L’IMPACT DU DESIGN THINKING

Nicolas Beudon

A.D.B.S. | « I2D - Information, données & documents »

2017/1 Volume 54 | pages 50 à 51

ISSN 2428-2111
DOI 10.3917/i2d.171.0050
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-
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 Le design thinking : l’utilisateur au cœur de l’innovation

3 Expériences et réalisations

L’impact
du design thinking
Nicolas BEUDON
nicolas.beudon@gmail.com [ pratiques ] Une fiche persona ou un brainstorming suscitent davantage de scepticisme
qu’un diagramme de Gantt ou une réunion traditionnelle... Et c’est bien naturel. Face à
une approche nouvelle ou peu connue, on souhaite d’abord être rassuré et convaincu :
est-ce que ça marche ? est-ce que c’est efficace ? Le design thinking est une méthode
orientée vers l’action mais quels sont les résultats concrets dont il peut se prévaloir ?
Pour répondre à cette question, il faut non seulement se plonger dans des études de
cas et des retours d’expérience mais également faire preuve d’esprit critique pour voir
au-delà des effets d’annonce. Les contributeurs de ce troisième pôle ont bien voulu
jouer le jeu : ils évoquent avec franchise leurs projets, leurs réussites mais aussi leurs
tâtonnements et leurs interrogations.

O
n voit régulièrement citer le nom de
grandes entreprises, de start-ups
ou même d’organismes publics
qui ont recours au design thinking
(IBM, Airbnb, DHL, SAP, le gou-
vernement de Singapour, pour n’en citer que
quelques-uns) Mais, au-delà des campagnes
de communication à coup de « buzzword »,
les retours d’expérience concrets sont parfois
difficiles à obtenir.
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relativement rare et, dans les ouvrages ou les
articles consacrés au design thinking, ce sont
souvent les mêmes exemples qui sont ressassés :
le scanner à résonance magnétique pensé pour
les enfants de Doug Dietz, les couffins Embrace
Infant Warmer ou, dans un autre registre, le
plan d’usages de la bibliothèque de Lezoux en
Auvergne conçu par l’équipe de la 27e Région,
un laboratoire français d’innovation public.
Une expérience concluante…

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Le « storytelling », c’est-à-dire le fait de docu-
menter son projet et d’en parler autour de
Ce sont non seulement les retours d’expérience
soi pour essaimer, fait partie intégrante de la
qui font défaut, mais aussi les évaluations et
méthode. Pourtant, rares sont les groupes projets
les bilans concrets. Cette absence alimente
qui vont au bout de cette démarche. Certains
désillusion et méfiance à l’égard d’une « pensée
le font cependant, comme les bibliothécaires
post-it » parfois accusée d’être inefficiente. C’est
de San Jose en Californie qui ont conçu un
pour commencer à combler cette lacune que
makerspace mobile avec des enfants et qui ont
le Hasso-Plattner-Institut (HPI) de Potsdam a
documenté leur travail dans un guide destiné
conduit en 2015 la première enquête de fond
aux professionnels souhaitant s’engager dans
sur le sujet en sondant 235 entreprises de toutes
un projet identique1. Ce type de démarche reste
tailles qui ont recours, sous une forme ou une
autre, au design thinking.

Selon une enquête du Hasso- Premier constat : c’est d’abord le monde de

l’information et de la communication (soit
Plattner-Institut, c’est d’abord 22 % des répondants) qui est séduit par cette
approche, ce qui semble assez logique aux
le monde de l’information et de auteurs de l’étude : « Nous savons que ce milieu
est très réceptif au design thinking car c’est un
la communication qui est séduit bon complément d’autres approches populaires
comme Scrum, Agile ou Lean. Les acteurs du
par l'approche design thinking. marché de l’information et de la communication

50 I2D - Information, données & documen­ts - 2017, n° 1


emploient ce type de méthode parce qu’ils ont
perçu, bien avant les autres, le défi d’innover
que représentent le numérique et la montée
en puissance des utilisateurs. The Economist
a récemment décrit ces évolutions comme une
véritable « explosion cambrienne ». Le secteur de
l’information et de la communication constitue
en quelque sorte une avant-garde qui est tenue
de réagir plus vite que les autres. C’est peut-être
ce qui explique le volume de réponses important
que nous avons obtenu. »2
Parmi les entreprises sondées, une grande
majorité (71 %) estime que le design thinking
a eu un impact positif sur la culture de leurs
équipes, 69 % d’entre elles considèrent qu’il a
permis d’améliorer significativement leur pro-
cessus d’innovation et 48 % constatent que,
grâce à lui, elles ont pu nouer des relations plus
étroites avec leurs utilisateurs ou leurs clients.
…ou un pari risqué
Malgré ces résultats plutôt positifs, le design
thinking est évidement loin d’être la recette
miracle que décrivent parfois certains consul-
tants. S’attaquer à des problèmes complexes,
mettre la créativité au cœur du management et
faire le pari de l’expérimentation peut même être
un choix risqué.
L’université d’Aarhus au Danemark a ainsi suivi
de 2013 à 2015 une équipe de bibliothécaires
formés par Ideo et qui a utilisé les méthodes de
l’agence pour conduire des projets à long terme.
Après une période de grand enthousiasme, le
petit groupe a rapidement été confronté à une
phase de désillusion et de fatigue : « Non seu-
lement l’objectif et la finalité de la démarche
n’étaient pas clairs pour eux [les bibliothécaires],
mais ils ne voyaient aucun résultat concret émer-
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ger de leurs activités [et] la bibliothèque devait
en parallèle continuer de fonctionner au quoti-
dien. »3 Au final, les bibliothécaires ont abouti à
de vrais résultats (comme la rédaction du guide
du design thinking en bibliothèque ou la mise
en place de nouveaux dispositifs de médiation
numérique) mais, sur cinq membres, deux ont
dû quitter le groupe pour cause de burn-out…
Un vaste champ d’action
À l’image de cette conclusion en demi-teinte,
les retours d’expériences qui sont présentés
dans les pages suivantes sont à la fois divers et
contrastés. L’enthousiasme côtoie des points de
vue plus nuancés. Jean-Louis Soubret estime,
par exemple, que le design thinking est trop
éloigné du paradigme dominant dans le monde
de l’édition pour y être applicable4.
La variété des contributions illustre surtout
le vaste champ d’action du design thinking,
DOSSIER
qui va de la conception de services en ligne
jusqu’à celle d’espaces physiques. Dans les
différents projets qui sont décrits, on observe
souvent deux dimensions qui s’entrelacent :
une dimension plus technique et une dimension
plus humaine. Le processus de design apparaît 1. San Jose Public Library’s
tour à tour comme un outil d’empowerment des Mobile Makespace Guide,
utilisateurs et des professionnels nécessitant un https://www.sjpl.org/sites/
default/files/documents/
changement dans les mentalités et comme une MobileMakerspace
méthode plus terre à terre visant à améliorer la GuideBook.pdf
qualité d’un service. Ces deux aspects peuvent 2. J. Schmiedgen,
coexister : pour Frédéric Desgranges5, le design H. Rhinow, E. Köppen,
d’expérience utilisateur est à la fois « une C. Meinel. « Parts Without a
méthode qui permet d’évaluer un produit et/ Whole? The Current State
of Design Thinking Practice
ou un outil » et un levier de management « plus
in Organizations ». Hasso-
fécond que tout autre événement professionnel
Plattner-Institut, 2015.
intégrant le mot changement dans son intitulé. » http://thisisdesignthinking.
net/why-this-site/the-study
Adopter une vision globale 3. C. Dindler, E. Eriksson,
P. Dalsgaard. « A Large-
Cette capacité à jouer sur plusieurs tableaux
est à la fois une force et une faiblesse. Ces dif-
Scale Design Thinking
Project Seen from the
férents niveaux forment en effet « un tout plus Perspective of Participants ».
In : Proceedings of the
grand que les parties » (c’est le titre de l’étude
NordiCHI ‘16, 9th Nordic
du HPI). Il est tentant de faire une application Conference on Human-
purement sectorielle du design thinking, limitée Computer Interaction,
à un domaine bien précis ou à un projet circons- Association for
Computing Machinery,
crit dans le temps mais c’est souvent pour cette
Gothenburg (Suède),
raison précise que les choses ne fonctionnent
23-27 octobre 2016.
pas : 10 % des entreprises sondées par le HPI ACM, 2016
déclarent avoir abandonné la démarche après
4. Voir à ce sujet l’article
l’avoir expérimentée, la plupart du temps parce de J.-L. Soubret p. 67 de
qu’elle était insuffisamment soutenue par leur ce dossier
direction et portée par un groupe limité d’indi- 5. Voir l’article de
vidus motivés. F. Desgranges p. 65
de ce dossier
Le design thinking donne toute sa mesure
6. First Design Thinking
lorsqu’on l’aborde de façon holiste, comme une
Study Proves Successful
véritable philosophie qui imprègne toutes les Application in Companies.
activités d’une organisation, mais c’est para- Hasso-Plattner-Intitut, 2015.
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doxalement à ce moment précis que ses effets http://hpi.de/en/news/
deviennent les plus difficiles à quantifier. Comme jahrgaenge/2015/first-
design-thinking-study-
l’observe Jan Schmiedgen, l’un des auteurs de
proves-successful-
l’étude, auquel nous laisserons le mot de la
application-in-
fin, « il est difficile de mesurer précisément et companies.html
directement les bénéfices financiers du design
thinking. Les réponses que nous avons reçues
indiquent cependant qu’il permet d’améliorer
les processus des entreprises et l’expérience
des utilisateurs de façon durable, ce qui, à long
terme, est synonyme de profits. »6 
2017, n° 1 - I2D - Information, données & documen­ts 51