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PROCESSUS COLLECTIF
Sylvain Rode
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Introduction
Sylvain Rode, maître de conférences en aménagement et urbanisme, umr 5281 Art-Dev, univer-
sité de Perpignan Via Domitia
sylvain.rode@univ-perp.fr
1. Pour plus de détails sur les projets de reconquête urbaine de ces deux cours d’eau et de
leurs berges, voir Rode (2017).
2. Depuis le 1er janvier 2016, la communauté d’agglomération Perpignan Méditerranée est
devenue communauté urbaine sous le nom Perpignan Méditerranée Métropole.
3. Cahier des charges du marché de maîtrise d’œuvre, 2015.
pas relever entièrement d’un seul concepteur, même représenté par une équipe
pluridisciplinaire : par exemple, les services techniques de la collectivité
locale sont aussi partenaires de la conception » (Frébault éd., 2005, p. 146).
Ainsi, afin de saisir la conception d’un projet d’aménagement urbain comme
processus collectif, nous faisons le choix de mobiliser le triptyque maîtrise
d’ouvrage-maîtrise d’œuvre-maîtrise d’usage. Avant d’analyser en détail le
rôle de ces différentes catégories d’acteurs dans la conception des deux projets
étudiés, il convient de préciser ces trois notions et leurs liens avec le processus
de conception.
Si la notion de maîtrise d’ouvrage renvoie initialement au domaine de la
construction et à un cadre juridique défini (loi du 12 juillet 1985 relative à la
maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée,
dite loi mop), elle a été étendue au domaine de l’aménagement, désignant alors
« les fonctions par lesquelles l’organisme responsable défini[t] la configuration
du projet et en confi[e] la réalisation à des opérateurs » (Frébault éd., 2005,
p. 143). Le maître d’ouvrage, celui qui commande et paie un édifice ou un
projet d’aménagement, participe également au processus de conception de ce
projet à travers la définition d’un programme au moment de « l’élaboration
de la commande » (Callon, 2001) ainsi qu’à travers le suivi et l’encadrement
du travail de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Comme le souligne Nadia Arab,
« la conception du programme est une des activités les plus stratégiques du
processus de projet. Elle consiste à définir la nature des équipements publics
et privés qui vont être construits sur le site, le type d’activités qui vont y
être implantées et finalement la nature du quartier ou du “morceau de ville”
qu’il s’agit de construire ou […] de renouveler » (Arab, 2007). Des travaux
de recherche ont mis en évidence la complexité de la fonction de maîtrise
d’ouvrage, qui se déclinerait en trois niveaux distincts (Bernateau, 2001),
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de passage à l’acte » (Arab, 2007). C’est donc à ces trois grandes sphères
d’acteurs – maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, maîtrise d’usage – en tant
qu’elles interviennent – durant la phase amont et la phase des gels – dans la
conception des deux projets étudiés que nous nous intéressons. L’analyse des
rôles, des visions et des influences respectifs de tous les acteurs qui participent
à la conception urbaine ainsi que de leurs interactions doit permettre de mieux
comprendre le processus de conception et ainsi les choix d’aménagement qui
en découlent.
4. Cette table ronde des acteurs du projet a été organisée par les étudiants ainsi que par leurs
enseignants, Aurélie Delage et Sylvain Rode, dans le cadre d’un enseignement du master 1
Urbanisme, Habitat, Aménagement de l’université de Perpignan Via Domitia.
de valider celui qui faisait l’unanimité. Ensuite lorsque nous avions un schéma
cadre, nous l’avons imposé aux aménageurs qui se sont présentés sur cette
opération » 9. Le maître d’ouvrage privé n’a donc pas les coudées totalement
franches dans la conception de son opération, il doit composer avec les desi-
derata de la puissance publique qui lui a accordé les permis d’aménager. Mais,
en raison de relations constructives (il s’agit d’un aménageur avec lequel la
mairie a l’habitude de travailler), la conception de ce projet d’aménagement
d’un nouveau quartier en renouvellement urbain ne s’est pas avérée conflic-
tuelle. La mairie a imposé un certain nombre de principes majeurs à ses yeux
et a fait financer certains équipements (une passerelle piétonne pour franchir la
Basse notamment) par l’aménageur, lequel se coule dans le programme ainsi
prédéfini par la collectivité pour obtenir les permis d’aménager. Nous sommes
là dans une situation classique de définition préalable par une collectivité du
cadre dans lequel interviennent des opérateurs privés. Cela illustre la volonté
des acteurs publics d’orienter et d’influencer des projets d’aménagement urbain
qu’elles ne souhaitent pas – souvent pour des raisons financières – porter et
concevoir directement. Alors même qu’il s’agit d’une opération privée dont
la maîtrise d’ouvrage n’est pas assurée par la collectivité, celle-ci s’efforce
d’influencer la conception de l’opération en esquissant les grandes lignes de
sa programmation et en édictant les points clés à respecter par l’aménageur.
10. Ce projet de reconquête de la Têt dans la traversée de Perpignan constitue la première tranche
d’un projet de plus grande ampleur porté par la communauté urbaine et destiné à valoriser le
fleuve et ses abords sur les 22 km de sa traversée du territoire de l’epci. C’est pourquoi une
co-maîtrise d’ouvrage a été décidée entre la mairie et la Communauté urbaine. Dans les faits,
ce sont les services municipaux qui assurent la maîtrise d’ouvrage pour la section urbaine de
Perpignan.
11. Entretien du 12 janvier 2015 (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme, mairie de
Perpignan).
12. Ibid.
ville » 13. Certains élus semblaient intéressés par une telle vision très urbanis-
tique de l’aménagement de la rive gauche du fleuve. Pourtant, ces ambitions
ont été réduites à néant par le Plan de prévention du risque inondation qui régit
l’utilisation du sol sur ce secteur, et dont le règlement « ne permet pas du tout
d’imaginer un front urbain digne de ce nom sur la Têt » 14.
L’arbitrage en faveur d’une vision du projet privilégiant le traitement des
espaces publics procède directement de l’impossibilité réglementaire de réflé-
chir plus avant à la constitution d’un véritable front urbain en rive gauche de la
Têt. Du reste, la perspective de voir le fleuve enserré entre deux hautes lignes
d’immeubles suscitait l’opposition des riverains. Un tel projet s’avérait par
ailleurs plus complexe et plus long à mener à bien, nécessitant un remembre-
ment foncier et des expropriations, et bien plus coûteux également. Le traite-
ment de l’espace public apparaît ainsi comme une réponse plus opératoire en
matière d’aménagement urbain car plus économique et plus rapide à mettre en
œuvre. C’est pour toutes ces raisons que l’arbitrage s’est fait entre ces deux
visions distinctes de l’aménagement du fleuve dans sa traversée de la ville.
En amont de la formulation de la commande, des visions multiples et
potentiellement antagonistes existent donc et sont débattues au sein de la
maîtrise d’ouvrage, reflétant les spécialisations techniques de chaque direction
et les logiques d’organisation interne des services. Comme l’explique un de
nos interlocuteurs au sein d’une direction municipale, « nous en interne aux
services techniques on n’a pas de divergences, c’est simplement qu’on a des
visions plus ou moins périmétrées différemment » 15.
Pourtant, si l’identification de ces différentes visions et de ces contro-
verses au sein de la maîtrise d’ouvrage permet de mieux comprendre les choix
d’orientation et de conception de projets d’aménagement urbain, l’influence
de la maîtrise d’usage doit également être analysée, tant elle affirme son rôle
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16. Ateliers thématiques, réunions publiques dans les locaux de l’association et dans les quar-
tiers, conférences, « cartes de Gulliver », expositions, sorties d’étude, diffusion de questionnaires.
mètres, ce qui a permis à la fois de faire passer une piste cyclable entre le parc
urbain et le pied des futurs immeubles, et de désamorcer le mécontentement
des habitants de l’autre rive. Ces revendications des riverains ont pu s’ex-
primer, être relayées et finalement entendues à travers le travail de l’Atelier,
qui a ainsi joué son rôle de maîtrise d’usage en portant la parole des habitants
et en élaborant des contre-propositions. Pour cette association, l’enjeu est de
faire exister un « urbanisme participatif » (Paquot, 2010), dans lequel la société
civile joue un véritable rôle de définition d’un certain nombre d’orientations
d’aménagement, aux côtés des acteurs professionnels de la conception urbaine.
Les propositions portées par cette association ont ainsi convergé avec la posi-
tion d’un service municipal, contribuant à une coalition d’intérêts qui a pu
obtenir un arbitrage en sa faveur, au détriment d’un autre service municipal
dont les propositions suscitaient l’opposition des riverains.
20. La notion d’agenda, apportée d’abord par la science politique, est définie par Philippe
Garraud comme « l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme
que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou
plusieurs décisions » (Garraud, 1990).
Conclusion
Références bibliographiques
Arab Nadia, 2007, « Activité de projet et aménagement urbain : les sciences de gestion
à l’épreuve de l’urbanisme » [en ligne], Management & avenir, vol. 12, no 2,
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page-147.htm], consulté le 24 juin 2014.
Ascher François, 2010, Les nouveaux principes de l’urbanisme, La Tour-d’Aigues,
Éditions de l’Aube.
Bernateau Didier, 2001, « Le transfert de risque entre maître d’ouvrage et maître
d’œuvre. Cas de projets complexes », La commande… de l’architecture à la
ville, M. Bonnet, V. Claude et M. Rubinstein éd., La Défense, Plan Urbanisme
Construction Architecture, p. 121-134.
Blondiaux Loïc et Sintomer Yves, 2002, « Démocratie et délibération », Politix,
n° 57, p. 17-35
Callon Michel, 2001, « Synthèse et évaluation des enseignements du programme
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l’architecture à la ville, La Défense, Plan Urbanisme Construction Architecture,
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Fixot Anne-Marie, 2014, « Vers une nouvelle pratique de l’urbanisme. La maîtrise
d’ouvrage ou l’art de vivre ensemble le quotidien » [en ligne], Revue du mauss
permanente, 28 mai 2014, [url : http://www.journaldumauss.net/./?Vers-une-
nouvelle-pratique-de-l], consulté le 19 mars 2015.
Frebault Jean éd., 2005, La maîtrise d’ouvrage urbaine, Paris, Éditions du Moniteur.
Garraud Philippe, 1990, « Politiques nationales : élaboration de l’agenda », L’année
sociologique, no 40, p. 17-41.
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