Explication de Texte Dom Juan

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Explication de texte : Molière, Dom Juan, V, 2, 1665.

Au cours de l'acte IV Dom Louis, le père de Dom Juan vient l'avertir de ce qu'il risque du
point de vue de son rang s'il ne se corrige pas. L'acte V s'ouvre sur une scène où Dom
Juan déclare à son père qu'il a changé. Devant la joie de son valet Sganarelle qui croit à
la conversion de son maître, le libertin explique son stratagème.

Premier mouvement (l. 1 à 8) début à « … impunité souveraine » : éloge de


l'hypocrisie. Les avantages du stratagème.

L 1 à 3 : Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et


tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le
meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer.

La tirade s'ouvre sur une négation. La locution « ne...plus » signale un changement


dans les mœurs. La société est en train de changer (en réalité, il s'agit d'une référence
aux mœurs libertines qui tournent le dos aux anciens codes de l'honneur de la noblesse).
Ce changement est explicité par l'expression « à la mode », qui signifie que
l'hypocrisie est dans l'air du temps. Cette idée est renforcée par le chiasme et le
présent de vérité : il s'agit ici d'une maxime. On peut deviner derrière cette remarque
une défense de Molière contre les dévots (compagnie du Saint Sacrement de l'Autel)
qui ont attaqué et fini par faire interdire sa pièce précédente : Le Tartuffe. (le sous-entendu
serait que les vrais dévots ont été manipulés par les faux qui se seraient reconnus dans
Tartuffe) Le verbe « passer pour » souligne que puisque la morale est ce qui est
partagée par le plus grand nombre, on peut être hypocrite si tout le monde l'est. Il
s'agit donc d'une contre-valeur nouvelle de la jeunesse libertine opposée aux
anciennes.
Le nom « personnage » et le verbe « jouer » renvoient à l'univers du théâtre. Molière
signale ainsi que l'hypocrite joue un rôle, c'est la définition aussi de ce qu'est un
stratagème, une ruse. Le superlatif « meilleur » souligne l'éloge.

L 3 à 5 : La profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui


l’imposture est toujours respectée ; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre
elle.

La tirade se poursuit au présent de vérité et détaille les avantages de l'activité


d'hypocrite. Le mot profession signale qu'il s'agit d'une technique qui se travaille. C'est
d'ailleurs le sens d' « art » (technique). L'adj. « merveilleux » (étonnants) montre le
caractère exceptionnel des avantages de l'hypocrisie : l'antithèse entre « imposture » et
« respectée » explique en quoi elle est étonnante, de même que la subordonnée
conjonctive concessive (« quoiqu'on la découvre) explique le sens de « respecté ».
L'hypocrite doit faire fi de ses scrupules (encore une règle qui s'oppose aux règles des la
noblesse). Le pronom indéfini « on » souligne que tout le monde est touché (l'hypocrite ne
peut être démasqué publiquement).

L 5 à 8 : Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la
liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main,
ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine.

Ce passage explique la supériorité de l'hypocrisie sur les autres vices et pourquoi elle
peut passer pour vertu. « Censure » et « attaquer » renvoient à l'attitude des moralistes
Explication de texte : Molière, Dom Juan, V, 2, 1665. 2

qui combattent les vices qui se voient clairement. Le pronom indéfini « chacun »
reprend le « on » de la ligne 5 mais est plus précis puisqu'il renvoie à l'attitude, non
pas d'un groupe, mais d'un individu isolé (le nom « liberté » renvoie d'ailleurs au libre
arbitre, c'est à dire au choix que l'on doit faire entre le bien et le mal). L'expression
« tout le monde », en revanche, montre que l'hypocrisie ne peut laisser de place au
libre arbitre : ce qui en fait un « vice privilégié » (qui a des avantages que les autres n'ont
pas). L'éloge se clot par l'adjectif « souveraine » qui met en valeur la position de
supériorité.

deuxième mouvement : (l. 8 à 20) « On lie, à force de grimaces... » à « ...ce qu'ils


peuvent faire » : Dom Juan en fin observateur des hypocrites. Les moyens du
stratagème.

Après les généralités sur l'époque, Molière vise plus précisément ceux qu'il a pu observer
(c'est la qualité première d'un auteur de comédie comme le rappelle Boileau dans son art
poétique), et le pronom « on » désigne n'importe quel hypocrite (mais aussi les libertins
qui se cachent derrière cette hypocrisie, puisque Dom Juan est un libertin).

L 8 à 10 : On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti (1).
Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ;

Le verbe « lier » et l'adjectif « étroite » permettent d'expliquer le résultat de l'hypocrisie :


il s'agit d'appartenir à un groupe. (le parti dont il est question ici est celui des dévots).
L'hypocrite se trouve ainsi protégé par un groupe qu'il a intégré : la subordonnée relative
substantive : « qui en choque un » désigne celui qui chercherait à dénoncer l'imposture.
Les pronoms « un » et « tous » (« se les jette tous sur les bras ») permettent de mettre en
avant cette « société étroite » dont cherche à faire partie Dom Juan. Le mot « grimaces »
renvoie à la notion théâtrale de « personnage » (« se grimer » est « se déguiser » : la
grimace est un masque) : c'est le moyen du stratagème qui permet d'appartenir au
groupe : l'incise a une fonction de communément circonstanciel de manière (à force de).

L 10 à 13 : et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît
pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils
donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes
de leurs actions.

Les subordonnées relatives substantives « ceux que l'on sait... » et « que chacun
connaît.. » définissent les vrais dévots ( qui ne sont pas hypocrites) en reprenant les
deux pronoms indéfinis « on » et « chacun » (ce qui signifie que ce sont les mêmes que
ceux qui remarquent l'hypocrisie, ceux qui font preuve de discernement). Le nom « dupe »
signifie (qui se laisse facilement trompé) explique le résultat explicité au dessus (les
« autres » sont ceux qui ne sont pas touchés – par la grâce, donc les hypocrites) : les
deux adverbes « hautement » et « aveuglément » sont une moquerie de Dom Juan
envers les vrais dévôts, victimes des hypocrites, des « grimaciers », des « singes »
(métaphore qui renvoie aux imitateurs – sens du verbe « singer »), mais c'est aussi la
justification de Molière qui estime que ceux qui ont fait interdire sa pièce ont été
victimes d'un stratagème.
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L 13 à 16 : Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé
adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un bouclier du manteau de la
religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du
monde ?

Cette phrase est une question rhétorique : Dom Juan n'attend pas de réponse de
Sganarelle, mais le public comprend qu'il fait référence (ainsi que Molière) à beaucoup de
personnes, puisque c'est un « vice à la mode » (Le prince de Conti, membre de la famille
royale libertin dans sa jeunesse, est devenu membre de la Compagnie du Saint sacrement
et a condamné dans un livre les pièces de Molière. Il attaquera Dom Juan en qualifiant la
pièce d'« école d’athéisme »). Le mot stratagème est ici à prendre au sens fort : il
s'agit d'une stratégie pour échapper aux punitions éventuelles (il s'agit de jeunes
nobles, libertins, qui risquent de perdre leur place en étant déshérités), comme le souligne
le substantif « permission ». « désordres » et « méchants » renvoient aux libertinage. La
métaphore du vêtement (« rhabillé » « manteau de la religion ») est une référence au
rôle que joue l'hypocrite qui, comme l'acteur au théâtre, porte un costume. Le
superlatif « les plus méchants hommes du monde » souligne l'efficacité du
stratagème.

L 16 à 20 : On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne
laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un
soupir mortifié, et deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent
faire.

La formulation concessive « on a beau savoir […] et les connaître » reprend toute


l'argumentation du personnage : la notion de crédit est l'avantage de l'hypocrisie, puisque
même en sachant la vérité, on n'ose rien dire contre eux. Le passage se termine par
l'évocation d'une pantomime comique qui permet de reconnaître l'hypocrite (le jeu
présenté est caricatural, comme l'est le jeu de l'acteur qui veut ressembler au
personnage).

troisième mouvement : (l. 20 à la fin) « C'est sous cet abri favorable... » :


l'explicitation du stratagème : le projet de Dom Juan.

L 20 à 22 : C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes
affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher, et
me divertirai à petit bruit.

L'argumentation de Dom Juan devient à partir de ce moment personnelle : il s'agit


d'une prise de décision. Le verbe « vouloir » montre sa détermination et « me sauver » et
« mettre en sûreté mes affaires » le but de son stratagème (« abri favorable »).
L'emploi du futur permet de montrer que l'action aura bien lieu (en réalité, elle vient déjà
d'avoir lieu à la scène précédente). L'hypocrisie est soulignée par « mes douces
habitudes » (c'est à dire celles du libertin) et le verbe « cacher » : l'hypocrite reste ce
qu'il est sous le masque.
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L 22 à 25 : Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes


intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin, c’est là
le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai.

Dom Juan prend à son compte les avantages explicités dans la première partie de
sa tirade. « sans me remuer », c'est à dire sans avoir besoin de se défendre par lui-
même : faisant partie d'un groupe, c'est celui-ci qui prendra sa défense (le futur marque sa
certitude) : la cabale est le parti des faux dévots qui doivent faire corps pour se protéger,
comme le souligne la tournure passive : « je serai défendu ». L'opposition entre « je » et
« tous » place l'hypocrite en position de force, ce que signifie la deuxième phrase du
passage : « impunément » reprend le lot « permission » de la ligne 16 (ce qui est valable
pour les uns est aussi valable pour Dom Juan). Le but du stratagème est le « bon
plaisir » du libertin : « tout ce que je voudrai ».

L 25 et 27 : Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et


n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne
pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irréconciliable.
Les trois propositions juxtaposées de la première phrase donnent l'impression d'une
accumulation d'actions, le futur fait de ces déclarations un programme à suivre : les
actions présentées sont la caricature du dévot (qui juge les autres parce qu'il se sent
irréprochable : le personnage de théâtre est un caractère, reconnaissable grâce aux
exagérations – cf. Boileau). Le libertin transparaît tout de même dans ce programme, la
dernière proposition place le péché d'orgueil comme faisant partie du programme du
personnage : « n’aurai bonne opinion que de moi ». De plus « Je ne pardonnerai jamais »
et « garderai […] une haine irréconciliable » sont à l'opposé de la charité chrétienne.
Cette remarque est assez comique puisque jouer les faux dévots signifie pour Dom Juan
aller à l'encontre des principes chrétiens (qui sont la modestie et la charité). On peut
penser que Molière dénonce ici les agissements de la cabale.

L 27 à 31 : Je ferai le vengeur des intérêts du ciel ; et, sous ce prétexte commode, je


pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des
zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les
accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée.
Le programme de Dom Juan est décliné comme un véritable stratagème grâce au
verbe « ferai » (qui signifie « j'imiterai », « je jouerai au »), le ciel est employé ici comme
un « pretexte commode », c'est à dire un moyen, une arme.
Le stratagème prend d'ailleurs une dimension quasi guerrière : « je pousserai mes
ennemis » « je saurai déchaîner » et le stratège apparaît comme un manipulateur : « je
saurai » montre que Dom Juan trouvera les moyens d'agir en profitant du manque de
discernement des « zélés indiscrets » ce qui rappelle les mésaventures de Molière avec
la cabale. Il ne targue pas ses ennemis d'hypocrisie mais laisse entendre qu'ils ont
été manipulé (la haute autorité privée vise peut-être le prince de Conti).

L 31 et 32 : C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit
s’accommode aux vices de son siècle.
La conclusion de cette tirade met en avant la psychologie de l'hypocrite (et du libertin)
en tant que stratège. Le verbe « falloir » et l'expression « sage esprit » reprend l'idée
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d'une contre-morale (il n'y a rien de nécessaire ici et le libertin ne peut pas être considéré
comme un sage esprit). Le stratagème s'appuie sur les « faiblesses » des hommes,
c'est à dire que le stratège use de sa supériorité pour les manipuler.

Conclusion : Molière définit ici le stratagème de l'hypocrisie et dénonce par ce biais le


libertinage (Molière est du côté de la morale puisqu'il a été éduqué avec la noblesse).
Mais cette tirade est aussi pour lui un stratagème pour se défendre contre la cabale
des faux dévots dont les vrais sont les victimes.

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