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Les Contemplations : “Mors”

Introduction :

Victor Hugo a publié les Contemplations en 1856, la 4ème section de ce recueil intitulée
“Pauca meae” est un hommage à sa fille Léopoldine, décédée tragiquement en 1843. Pour
Victor Hugo, écrire ce livre c’est faire l’éloge de sa fille, qu’il décrit comme celle qui est, je
cite : "restée en France”. Pauca meae est donc le livre du deuil, on y trouve le silence du
poète, parfois même incapable d’écrire, le refus du deuil, la dépression, la colère ainsi que
l’appaisement à la fin de la section.
Le poème intitulé "Mors", ce qui fait allusion à une personnification de la mort dans la
Rome antique, est une présentation générale de la mort selon Victor Hugo, il n’y parle pas
seulement de son ressenti, mais généralise le terme pour tous les êtres vivants.
Nous allons tenter de savoir comment à travers l’allégorie de la mort, Victor Hugo
parvient-il à donner une portée universelle à son deuil ?
Pour cela, nous nous intéresserons tout d'abord à la vision apocalyptique de la mort
des vers 1 à 5, puis nous en étudierons les conséquences funestes des vers 6 à 18, et enfin
nous verrons la chute surprenante du poème durant les 2 derniers vers.

1ère Partie : La vision apocalyptique de la mort

Au début du poème, Victor Hugo semble être le voyant puisqu’il parle à la première
personne. Il nous décrit une atmosphère sinistre, et le ton du récit nous plonge dans une
apparition surnaturelle. Le mot “champ” représente une métaphore du monde et la mort,
représentée par la faucheuse, vient donc faucher les âmes.
Le poète insiste également sur la rapidité de l’action de la mort , je cite : “à grand
pas”, l’emploi des participes présent "moissonnant et fauchant” souligne le fait que l’activité
de la mort est également incessante et met en avant le caractère répétitif de son action. On
observe qu’elle est omniprésente.
Après l’avoir mise en action, Victor Hugo décrit la mort en l’associant à la couleur
noire. Il essaie de mettre en place une idée de fin en la faisant ressortir au crépuscule, on
peut mettre cela en opposition avec la première section du recueil “Aurore”.

On a par la suite une idée de peur à l’égard de la mort qui ressort, elle est
représentée comme une apparition effrayante. Cette idée est appuyée par le complément
circonstanciel de lieu “dans l’ombre” qui contribue à créer une ambiance angoissante dans
ce poème ainsi que par les verbes “trembler” et “reculer” qui créent un effet d’insistance. On
relève également le pronom indéfini “tout” qui stipule ici que tous les éléments de la nature
ont peur de la mort.

Dans les vers 4 et 5, le poète nous peint un tableau que l’on pourrait qualifier de
clair-obscur puisqu’il montre un contraste entre l’ombre et la lumière qui permet de mettre la
mort en évidence. Dont il se place ensuite comme la victime en s’effaçant à l’aide d’un effet
de gradation : il passe de “je” à “on” puis à “l’homme”. Il met en avant le fait que l’homme est
impuissant face à son destin et ne peut rien faire d’autre que de regarder la mort agir.
Ainsi, dans cette première partie du texte, Victor Hugo nous décrit la mort comme
une apparition effrayante, dans un tableau triste et contrasté. Une mort qui ne s’arrête pas et
dont l’activité est incessante.

2ème Partie : Les conséquences funestes de l’apparition de la mort

Au vers 6, on relève un polyptote avec les termes “triomphateurs” et “triomphaux”


ainsi qu’un rejet dans le vers suivant qui servent tous deux à mettre en évidence la fragilité
de tout le monde face à la mort. En effet, on comprend que même les hommes les plus forts,
représentés par "triomphateurs" ne peuvent rien contre la mort, d’ailleurs, le verbe “tomber”
du rejet contraste avec l’idée du triomphe.

On a au vers suivant deux métonymies : le “trône” qui fait référence au pouvoir et


“l’échafaud” qui fait référence à la guillotine, ainsi qu’un chiasme : “le trône en échafaud et
l’échafaud en trône”. Ces deux procédés mettent en avant une des conséquences de la mort
: elle est la même pour tous, que l’on soit l’homme le plus puissant ayant le plus de pouvoir
ou le dernier condamné, la mort est inéluctable. On est en mesure de se demander si c’est
une référence historique à Louis XVI en exemple de ce qu’a fait la mort dans l’histoire en
tuant un roi sur l’échafaud.

La description des conséquences funestes de la mort continue, Victor Hugo suggère


qu’elle enlève et qu’elle tue tout ce qui représente la beauté avec l’antithèse : “les roses en
fumier”. La métaphore des enfants qui se transforment en oiseaux est ici une référence à la
mort de sa fille Léopoldine. C’est la première fois du poème que l’on a quelque chose de
positif : le poète veut montrer que l’âme des enfants, et donc de sa fille, connaît quelque
chose après la mort. Après avoir évoqué l’inutilité du pouvoir face à la mort, Victor Hugo
montre que c’est également le cas pour l’argent avec l’antithèse entre “or” et “cendre” dans
le dixième vers. Il utilise par la suite l’hyperbole des “ruisseaux” pour revenir sur le thème de
la mort des enfants, il est intéressant de relever le fait qu’il ne se met pas lui-même en scène
dans le but de faire référence à la mort de sa fille, mais il parle des mères ayant perdu leurs
enfants. L’emploi du pluriel permet d’inclure un effet de généralisation qui fait ressortir une
souffrance collective que le poète partage avec les femmes qu’il présente donc comme
inconsolables.

Les vers 11 et 12 marquent un effet de rupture dans le texte puisque Victor Hugo fait
parler les mères qu’il vient d’évoquer, on comprend qu’elles sont révoltées, la question
rhétorique qu’elles posent souligne l’absurdité pour elles de la mort des enfants. Cela est
appuyé par l’antithèse entre “faire mourir” et “faire naître”. On remarque que la conséquence
est exprimée avant la cause, le bouleversement de l'ordre des mots permet de mettre en
valeur une nouvelle fois l’incompréhension et l’absurdité.

On assiste ensuite à une généralisation du désespoir de la part de l’auteur, il


dépasse cette fois l’échelle des mères et étale ses conséquences sur toute la Terre, le
sanglot est partout. Il met en évidence le fait que la douleur est universelle. La description
qui suit est relativement macabre : du désespoir, on en revient à une atmosphère de deuil
avec un champ lexical funeste caractérisé par les termes “doigts osseux” et “noirs grabats”.
En ce qui concerne la sonorité des vers 14 et 15, on relève une allitération en “s” qui
renvoie peut-être au bruit de la faulx : “des mains aux doigts osseux sortaient des noirs
grabats ; un vent bruissait dans les linceuls sans nombre”.
En ce qui concerne les vers 15, 16 et 17, l’auteur met en avant le froid, associé en
général au cadavre et à la mort et qui rappelle une atmosphère macabre. Il nous peint une
nouvelle fois un tableau très sombre de fin du monde déjà évoqué au début du poème avec
la vision apocalyptique de la mort.
Les hommes sont déshumanisés et comparés à un troupeau, ils sont soumis à la
mort, cela reflète une nouvelle fois l’idée selon laquelle la mort est plus forte que tous les
peuples réunis.

Le vers 18 est le dernier vers de la deuxième partie du texte, le mot “deuil” y est mis
en évidence à la coupe du vers. On y retrouve encore la soumission de la Terre entière face
à l’allégorie de la mort qui est mise en scène une nouvelle fois comme un triomphateur qui
écrase la Terre, je cite : “tout était sous ses pieds”. Le personnage de la mort revient après
avoir été effacé par ses conséquences. On a un rythme ternaire : “deuil, épouvante et nuit”
qui est une sorte de bilan des effets néfastes de la mort puisque le deuil renvoie à la
souffrance, l’épouvante à l’apocalypse et la nuit à la fin du monde.

On peut donc dire que les conséquences de la mort se résument à ces trois “notions” que le
poète cherche à mettre en avant avant le dénouement.

3ème Partie : La chute surprenante du poème

Après celle de la mort, on a l’allégorie de l’ange qui est baigné de lumière. On


retrouve des connotations religieuses tel que le terme final “âme”.
La chute du poème renvoie à l’évocation d’une croyance d’une vie après la mort déjà
évoquée avec les enfants et mise en avant avec la position de l’ange qui est symbolique
puisqu’il se place derrière la mort.
L’oxymore “douce flammes” évoque la chaleur, la douceur et la lumière qui se
dégage, en contradiction avec le reste du poème. Le mot “gerbe” fait référence à l’effet de
nombre, ce qui introduit une note d’espérance et d’espoir à la fin du poème puisque l’ange
ramasse les âmes et les sauve de l’enfer. Cette conclusion du poème est donc tout à fait
surprenante.

Conclusion :

Ainsi, on va retenir une vision effroyable de la mort, qui est mise en avant par des procédés
efficaces de description qui nous dressent un tableau pessimiste voire terrible de la vie
humaine, personne ne peut échapper à la mort. Malgré une conclusion positive, l’idée
globale qui ressort est péjorative.
Ce texte est sûrement représentatif du combat intérieur de Victor Hugo dans son
deuil, pourtant, le “je” poétique s’efface devant la généralité des souffrances du monde.

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