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Jacques Grégoire
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Jacques GRÉGOIRE
RÉSUMÉ
La publication française du WISC-V est l’occasion d’avoir un regard critique sur
les fondements et l’utilité des mesures de l’intelligence que nous procurent les
échelles de Wechsler. Cet article examine les bases conceptuelles de ces échelles,
partant de la notion d’intelligence globale proposée par Binet jusqu’au modèle
CHC qui sous-tend les contenus et l’organisation du WISC-V. Les forces et
faiblesses de ce modèle sont présentées, ainsi que ses implications pour l’examen
des fonctions intellectuelles. La place de l’analyse des indices et de leur dispersion
dans l’interprétation des performances au WISC-V est discutée. Enfin, les
implications des recherches utilisant la neuro-imagerie pour mettre en évidence
les réseaux neuronaux impliqués dans la résolution des tâches intellectuelles sont
examinées. La cohérence des résultats de ces recherches avec certaines intuitions
de Binet et de Wechsler est mise en évidence.
MOTS-CLÉS : INTELLIGENCE, EXAMEN PSYCHOLOGIQUE, MODÈLE CHC, INDICE,
DISPERSION, NEURO-IMAGERIE
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ABSTRACT
Evolution in the assessment of intellectual functions, between
tradition and innovation
The French publication of the WISC-V is an opportunity to have a critical look
at the foundations and utility of the measurements of intelligence provided by
the Wechsler scales. This article examines the conceptual foundation of these
scales, from the concept of global intelligence proposed by Binet to the CHC
model underlying the contents and organization of the WISC-V. The strengths
and weaknesses of this model are presented, along with its implications for the
assessment of intellectual functions. The role of the index score scatter analysis in
the interpretation of the performances on the WISC-V is discussed. Finally, the
implications of research using neuroimaging to reveal brain networks involved in
solving intellectual tasks are examined. The consistency of the current results with
some of Binet and Wechsler’s intuitions is highlighted.
KEY-WORDS: INTELLIGENCE, PSYCHOLOGICAL ASSESSMENT, CHC MODEL, INDEX,
SCATTER, NEUROIMAGING
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Tableau 1.
Organisation des épreuves du WISC-V (Wechsler, 2016)
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particulier, isolé de tout le reste ne vaut pas grand-chose. [. . .] Ce qui donne une
force démonstrative, c’est un faisceau de tests, un ensemble dont on conserve la
physionomie moyenne » (Binet, 1911). Mais il ne suffit pas d’assembler quelques
épreuves complexes pour construire un bon test d’intelligence, encore faut-il que
ces épreuves reflètent la variété des activités intellectuelles humaines. En ce sens,
le travail du constructeur de tests s’apparente à celui d’un sondeur d’opinion.
Pour obtenir une bonne estimation des jugements au sein d’une population
donnée, il n’est en effet pas nécessaire d’interroger tous les membres de cette
population. L’interview d’un échantillon de la population suffit, pour autant
que cet échantillon soit représentatif, ce qui implique l’usage de procédures
d’échantillonnage rigoureuses. Le même raisonnement peut être tenu à propos
des mesures de l’intelligence globale. Pour obtenir une bonne estimation de
l’intelligence globale d’une personne, il est nécessaire de lui faire passer un
échantillon représentatif de l’univers des tâches intellectuelles.
Si les épreuves d’un test d’intelligence sont suffisamment complexes et
variées et représentent un bon échantillon de l’univers des tâches intellectuelles,
le score global à ce test (QI) permet de réaliser d’assez bonnes prédictions,
dont la précision est supérieure aux mêmes prédictions faites sur la base
de toute autre mesure de caractéristiques psychologiques. C’est le cas des
performances scolaires qui sont généralement bien corrélées avec les mesures
globales d’intelligence. Les données présentées dans le tableau 2 en offrent une
belle illustration. Il s’agit des corrélations entre les mesures au WISC-V et au
test d’apprentissages WIAT-III. À l’exception de la corrélation entre l’indice
Compréhension verbale et les performances en langage oral, les corrélations des
apprentissages sont toujours supérieures avec le QI total.
De nombreuses corrélations élevées ont aussi été observées entre les mesures
d’intelligence globale et les performances professionnelles, la santé ou encore la
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Tableau 3.
Corrélations entre diverses épreuves du WISC-V (Wechsler, 2016).
Cubes 0,44
Matrices 0,48 0,50
Arithmétique 0,48 0,46 0,48
Mémoire de 0,47 0,42 0,48 0,53
chiffres
sont corrélées entre elles. Utilisant l’analyse factorielle dont il est le fondateur,
il identifie un facteur commun à toutes les mesures intellectuelles. Faute d’en
saisir la nature précise, il le nomme simplement facteur g. Le tableau 3 offre une
illustration du constat initial fait par Spearman, cette fois avec des épreuves du
WISC-V. On peut constater que des épreuves a priori très différentes, qui mettent
en œuvre des processus mentaux bien distincts, présentent des corrélations
situées entre 0,40 et 0,50.
Sur la base de ses recherches à l’aide de l’analyse factorielle, Spearman propose
un modèle bifactoriel de l’intelligence, dans lequel les tâches intellectuelles sont
déterminées par le Facteur commun (g) et par des Facteurs spécifiques (s) propres
à chaque tâche. Spearman considère que le QI mesuré par des tests d’intelligence
globale du type de celui de Binet est une bonne approximation de g, car ce dernier
étant le facteur commun à toutes les tâches, il détermine la plus grande part de la
variance du score total.
Par la suite, plusieurs autres auteurs ont mis en question le caractère unitaire
de l’intelligence globale, mais de manière beaucoup plus profonde. Au début des
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Les recherches que mène Raymond Cattell dans les années 1960 sur la
structure de l’intelligence se révèlent, par contre, plus fructueuses pour la
psychométrie. Cattell (1963) identifie tout d’abord deux aptitudes intellectuelles
de grande étendue : l’« intelligence fluide » (Gf) et l’« intelligence cristallisée »
(Gc). Avec son collègue Horn, il identifie, par la suite, plusieurs autres aptitudes
intellectuelles de grande étendue. La liste finale des aptitudes identifiées par
Cattell et Horn est présentée dans le tableau 4.
Indépendamment des travaux de Cattell et Horn, Carroll (1993) identifie
les mêmes aptitudes de grande étendue en analysant plus de 460 matrices
de corrélations issues des nombreuses recherches menées sur l’intelligence en
Amérique du Nord et en Europe. La seule différence majeure est que Carroll
prend en compte les corrélations existant entre les aptitudes de large étendue
et intègre le facteur g au sein d’un modèle hiérarchique de l’intelligence qu’il
nomme Three-Stratum Theory of Cognitive Abilities. Ce modèle est représenté dans la
figure 1. Au premier niveau de ce modèle se trouve un grand nombre d’aptitudes
Tableau 4.
Aptitudes intellectuelles de grande étendue identifiées par Cattell et Horn (d’après
Horn & Blankson, 2005)
Raisonnement fluide Gf
Connaissances acquises Gc
Traitement visuel Gv
Traitement auditif Ga
Vitesse de traitement Gs
Mémoire à court terme SAR
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Figure 1.
Modèle en trois strates des aptitudes cognitives (Carroll, 1993)
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Tableau 5.
Correspondance entre Indices du WISC-V et composantes du modèle CHC.
Indice CHC
entre le nom des indices du WISC-V et celui des composantes du modèle CHC
est présentée dans le tableau 4.
Les études de validité de la structure interne du WISC-V confirment que les
dix épreuves de base permettent une bonne estimation de cinq aptitudes de large
étendue et d’une aptitude générale couvrant l’ensemble de l’activité intellectuelle.
Figure 2.
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Figure 3.
Caractéristiques mesurées par les scores composites du WISC-V (Gré-
goire, à paraître).
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 457
Cette spécificité est bien illustrée par la dispersion des indices. Il est en effet
fréquent d’observer des résultats assez différents aux cinq indices. Ces différences
peuvent être la conséquence de la spécificité des indices, mais aussi des erreurs de
mesures. Lorsque l’on analyse la dispersion des indices, il est dès lors important de
faire la part des choses entre spécificité et erreur de mesure. Pour ce faire, nous
proposons d’utiliser une méthode simple et rigoureuse. Elle consiste à d’abord
calculer la moyenne des cinq indices, puis la différence entre chaque indice et cette
moyenne. Le manuel du WISC-V mentionne l’erreur type de la différence entre
chaque indice et la moyenne des cinq indices avec plusieurs seuils de signification
statistique. Ces valeurs de référence nous permettent de déterminer à partir de
quel seuil nous pouvons considérer qu’un écart entre un indice et la moyenne
représente une véritable différence et n’est pas un artefact dû aux erreurs de
mesure. La figure 4 illustre graphiquement de cette méthode d’analyse de la
dispersion des indices du WISC-V.
Nous avons utilisé cette méthode pour analyser la dispersion des indices au
sein de l’échantillon d’étalonnage du WISC-V français. Cet échantillon de 1 049
sujets est représentatif de la population française âgée de 6 ans à 16 ans 11
mois. Le tableau 5 présente les résultats de l’analyse de dispersion réalisée en
utilisant le seuil de signification de 0,05 mentionné dans le manuel du WISC-V
(Wechsler, 2016, p. 306). On peut constater qu’avoir au moins un indice s’écartant
significativement de la moyenne est relativement fréquent. C’est en effet le cas de
près des deux tiers des enfants de l’échantillon d’étalonnage. Plus d’un tiers des
enfants de cet échantillon ont même deux indices ou plus qui s’écartent de la
moyenne de leurs cinq indices. Un tel phénomène n’est pas nouveau. Il a été
observé dans tous les échantillons d’étalonnage des échelles de Wechsler (voir,
par exemple, Grégoire & Wierzbicki, 2007).
Tant que les tests d’intelligence ne mesuraient que le seul QI, cette
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IVS
ICV
IRF
= Moyenne
des indices
= Différence effective
+ erreur de mesure IVT
IMT
Figure 4.
Méthodologie d’analyse de la dispersion des scores aux cinq indices
(Grégoire, à paraître)
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Tableau 6.
Nombre d’Indices s’écartant significativement de la moyenne des cinq indices
chez les sujets tout-venant (Grégoire, à paraître)
N % % cumulé
0 34,8 100,0
1 27,6 65,2
2 29,6 37,6
3 6,7 8,0
4 1,2 1,3
5 0,1 0,1
CONCLUSION
Au cours du temps, les échelles de Wechsler se sont progressivement
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RÉFÉRENCES
Binet, A. (1909). Les idées modernes sur les enfants. Paris : Flammarion (réédition, 1973).
Binet, A. (1911). Nouvelles recherches sur la mesure du niveau intellectuel chez les
enfants d’école. L’Ann& Psychologique, 17, 145–201.
Carroll, J. B. (1993). Human cognitive abilities. Cambridge : Cambridge University Press.
Cattell, R. B. (1963). Theory of fluid and crystallized intelligence: A critical
experiment. Journal of Educational Psychology, 54, 1–22.
Colom, R., Flores-Mendoza, C., & Rebollo, I. (2003). Working memory and
intelligence. Personality and Individual Differences, 34, 33–39.
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Duncan, J. Burgess, P., & Emslie, H. (1995). Fluid intelligence after frontal lobe
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Grégoire, J. (a paraitre). Fondements et pratique du WISC-V dans l’examen clinique de
l’intelligence de l’enfant. Bruxelles : Mardaga.
Grégoire, J. & Wierzbicki, C. (2007). Analyse de la dispersion des Indices du WISC-
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