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Philippe Hamman
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La « ville durable »
comme produit transactionnel
Philippe Hamman
Cet article examine la place du développement durable dans les projets et les
stratégies urbaines françaises sous l’angle de la fabrique de la ville. On connaît
les injonctions successives qui lui ont été adressées au fil des siècles : la ville
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1. Nous avons mené des enquêtes de terrain de fin 2006 à 2008 dans ces six aires urbaines, à
travers des observations ethnographiques, la collecte de documents, la diffusion de questionnaires
auprès d’habitants et d’usagers, et la conduite d’entretiens approfondis, en ciblant différents
groupes d’acteurs : élus, personnels techniques et administratifs des collectivités, associatifs et
experts (Hamman et Blanc, 2009).
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industrielle n’apparaissent – Intermodalité voiture/tram – Développement durable (CUB) et de la CUB des polarités urbaines
pas sur l’agenda politique (parking relais) d’une « qualité – Concertation – Volonté de développer – Démarche de
– Gestion des déplacements paysagère » sur le PLU un éco-quartier complémentarité entre
automobiles : limitation – Végétalisation – L’association Trans’Cub le centre de Bordeaux
en centre ville et – Opposition à la CUB et les communes
développement de rocades – Participe à la mise en échec de la périphérie
– Piétonisation des centres du projet de VAL – ZAC centre-ville : accent
villes de plusieurs communes – L’association Aquitaine sur la qualité urbaine
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et le cadre de vie » : – 2 lignes de tramway d’une « Trame verte développement l’environnement et des d’Agglomération de Lille
regroupement des thèmes – Projet de lignes de bus et bleue » (Communauté solidarités (MRES), Métropole (objectif d’une
de l’eau et des déchets à haut niveau de service – Plan de propreté urbaine de Lille) Association Environnement et métropolisation
à concilier avec – Bus au gaz de la ville de Lille Développement Alternatif rayonnement international)
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Lyon – Dépollution des sols – 4 lignes de métro, dont – Préservation – Conseil de – Avis défavorable contre – Développement de
(la Porte des Alpes) une ligne automatique de la « qualité développement le projet urbain Carré de soie, nouveaux lieux de centralité
– 8 stations d’épuration – 3 lignes de tramway environnementale » – Commission aboutissant à une démarche – Réaménagement de
– Traitement des déchets – 2 funiculaires – Création consultative de concertation avec certains centres-villes de
– 100 lignes urbaines de bus d’une trame verte : urbanisme et les habitants communes en périphérie
– Parc-relais « V » vert déplacements – Désenclavement avec
– Mise en place l’arrivée des lignes de tram
de Projets Nature
Espaces et sociétés 147
(réaménagement
d’espaces verts…)
Montpellier – Programme DEMETER – 2 lignes de tramway – Engagement – Concertation – Collectif tramway – Concentration des flux
(tri sélectif) en site propre qualité au niveau de dans le domaine – Exclu de la négociation vers Montpellier
– Usine de méthanisation – Bus rabattus la propreté du tram des transports – Contre le tracé de la 2e ligne – Le tram comme lien entre
– Station Maéra (traitement systématiquement – Entretien et (l’agglo) avec de tram les communes périphériques
de l’eau) sur les lignes de tram développement les communes et et la ville centre
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– Cogénération dans – Intermodalité voiture/tram des parcs urbains les habitants – Tensions au niveau
le quartier Antigone (parking relais hors de la ville) – Entretien et de la Communauté
– Éloignement progressif végétalisation d’agglomération,
des voitures du centre ville des berges du Lez notamment au sujet
– Bus au gaz naturel de ville – Embellissement de l’organisation
– Piétonisation du centre ville du quartier des transports collectifs
de Montpellier de l’Écusson (ex : Palavas l’a quittée).
(Montpellier centre)
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Nantes – Valorena : usine – 2 lignes de métro – Création – Gouvernance – Concertation avec – « Missions centres-
d’incinération d’ordures – 3 lignes de tram d’éco-quartiers et « bonnes les habitants villes » pour favoriser
ménagères – Service de bus nocturnes – Végétalisation pratiques » pour la construction d’îlots la piétonisation
– Arc-en-ciel : dispositif – lignes « express » et – Propreté d’habitation, dans les ZAC
multifilières (tri, « chronobus » de la ville – Ateliers de concertation
traitement, valorisation – Charte de service pour
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(CVDU), installation classée – Gestion des déplacements environnementale » en place commun d’agglomération
pour la protection automobiles : limitation et d’une « qualité d’un Agenda 21 et multimodal comme outil
de l’environnement de la vitesse et de l’usage architecturale » – Apprentissage de désenclavement
– Tri sélectif et collecte de l’automobile – Végétalisation de l’éco- des quartiers et communes
des déchets verts – Intermodalité voiture/métro, – Projet de quartier citoyenneté périphériques
– ORAMIP (Observatoire voiture/train (parking relais) durable – Clivage entre « ancienne »
Régional de l’Air – Développement à Borderouge et « nouvelle » population
en Midi-Pyrénées) d’une « éco-mobilité » à Blagnac au sujet
– Le Plan Régional de de la future ligne de tram
la Qualité de l’Air (PRQA) desservant la commune
(pas de consensus au titre
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qués : les usagers profitent de lignes de bus offrant une qualité de service et une
garantie de respect des horaires renforcée, les riverains se voient épargner des
mois de travaux assez lourds qui auraient été nécessaires pour réaliser une
nouvelle ligne de tram, les contribuables ont un coût d’installation moindre à
supporter, etc. Quant aux décideurs et techniciens, ils peuvent espérer conser-
ver le bénéfice de l’image d’innovation dans les transports en commun, fût-ce
sous contrainte (c’est-à-dire avoir réussi à préserver le motif d’action de la
« ville durable »). Ceci apparaît fonctionner ; la réaction livrée par un militant
local du domaine environnemental le traduit : « Ils voulaient faire une
quatrième ligne de tram. Il y en a trois. Ils n’ont pas pu. Ils ont fait un Busway
à la place, c’est à peu près équivalent » (entretien, Nantes, 19/06/2007). Car
cette transaction « finit par établir une symbiose ou une connivence entre les
partenaires, connivence dont la règle n’est pas absente, mais où la norme est
relativisée tout en demeurant le cadre des transactions et un moyen de pression
essentiel » (Mormont, 1992, p. 118).
Corrélativement, la mesure et l’évaluation des impacts des actions de déve-
loppement durable urbain arrivent au premier plan. L’invocation de l’efficacité
passe par le discours de la preuve des modifications introduites dans la « ville
durable », afin d’aller plus loin que l’expérimental. En cela, les indicateurs utili-
sés mesurent une réalité qu’ils contribuent eux-mêmes à construire et à défi-
nir, c’est-à-dire à circonscrire et à rendre palpable au-delà des seuls cercles
experts et techniques (Zittoun, 2007).
Après les réflexions, avec les expériences, on serait passé du « dire » au
« faire », et il convient d’évaluer ces actions, voilà la trame des énoncés
recueillis :
« Le développement durable doit avoir une déclinaison quantitative et non pas
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Le jeu des tiers est d’importance dans les transactions autour de la « ville
durable ». Il peut s’agir d’un entremetteur ou d’un « énonciateur » d’inter-
actions réciproques, qui fait se rencontrer des sphères d’activités diverses et
leurs énoncés a priori distincts. Il peut aussi en aller de garants légitimateurs
servant de référence, ou de tiers-traducteurs, ceux-là mêmes que Michel Marié
(1989) nomme des « passeurs ». Ces derniers permettent à la parole souvent
peu considérée des groupes « exclus » d’acquérir de la légitimité et donc de
favoriser une prise en compte par les décideurs.
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D’autres impulsions sont liées aux appels d’offres qui s’adressent à diffé-
rents prestataires (architectes, consultants, etc.). Les procédures relatives aux
marchés publics sont un premier élément. Ce cadre de la société des transports
de l’agglomération de Montpellier le pointe, tout n’est pas volontarisme
d’échanges :
« Il y a des personnes de toute la France qui interviennent, c’est par la loi des
marchés publics de toute façon » (entretien, Montpellier, 02/03/2007).
Cela dit, on repère des régularités entre les villes ; les mêmes noms
reviennent, comme autant de « figures obligées » valant label de qualité ou de
modernité. À projet pensé comme majeur, figure majeure : les aménagements
de l’Île de Nantes le laissent paraître, avec l’intervention d’un architecte-
paysagiste de premier plan, Alexandre Chemetoff 2. Or, faire appel à ces « célé-
brités » n’est pas forcément exempt de difficultés pratiques à gérer. Le
vice-président chargé des circulations douces à Nantes Métropole regrette le
choix architectural de ronds-points en ovale, qui ont amené des congestions
automobiles et la réduction des pistes cyclables :
« L’Île de Nantes est en fait l’État dans l’État : c’est M. Chemetoff […]. Il est très
difficile de travailler avec lui, il a fait des aménagements sur l’Île de Nantes qui
sont totalement inopérants, de mon point de vue […]. Ce qui fait qu’il y a régu-
lièrement des bouchons pour les voitures ! » (Nantes, 19/06/2007).
La conclusion est à double portée : les professionnels qui proposent
leurs services aux différentes villes sont des passeurs d’idées et d’outils,
mais ils peuvent aussi devenir des vecteurs de « standing » de la « ville
durable », suivant une dimension qui s’apparente alors à l’imposition plus
qu’aux transactions. En cela, échanges, négociations et rapports de force se
retrouvent en permanence, que l’on se situe dans le cadre de dispositifs insti-
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tifs portés par des acteurs investis en développement durable ne font pas l’ob-
jet d’une simple transposition ville par ville à partir d’un cadre national. Le cas
des normes énergétiques dans le bâti le confirme ; des compromis limités
portent la trace des configurations territoriales. C’est d’ailleurs le regret que
formule cet élu vert lillois :
« Sur l’habitat, la Région a un peu failli à la tâche, c’est-à-dire de fixer sa contri-
bution financière sur des conditions énergétiques sur le logement, avec la barre
des 50 KW/h par m2 par an. La Communauté urbaine ne l’impose pas non plus
de son côté, et là je pense qu’on [la ville] a loupé une étape importante. […] On
essaie de faire coopérer des constructeurs, des architectes, de travailler avec les
plus performants, mais s’il n’y a pas un seuil de départ donné… » (entretien, Lille,
05/06/2007).
Les transactions renvoient justement à des conflits dont il est difficile de
donner une traduction monétaire intégrale. D’où une complexité supplémentaire
lorsque les conflits d’usage qui portent sur des « objets » (des équipements, etc.)
se doublent de conflits de devoirs quant aux valeurs sous-jacentes. Le rapport
entre « qualité » et « quantité » dans les aménagements urbains végétalisés
constitue une telle scène d’interactions, entre les sites « de premier ordre » (déve-
lopper de « grands poumons verts »…) et les espaces verts de proximité, dits
de « respiration ». Les « espaces verts » ont en effet de nombreux usages, dont
certains sont immatériels, tenant non à leur fréquentation, mais au sentiment de
vivre dans une ville qui s’intègre à la nature environnante, etc. Il n’est pas
toujours simple d’arbitrer, car la « proximité » dépend du ressenti et de la
capacité de mobilité des uns et des autres. Ceci suppose des compromis, jusqu’à
construire des normes locales – la « règle des 500 mètres » tend à se diffuser :
un espace vert à 500 mètres de chaque habitation.
La notion d’expérimentation qui se dégage renvoie à la fois au droit à l’er-
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CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BLANC, M. (sous la dir. de). 1992. Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris,
L’Harmattan.
DEVISME, L. 2007. « Centralité et visibilité dans le projet urbain de l’Île de Nantes »,
dans Y. Tsiomis (sous la dir. de), Échelles et temporalités des projets urbains,
Paris, PUCA/Jean-Michel Place, pp. 123-141.
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