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Texte 2 : la rencontre entre Des Grieux et Manon Lescaut

Etape 1 : introduction
Présentation générale (amorce) : Manon Lescaut, de l’Abbé Prévost, a pour
titre original : Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. C’est le
septième tome des Mémoires d’un homme de qualité. Dès sa parution en
1731, il connait un grand succès. Ce roman est une œuvre majeure du XVIIIème
siècle qui s’inscrit dans le mouvement du retour de la sensibilité après le
rationalisme des Lumières. L’Abbé Prévost, dépeint « un exemple terrible de la
force des passions » à travers le personnage de Des Grieux, soumis à l’amour
irrésistible de Manon entraîné vers la déchéance.
Présentation du texte (extrait) : cet extrait de Manon Lescaut, de l’Abbé
Prévost, constitue un topos ou une scène attendue dans un roman : la
rencontre amoureuse. Le lecteur est au début du roman DG se promène en
compagnie de son ami Tiberge et le hasard le met en présence de Manon qui
débarque du coche d’Arras. C’est le coup de foudre.

Etape 2 : lecture du texte


Je vais à présent vous lire le texte

Etape 3 : problématique et annonce du plan


Nous nous demanderons en quoi cette première rencontre avec Manon
annonce la suite des aventures de Manon et Des Grieux.
Pour y répondre, j’ai identifié 3 mouvements :
Mouvement 1 : les circonstances de la rencontre (l.1 à 5)
Mouvement 2 : la naissance du sentiment amoureux (l 5 à 12)
Mouvement 3 : une annonce de la suite du roman (l 12 à la fin)
Etape 4 : analyse linéaire
1er mouvement : les circonstances de la rencontre (l.1 à 5)
L’extrait en focalisation interne, s’ouvre sur un récit rétrospectif. Cela permet
de mêler les souvenirs et les commentaires du narrateur. Le cadre spatio-
temporel est précis : noms des villes, Amines et Arras, champs lexical du
temps : « le temps, un jour plus tôt, la veille »
Le narrateur relate dans cet extrait l’enchaînement des causes qui ont rendu
possible la rencontre ; concours de circonstances fortuites ou marquées par le
destin :
-1er hasard, celui du moment/date prévue pour le départ d’Amiens (le narrateur
y fait ses études et part en vacances) : « j’avais marqué le temps de mon
départ », l.1 (plus que parfait), « que je devais quitter cette ville », l 2/3. Les
phrases l1/2, de « hélas » à « innocence », correspondent à un commentaire
rétrospectif du narrateur qui regrette son choix et envisage une autre issue.
Registre pathétique, interjection « Hélas », exclamations, subordonnée de
condition qui équivaut à si : « que ne le marquai-je un jour plus tôt ! »,
conditionnel pour traduire une conséquence heureuse : « j’aurais porté chez
mon père toute mon innocence ». L’expression « toute mon innocence » à la l.2
est une hyperbole. Elle renvoie à la fois au jeune âge du narrateur et à
l’absence du péché qui le caractérise avant sa rencontre avec Manon.
-2nd hasard : la rencontre a lieu la veille du départ, on peut s’interroger sur la
notion de destin
-3ème hasard : l’arrivée du coche d’Arras quand DG et Tiberge se promènent l.3,
on a une proposition participiale à valeur de temps (alors que, quand nous
nous promenions). L’hôtellerie où le coche s’arrête correspond à un relais
comme il en existait à cette époque cad un lieu d’étape pour le transport du
courrier et des voyageurs (endroit ou échanger les chevaux). C’est un endroit
animé qui suscite la curiosité (spectacle distrayant)
-le narrateur donne une justification innocente à l’intérêt que son ami et lui
portent à la scène ; négation restrictive, l.4/5 : « Nous n’avions pas d’autre
motif que la curiosité ». Le 1er mouvement s’achève sur une observation sans
importance : l. 5, « il en sortit quelques femmes », tournure impersonnelle,
déterminant indéfini, apparition fugitive et banale au passé simple. Ce passage
crée un effet d’attente et pique la curiosité du lecteur. La rencontre avec
Manon semble porter la marque du destin.
2ème mouvement : la naissance du sentiment amoureux (l.5 à 12)
-Le mouvement 2 correspond à une scène de première vue, au coup de foudre
« mais » l. 5, marque une rupture dans la phrase, fait émerger une femme vue
par DG et qui focalise l’attention. Cette femme se détache et n'agit pas comme
les autres. Le pluriel "quelques femmes" s'oppose au singulier "une", "seule" et
le mouvement "se retirèrent" s'oppose à l'immobilité "resta"," s'arrêta".
La cour de l'hôtellerie sert de décor à cette scène point l'intérêt de DG se
traduit par la mention de détails : [fort jeune, l. 6, avec l'adverbe d'intensité,
suggestion /âge et à la fonction de l'homme qui accompagne Manon, l. 6/7.]
Par exemple, l'extrême jeunesse de l'inconnue « fort jeune » l. 6, avec l'adverbe
d'intensité « fort » qui constate avec contraste avec l'âge de celui qui
l'accompagne et dont il essaie d'identifier la fonction « paraissait lui servir de
conducteur » (l.6 /7.)
-dans les lignes suivantes, le narrateur raconte un coup de foudre. DG est
immédiatement frappé par la beauté de Manon : adverbe d’intensité « si » l.8,
« charmante » (adjectif à prendre au sens fort de Carmen : le charme est un
sortilège magique et envoutants). La vue de Manon (cause) est suivie d’une
conséquence hyperbolique : « enflammé », « tout à coup », « transport », l.10.
La métaphore du feu traduit l’intensité de la passion amoureuse et la violence
du sentiment. Cela est renforcé par l’expression « maîtresse de mon cœur »,
l.10/11. Cette périphrase montre que le narrateur est sous la domination d’une
femme à laquelle il n’a pas encore parlé mais qui va changer sa vie. EN effet la
rencontre a bousculé la personne que le narrateur était avant : on note un
bégaiement, un trouble : « moi ; » moi dis-je » (l.8/9)
Opposition entre deux périodes de la vie de DG dans une phrase longue, une
phrase consécutive et des phrases relatives :
« Moi qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes ni regardé une fille »
(négations), « dont tout le monde admirait la sagesse et le retenue »
(vocabulaire de la modération et de la maîtrise /passion dépossession de soi,
l.10)
Même construction dans le passage suivant, l.10 à 12
« Défaut, timide, facile à déconcerter » (vision péjorative, « faiblesse », timidité
paralysante, naïveté) s’oppose à « mais je m’avançai » qui marque le
mouvement l’audace et l‘initiative).
Le narrateur reprend le thème biblique de la tentation et du péché originel.
Mais même si le destin qui l’attend semble funeste/excès de la passion, il porte
un regard amusé sur sa naïveté et son innocence.
3ème mouvement : une annonce de suite du roman, l.12 à fin)
-Ce passage restitue l'échange entre DG et Manon (discours narrativisé,
discours indirect, didascalie comme dans une scène de théâtre). Le contexte de
la rencontre s'est effacé (cours, présence de Tiberge et des autres...), ce qui est
révélateur de l'état d'esprit du narrateur : toute son attention est happé par
Manon, le lecteur entre dans une intimité grandissante entre les deux
personnages.
-Le narrateur devenu audacieux initié le dialogue et pose des questions ( "elle
reçut mes politesse, je lui demandais ligne 12 13
-Le portrait de Manon qui se dresse à travers ce dialogue et contrasté et
paradoxal : Jeune âge (encore moins âgée que moi, l.12) naïveté
(« ingénument », l.14/opposition « quoique », absence d'embarras (« sans
paraître embarrassée », ce n'est pas l'usage de se laisser aborder par un
inconnu sans raison valable), assurance dans ses réponses. Manon devrait
suivre le code d'éducation d'une fille au 18e siècle et se soumettre aux
décisions de ses parents (« elle y était envoyée par ses parents pour être
religieuse », l.14/15, forme passive). En cela, les destins de DG et de Manon
sont parallèles puisqu'il est destiné à l'ordre de Malte. Ils vont tous les deux
refuser les contraintes morales et sociales.
- La suite de l'échange accentue la métamorphose de DG ainsi que la mise à
jour de Manon. On notera la perspicacité nouvelle et rapide de DG, l.15/16
avec la proposition de conséquences (« si... que »), « depuis un moment ».
Le jeune homme perçoit instantanément ce que signifierait pour lui l'entrée au
couvent de Manon, hyperbole l.16 « comme un coup mortel pour mes désirs ».
L'obstacle de la religion s'avère incompatible avec le sentiment. Cela le conduit
à un aveu explicite de la jeune fille (l. 16/17, DG maîtrise la parole). Ensuite, les
commentaires du narrateur sur le personnage de Manon l'éloignent de la figure
de la jeune ingénue, héroïne traditionnelle des romans. Elle apparaît beaucoup
plus fourbe et manipulatrice : explication l.17, « expérimentée »(expérience
des relations homme-femme), « malgré elle » (absence de vocation religieuse,
revendication de liberté) ; l'hypothèse avancée par le narrateur est « sans
doute », l.18, pour expliquer l'envoi au couvent incrimine le « penchant au
plaisir » de Manon. Le péché de chair est évoqué, ainsi que le passé sulfureux
de Manon. La vie religieuse est présentée comme le dernier rempart contre le
penchant de Manon au plaisir. La condamnation morale du personnage se
traduit par un champ lexical de la maladie « s'était déclaré », l.18, « a causé », l.
19. Le narrateur y voit l'origine de tous leurs malheurs, l.19.
Conclusion tragique : par cette rencontre, le destin des deux personnages est
scellé. Cette rencontre est en apprentissage amoureux pour DG mais Manon
semble mener le jeu. DG mûrit mais il semble incapable de se contenir en
présence de Manon.

Etape 5 : conclusion
Cette rencontre annonce bien l’avenir :
- L’amour est au cœur de la relation entre Manon et Des Grieux : le lecteur sait
déjà que les sentiments seront essentiels (topos de la rencontre amoureuse)
- Leur amour semble défier l’ordre social : le lecteur comprend que le récit sera
romanesque, plein de péripéties, de rebondissements
- Le narrateur révèle l’excès des sentiments : le lecteur devine que l’issue de cet
amour sera fatale
- Le couple semble stéréotypé : Manon apparait comme une manipulatrice
expérimentée et DG comme un chevalier servant
Le plaisir romanesque du lecteur est double.
Il vient de l’ambiguïté du narrateur qui chercher à se disculper : DG présente la
passion amoureuse à la fois comme une ivresse irrésistible et un danger. Deux
regards se superposent : celui du jeune chevalier crédule (charmé par Manon)
et celui de l’homme mûri par l’expérience douloureuse de la passion. Ce double
regard empêche le lecteur de condamner les protagonistes : chez l’Abbé
Prévost, l’expression des sentiments prend le pas sur la condamnation de la
passion et laisse au lecteur la liberté d’aimer deux personnages moralement
condamnables.
Cette confession suscite la curiosité du lecteur : Manon ne peut être une simple
manipulatrice. Le plaisir romanesque va donc venir de la découverte
progressive d’un personnage plus ambigu que ne le montre cette rencontre.

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