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LA CONCEPTION DE PROJETS D’AMÉNAGEMENT URBAIN COMME

PROCESSUS COLLECTIF

Sylvain Rode

Érès | « Espaces et sociétés »

2017/4 n° 171 | pages 145 à 161


ISSN 0014-0481
ISBN 9782749256979
DOI 10.3917/esp.171.0145
Article disponible en ligne à l'adresse :
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La conception de projets
d’aménagement urbain
comme processus collectif
Sylvain Rode

Introduction

François Ascher a décrit l’urbanisme contemporain comme un « urba-


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nisme concourant : la conception et la réalisation des projets résultent de


l’intervention d’une multiplicité d’acteurs aux logiques différentes, et de la
combinaison de leurs logiques » (Ascher, 2010). Les projets d’aménagement
urbain actuels se caractériseraient ainsi par de nouvelles manières de faire, à
travers les négociations et les interactions qui s’établissent entre les différents
acteurs qui portent ces projets et contribuent à leur conception. La concep-
tion urbaine est appréhendée comme un processus de définition collective des
choix d’aménagement qui vont dessiner les contours et donner corps à des
projets d’aménagement urbain. Nous entendons cette phase de définition des
choix d’aménagement au sens large, c’est-à‑dire intégrant tant la phase amont
d’avant-projet (ou programmation) que la phase de conception détaillée (Arab,

Sylvain Rode, maître de conférences en aménagement et urbanisme, umr 5281 Art-Dev, univer-
sité de Perpignan Via Domitia
sylvain.rode@univ-perp.fr

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2007). De fait, il apparaît réducteur de limiter la conception urbaine à l’action


d’un professionnel de l’urbanisme unique (celui à qui échoit par contrat la
fonction de conception du projet d’aménagement) ou même à l’action d’une
équipe pluridisciplinaire de maîtrise d’œuvre. Elle relève plus certainement
d’un collectif d’acteurs ayant chacun des rôles, des visions et des ressources
variés.
C’est cette dimension procédurale que nous souhaitons ici explorer à
travers l’analyse des interactions et des jeux d’influences entre les différents
acteurs (publics et privés, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et maîtrise
d’usage, planificateur et aménageur) à l’œuvre dans cette phase de définition
des choix d’aménagement, afin de mettre en évidence la manière dont sont
collectivement conçus des projets d’aménagement urbain.
Nous nous fondons pour cela sur l’analyse de deux projets d’aménagement
urbain mis en œuvre à Perpignan en lien avec la Têt et la Basse, les cours d’eau
qui traversent la ville 1. Dans le cadre de son projet de territoire, la communauté
urbaine 2 porte un projet de valorisation des berges de la Têt sur les 22 km de
la traversée du territoire communautaire. L’aménagement doit commencer par
la section urbaine, considérée comme « vitrine du projet global » 3. Sur les
berges de la Basse (un affluent de la Têt), un parc urbain a été ouvert au public
en 2014, participant à la reconquête et à la mise en valeur d’un tronçon de ce
cours d’eau en amont de sa traversée du centre-ville. Un nouveau quartier est
en cours de construction en bordure de ce parc urbain à l’emplacement d’an-
ciennes friches industrielles.
Une première partie dresse le cadre heuristique de cette étude, en présen-
tant les notions et les méthodes mobilisées. La deuxième partie analyse les rela-
tions entre les acteurs professionnels de l’urbanisme, publics comme privés, et
la manière dont ils peuvent porter et tenter de faire valoir des visions distinctes
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d’un même projet. Enfin la troisième partie se penche sur la place et l’influence
de la maîtrise d’usage dans la conception des projets d’aménagement urbain.

La conception d’un projet d’aménagement urbain :


un processus collectif

Trois catégories d’analyse des jeux d’acteurs

Comme le souligne Yves Janvier, « la conception résulte d’une synthèse


entre de multiples points de vue relevant de métiers, de connaissances et de
critères différents. Si la conception est une tâche identifiable […], elle ne peut

1. Pour plus de détails sur les projets de reconquête urbaine de ces deux cours d’eau et de
leurs berges, voir Rode (2017).
2. Depuis le 1er janvier 2016, la communauté d’agglomération Perpignan Méditerranée est
devenue communauté urbaine sous le nom Perpignan Méditerranée Métropole.
3. Cahier des charges du marché de maîtrise d’œuvre, 2015.

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pas relever entièrement d’un seul concepteur, même représenté par une équipe
pluridisciplinaire : par exemple, les services techniques de la collectivité
locale sont aussi partenaires de la conception » (Frébault éd., 2005, p. 146).
Ainsi, afin de saisir la conception d’un projet d’aménagement urbain comme
processus collectif, nous faisons le choix de mobiliser le triptyque maîtrise
d’ouvrage-maîtrise d’œuvre-maîtrise d’usage. Avant d’analyser en détail le
rôle de ces différentes catégories d’acteurs dans la conception des deux projets
étudiés, il convient de préciser ces trois notions et leurs liens avec le processus
de conception.
Si la notion de maîtrise d’ouvrage renvoie initialement au domaine de la
construction et à un cadre juridique défini (loi du 12 juillet 1985 relative à la
maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée,
dite loi mop), elle a été étendue au domaine de l’aménagement, désignant alors
« les fonctions par lesquelles l’organisme responsable défini[t] la configuration
du projet et en confi[e] la réalisation à des opérateurs » (Frébault éd., 2005,
p. 143). Le maître d’ouvrage, celui qui commande et paie un édifice ou un
projet d’aménagement, participe également au processus de conception de ce
projet à travers la définition d’un programme au moment de « l’élaboration
de la commande » (Callon, 2001) ainsi qu’à travers le suivi et l’encadrement
du travail de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Comme le souligne Nadia Arab,
« la conception du programme est une des activités les plus stratégiques du
processus de projet. Elle consiste à définir la nature des équipements publics
et privés qui vont être construits sur le site, le type d’activités qui vont y
être implantées et finalement la nature du quartier ou du “morceau de ville”
qu’il s’agit de construire ou […] de renouveler » (Arab, 2007). Des travaux
de recherche ont mis en évidence la complexité de la fonction de maîtrise
d’ouvrage, qui se déclinerait en trois niveaux distincts (Bernateau, 2001),
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dont certains se rattachent directement au processus de conception : d’abord
le niveau régalien, qui intervient dans les phases amont du projet et définit les
objectifs et la stratégie ; le niveau opérationnel ensuite, qui renvoie aux actions
entreprises pour transformer les objectifs en programmes, attribuer des tâches,
piloter et contrôler, et assurer la cohérence du projet virtuel avec le projet réel.
Ce niveau relève tout à fait de la phase de conception ; c’est donc ce niveau
opérationnel de la maîtrise d’ouvrage qui est ici analysé (ainsi que de manière
secondaire le niveau régalien, tant il est vrai que la vision politique qui sous-
tend un projet d’aménagement urbain est importante à saisir et contribue à l’in-
former). Enfin, le niveau logistique, qui entre en jeu lors de la réalisation et de
l’exploitation, et se réfère aux ressources mobilisées pour assurer l’exécution.
La notion de maîtrise d’œuvre, elle aussi née dans le champ professionnel
de la construction, désigne le ou les acteurs qui assurent la conception d’un
ouvrage, la direction du chantier et la réception des travaux (Frébault éd.,
2005). Mais pour Yves Janvier « cette notion ne s’applique pas commodément
à la conception de projets urbains » (Frébault éd., 2005, p. 144). Les fonctions

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de conception et de réalisation sont moins clairement réparties ou tranchées


dans un projet urbain complexe et articulant une multitude d’acteurs que dans
un projet de construction. Toutefois, de la même façon que la maîtrise d’ou-
vrage se décline en différents niveaux, la maîtrise d’œuvre peut être divisée
en deux sphères : la sphère conceptuelle et la sphère constructive. La sphère
conceptuelle représente le niveau stratégique de la maîtrise d’œuvre en tant que
force de proposition d’un aménagement global de l’espace de projet. Elle est
composée des acteurs œuvrant pour la mission de conception d’un projet d’en-
semble. La sphère constructive renvoie quant à elle aux acteurs du processus
de production des opérations.
Si la maîtrise d’ouvrage participe donc à la conception d’un projet d’amé-
nagement urbain en exprimant sa vision stratégique du devenir d’un terri-
toire, en élaborant le programme, en pilotant et en cadrant les interventions
et le travail de la maîtrise d’œuvre, à qui échoient par contrat la conception
détaillée et la réalisation du projet, une troisième sphère d’acteurs peut inté-
grer le processus collectif de la conception urbaine : la maîtrise d’usage, qui
complète « de façon participative et démocratique les maîtrises d’œuvre et
d’ouvrage » (Fixot, 2014). En urbanisme, la maîtrise d’usage désigne « la
capacité reconnue aux habitants d’un territoire (immeuble, rue, quartier, ville,
agglomération…) de participer à sa conception et son aménagement ; et le
cadre institué dans lequel ils expriment alors leurs attentes et leurs désirs mais
aussi leurs savoirs issus de la pratique ordinaire de ce territoire, tout en étant
à l’écoute et en débat, notamment avec les experts et les élus » (Fixot, 2014).
Alors que les divers acteurs recouverts par l’expression maîtrise d’usage (habi-
tants, riverains, citoyens, associations, etc.) étaient pendant longtemps peu
intégrés à la réflexion sur les projets d’aménagement (Zetlaoui-Léger, 2013),
ou bien une fois que ceux-ci étaient presque bouclés et qu’il n’y avait plus
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grand-chose à décider (enquête publique), ceux-ci prennent aujourd’hui plus de
place dans les projets d’aménagement, à travers la montée en puissance de la
participation (Ascher, 2010). Thierry Paquot parle à cet égard d’un « urbanisme
participatif » (Paquot, 2010). Quant à Philippe Verdier, il estime que « le projet
urbain “absorbe” et traduit les aspirations des habitants » (Verdier, 2009). Les
riverains, usagers ou habitants sont donc désormais plus fortement intégrés aux
projets d’aménagement, et ce « dès la phase de définition des choix d’aména-
gement et donc dans les séquences de conception du projet » (Arab, 2007).
Les temporalités d’intervention de ces trois catégories d’acteurs dans le
processus de conception doivent être précisées. Nadia Arab distingue trois
grandes phases au sein d’un projet d’aménagement urbain : « une phase
amont, également dite “avant-projet”, de créativité qui stimule l’exploration
des possibles dans un souci d’optimisation des solutions à retenir et de réduc-
tion du risque de remise en cause tardive ; la phase des gels, i.e. le moment de
la conception détaillée et des décisions irréversibles sur le projet où l’enjeu
est de verrouiller le projet et de clore les débats ; la phase de réalisation ou

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de passage à l’acte » (Arab, 2007). C’est donc à ces trois grandes sphères
d’acteurs – maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, maîtrise d’usage – en tant
qu’elles interviennent – durant la phase amont et la phase des gels – dans la
conception des deux projets étudiés que nous nous intéressons. L’analyse des
rôles, des visions et des influences respectifs de tous les acteurs qui participent
à la conception urbaine ainsi que de leurs interactions doit permettre de mieux
comprendre le processus de conception et ainsi les choix d’aménagement qui
en découlent.

Des méthodes qualitatives au service de l’analyse du processus collectif


de conception

Ce travail s’inscrit dans une approche privilégiant les méthodes quali-


tatives. Si l’enjeu a été pour nous d’accéder aux trois catégories d’acteurs
retenues comme clés d’analyse afin de cerner leurs rôles respectifs, l’accès à
la maîtrise d’ouvrage, à la maîtrise d’œuvre et à la maîtrise d’usage ne s’est
pas fait dans les mêmes conditions ni sous les mêmes formes.
Neuf entretiens semi-directifs ont été menés d’octobre 2014 à janvier 2016
auprès d’acteurs clés de deux projets d’aménagement. Nous avons privilégié
les entretiens avec des techniciens représentant le niveau opérationnel de la
maîtrise d’ouvrage publique de ces projets (ville et communauté urbaine).
Cinq entretiens ont ainsi été menés avec des représentants de trois directions
différentes au sein des services municipaux de Perpignan, en choisissant soit
les chefs de projet soit les directeurs de services, tous investis dans les projets
étudiés. Deux entretiens ont également été menés avec le chef de projet de
l’aménagement des berges de la Têt au sein des services de la communauté
urbaine. Deux entretiens avec des bénévoles de l’Atelier d’urbanisme de
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Perpignan (ci-après l’Atelier), représentant la maîtrise d’usage, ont aussi été
conduits. Par ailleurs, la parole des différents acteurs, publics, privés (aména-
geur assurant la maîtrise d’ouvrage, architecte et paysagiste assurant la maîtrise
d’œuvre) et associatifs du projet d’aménagement de la Basse a pu être recueillie
grâce à l’organisation d’une table ronde des acteurs du projet 4 en mars 2015.
Pour le projet d’aménagement des berges de la Têt, un travail d’observa-
tion a également été mené à travers la participation à trois réunions publiques
(entre décembre 2014 et avril 2016). Celles-ci ont permis de saisir en direct
le processus collectif de conception du projet d’aménagement, les rôles et les
visions respectifs ainsi que les interactions entre les acteurs publics, privés et
associatifs.

4. Cette table ronde des acteurs du projet a été organisée par les étudiants ainsi que par leurs
enseignants, Aurélie Delage et Sylvain Rode, dans le cadre d’un enseignement du master 1
Urbanisme, Habitat, Aménagement de l’université de Perpignan Via Domitia.

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Enfin, un corpus de documents produits à l’occasion de ces deux projets


d’aménagement a été analysé, afin de cerner les évolutions du contenu program-
matique et de les mettre en lien avec les interventions des différents acteurs.
Ce corpus était constitué d’études préalables, cahiers des charges, croquis
d’aménagement paysager et de composition urbaine produits par la mairie,
les bureaux d’études ainsi que par l’Atelier, présentations du site et du projet
de parc urbain réalisées par les services de la mairie à l’occasion de réunions
publiques, plaquettes de présentation du nouveau quartier par l’aménageur, etc.
Il a permis de saisir les objectifs de ces projets, ainsi que de reconstituer les
évolutions qu’ils ont pu connaître au fil de leur déroulement dans l’interaction
des différentes parties prenantes. Pour le projet d’aménagement de la Têt, en
cours de conception au moment des enquêtes, les documents étaient moins
nombreux et plus difficiles d’accès, nous avons donc privilégié l’observation
directe via les réunions publiques.
En croisant ces différentes méthodes d’investigation, les rôles respec-
tifs des différents acteurs relevant des trois catégories d’analyse que sont la
maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’usage ont pu être cernés
précisément, révélant la richesse et la complexité du processus collectif de
conception urbaine.

Quels arbitrages entre les visions portées


par les professionnels de l’urbanisme ?

Les deux projets d’aménagement urbain étudiés, le long de la Têt comme


de la Basse, se caractérisent par l’intervention, aux différents stades du
processus de conception, de multiples professionnels de l’urbanisme, publics
comme privés. L’étude des relations entre ces différentes parties prenantes,
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qui peuvent chacune porter et tenter de faire valoir une vision particulière du
projet, permet de mieux comprendre le processus collectif de conception.

L’influence des acteurs publics dans le processus de conception

Chacun des deux projets mis en œuvre le long de la Basse se caractérise


par une maîtrise d’ouvrage différente : publique (mairie) pour le parc urbain,
privée pour le quartier urbain développé en bordure du parc. Pourtant, le point
commun à ces deux opérations est le rôle important joué par les services de la
collectivité publique dans la conception de ces projets d’aménagement.
Le parc urbain a été conçu par des paysagistes (à la fois ceux de la direc-
tion de la mairie assurant la maîtrise d’ouvrage de ce parc et ceux du bureau
d’études en paysage qui faisaient partie de l’équipe de maîtrise d’œuvre), avec
l’appui de la maîtrise d’usage, favorable à des aménagements à caractère assez
naturalistes et à une valorisation esthétique et fonctionnelle des espaces publics
de proximité.

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151 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

Le rôle de la maîtrise d’ouvrage dans l’affirmation de tels principes


d’aménagement a été majeur. Le paysagiste à la tête de la direction du Cadre
de vie qui avait en charge le pilotage de cette opération au sein des services
techniques municipaux a fortement contribué à orienter la philosophie et les
grandes lignes programmatiques de cet aménagement paysager. S’appuyant sur
son expérience montpelliéraine de l’aménagement du Lez Vert, il a souhaité
promouvoir, pour l’aménagement des berges de ce tronçon de cours d’eau, le
principe de « gradient d’artificialisation » 5 consistant à créer une séquence
plus naturelle que celle, très artificialisée et entretenue de manière intensive
par les jardiniers communaux, de la rivière dans sa traversée du centre-ville en
aval. À travers ce directeur de service, la maîtrise d’ouvrage a donc œuvré en
faveur de choix d’aménagement doux, prenant résolument le contre-pied des
choix d’aménagement antérieurs opérés en centre-ville (Rode, 2017). Cette
personne explique ainsi avoir « surtout bataillé pour enlever des choses qui
étaient proposées par la maîtrise d’œuvre » 6 et faire évoluer ce parc vers une
conception moins urbaine mais plus naturaliste, une « évocation des milieux
aquatiques » 7. Il déplore en effet un manque de sensibilité environnementale
et d’attention aux écosystèmes de la part du bureau d’études en paysage qui
devait concevoir le parc, reflet d’une culture encore ancrée chez « beaucoup
de concepteurs, d’aménageurs qui sont vraiment dans une logique de maîtrise,
d’aménagement coûte que coûte » 8. Dans ce contexte, ce sont les paysagistes
de la mairie qui se sont chargés d’insuffler au projet sa dimension naturaliste.
La conception de ce parc urbain a donc résulté de l’action croisée de trois
catégories d’acteurs distinctes : maîtrise d’ouvrage qui cadre et oriente, voire
redessine ; maîtrise d’usage qui exprime ses attentes et les fait remonter vers
la maîtrise d’ouvrage ; maîtrise d’œuvre qui conçoit et dessine en s’efforçant
de traduire concrètement la vision et la philosophie de la maîtrise d’ouvrage.
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Pour le nouveau quartier, opération privée, les choix d’aménagement se
sont faits dans le cadre d’un dialogue constructif entre le planificateur (mairie
de Perpignan) et l’aménageur privé détenteur des permis d’aménager délivrés
par la mairie. Ce travail partenarial entre collectivité publique et aménageur
privé en amont de la réalisation de cette opération répond à la volonté de
la mairie d’être en mesure de cadrer et d’influencer les grandes orientations
d’aménagement retenues. En effet, s’agissant d’une opération portée par un
aménageur privé, la collectivité sait qu’une fois celle-ci autorisée et lancée,
elle ne pourra plus directement intervenir dans les choix d’aménagement. La
collectivité a donc travaillé l’avant-projet en amont de la délivrance des permis
d’aménager, en concevant « avec plusieurs architectes plusieurs projets avant

5. Entretien du 12 novembre 2014 (direction du Cadre de vie, mairie de Perpignan).


6. Ibid.
7. Ibid.
8. Ibid.

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de valider celui qui faisait l’unanimité. Ensuite lorsque nous avions un schéma
cadre, nous l’avons imposé aux aménageurs qui se sont présentés sur cette
opération » 9. Le maître d’ouvrage privé n’a donc pas les coudées totalement
franches dans la conception de son opération, il doit composer avec les desi-
derata de la puissance publique qui lui a accordé les permis d’aménager. Mais,
en raison de relations constructives (il s’agit d’un aménageur avec lequel la
mairie a l’habitude de travailler), la conception de ce projet d’aménagement
d’un nouveau quartier en renouvellement urbain ne s’est pas avérée conflic-
tuelle. La mairie a imposé un certain nombre de principes majeurs à ses yeux
et a fait financer certains équipements (une passerelle piétonne pour franchir la
Basse notamment) par l’aménageur, lequel se coule dans le programme ainsi
prédéfini par la collectivité pour obtenir les permis d’aménager. Nous sommes
là dans une situation classique de définition préalable par une collectivité du
cadre dans lequel interviennent des opérateurs privés. Cela illustre la volonté
des acteurs publics d’orienter et d’influencer des projets d’aménagement urbain
qu’elles ne souhaitent pas – souvent pour des raisons financières – porter et
concevoir directement. Alors même qu’il s’agit d’une opération privée dont
la maîtrise d’ouvrage n’est pas assurée par la collectivité, celle-ci s’efforce
d’influencer la conception de l’opération en esquissant les grandes lignes de
sa programmation et en édictant les points clés à respecter par l’aménageur.

Une phase préalable propice à l’expression de visions différentes


au sein de la maîtrise d’ouvrage publique

La reconquête et la valorisation de la Têt dans la traversée de Perpignan


ont été engagées depuis le milieu des années 1990 (premières réflexions) et
se sont progressivement matérialisées par divers aménagements : baladoir en
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encorbellement en haut de la digue et cheminements dans le lit endigué en rive
gauche (2008), un quatrième pont routier (2010) et une passerelle piétonne
(2015), ainsi qu’un grand équipement structurant en rive droite, le Théâtre
de l’Archipel (conçu par Jean Nouvel et inauguré en 2011). L’actuelle équipe
municipale a fait de la poursuite de l’aménagement de la Têt un des projets
phares de son mandat. Si les travaux de réaménagement de la rive gauche ont
démarré fin 2016, nous analysons ici la phase d’avant-projet, durant laquelle
le champ des possibles est encore largement ouvert et où diverses orientations
peuvent être proposées. D’un point de vue heuristique, cette phase d’avant-
projet s’avère féconde à analyser dans la mesure où elle est propice, au sein de
la maîtrise d’ouvrage, à l’expression et à la confrontation de visions différentes
de la manière dont devrait être traité un projet d’aménagement urbain. Ainsi,
en amont de la rédaction stabilisée de la commande, des visions plurielles d’un

9. Entretien du 15 octobre 2014 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de


Perpignan).

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153 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

projet d’aménagement peuvent s’exprimer, portées par des services différents.


Quelles sont ces visions et comment s’effectuent les arbitrages entre elles ?
Deux grandes visions du projet d’aménagement des berges de la Têt dans
la traversée de Perpignan émergent de l’analyse des discours et des postures
au sein des services municipaux durant la phase d’avant-projet.
La direction des Études et des Travaux de l’espace public, qui assure
aujourd’hui la co- maîtrise d’ouvrage 10 côté mairie, a exprimé sa vision et ses
attentes pour l’aménagement de la rive gauche de la Têt dans un cahier des
charges qui a servi, en 2015, au choix de l’équipe de maîtrise d’œuvre dans le
cadre d’un marché négocié. La vision promue par cette direction, qui a guidé
le travail de conception de l’équipe de maîtrise d’œuvre met logiquement (au
vu du périmètre d’action de ce service) l’accent sur le traitement et la requali-
fication des espaces publics.
Pourtant, en amont de la rédaction du programme, une autre direction
municipale, celle de l’aménagement et de l’urbanisme, a tenté de promouvoir
une vision différente du projet, en espérant la faire valoir auprès des élus et
influencer l’élaboration de la commande. Pour les techniciens de cette direc-
tion, il s’agissait de réfléchir à modifier la structure même du front bâti, afin de
constituer un véritable front urbain en rive gauche de la Têt, qui soit le pendant
du front bâti existant en rive droite. Comme l’explique un de nos interlocu-
teurs, « on avait vraiment des envies de pouvoir imaginer le fleuve dans la
ville comme un élément intrinsèque à l’urbanité même du lieu » 11. Cela devait
passer par la construction de nouveaux immeubles le long du fleuve afin de le
rendre pleinement urbain sur ses deux rives. Des immeubles de sept ou huit
étages étaient ainsi évoqués, afin « d’avoir des façades sur le sud importantes
et donc d’avoir des immeubles de grande qualité sur la Têt. C’était intéressant
d’un point de vue urbain, mais aussi d’un point de vue promotion immobi-
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lière » 12. Les ambitions en matière de recomposition de l’espace urbain le long
du fleuve étaient grandes et s’inscrivaient dans une perspective de long terme :
il s’agissait en effet de « libérer du foncier, démolir et redonner de nouveaux
droits à bâtir. On peut aussi densifier […] et diversifier l’offre avec par exemple
des commerces en rez-de-chaussée, de la ville quoi, tout ce qui constitue la

10. Ce projet de reconquête de la Têt dans la traversée de Perpignan constitue la première tranche
d’un projet de plus grande ampleur porté par la communauté urbaine et destiné à valoriser le
fleuve et ses abords sur les 22 km de sa traversée du territoire de l’epci. C’est pourquoi une
co-maîtrise d’ouvrage a été décidée entre la mairie et la Communauté urbaine. Dans les faits,
ce sont les services municipaux qui assurent la maîtrise d’ouvrage pour la section urbaine de
Perpignan.
11. Entretien du 12 janvier 2015 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de
Perpignan).
12. Ibid.

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ville » 13. Certains élus semblaient intéressés par une telle vision très urbanis-
tique de l’aménagement de la rive gauche du fleuve. Pourtant, ces ambitions
ont été réduites à néant par le Plan de prévention du risque inondation qui régit
l’utilisation du sol sur ce secteur, et dont le règlement « ne permet pas du tout
d’imaginer un front urbain digne de ce nom sur la Têt » 14.
L’arbitrage en faveur d’une vision du projet privilégiant le traitement des
espaces publics procède directement de l’impossibilité réglementaire de réflé-
chir plus avant à la constitution d’un véritable front urbain en rive gauche de la
Têt. Du reste, la perspective de voir le fleuve enserré entre deux hautes lignes
d’immeubles suscitait l’opposition des riverains. Un tel projet s’avérait par
ailleurs plus complexe et plus long à mener à bien, nécessitant un remembre-
ment foncier et des expropriations, et bien plus coûteux également. Le traite-
ment de l’espace public apparaît ainsi comme une réponse plus opératoire en
matière d’aménagement urbain car plus économique et plus rapide à mettre en
œuvre. C’est pour toutes ces raisons que l’arbitrage s’est fait entre ces deux
visions distinctes de l’aménagement du fleuve dans sa traversée de la ville.
En amont de la formulation de la commande, des visions multiples et
potentiellement antagonistes existent donc et sont débattues au sein de la
maîtrise d’ouvrage, reflétant les spécialisations techniques de chaque direction
et les logiques d’organisation interne des services. Comme l’explique un de
nos interlocuteurs au sein d’une direction municipale, « nous en interne aux
services techniques on n’a pas de divergences, c’est simplement qu’on a des
visions plus ou moins périmétrées différemment » 15.
Pourtant, si l’identification de ces différentes visions et de ces contro-
verses au sein de la maîtrise d’ouvrage permet de mieux comprendre les choix
d’orientation et de conception de projets d’aménagement urbain, l’influence
de la maîtrise d’usage doit également être analysée, tant elle affirme son rôle
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d’acteur à part entière du processus de conception.

Une place importante faite aux habitants dans la conception


des projets d’aménagement

Les deux projets d’aménagement urbain ici étudiés se caractérisent par


une place importante de la maîtrise d’usage dans leur conception aux côtés
des acteurs professionnels. Quelle est cette place et quelle influence les inter-
ventions de cette catégorie d’acteurs ont-elles pu avoir sur les projets étudiés ?

13. Entretien du 15 octobre 2014 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de


Perpignan).
14. Entretien du 12 janvier 2015 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de
Perpignan).
15. Ibid.

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155 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

À Perpignan, le rôle de maîtrise d’usage est largement endossé par une


association créée en 1993 (l’Atelier d’urbanisme) et reconnue par la mairie
comme un interlocuteur légitime et comme un médiateur entre la société civile
et la collectivité publique en matière de conception des projets d’aménage-
ment. Les bénévoles de cette association travaillent sur un certain nombre de
projets qui constituent à leurs yeux des enjeux majeurs. Sur la base d’un travail
participatif mobilisant des méthodes variées 16, ils formalisent des propositions
d’aménagement détaillées qui sont ensuite soumises aux élus et aux services
municipaux dans l’espoir que ceux-ci mettront à l’agenda urbain ces projets
et que leur conception s’inspirera en partie de ces propositions. Il s’agit donc,
en s’appuyant sur une fine connaissance des réalités de terrain et sur les aspi-
rations des habitants, d’être force de proposition auprès des pouvoirs publics
afin de faire valoir une certaine vision de l’aménagement urbain (largement
inspirée par le référentiel de la durabilité urbaine : proximité, densité, mixité
sociale et fonctionnelle, modes de déplacements doux, amélioration du cadre
de vie, préservation des paysages et des trames vertes et bleues, etc.).
Les bénévoles de cette association sont structurés en deux collèges. Celui
des habitants, constitué par les représentants d’une dizaine d’associations de
quartier qui ont pour fonction de relayer les aspirations des habitants. Celui
des professionnels, architectes, urbanistes, paysagistes pour la plupart, qui
participent aux études (diagnostics et propositions) sur les projets sur lesquels
choisit de travailler l’Atelier. Cette dualité habitants-professionnels est une
richesse, dans la mesure où elle permet à l’Atelier d’avoir les compétences
techniques nécessaires pour conduire et formaliser des études préalables de
qualité donc crédibles – condition indispensable pour pouvoir convaincre les
élus et peser sur les choix d’aménagement –, tout en intégrant fortement les
points de vue et attentes des habitants à ses travaux. Si l’objectif de l’associa-
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tion est que tous les bénévoles, professionnels comme habitants, travaillent
ensemble et sur un pied d’égalité sur les projets, il peut néanmoins arriver
que les habitants aient tendance à promouvoir des propositions trop forte-
ment teintées d’une volonté de défense de leurs intérêts particuliers, en une
forme de syndrome Nimby, et que des divergences se fassent jour avec les
professionnels. Les séances de travail doivent alors dénouer ces divergences
et permettre de dégager des propositions enrichies des points de vue des habi-
tants, mais allant dans le sens de l’intérêt général. L’Atelier est, comme tout
collectif, traversé de contradictions. Il n’en constitue pas moins un exemple
d’une maîtrise d’usage qui parvient à peser sur certains choix d’aménagement.
Les deux projets étudiés donnent à voir deux configurations distinctes
permettant de saisir plusieurs enjeux et facettes de ce rôle de maîtrise d’usage.

16. Ateliers thématiques, réunions publiques dans les locaux de l’association et dans les quar-
tiers, conférences, « cartes de Gulliver », expositions, sorties d’étude, diffusion de questionnaires.

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La maîtrise d’usage dans les arbitrages en matière de conception


du projet d’aménagement

Le projet d’aménagement urbain les Jardins de la Basse donne à voir, au


terme du processus participatif, le résultat de la mobilisation de la maîtrise
d’usage. Les choix d’aménagement proposés par la maîtrise d’usage ont
convergé avec ceux portés par le maître d’ouvrage public d’une des deux
opérations constituant ce projet. Dans un contexte où les deux services muni-
cipaux qui pilotaient ces deux opérations, porteurs de visions distinctes, étaient
en concurrence pour faire valoir leurs vues, la mobilisation de la maîtrise
d’usage a contribué à ce que l’arbitrage se fasse en faveur du service qui portait
une vision proche de celle qui était défendue par les habitants mobilisés. La
maîtrise d’usage a ici eu un rôle direct dans certains choix de conception du
projet d’aménagement urbain.
L’articulation entre les deux opérations d’aménagement voisines déve-
loppées le long de la Basse (parc urbain et quartier) s’est avérée conflictuelle.
Le point d’achoppement résidait dans la question de la proximité du front
urbain du nouveau quartier par rapport au parc urbain et au cours d’eau. Le
président de l’Atelier explique l’intervention de son association sur ce dossier,
et souligne les divergences de vues avec la direction de l’Aménagement et
de l’Urbanisme : « À la demande des associations de quartier on a fait des
esquisses, transmises aux services techniques de la mairie. Notre idée avec les
associations c’était d’avoir une zone verte le long de la Basse […], et surtout
d’éloigner les immeubles de la Basse. Là ça s’est mal passé avec certains
techniciens de la mairie, qui voulaient nous coller les immeubles le long de la
Basse. […] Nos dessins ont eu une certaine influence » 17. Cette influence de
la maîtrise d’usage sur ce projet est confirmée par un technicien de la mairie :
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« le projet a bien évolué à la suite de la concertation avec les habitants » 18.
C’est donc une contre-proposition exprimant le point de vue des habitants que
l’Atelier a élaborée, tout à fait dans l’esprit de l’advocacy planning 19 qui a
présidé à la création de cette association en 1993.
Le service de la mairie en charge de la maîtrise d’ouvrage du parc urbain
(direction du Cadre de vie) comme les riverains du quartier résidant en rive
gauche de la Basse sont intervenus pour faire reculer le front bâti de quelques

17. Table ronde des acteurs du projet (10 mars 2015).


18. Entretien du 15 octobre 2014 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de
Perpignan).
19. L’advocacy planning a été inventé dans les années 1960 aux États-Unis par Paul Davidoff,
professeur de planification urbaine à l’université de Pennsylvanie (« Advocacy and pluralism in
planning », Journal of the American Institute of Planners, 1965). Il s’agit alors d’une nouvelle
conception et pratique de la planification urbaine au service des habitants, et notamment des plus
défavorisés, devant intégrer et refléter leurs intérêts et leurs visions, et non les seuls intérêts et
visions des classes dominantes.

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157 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

mètres, ce qui a permis à la fois de faire passer une piste cyclable entre le parc
urbain et le pied des futurs immeubles, et de désamorcer le mécontentement
des habitants de l’autre rive. Ces revendications des riverains ont pu s’ex-
primer, être relayées et finalement entendues à travers le travail de l’Atelier,
qui a ainsi joué son rôle de maîtrise d’usage en portant la parole des habitants
et en élaborant des contre-propositions. Pour cette association, l’enjeu est de
faire exister un « urbanisme participatif » (Paquot, 2010), dans lequel la société
civile joue un véritable rôle de définition d’un certain nombre d’orientations
d’aménagement, aux côtés des acteurs professionnels de la conception urbaine.
Les propositions portées par cette association ont ainsi convergé avec la posi-
tion d’un service municipal, contribuant à une coalition d’intérêts qui a pu
obtenir un arbitrage en sa faveur, au détriment d’un autre service municipal
dont les propositions suscitaient l’opposition des riverains.

Formaliser une vision du projet d’aménagement pour participer


à sa mise sur agenda et en influencer la conception

Le projet d’aménagement des berges de la Têt permet d’appréhender la


place importante faite à la maîtrise d’usage dans le processus de conception
mais aussi son influence quant à la mise sur agenda 20 du projet.
Considérant qu’il s’agissait d’un enjeu important en matière d’aménage-
ment urbain, l’Atelier a décidé de réfléchir, en 2013-2014, à l’aménagement de
la rive gauche de la Têt dans sa traversée de Perpignan. Si l’arrivée prochaine
d’une passerelle piétonne enjambant la Têt était actée, le flou subsistait quant
aux aménagements à prévoir autour de cette passerelle, notamment en rive
gauche où elle débouchait sur un espace jugé sans qualité. Dans ce contexte,
l’Atelier a lancé une réflexion approfondie et concertée afin de proposer une
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requalification cohérente et globale des berges du fleuve dans la traversée de
la ville.
Pour jouer pleinement son rôle de maîtrise d’usage, l’Atelier a mis en
œuvre un large processus participatif. En décembre 2013, dix associations se
sont fédérées pour former le Comité inter-associatif des rives de la Têt. Ce
comité, en lien étroit avec l’Atelier, a mené durant six mois un travail de
concertation en organisant régulièrement des réunions publiques d’information
au sein des différents quartiers, des balades urbaines, des ateliers de travail
thématiques ouverts au public, un voyage d’étude avec les élus de Perpignan
dans la ville espagnole de Lérida (traversée par le Sègre) ainsi que la passation
d’un questionnaire auprès des riverains de la Têt.

20. La notion d’agenda, apportée d’abord par la science politique, est définie par Philippe
Garraud comme « l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme
que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou
plusieurs décisions » (Garraud, 1990).

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À l’issue de ce processus participatif, des préconisations ont été élaborées


afin de porter « les paroles, les visions, les désirs des usagers dans le processus
du projet » 21. Il s’agit ainsi de peser sur la décision publique (engager le
processus de réaménagement de la rive gauche) et d’influencer les contours des
aménagements qui seront proposés par l’équipe de maîtrise d’œuvre. L’Atelier
affirme sa « volonté d’être présent jusqu’au bout [du processus de conception].
[…] Sinon on risque d’être dépossédés de la maîtrise du projet, ou qu’ils ne
prennent que les morceaux qui les arrangent. Si au bout du compte sort un
projet qui ne ressemble pas à ce qu’on voulait, on aura perdu notre temps… » 22.
Pour cette association, il s’agit bien de participer à une forme de co-conception
du projet, aux côtés de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre.
Afin d’atteindre cet objectif de peser sur les décisions, une restitution du
travail de concertation et de préconisations a été effectuée aux élus de la ville
pour les sensibiliser à l’importance de l’enjeu que représente la reconquête
des berges de la Têt et aux orientations auxquelles la population est attachée
en la matière. Cette contribution citoyenne a ensuite été annexée au cahier des
charges rédigé par les services techniques de la mairie et de la communauté
d’agglomération afin de choisir l’équipe de maîtrise d’œuvre. Ainsi, l’équipe
chargée par contrat de la conception détaillée du projet d’aménagement a pu
avoir connaissance des attentes citoyennes et les intégrer dans ses propositions.
De fait, l’Atelier demeure associé à la conception détaillée du projet. Il
est ainsi membre du comité de pilotage mis en place pour ce projet. L’équipe
de maîtrise d’œuvre retenue en juillet 2015 associe également l’Atelier à son
travail de conception. Elle en a rencontré les membres afin de « partager leur
connaissance du terrain et s’imprégner des besoins des usagers » 23. L’Atelier
a également été convié à la réunion de restitution des premières propositions
de l’équipe de maîtrise d’œuvre qui s’est tenue en février 2016. Cette réunion
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a été l’occasion de constater que les propositions d’aménagement formulées
par la maîtrise d’œuvre étaient largement en phase avec les souhaits émis
par l’Atelier dans sa contribution citoyenne. Les propos d’un des bénévoles
de l’Atelier lors de cette réunion l’indiquent clairement : « On retrouve vrai-
ment notre travail dans vos réflexions. […] Merci encore d’avoir respecté nos
grandes idées ! » 24. La maîtrise d’usage a donc eu une influence directe sur le
travail de conception de l’équipe de maîtrise d’œuvre : par ses réflexions et
son travail de formalisation de préconisations, par ses liens constructifs avec

21. Extrait du document produit à l’issue du travail de l’Atelier et du Comité inter-associatif


des rives de la Têt : Les rives de la Têt 2013-2033. Une contribution citoyenne pour un grand
projet de ville, 2014.
22. Entretien du 1er décembre 2014 (Atelier).
23. Entretien du 7 janvier 2016 (Perpignan Méditerranée Métropole).
24. Présentation du projet de la section urbaine de Perpignan par l’équipe de maîtrise d’œuvre
lors d’une réunion publique le 18 février 2016.

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159 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, elle a pu faire valoir sa vision de


l’aménagement des berges du fleuve dans la ville.
L’influence de la maîtrise d’usage s’est également fait sentir pour la mise
sur agenda de ce projet d’aménagement. Nombre d’acteurs professionnels
impliqués dans la conduite de ce projet reconnaissent le rôle joué par l’Ate-
lier à cet égard : « si aujourd’hui il y a une prise de conscience politique,
c’est aussi probablement parce que l’Atelier a bien travaillé et a fait émerger
cette conscientisation générale » 25 ; « c’est quand même eux qui sont un peu
à l’origine du projet parce qu’ils se sont dit que ce serait bien de travailler sur
les berges » 26. Nous sommes là dans une situation de mise sur agenda par la
mobilisation de groupes sociaux organisés (Garraud, 1990).
À travers la formalisation d’une vision de ce projet d’aménagement
urbain, la maîtrise d’usage a d’une part influencé le politique pour qu’il prio-
rise et engage le projet ; elle a d’autre part influencé la vision de la maîtrise
d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre et ainsi participé au travail collectif de
conception du projet.

Conclusion

L’analyse de la conception de ces projets d’aménagement urbain permet


de saisir les jeux d’influence qui y sont à l’œuvre, et ainsi d’éclairer la manière
dont les choix d’aménagement sont arrêtés et les arbitrages dont ils résultent.
Au-delà des équipes de maîtrise d’œuvre qui ont en charge, par contrat, la
conception détaillée des projets d’aménagement urbain, deux catégories
d’acteurs affirment ici leur influence dans la conception envisagée comme
processus collectif.
La collectivité publique d’abord, dont l’influence apparaît forte, qu’il
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s’agisse d’opérations publiques ou privées. Lorsque la collectivité publique a
en charge la maîtrise d’ouvrage d’une opération, elle investit fortement cette
mission pour définir précisément la commande passée à la maîtrise d’œuvre.
Lorsque la maîtrise d’ouvrage d’une opération est assurée par un aména-
geur privé, la collectivité publique s’implique également dans le processus
collectif de conception à travers un important travail en phase d’avant-projet,
afin de cadrer et d’orienter le projet qui sera ensuite porté par un aménageur
privé et conçu de manière détaillée par une équipe de maîtrise d’œuvre. Cette
implication forte de la collectivité publique dans la programmation n’est pas
anodine. Elle se veut le gage d’opérations d’aménagement de qualité et qui
soient en phase avec les besoins de la collectivité et l’intérêt général (Linossier
et Verhage, 2009). Si une telle influence des acteurs publics peut paraître à

25. Entretien du 13 avril 2015 (Perpignan Méditerranée Communauté d’Agglomération).


26. Entretien du 14 décembre 2015 (direction des Études et des Travaux de l’espace public,
mairie de Perpignan).

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contre-courant par rapport à une tendance de « perte de centralité et de mono-


pole du secteur public dans la conduite des opérations d’urbanisme » (Linossier
et Verhage, 2009), notamment dans le cadre du développement des partenariats
public-privé, elle ne fait en réalité que confirmer le fait que l’aménagement
urbain reste dominé par des acteurs publics, contrairement à la production
d’immobilier tertiaire, davantage financiarisée (Poidevin, 2012). Le projet
d’aménagement urbain constitue bien la matérialisation dans l’espace d’ob-
jectifs définis par les collectivités locales afin d’assurer leur développement.
L’omniprésence de la collectivité publique dans le processus de conception au
sens large est donc logique.
La société civile ensuite, dont l’intervention dans la conception des projets
d’aménagement urbain est ici structurée, mise en forme et médiatisée par une
association qui définit son rôle comme celui d’une maîtrise d’usage. Son
influence sur la physionomie des projets étudiés est très nette, et à ce titre cette
association est bien un des acteurs du processus collectif de conception urbaine.
Si les injonctions à la participation de la société civile dans les projets d’amé-
nagement urbain sont fortes, exprimant un véritable « impératif délibératif »
(Blondiaux et Sintomer, 2002), elles sont pourtant loin d’être toujours traduites
par une incidence réelle sur les choix d’aménagement retenus (Zetlaoui-Léger,
2013). Les deux projets étudiés montrent toutefois que la société civile peut
représenter un acteur à part entière du processus de conception urbaine, et y
jouer, selon différentes modalités, un rôle important. Le cas du projet d’aména-
gement des berges de la Têt, où le travail de la maîtrise d’usage a directement
alimenté le diagnostic et le programme, et in fine influencé les propositions de
l’équipe de maîtrise d’œuvre, met en évidence l’enjeu que représente la parti-
cipation habitante dès les phases amont des projets d’aménagement urbain.
Mais se pose la question des conditions à réunir pour que cette implication
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précoce soit possible et fructueuse. Quelques pistes peuvent être esquissées :
existence d’une instance de maîtrise d’usage dynamique, structurée, pérenne
et habituée à travailler en partenariat étroit avec les pouvoirs publics. Du côté
des pouvoirs publics, la volonté de promouvoir la participation citoyenne et de
faire vivre un véritable urbanisme participatif doit être forte et sincère. L’enjeu
étant de ne pas se contenter de démarches qui en resteraient à de simples
exercices d’information des habitants sur les projets, et de ne pas céder à la
tentation d’instrumentalisation de la maîtrise d’usage à des fins de légitimation
des projets. De fait, cette dynamique n’est jamais assurée, elle peut s’avérer
fragile. L’Atelier d’urbanisme de Perpignan l’illustre à sa manière : si depuis
sa création en 1993 il bénéficie du soutien financier de la mairie (qui met à
sa disposition un local, lui verse des subventions et rémunère la permanente
de l’association), cela le place de facto dans une forme de dépendance vis-
à‑vis de la collectivité, et parfois, au moment des échéances électorales, dans
une situation d’incertitude quant à son devenir. Si sa liberté de parole ne s’en
trouve pas aujourd’hui entravée, cela n’en constitue pas moins une menace

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161 La conception de projets d’aménagement urbain comme processus collectif

potentielle quant à la pérennité et à l’efficacité de son action. Comme le note


Thierry Paquot (2010), « l’urbanisme participatif […] se met en place labo-
rieusement […], sans certitude de se maintenir et de proliférer ».

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