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MENER UN PROJET AVEC LE DESIGN THINKING

Nicolas Beudon

A.D.B.S. | « I2D - Information, données & documents »

2017/1 Volume 54 | pages 36 à 38


ISSN 2428-2111
DOI 10.3917/i2d.171.0036
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-
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Le design thinking : l'utilisateur au cœur de l'innovation

2 Méthodes et outils

Mener un projet
avec le design thinking
Nicolas BEUDON [ éclairage ] Le design thinking peut être défini comme une philosophie et un état d’esprit
nicolas.beudon@gmail.com mais c’est surtout une méthode, un processus, composé d’un certain nombre d’étapes
à suivre et d’outils à employer pour atteindre un objectif. C’est de là que découle une
partie de son succès (il suffit de suivre le « mode d’emploi »). Mais cet aspect peut
également susciter une certaine méfiance (comme n’importe quelle « recette » qui
semble un peu trop simple). En quoi consiste le processus de design et de quelle
façon le design thinking se distingue-t-il d’autres méthodes de résolution de problème
et de conduite de projet ? Les contributions réunies dans ce pôle répondent à ces
questions en détaillant plusieurs méthodes et outils qui peuvent être employés dans
le cadre d’un projet de design.

D
ans son livre intitulé en français souvent un peu vite le design thinking, comme
L’Esprit design1, qui a fait découvrir la réalisation de prototypes ou les séances de
à de nombreux lecteurs le design brainstorming au cours desquels des murs
thinking, Tim Brown, le PDG d’Ideo, entiers sont recouverts de post-it.
distingue dans tout projet trois
Une séance de brainstorming ne s’improvise
phases essentielles qu’il nomme inspiration,
pas : elle nécessite des compétences et une
idéation et implémentation.
vraie préparation de la part de l’animateur ou du
La phase d’inspiration est celle au cours de facilitateur, qui doit à la fois construire la séance
laquelle des problèmes ou des opportunités et s’assurer que les participants suivent bien les
sont identifiés. Dans la mesure où l’objectif d’un règles du brainstorming (ne pas se censurer, ne
designer est de satisfaire des utilisateurs, cette pas critiquer les idées des autres participants
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phase nécessite souvent des recherches sur le mais rebondir dessus, essayer de produire un
terrain afin de mieux connaitre leurs besoins, maximum d’idées plutôt que de trouver une
leurs pratiques ou leurs modes de vie. Pour ce seule idée de génie).
faire, les designers font feu de tout bois et ils
mobilisent des techniques très variées : des La réalisation de prototypes est l’un des traits les
méthodes quantitative (basées sur des son- plus frappants du design thinking. Un prototype
dages et des statistiques) aussi bien que des n’est pas forcément une réalisation complexe
méthodes qualitatives (basées sur des entre- qui nécessite des talents manuels ou artis-
tiens ouverts, des observations et des descrip- tiques : c’est avant tout un moyen de rendre
tions). L’essentiel est d’accumuler un maximum des idées tangibles pour pouvoir les tester le
d’informations mais également de dépasser les plus vite possible. Un simple dessin, un croquis
chiffres bruts ou les simples déclarations ver- ou un storyboard peuvent déjà être considérés
bales pour mettre à jour des pratiques profon- comme des prototypes.
dément ancrées chez des utilisateurs mais qui Pour finir, la phase d’implémentation consiste à
peuvent être invisibles à première vue. améliorer les idées qui ont été ébauchées et les
La phase d’idéation consiste ensuite, à partir prototypes qui ont été réalisés grâce à une série
du matériau recueilli sur le terrain, à générer de tests qui nécessiteront à nouveau de retour-
des solutions et des idées nouvelles et à les ner sur le terrain, d’observer ce qui se passe et
rendre concrètes le plus rapidement possible. de générer de nouvelles idées. À partir de là,
C’est au cours de cette phase que l’on emploie les étapes précédentes vont se répéter, aussi
les techniques créatives auxquelles on réduit longtemps que nécessaire. Le design thinking

36 I2D - Information, données & documen­ts - 2017, n° 1


DOSSIER

Fig. 1 idées sont triées et sélectionnées). Le point de


Le processus de design pour Tim Brown départ de la divergence et le point d’arrivée de
la convergence sont les mêmes : c’est le réel,
le terrain, les utilisateurs, dont il faut s’éloigner
dans un premier temps – pour voir les choses
sous un jour nouveau ou trouver de nouvelles
idées – pour mieux y revenir ensuite.
On doit à Damien Newman (un designer d’Ideo)
une représentation visuelle du processus qui
est particulièrement parlante et qui est souvent
citée. Il s’agit d’un dessin qui prend la forme
d’un gribouillis confus (représentant la période
de divergence et le tâtonnement initial du projet)
est une méthode itérative : c’est à travers un qui s’affine progressivement pour devenir une
cycle de recherches, d’essais et d’erreurs qu’un seule ligne claire et nette (le produit ou le service
projet est progressivement mis en place. Il faut auquel on aboutit).
d’ailleurs préciser qu’en anglais, Tim Brown
ne parle pas de « phases » mais « d’espaces » Design thinking
pour bien marquer le fait qu’inspiration, idéation et conduite de projet
et implémentation ne sont pas des étapes qui
s’enchaînent de façon linéaire mais des modes La ligne de Newman, le double diamant du
de travail entre lesquels il est possible et même Design council ou les trois espaces de Tim
nécessaire d’aller et venir. Brown sont trois façons possibles de visualiser
le processus de design. Dans tous les cas, il
Trois façons de visualiser s’agit d’un cheminement qui permet de passer
d’une situation problématique ou gênante à
le processus de design une situation plus satisfaisante, bref de mener
Ce canevas des trois « i » constitue la vul- un projet. Mais, dans ce cas, qu’est-ce qui 1. Tim Brown. L’Esprit
gate du design thinking mais il est également distingue le design thinking de la conduite de design. Pearson, 2014
possible de trouver des descriptions un peu projet traditionnelle ? 2. Voir par exemple la
différentes du même processus. La d.school description qu’en donne la
Il faut insister en premier lieu sur les points d.school française :
entre par exemple davantage dans les détails communs : que l’on fasse du design ou pas, www.dschool.fr/design-
et identifie neuf étapes différentes2. Le Design un projet démarre avec une commande ou un thinking
Council britannique3 (une institution publique « brief. » Un projet nécessite presque toujours 3. www.designcouncil.
qui prend en charge les questions de design de org.uk
de rompre avec la routine du quotidien, de for-
service au Royaume-Uni) propose un schéma
mer un groupe de travail et de mobiliser des
plus original intitulé le « double diamant » où
compétences transversales. Il est généralement
alternent des périodes de pensée divergente (où
limité dans le temps et il donne lieu à une évalua-
l’on cherche à produire un maximum d’idées)
tion. Ce n’est pas sur ces aspects que le design
et des périodes de pensée convergente (où les
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thinking innove.

Fig 2
Les quatre temps du « double diamant » du Design Council

2017, n° 1 - I2D - Information, données & documen­ts 37


Le design thinking : l’utilisateur au cœur de l’innovation

2 Méthodes et outils

Fig 3
Le « squiggle » de Damien Newman

En revanche, alors que la conduite de projet Les disciplines de l’information et de la com-


traditionnelle est un processus linéaire qui met munication regorgent de problèmes retors :
4. Donald Norman. The l’accent sur la planification et qui est rythmé par organiser des informations pour des individus
Design of everyday things. les décisions d’un comité de pilotage, le design ou des groupes nécessite en effet de prendre
Revised and expanded en compte la culture des utilisateurs finals, leur
est, comme on l’a vu, un processus itératif, qui
edition. MIT Press,
2013, p. 218 met l’accent sur la créativité et qui consiste à vision du monde, leurs intentions, leurs pra-
produire un foisonnement de solutions mises à tiques, leurs compétences, leurs besoins latents
5. Richard Buchanan.
« Wicked Problems in Design l’épreuve du terrain. Comme le souligne Donald et d’y répondre en utilisant des technologies
Thinking ». Design Issues, Norman, c’est une façon de faire très inhabi- variées. Il ne peut pas s’agir d’un processus
1992, vol. 20, n° 2 tuelle et qui distingue les designers d’autres purement rationnel, linéaire ou abstrait. Sans
professionnels du projet : « Les ingénieurs et les cela, le designer, l’ingénieur, le concepteur – qui
commerciaux sont formés pour résoudre des n’est pas un utilisateur comme les autres – ris-
problèmes. Les designers, eux, sont formés pour querait de projeter sa propre vision dans les
découvrir les vrais problèmes  […] C’est pour outils qu’il conçoit et de mettre en place une
cela que, plutôt que de chercher à converger solution inadaptée.
vers une solution, ils commencent par diverger,
par étudier les gens et ce qu’ils essaient de faire, La boîte à outils du designer
générant idées après idées. Ça rend les mana-
gers fous ! Les managers veulent des progrès Le tâtonnement prôné par le design thinking est
alors que les designers donnent l’impression un tâtonnement qui est rigoureux à sa manière
d’avancer à reculons. »4 et qui est abondamment outillé. Certaines
techniques employées sont issues du design
Dans l’absolu, l’approche des designers n’est
en tant que tel (comme les différentes méthodes
pas plus légitime que l’approche plus cou-
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permettant de modéliser l’expérience d’un uti-
rante des ingénieurs et des managers, tout
lisateur : persona, cartographie d’expérience,
dépend en fait du problème que l’on souhaite
etc.). D’autres proviennent de domaines et de
résoudre. Lorsqu’un problème est bien connu,
disciplines variés. Les designers empruntent
lorsque la situation à atteindre a été identifiée
aux anthropologues leurs techniques de
et fait consensus, lorsqu’une solution a fait ses
recherche ethnographique (entretien, observa-
preuves ou que sa faisabilité a été attestée, il
tion, immersion), aux créatifs les méthodes de
vaut mieux s’en tenir aux outils traditionnels
brainstorming qui permettent de générer des
de conduite de projet et à un rétroplanning
idées, aux facilitateurs visuels les représenta-
rigoureux. En revanche, le design thinking est
tions graphiques qui permettent de rendre des
la méthode idéale pour s’atteler à ce que Horst
idées tangibles, aux makers la culture du « faire »
Rittel et à sa suite Richard Buchanan ont qualifié
et les projets marathons en forme de « sprints. »
de « problèmes retors » (« wicked problems » en
anglais)5. Il s’agit de problèmes dans lesquels le Les articles qui suivent sont rédigés par des
facteur humain tient une place prépondérante, designers ou des experts du design thinking, des
qui impliquent des acteurs multiples, et dont la bibliothécaires et des facilitateurs. Ils reviennent
formulation varie en fonction du point de vue chacun à leur façon sur ces différentes compo-
que l’on adopte. Les wicked problems sont des santes de la boîte à outils du design thinking. 
problèmes dont on ne connaît pas la solution
tant qu’on ne l’a pas trouvée. Pour être démê-
lés, ils nécessitent une approche centrée sur
l’humain et par petits pas.

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