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Commentaire littéraire sur la scène du meurtre de Camille

Introduction

- Émile Zola, chef de file du naturalisme, mouvement dans lequel il poursuit les visées des réalistes
tout en y ajoutant une dimension scientifique, ici celle de l’étude des tempéraments.
- Thérèse Raquin est le premier grand roman du jeune Zola. La publication de ce roman est un
succès d'estime et de scandale. Un succès d'estime, car très bien accueilli par ses nombreuses
amitiés littéraires et artistiques puis un scandale, car cet ouvrage est traité de "littérature putride" et
accusé de ne décrire que des scènes obscènes.
- le roman met en scène un homme aussi faible moralement que physiquement, sa femme Thérèse,
au fort caractère et l'amant de cette dernière.
- l’extrait choisi est le moment où les deux amants éliminent lemari pour pouvoir vivre leur amour
tranquillement
- problématique : dans quelle mesure cette scène constitue-t-elle le point culminant de la violence et
du déchaînement des passions dans le roman ?
- annonce du plan

I. Un extrait naturaliste : la mise en application de la théorie des tempéraments

cf cours sur cette théorie.

1° Le personnage de la victime, un tempérament lymphatique :

=> ironie dans le choix de la mort de Camille tempérament lymphatique associé à l’élément eau et à
une nature froide et humide
- tempérament associé à l’étape de la petite enfance // avec la comparaison avec un enfant (l. 18) qui
renvoie au fait que, surprotégé par sa mère, il n’a jamais grandi.
- néanmoins, l’instinct bestial fait sortir Camille de son tempérament pour essayer d’échapper à la
mort.

2° Le personnage du bourrreau : le tempérament sanguin de Laurent :

- personnage actif dans la scène et particulièrement sanguin au sens de violent et impulsif. Par
exemple, l’expression « à bras-le-corps » qui peut aussi être lue au sens figuré montre qu’il n’a
aucune hésitation
- abondance des verbes d’action dont Laurent est toujours le sujet
- aucune pensée ou parole : le personnage agit dans réfléchir.
- de plus, la répétition des mots « main » et « bras » montre symboliquement que le personnage est
un actif et non un cérébral.

3° Victime ou bourreau ? le tempérament nerveux de Thérèse :

- Thérèse montre ici le visage passif du tempérament nerveux quand il est terrassé par la terreur, ce
qui peut surprendre le lecteur :
- le silence qu’elle oppose aux deux appels au secours de son mari, d’autant plus visibles que
le pseudo-dialogue est au discours direct
- le choix des verbes à l’imparfait à durée indéterminée des lignes 10 à 13 qui montrent
qu’elle n’a aucune action de 1er plan mais se contente de faire partie du décor
- l. 16 : le fait qu’elle soit complément d’objet et non pas sujet du verbe au passé simple
« jeta »
- la description du personnage qui se fait à travers des épithètes qui appartiennent au champ
lexical de l’inaction : « rigide, muette » l. 13 et « pliée, pâmée, morte » l. 16, épithètes mis
de plus en valeur par le parallélisme de construction entre les deux évocations et la
gradation, de la ligne 13 àla ligne 16 et interne à la ligne 16.

=> ce visage inattendu de Thérèse brouille un peu les cartes de la culpabilité puisque le lecteur se
rend compte que, si Thérèse n’a rien fait pour sauver Camille, elle a été incapable de passer à l’acte.
Est-ce une question de tempérament ou de moralité ? Le lecteur ne peut manquer de s’interroger...

II. Le réalisme cru de la scène de meurtre

1° Les effets de surprise destinés à créer de l’empathie pour Camille :

La première attaque de Laurent, lorsqu’il prend Camille « à bras-le- corps » (l. 4) constitue
une surprise, tant pour la victime que pour le lecteur lui-même ; il s’agit d’un passage à l’acte rapide
et inattendu :
=> brutalité et caractère inattendu de l’action visible à travers :
- le choix du connecteur « alors » (l. 4) qui exprime l’apparition d’une action de 1er plan
- le contraste entre le 1er paragraphe de 3 lignes et la phrase suivante, courte et simple
grammaticalement qui constitue à elle seule un paragraphe
- le contraste entre les imparfaits d’arrière plan du 1 er paragraphe et les deux verbes au passé
simple de la phrase l. 4 qui expriment des actions de 1er plan, rapides et qui s’enchaînent
- les positions grammaticales de Laurent (sujet) et Camille (objet) qui désignent clairement
les rôles dans l’attaque

Lors du combat, la passivité de Thérèse, longuement décrite (l. 10 à 13 puis 15-16 ; cf partie
I) apparaît aussi comme un événement imprévisible.

La rapidité et la surprise qui en résultent sont accentuées par l’incompréhension de la


victime :
- cf le passage que j’ai enlevé [..] qui montre que Camille croit à un jeu de chatouille
- l. 6 la phrase négative et réduite à l’essentiel (S. V) qui contraste avec la longueur de la
phrase précédente
- la juxtaposition «; » qui montre que le personnage ne peut pas faire de lien entre l’action et
son sentiment de terreur, d’ailleurs « vague »
- la métaphore animale (l. 7) qui vient renforcer le fait qu’il ne peut réfléchir et n’est plus
soumis qu’à son instinct de survie.

=> Le spectateur se trouve presque aussi surpris que Camille bien qu’il ait été au courant depuis
longtemps des projets des deux amants, ce qui lui fait mieux comprendre la stupeur de la victime et
crée un sentiment d’empathie envers lui, malgré le peu d’estime que le lecteur éprouve pour ce
personnage faible et infantile.

2° La violence insoutenable de la scène :

De nombreux éléments sont réunis pour exprimer la violence du crime. On peut parler d’un
véritable acharnement du meurtrier, souligné par

- un champ lexical de la violence : « serra plus fort, donna une secousse » (l. 5), « serrait à la
gorge » (l. 7), « secouait toujours » (l. 17), « il finit par l’arracher de la barque » (l. 17), «
lança brusquement le commis » (l. 21), « lutta » (l. 8), « cri de souffrance » (l. 20). Les
expressions relevées ici contribuent à renforcer la brutalité de l’attaque.
- le silence des meurtriers opposés à toutes les variations des appels de Camille : des cris (l.
6 : « crier » ; « cris » l. 23, répétition d’un « cri » paradoxalement silencieux l. 20), des râles
(l. 14), des appels « sourds » (l. 24) ou « étouffé[s] » (l. 10)
- l’écriture naturaliste ne nous épargne aucun détail physique, comme la « voix étouffée et
sifflante » (l. 10) de Camille, et surtout la morsure, décrite très précisément : « avança les
dents et les enfonça dans ce cou » (l. 20), « les dents de celui-ci lui emportèrent un morceau
de chair » (l. 21).
- le lexique du corps domine dans l’extrait, qu’il s’agisse de celui du meurtrier « figure » (l.
5), « main rude » (l. 7), « bras vigoureux » (l. 18), « le cou » (l. 18)… ou de celui de la
victime « les genoux » (l. 8), « les dents » (l. 21). Le combat est donc physiquement intense,
et particulièrement violent.
- seule la voix de la victime se fait entendre à travers des appels au secours pathétiques. Ils
apparaissent au discours direct « Thérèse ! » (l.10 et 14), ce qui les rend plus vivants
=> tous ces procédés font vivre la scène au lecteur de façon extrêmement réaliste : il voit, il entend,
il suit les mouvements de tous les personnages quasiment en temps réel, et ne peut que se rendre
compte de l’horreur de la scène.

- de plus, on note que les actions s’enchaînent dans le texte, créant un effet de tension dramatique
(attention « dramatique » = relatif à une scène théâtrale)
- pour renforcer cet aspect dramatique, Zola inscrit le meurtre dans sa durée :
- les indicateurs temporels sont nombreux : « pendant quelques secondes » (l. 8-9), « de
nouveau » (l. 14), « dernier appel » (l. 15), « secouait toujours » (l. 17), « deux ou trois fois
» (l. 23).
=> ce champ lexical montre la longueur de la scène, d’autant que la façon dont Camille
meurt, la noyade, implique en elle-même une certaine lenteur.
- Camille ne meurt pas sur le coup, on peut voir qu'il agonise « Il revint deux ou trois fois
sur l’eau » (l. 23).
- ses appels au secours sont répétés : l’exclamation « Thérèse ! » (l. 10 et 14) apparaît à
quatre reprises et ponctue la scène de façon régulière.
=> La mort n’est donc pas immédiate, c’est une mort lente qui devient un spectacle pour Thérèse
comme pour le lecteur.

3° La scène de meurtre racontée comme un « spectacle horrible » :

Zola a choisi de donner au lecteur une vision très précise de la scène, ce qui permet au
lecteur de la visualiser très nettement :
- les mouvements et les positions de chacun dans la barque sont détaillés, comme si l’auteur
devenait metteur en scène : Camille est d’abord « à plat ventre », puis se redresse sur les
genoux en se cramponnant à la barque ; Laurent, assis, se lève pour saisir Camille puis le
tient à bout de bras, quant à Thérèse, elle est la spectatrice de ce crime.
- on remarque « le spectacle horrible de la lutte » (l. 13 ), le choix de ce terme donne à la
scène une dimension théâtrale, et renforce aussi sa durée.
- les jeux de regards accentuent la tension : Laurent est vu par Camille qui découvre ses
intentions dans sa « figure effrayante » (l. 5) ; Thérèse a les yeux « grands ouverts » (l. 12-
13) et ne peut détacher son regard de la scène

=> le lecteur se retrouve comme Thérèse, spectateur d’une scène dans laquelle il ne peut intervenir,
donc voyeur malsain d’un acte immoral, ce qui le met mal à l’aise voire lui fait ressentir un vague
sentiment de culpabilité, d’autant plus que le personnage de la victime n’est pas particulièrement
sympathique. Le lecteur est donc invité à s’interroger sur ses propres parts d’ombre en même temps
qu’il découvre celle des personnages.

III. Une scène annonciatrice de la suite du roman

1° La mort symbolique de Thérèse :

La passivité de Thérèse déjà évoquée est métaphoriquement associée à la mort dans cet
extrait crucial :
- champ lexical de la mort
- champ lexical de la terreur (associée à celle de Camille et qui devient annonciatrice de
celle de Laurent)
- vécue comme une « crise », c’est-à-dire, comme au théâtre, l’acmé de l’histoire, qu’elle ne
peut supporter.

Le champ lexical du regard montre qu’elle ne peut fermer les yeux sur ce qu’elle vient de
voir et annonce les remords qui viendront la tuer.

2° Le destin de Laurent :

- renversement dans le rapport de force : Camille passe de la situation de dominé à celle de


dominant à travers l’acte de morsure.
- ce rebondissement est décrit dans un groupement ternaire de verbes au passé simple : « se
tordit, avança les dents et les enfonça dans le cou » (l. 20) qui lui donne un rythme
harmonieux et fluide, qui contraste avec l’horreur de l’action.

=> Cet acte symbolique, de la morsure dans le cou, renvoie à l’imaginaire littéraire du vampire,
c’est donc le début de la plongée du roman naturaliste vers le fantastique… Enfin, cette cicatrice,
immédiatement associée à la tache, c’est-à-dire à la faute criminelle, renvoie également à la
dimension de culpabilité qui va ronger et tuer les amants.

Il rabattit le col de sa chemise et regarda la plaie dans un méchant miroir de quinze sous
accroché au mur. Cette plaie faisait un trou rouge, large comme une pièce de deux sous ; la peau
avait été arrachée, la chair se montrait, rosâtre, avec des taches noires ; des filets de sang avaient
coulé jusqu’à l’épaule, en minces traînées qui s’écaillaient. Sur le cou blanc, la morsure paraissait
d’un brun sourd et puissant ; elle se trouvait à droite, au-dessous de l’oreille. Laurent, le dos
courbé, le cou tendu, regardait, et le miroir verdâtre donnait à sa face une grimace atroce.
Il se lava à grande eau, satisfait de son examen, se disant que la blessure serait cicatrisée
au bout de quelques jours.
Chap. XIII

Le sang s’était porté violemment à son cou, et son cou le brûlait. Il y porta la main, il sentit
sous ses doigts la cicatrice de la morsure de Camille. Il avait presque oublié cette morsure. Il fut
terrifié en la retrouvant sur sa peau, il crut qu’elle lui mangeait la chair. Il avait vivement retiré la
main pour ne plus la sentir, et il la sentait toujours, dévorante, trouant son cou. Alors, il voulut la
gratter délicatement, du bout de l’ongle ; la terrible cuisson redoubla. Pour ne pas s’arracher la
peau, il serra les deux mains entre ses genoux repliés. Roidi, irrité, il resta là, le cou rongé, les
dents claquant de peur. […]
Il s’approcha de son miroir, tendit le cou et regarda. La cicatrice était d’un rose pâle. Laurent,
en distinguant la marque des dents de sa victime, éprouva une certaine émotion, le sang lui monta
à la tête, et il s’aperçut alors d’un étrange phénomène. La cicatrice fut empourprée par le flot qui
montait, elle devint vive et sanglante, elle se détacha, toute rouge, sur le cou gras et blanc. En
même temps, Laurent ressentit des picotements aigus, comme si l’on eut enfoncé des aiguilles dans
la plaie. Il se hâta de relever le col de sa chemise.
Chap. XVII

Il voulait être beau. Comme il attachait son faux col, un faux col haut et roide, il éprouva une
souffrance vive au cou ; le bouton du faux col lui échappait des doigts, il s’impatientait, et il lui
semblait que l’étoffe amidonnée lui coupait la chair. Il voulut voir, il leva le menton : alors, il
aperçut la morsure de Camille toute rouge ; le faux col avait légèrement écorché la cicatrice.
Laurent serra les lèvres et devint pâle ; la vue de cette tache, qui lui marbrait le cou, l’effraya et
l’irrita, à cette heure.
Chap. XX

Ce fut un éclair. Ils tombèrent l’un sur l’autre, foudroyés, trouvant enfin une consolation dans la
mort. La bouche de la jeune femme alla heurter, sur le cou de son mari, la cicatrice qu’avaient
laissée les dents de Camille.
Explicit..

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