mouvement L.1 à 11 : Le souvenir du départ de


Louis
Dans ce premier mouvement, nous étudions le souvenir du
départ de Louis. Nous commençons par une gradation : « …
parti, […] quittés, […] abandonna » – lignes 1 et 2. Antoine
cherche ainsi à faire culpabiliser Louis. Cela est renforcé par
l’utilisation du lexique de l’inquiétude avec les termes : « …te
plaindre… » (L.6), « …m’inquiéter… » (L.8), et « …jamais dire
un mot contre toi » (L.9). Cette culpabilité est, également,
renforcée dans ces premières lignes par l’emploi du pronom
personnel « tu ». Ce qui montre bien qu’Antoine ne s’adresse
exclusivement qu’à son frère Louis.
La métaphore « je ne sais plus quel mot définitif tu me jetas à la
tête » (lignes 3 à 4) montre l’agacement d’Antoine grâce à
l’usage d’un vocabulaire familier.
Nous pouvons noter, également, la présence du vocabulaire de
la fatalité avec « définitif » (L.3), « te plaindre », « fatalité », et
« être silencieux » (L.6) : ce qui donne un caractère
inébranlable dans le rôle des membres de la famille. Louis est,
ainsi, vu comme le héros, une victime mais qui a quand même
le beau rôle ; contrairement à Antoine qui subit la situation et
endosse le costume du « méchant ».
De plus, nous avons une négation (lignes 9 et 10) : « et ne plus
jamais même oser penser… » qui expose la souffrance
d’Antoine : celle-ci semble avoir été renforcée par l’interdiction
de la critique vis-à-vis de son frère que l’on illustre par les mots
« être silencieux » (L.6).
Nous terminons ce mouvement avec un autoportrait
dévalorisant d’Antoine qui se compare à un « benêt » (L.11), ce
qui témoigne de la piètre estime que le personnage a de lui-
même : il est évincé de l’action et se compare à un idiot qui a
un rôle de spectateur.

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Conclusion 1er mouvement :


Ce premier mouvement nous permet de comprendre pourquoi
ce second départ de Louis réveille la colère d’Antoine, car il
réveille le souvenir douloureux du premier départ.

Deuxième mouvement L. 12 à 35 : Le repli sur lui-même


d’Antoine et sa propre souffrance
Nous entamons le deuxième mouvement avec le repli sur lui-
même du personnage principal et sa propre souffrance.
En premier lieu, nous remarquons la disparition du pronom
personnel « tu » et l’apparition du pronom personnel « je ». Ce
qui montre que Louis se recentre sur sa propre personne et fait
preuve d’opposition envers son frère.
Nous soulignons également une ironie à la première ligne du
mouvement (« Moi, je suis la personne la plus heureuse de la
Terre »), ce qui témoigne de la souffrance morale du
personnage.
Nous observons ensuite la répétition (lignes 13, 14, 28, 34 et
35) de « Il ne m’arrive jamais rien » sous différentes versions.
Ce qui nous amène à penser que sa famille a fait passer sa
douleur au second plan à la faveur de celle de Louis.
Nous poursuivons ce deuxième mouvement avec les lignes 22
à 25 (« ces petites fois où j’aurai pu me coucher par terre et ne
plus jamais bouger, où j’aurai voulu rester dans le noir sans
plus jamais répondre ») où Antoine a accumulé de nombreuses
petites choses qui explique son mal-être.
De plus, les lignes 21, 26 et 27 sont marquées par le
vocabulaire du nombre « nombreuses », « des centaines » et
« accumulées », ce qui renforce également le fait qu’Antoine ne
se sente pas bien.

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Par la suite, la présence de 2 négations « je ne pouvais… »


(L.30) et « je ne saurais pas les dire » (L.31) laisse à penser
que Louis aurait pu penser au suicide.
À la ligne 29, on aborde une question rhétorique « qu’est-ce
que c’était ? » qui est en totale contradiction au désespoir qui
précède : Antoine relativise sa propre souffrance.
Pour terminer ce deuxième mouvement, la locution conjonctive
de subordination « comme si » (L.33) indique un écart marqué
entre ce que fait paraître Antoine et ce qu’il ressent vraiment.
Tout comme nous remarquons à la ligne 31 « je ne saurais pas
les dire » : ceci témoigne d’un rapport difficile au langage.
Antoine a donc du mal à s’exprimer, à dire ce qu’il ressent.
Conclusion 2ème mouvement :
Nous pouvons conclure ce deuxième mouvement en disant
qu’Antoine s’est retranché dans sa douleur, il n’a rien pu dire
pendant des années : il se livre enfin, cependant il va prendre
conscience de la présence de son frère.

Troisième mouvement L. 36 à 48 : Les sentiments


contradictoires d’Antoine envers son frère
Nous terminons, donc, par le troisième mouvement dans lequel
apparaissent les sentiments contradictoires d’Antoine envers
son frère.
Dans un premier temps, nous remarquons la réapparition du
pronom personnel « tu » qui marque la prise de conscience de
la présence de Louis. Cette réalisation est renforcée par la
didascalie interne (L.36) « Tu es là devant moi » et le présent
d’énonciation.
Nous poursuivons par un glissement de « à » à « pour » (L. 37-
38) accompagné de la répétition du verbe « accuser » et
renforcé aux paroles associées à la négation avec le mot

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« sans » (répété deux fois). Ceci nous fait penser qu’Antoine


interprète le silence de Louis comme un reproche.
De plus, le vocabulaire de la compassion « je te plains »,
« pitié », « inquiétude » et « peur » apparait dans les lignes 40
et 43. Tout comme la conjonction de coordination « et » est
répétée 5 fois entre les lignes 40 et 46. Ces deux procédés
illustrent l’amour, la compassion et l’envie de protéger d’Antoine
vis-à-vis de son frère Louis : Antoine semble enfermé dans un
cercle dont il ne peut s’échapper, celui de ses sentiments
positifs pour son frère.
Pour terminer, nous soulignons l’association du verbe
« espérer » avec une forme négative (L.44) : « j’espère qu’il ne
t’arrive rien de mal » et la phrase « je me reproche déjà (tu n’es
pas encore parti) » (L.46-47) : ceci relève d’une concomitance
d’Antoine entre le fait de faire du mal et de se le reprocher.
Antoine est un personnage perdu qui ne se met pas d’accord
sur ses sentiments. Il n’a pas conscience de la portée de ses
paroles, contrairement à Louis et au public.
Conclusion 3ème mouvement :
Pour conclure, Antoine est passé des reproches envers Louis
aux remords. Ce dernier mouvement indique combien il trouve
des difficultés à échapper au sentiment de culpabilité.

Ce soliloque du frère de Louis nous apprend beaucoup sur


l’état d’esprit de ce dernier : Antoine passe des accusations et
des reproches à la pitié et à la culpabilité. Il est donc tiraillé par
le passé et le présent, ce qui l’empêche de comprendre la
raison du retour de Louis : il devient ainsi par ce biais un
personnage tragique.

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