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LES ÉVOLUTIONS DE L’EXAMEN DES FONCTIONS INTELLECTUELLES,

ENTRE TRADITION ET INNOVATION

Jacques Grégoire

NecPlus | « Enfance »

2017/4 N° 4 | pages 443 à 460


ISSN 0013-7545
DOI 10.3917/enf1.174.0443
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfance2-2017-4-page-443.htm
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Les évolutions de l’examen des fonctions
intellectuelles, entre tradition et innovation

Jacques GRÉGOIRE

RÉSUMÉ
La publication française du WISC-V est l’occasion d’avoir un regard critique sur
les fondements et l’utilité des mesures de l’intelligence que nous procurent les
échelles de Wechsler. Cet article examine les bases conceptuelles de ces échelles,
partant de la notion d’intelligence globale proposée par Binet jusqu’au modèle
CHC qui sous-tend les contenus et l’organisation du WISC-V. Les forces et
faiblesses de ce modèle sont présentées, ainsi que ses implications pour l’examen
des fonctions intellectuelles. La place de l’analyse des indices et de leur dispersion
dans l’interprétation des performances au WISC-V est discutée. Enfin, les
implications des recherches utilisant la neuro-imagerie pour mettre en évidence
les réseaux neuronaux impliqués dans la résolution des tâches intellectuelles sont
examinées. La cohérence des résultats de ces recherches avec certaines intuitions
de Binet et de Wechsler est mise en évidence.
MOTS-CLÉS : INTELLIGENCE, EXAMEN PSYCHOLOGIQUE, MODÈLE CHC, INDICE,
DISPERSION, NEURO-IMAGERIE
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Université de Louvain La Neuve, ASH, Faculté de psychologie et des sciences de


l’éducation, Place du Cardinal Mercier 1, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique. E-mail :
jacques.gregoire@uclouvain.be

nfance n◦ 4/2017 | pp. 443-460


444 Jacques GRÉGOIRE

ABSTRACT
Evolution in the assessment of intellectual functions, between
tradition and innovation
The French publication of the WISC-V is an opportunity to have a critical look
at the foundations and utility of the measurements of intelligence provided by
the Wechsler scales. This article examines the conceptual foundation of these
scales, from the concept of global intelligence proposed by Binet to the CHC
model underlying the contents and organization of the WISC-V. The strengths
and weaknesses of this model are presented, along with its implications for the
assessment of intellectual functions. The role of the index score scatter analysis in
the interpretation of the performances on the WISC-V is discussed. Finally, the
implications of research using neuroimaging to reveal brain networks involved in
solving intellectual tasks are examined. The consistency of the current results with
some of Binet and Wechsler’s intuitions is highlighted.
KEY-WORDS: INTELLIGENCE, PSYCHOLOGICAL ASSESSMENT, CHC MODEL, INDEX,
SCATTER, NEUROIMAGING
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Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 445

LE WISC-V ET LA MESURE DE L’INTELLIGENCE


La publication française de la cinquième version de l’Échelle d’intelligence de
Wechsler pour enfants (WISC-V) est l’occasion de questionner les fondements
et l’utilité des mesures de l’intelligence proposées par Wechsler. Le WISC-V
est l’héritier d’une longue lignée de tests d’intelligence dont l’origine remonte à
1939, lorsque Wechsler publie un premier test d’intelligence destiné aux adultes.
Dans la foulée, il crée un test destiné aux enfants et aux adolescents (le WISC)
et un troisième pour les très jeunes enfants (le WPPSI). Chacune des échelles
de Wechsler a fait l’objet de plusieurs révisions au cours du temps, portant sur
l’étalonnage, mais aussi sur le contenu et l’organisation des épreuves. Toutes ces
échelles ont été adaptées dans de nombreuses langues et constituent des tests de
référence dans le monde entier.
Par rapport à la version précédente qui ne permettait de mesurer que quatre
indices, le WISC-V en introduit un cinquième, conséquence de la scission de
l’ancien indice « Raisonnement perceptif » en deux indices plus homogènes,
« Visuospatial » et « Raisonnement fluide ». La composition de chacun des cinq
indices est présentée dans le tableau 1. Pour assurer une fiabilité suffisante des
scores composites, chaque indice est mesuré par deux épreuves qui apparaissent
dans la zone grisée du tableau. Pour certains indices, le nombre d’épreuves est
toutefois plus réduit que dans les versions précédentes. Il était en effet nécessaire
de restreindre à dix le nombre d’épreuves de base afin que le temps de passation
de l’ensemble du test soit adapté pour de jeunes enfants. En plus des épreuves
de base, le WISC-V comprend plusieurs épreuves optionnelles qui permettent de
remplacer une épreuve régulière lorsque celle-ci est gâchée. Ces épreuves peuvent
également être utilisées pour approfondir l’examen et croiser les informations.
Outre le calcul des indices, le WISC-V permet le calcul du traditionnel QI. Il
se base sur les résultats à sept épreuves dont le nom est souligné dans le tableau 1.
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Les deux épreuves régulières de Compréhension verbale et de Raisonnement
perceptif et une seule épreuve de chacun des trois autres indices sont prises
en compte pour le calcul du QI. Ce choix reflète le poids que les concepteurs

Tableau 1.
Organisation des épreuves du WISC-V (Wechsler, 2016)

Compréhension Visuospatial Raisonnement Mémoire Vitesse de


verbale fluide de travail traitement

Similitudes Cubes Matrices Mémoire de Code


Chiffres
Vocabulaire Puzzles Balances Mémoire des Symboles
visuels images
Information Arithmétique Séquence Barrage
lettres-chiffres

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du WISC-V ont voulu donner à deux des grandes facettes de l’intelligence :


l’intelligence fluide et l’intelligence cristallisée.
Comme tous les tests d’intelligence, les échelles de Wechsler se sont trouvées
mêlées aux différentes controverses qui, depuis plus de cent ans, ont mis
en question le concept d’intelligence et sa mesure sous la forme d’un QI.
Certaines critiques sont d’ordre sociologique et politique, la mesure du QI étant
accusée de légitimer et de pérenniser les différences éducatives et économiques.
D’autres critiques proviennent du champ de la psychologie et sont de nature
très variée. Certains auteurs mettent en question le modèle de l’intelligence
choisi par Wechsler, alors que d’autres rejettent le concept même d’intelligence.
Ces critiques nous obligent à nous interroger à propos de la mesure de
l’intelligence. Quelle est aujourd’hui la pertinence des mesures de l’intelligence ?
Ne devrions-nous pas remplacer les mesures de l’intelligence par des mesures
plus spécifiques des fonctions cognitives identifiées par les neuropsychologues ?
Quelle est la valeur théorique et empirique de la nouvelle organisation du
WISC-V ? Les nouveaux indices apportent-ils des informations vraiment utiles en
supplément du traditionnel QI ? Dans la suite de cet article, nous allons apporter
des réponses à ces différentes questions. Pour ce faire, un bref rappel historique
s’impose pour pouvoir comprendre le mélange de constance et de changement
qui caractérise l’évolution des échelles de Wechsler.

LE CONCEPT D’INTELLIGENCE GLOBALE


ET LA MESURE DU QI
À la fin du XIXe siècle, James McKeen Cattell a été le premier à utiliser le
terme de « test mental » pour désigner des épreuves destinées à mesurer des
caractéristiques psychologiques. Les premiers tests qu’il imagine cherchent à
identifier les différences individuelles par des mesures de processus mentaux
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très simples, comme le temps de réaction à des stimuli visuels ou auditifs. Son
assistant, Clark Wissler, constate toutefois que les corrélations entre ces mesures
et les apprentissages scolaires sont quasi nulles, ce qui les rend inutiles pour la
pratique éducative et clinique.
Lorsqu’au début du XXe siècle, Binet reçoit la commande, par le ministère
de l’Instruction publique, d’un test d’intelligence destiné à identifier les enfants
intellectuellement déficients, il a conscience que la voie ouverte par J. M. Cattell
n’est pas la bonne. Il comprend rapidement que, pour prédire les apprentissages
scolaires, les mesures des différences individuelles doivent se focaliser sur des
aptitudes de haut niveau. Selon lui, l’intelligence ne peut être mesurée que
globalement, au travers des performances à des tâches cognitives complexes.
Comme il s’affirme clairement, « C’est par [la] totalité de son intelligence qu’un
individu donne sa valeur. Nous sommes un faisceau de tendances ; et c’est
la résultante de toutes ces tendances qui s’exprime dans nos actes et fait que
notre existence est ce qu’elle est. C’est donc cette totalité qu’il nous faut savoir
apprécier » (Binet, 1909). Cette conception globale de l’intelligence se traduit
logiquement dans la manière de concevoir les tests d’intelligence : « Un test
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 447

particulier, isolé de tout le reste ne vaut pas grand-chose. [. . .] Ce qui donne une
force démonstrative, c’est un faisceau de tests, un ensemble dont on conserve la
physionomie moyenne » (Binet, 1911). Mais il ne suffit pas d’assembler quelques
épreuves complexes pour construire un bon test d’intelligence, encore faut-il que
ces épreuves reflètent la variété des activités intellectuelles humaines. En ce sens,
le travail du constructeur de tests s’apparente à celui d’un sondeur d’opinion.
Pour obtenir une bonne estimation des jugements au sein d’une population
donnée, il n’est en effet pas nécessaire d’interroger tous les membres de cette
population. L’interview d’un échantillon de la population suffit, pour autant
que cet échantillon soit représentatif, ce qui implique l’usage de procédures
d’échantillonnage rigoureuses. Le même raisonnement peut être tenu à propos
des mesures de l’intelligence globale. Pour obtenir une bonne estimation de
l’intelligence globale d’une personne, il est nécessaire de lui faire passer un
échantillon représentatif de l’univers des tâches intellectuelles.
Si les épreuves d’un test d’intelligence sont suffisamment complexes et
variées et représentent un bon échantillon de l’univers des tâches intellectuelles,
le score global à ce test (QI) permet de réaliser d’assez bonnes prédictions,
dont la précision est supérieure aux mêmes prédictions faites sur la base
de toute autre mesure de caractéristiques psychologiques. C’est le cas des
performances scolaires qui sont généralement bien corrélées avec les mesures
globales d’intelligence. Les données présentées dans le tableau 2 en offrent une
belle illustration. Il s’agit des corrélations entre les mesures au WISC-V et au
test d’apprentissages WIAT-III. À l’exception de la corrélation entre l’indice
Compréhension verbale et les performances en langage oral, les corrélations des
apprentissages sont toujours supérieures avec le QI total.
De nombreuses corrélations élevées ont aussi été observées entre les mesures
d’intelligence globale et les performances professionnelles, la santé ou encore la
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Tableau 2.
Corrélations entre les scores composites au WISC-V et les scores au test
d’apprentissages WIAT-III (Wechsler, 2014).

Score Langage oral Compréhension Mathématiques Total des


composite en lecture acquis

Compréhension 0,78 0,65 0,53 0,74


verbale
Raisonnement 0,44 0,30 0,44 0,46
visuospatial
Raisonnement 0,33 0,25 0,45 0,40
fluide
Mémoire de 0,56 0,40 0,46 0,63
travail
Vitesse de 0,22 0,36 0,41 0,34
traitement

QI total 0,74 0,65 0,71 0,81

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longévité de la vie. Ces corrélations sont considérées comme des preuves de la


validité et de l’utilité des tests d’intelligence globale.
Par ailleurs, les mesures d’intelligence globale se révèlent relativement stables
au cours du temps. L’observation la plus spectaculaire de cette stabilité est
rapportée par Deary et al. (2004) qui a utilisé les mesures de l’intelligence
obtenues en 1932 sur la quasi-totalité des élèves écossais alors âgés de 11 ans. En
2001, Deary a pu réunir un échantillon de 550 personnes qui avaient été évaluées
en 1932. Il leur a demandé de répondre à nouveau au même test. Il observe une
corrélation de 0,73 entre le QI mesuré en 1932 et en 2001. Cette relative stabilité
du QI au cours du temps peut s’interpréter comme un « effet Matthieu »1 : les
compétences intellectuelles d’un individu lui permettent d’acquérir de nouvelles
compétences et d’ainsi conforter sa position dans la distribution des QI au sein
de la population.
Dans le cadre des débats sur l’intelligence et le QI, un élément important
est souvent négligé par les protagonistes : le contexte d’utilisation des tests
d’intelligence. Dès leur origine, ces derniers ont été conçus pour être utilisés
dans le cadre d’un examen clinique individuel. Dans ses écrits, Binet souligne
d’ailleurs le rôle essentiel que joue l’utilisateur du test et l’importance de son
interprétation des résultats : « Tout procédé scientifique n’est qu’un instrument
qui a besoin d’être dirigé par une main intelligente. [. . .] Les résultats de notre
examen n’ont pas de valeur s’ils sont séparés de tout commentaire, ils ont besoin
d’être interprétés » (Binet, 1911, p. 60-61). On trouve des commentaires similaires
dans les textes de Wechsler. Praticien à l’hôpital de Bellevue de New York une
grande partie de sa carrière, ce dernier a toujours considéré son test comme un
outil au service du clinicien. De son point de vue, les résultats numériques ne
prennent leur sens qu’au travers de l’interprétation qu’en fait le praticien à la
lumière de sa relation avec le patient et de l’ensemble des informations qu’il a
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pu récolter à son propos. Il est frappant de constater que nombre de critiques
des tests d’intelligence les sortent de leur contexte d’utilisation et les voient
essentiellement comme des machines à étiqueter. Correctement utilisés, dans le
respect des règles de bonne pratique (Voyazopoulos, Vannetzel & Eynard, 2011),
les tests d’intelligence remplissent une fonction très différente, servant avant
tout à éclairer les cliniciens et à les aider à comprendre le fonctionnement des
personnes examinées.

MISE EN QUESTION DU CARACTÈRE UNITAIRE DE


L ’ INTELLIGENCE
Au moment même où Binet travaille au développement d’une mesure globale
de l’intelligence, Spearman (1904) constate que toutes les épreuves intellectuelles

1 Terme proposé par le sociologue R. K. Merton en référence à un passage de l’évangile selon


Saint Matthieu : « Car celui qui a, on lui donnera, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien,
on lui enlèvera même ce qu’il a ».
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 449

Tableau 3.
Corrélations entre diverses épreuves du WISC-V (Wechsler, 2016).

Similitudes Cubes Matrices Arithmétique

Cubes 0,44
Matrices 0,48 0,50
Arithmétique 0,48 0,46 0,48
Mémoire de 0,47 0,42 0,48 0,53
chiffres

sont corrélées entre elles. Utilisant l’analyse factorielle dont il est le fondateur,
il identifie un facteur commun à toutes les mesures intellectuelles. Faute d’en
saisir la nature précise, il le nomme simplement facteur g. Le tableau 3 offre une
illustration du constat initial fait par Spearman, cette fois avec des épreuves du
WISC-V. On peut constater que des épreuves a priori très différentes, qui mettent
en œuvre des processus mentaux bien distincts, présentent des corrélations
situées entre 0,40 et 0,50.
Sur la base de ses recherches à l’aide de l’analyse factorielle, Spearman propose
un modèle bifactoriel de l’intelligence, dans lequel les tâches intellectuelles sont
déterminées par le Facteur commun (g) et par des Facteurs spécifiques (s) propres
à chaque tâche. Spearman considère que le QI mesuré par des tests d’intelligence
globale du type de celui de Binet est une bonne approximation de g, car ce dernier
étant le facteur commun à toutes les tâches, il détermine la plus grande part de la
variance du score total.
Par la suite, plusieurs autres auteurs ont mis en question le caractère unitaire
de l’intelligence globale, mais de manière beaucoup plus profonde. Au début des
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années 1920, Thorndike est le premier à avoir défendu l’existence de plusieurs
formes d’intelligence indépendantes les unes des autres. Thurstone (1938) adopte
quant à lui, une position plus radicale avec son modèle des aptitudes mentales
primaires, puisqu’il élimine totalement le concept d’intelligence. Plus près de
nous, Gardner (1983) développe l’idée initiale de Thorndike en proposant un
modèle des intelligences multiples comprenant, dans sa version finale, huit
formes d’intelligence indépendantes. Sternberg (1985) défend, lui aussi, l’idée de
plusieurs formes d’intelligences indépendantes, mais limite leur nombre à trois.
Il est intéressant de constater que ces différents modèles alternatifs au modèle
de l’intelligence globale n’ont pas conduit au développement de nouveaux tests
susceptibles de détrôner les traditionnels tests de QI. Le faible impact de ces
modèles sur la pratique de l’examen diagnostique est essentiellement dû à deux
obstacles majeurs. Le premier est la difficulté de mesurer de manière valide
et fiable certaines formes d’intelligence, comme l’intelligence interpersonnelle.
Le second obstacle, plus fondamental, est le constat de corrélations entre les
différentes formes d’intelligence, pourtant censées être indépendantes les unes
des autres.

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Les recherches que mène Raymond Cattell dans les années 1960 sur la
structure de l’intelligence se révèlent, par contre, plus fructueuses pour la
psychométrie. Cattell (1963) identifie tout d’abord deux aptitudes intellectuelles
de grande étendue : l’« intelligence fluide » (Gf) et l’« intelligence cristallisée »
(Gc). Avec son collègue Horn, il identifie, par la suite, plusieurs autres aptitudes
intellectuelles de grande étendue. La liste finale des aptitudes identifiées par
Cattell et Horn est présentée dans le tableau 4.
Indépendamment des travaux de Cattell et Horn, Carroll (1993) identifie
les mêmes aptitudes de grande étendue en analysant plus de 460 matrices
de corrélations issues des nombreuses recherches menées sur l’intelligence en
Amérique du Nord et en Europe. La seule différence majeure est que Carroll
prend en compte les corrélations existant entre les aptitudes de large étendue
et intègre le facteur g au sein d’un modèle hiérarchique de l’intelligence qu’il
nomme Three-Stratum Theory of Cognitive Abilities. Ce modèle est représenté dans la
figure 1. Au premier niveau de ce modèle se trouve un grand nombre d’aptitudes

Tableau 4.
Aptitudes intellectuelles de grande étendue identifiées par Cattell et Horn (d’après
Horn & Blankson, 2005)

Aptitudes de second ordre Sigle

Raisonnement fluide Gf
Connaissances acquises Gc
Traitement visuel Gv
Traitement auditif Ga
Vitesse de traitement Gs
Mémoire à court terme SAR
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Récupération de la mémoire à long terme TST
Connaissances quantitatives Gq

Figure 1.
Modèle en trois strates des aptitudes cognitives (Carroll, 1993)
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 451

d’étendue réduite. Au second niveau apparaissent les aptitudes de grande étendue


qui intègrent les aptitudes élémentaires de même nature. Enfin au troisième
niveau, le facteur g chapeaute l’ensemble des aptitudes. Vu leur grande proximité,
les modèles de Carroll et de Cattell et Horn ont été intégrés dans un modèle
général de l’organisation des aptitudes intellectuelles dénommé par les initiales de
ses trois fondateurs : le modèle CHC (McGrew, 2005).

LE MODÈLE CHC ET SES IMPLICATIONS


PSYCHOMÉTRIQUES
Basé sur des données empiriques solides, le modèle CHC est aujourd’hui une
référence pour le développement des tests d’intelligence qui, pour la plupart,
sont construits sur cette base. Son apport principal est de fournir un cadre de
référence pour échantillonner les tâches à inclure dans le test, ce qui conduit
à une meilleure estimation de l’intelligence globale. Un autre apport important
du modèle CHC est de permettre d’identifier et de mesurer les composantes les
plus importantes de l’intelligence, ce qui représente une source d’informations
précieuses dans le contexte de l’examen clinique. Il est à présent possible
d’analyser le fonctionnement intellectuel au-delà de la seule mesure globale de
son efficience.
Malgré les progrès qu’il a permis pour la mesure de l’intelligence, le
modèle CHC n’est pas sans faiblesse. Basé sur l’analyse factorielle, il ne
fournit qu’un modèle structural de l’intelligence, mais il ne propose aucune
explication de la manière dont celle-ci fonctionne. Il ne nous dit en effet
rien à propos des relations entre les différentes composantes du modèle ni à
propos de leur développement. L’absence de théorie fonctionnelle a comme
conséquence que les aptitudes de niveau deux se voient toutes attribuer le
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même poids dans le modèle. Cette pondération équivalente des composantes
de second ordre est arbitraire. Cette situation pose problème aux développeurs
de tests qui ont bien conscience que certaines composantes jouent un rôle plus
important que d’autres dans l’efficacité du fonctionnement intellectuel. Dans
le cas du WISC-V, les développeurs ont attribué plus de poids à Gc et Gf
qu’aux autres composantes dans le calcul du QI. Mais cette façon de faire
est essentiellement empirique et ne repose pas sur des arguments théoriques
robustes.
Développé sur des bases psychométriques et statistiques, le modèle CHC
commence à profiter de l’éclairage de la neuropsychologie pour comprendre la
manière dont fonctionnent les relations entre ses différentes composantes. Dans
ce cadre, il apparaît nécessaire de préciser et d’unifier les concepts utilisés à la fois
en psychométrie et en neuropsychologie, mais dans des sens parfois différents.
C’est, par exemple, le cas des concepts de fonctions exécutives, de mémoire de
travail ou encore d’attention.

nfance n◦ 4/2017
452 Jacques GRÉGOIRE

LES MESURES DE L’INTELLIGENCE À LA LUMIÈRE DE LA


NEUROPSYCHOLOGIE
De multiples recherches ont été menées sur la correspondance entre l’intelligence
et les fonctions neuropsychologiques. Les plus nombreuses se sont intéressées
à la nature neuropsychologique du facteur g. Kyllonen et Christal (1990) ont
avancé l’hypothèse d’une correspondance entre le facteur g et la capacité de la
mémoire de travail. En effet, toutes les tâches intellectuelles font intervenir la
mémoire de travail à des degrés divers. On peut dès lors penser que les différences
interindividuelles de capacités de la mémoire de travail permettraient d’expliquer
les différences d’efficience intellectuelle dans une large gamme de tâches ainsi
que les corrélations observées entre toutes ces tâches. De leur côté, Duncan
et al. (1995) identifient le facteur g aux fonctions exécutives qui supervisent la
réalisation des comportements motivés. Selon Duncan et al. (1996), les fonctions
cognitives correspondant au facteur g impliquent la coopération de plusieurs
systèmes frontaux distincts, ce que confirment des études utilisant l’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (Prabhakaran et al., 1997). Plusieurs autres
études ont mis en évidence une relation entre le facteur Gf et la mémoire de
travail (par exemple, Colom et al., 2003). Ces dernières observations soulèvent la
question du degré de recouvrement entre g et Gf.
La nature complexe de toutes les épreuves utilisées dans les tests d’intelligence
rend difficile la mise en correspondance terme à terme de composantes de
l’intelligence et de fonctions neuropsychologiques précises. Les résultats les
plus intéressants sont aujourd’hui ceux issus des recherches en neuro-imagerie
fonctionnelle qui étudient l’activité cérébrale lors de la passation de tests
d’intelligence. Ces recherches nous éclairent en effet sur la manière dont
l’intelligence fonctionne face à des tâches complexes. Jung et Haier (2007) ont
passé en revue 37 études de neuro-imagerie fonctionnelle et structurale. Sur cette
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base, ils proposent une Théorie de l’intégration fronto-pariétal de l’intelligence
(P-FIT). Selon cette théorie, plusieurs zones cérébrales sont interaction lors de la
passation des diverses épreuves d’intelligence. De ce point de vue, l’intelligence
ne peut pas être identifiée à une fonction particulière (par exemple, la mémoire
de travail), mais doit plutôt conçue comme un réseau cérébral connectant de
nombreuses fonctions. Bien que cette théorie reste débattue, de nombreux
auteurs admettent aujourd’hui que « les fondements biologiques de l’intelligence
mettent en œuvre des régions corticales largement distribuées et en interaction
étroite » (Lee et al., 2012, p. 38).
Le syndrome du savant apporte une confirmation du modèle de l’intelligence
conçue comme un réseau de régions corticales interagissant de manière efficace.
Ce syndrome est « [un] phénomène rare, mais saisissant où une personne
souffrant de troubles du développement (incluant l’autisme, sans s’y réduire)
présente de spectaculaires îlots de génie au sein de déficits généralisés » (Treffert,
2014, p. 564). Typiquement, les personnes présentant le syndrome du savant
possèdent une habileté spécifique très développée et isolée. Il peut s’agir
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 453

d’habiletés musicales, mathématiques ou visuospatiales, du calcul de calendriers,


du multilinguisme, etc. Ces habiletés sont toujours associées à une mémoire
exceptionnelle des procédures.
Le cas de Kim Peek offre une belle illustration du syndrome du savant
(Kaufman, 2013). Mort en 2009, Kim Peek était né sans corps calleux et
avec des lésions importantes du cervelet. Son raisonnement fluide (Gf) et sa
compréhension verbale (Gc) étaient ceux d’un enfant de 5 ans. Il ne pouvait
pas s’habiller seul et avait besoin d’une assistance constante pour gérer la
vie de tous les jours. Mais, parallèlement à cet important déficit intellectuel,
il avait mémorisé à la perfection environ 12 000 livres, dont la Bible et les
œuvres complètes de Shakespeare. Il avait également mémorisé un grand nombre
d’œuvres musicales classiques. Cette mémoire exceptionnelle était purement
littérale. Dans le syndrome du savant, l’information n’est en effet pas intégrée,
car elle n’est pas traitée par le système cognitif. Elle est simplement stockée à
l’état brut. La personne ne peut dès lors pas utiliser l’information de manière
intelligente et réfléchie pour résoudre un problème ou élaborer de nouvelles idées.
Le fonctionnement de l’intelligence des personnes présentant le syndrome du
savant nous montre que pour être intelligent, il ne suffit pas de posséder une
aptitude de haut niveau, très spécifique et isolée du reste du système cognitif. Il
faut posséder un ensemble d’aptitudes de bonne qualité qui peuvent fonctionner
de concert, formant une organisation efficace et permettant l’adaptation face aux
problèmes quotidiens. Ce constat confirme la conception de l’intelligence comme
un réseau de régions corticales en interaction étroite, qui elle-même rejoint l’idée
défendue par Binet et Wechsler que l’intelligence est une qualité émergente issue
de l’organisation efficace des aptitudes cognitives qui permet de faire face à la
diversité des problèmes que rencontre un individu tout au long de sa vie.
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QUE REPRÉSENTENT LES SCORES COMPOSITES DU
WISC-V ?
Nous venons de voir que, malgré certaines limites, le modèle CHC est une
référence incontournable pour construire un test d’intelligence. Mais quel est son
impact réel sur l’évolution des échelles de Wechsler ? Ces échelles, en particulier
le WISC-V, ont-elles pu se dégager de l’approche essentiellement pragmatique et
a-théorique de leur fondateur ?
Par rapport aux versions précédentes du WISC, sa cinquième version est la
première à avoir été développée en ayant explicitement le modèle CHC en ligne
de mire. L’objectif était que les différents indices correspondent le mieux possible
aux composantes de niveau deux du modèle CHC. Toutefois, pour des raisons
pratiques, il a été décidé de ne mesurer que cinq des huit composantes de second
niveau. Les exigences de fiabilité des mesures requérant que chaque composante
soit mesurée par, au minimum, deux épreuves, il était difficile de concevoir un test
qui comprenne plus de dix épreuves régulières. Le choix des composantes s’est
fait en référence à l’utilité clinique et éducative de celles-ci. La correspondance

nfance n◦ 4/2017
454 Jacques GRÉGOIRE

Tableau 5.
Correspondance entre Indices du WISC-V et composantes du modèle CHC.

Indice CHC

Compréhension verbale Intelligence cristallisée


Visuospatial Perception visuelle
Raisonnement fluide Intelligence fluide
Mémoire de travail Mémoire générale
Vitesse de traitement Rapidité cognitive

entre le nom des indices du WISC-V et celui des composantes du modèle CHC
est présentée dans le tableau 4.
Les études de validité de la structure interne du WISC-V confirment que les
dix épreuves de base permettent une bonne estimation de cinq aptitudes de large
étendue et d’une aptitude générale couvrant l’ensemble de l’activité intellectuelle.

Les résultats de l’analyse confirmatoire sont présentés dans la figure 2. Les


variables observées sont représentées dans les rectangles et les variables estimées
sont représentées dans les ovales. Dans ce modèle factoriel, on postule que les
variables latentes sont les déterminants des variables observées, ce qui justifie
le sens des flèches qui apparaissent dans le graphique. Les valeurs numériques
mentionnées à côté de chacune des flèches représentent les saturations des
épreuves par les facteurs sous-jacents, c’est-à-dire le poids que ces derniers ont
sur les performances observées. On peut constater que le poids de chaque facteur
sur les deux épreuves censées le mesurer est toujours assez élevé. Par contre,
le poids de l’aptitude générale sur les différents facteurs est plus variable. Il est
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modéré dans le cas du facteur Vitesse de traitement, mais nettement plus élevé dans
les autres cas. La saturation est même égale à 1 pour la relation entre l’aptitude
générale et le facteur Raisonnement fluide, ce qui impliquerait une identité entre ces
deux variables latentes. Cette dernière observation va dans le sens de l’hypothèse
avancée par certains chercheurs, comme Gustafsson (1984), qui considèrent que
le facteur g et l’intelligence fluide (Gf) sont des réalités identiques.
La correspondance établie entre les indices du WISC-V et les composantes
de niveau deux du modèle CHC ne nous permet pas d’affirmer que ces indices
sont des mesures pures et exactes de ces composantes. Les scores aux indices
ne sont en fait que des estimations plus ou moins précises des composantes du
modèle CHC. Même les tâches les mieux conçues pour mesurer spécifiquement
une composante du modèle mesurent toujours d’autres caractéristiques. Par
exemple, le subtest Cubes représente une mesure apparemment spécifique de
l’indice Visuospatial (Gv dans le modèle CHC). Il fait effectivement appel à la
capacité d’analyser, encoder et manipuler mentalement des formes spatiales, ce
qui correspond à la définition de Gv (Carroll, 1993). Mais ce subtest demande
également de comprendre une consigne verbale, de percevoir correctement les
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 455

Figure 2.
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Analyse factorielle confirmatoire des données d’étalonnage du WISC-V
(Wechsler, 2016)

stimuli, de faire preuve de dextérité dans la manipulation des cubes, de gérer


la pression du temps, de supporter la frustration de ne pas trouver la solution
du premier coup, d’être capable de persévérer, etc. Toutes ces caractéristiques
qui ne correspondent pas à ce qui est spécifiquement visé par l’épreuve entrent
dans la catégorie des erreurs de mesure. Ces dernières incluent également
des éléments circonstanciels qui surviennent durant la passation de l’épreuve :
inattention, fatigue, démotivation, erreurs de chronométrage ou de cotation, etc.
Il est possible de limiter les erreurs circonstancielles par le respect des règles de
passation, sans pour autant pouvoir les supprimer. L’ensemble des erreurs de
mesure représente une part plus ou moins importante du score observé à une
épreuve. Dans le meilleur des cas, les erreurs de mesure peuvent représenter une
dizaine de pour cent de la variance des scores observés, mais ce pourcentage peut
parfois dépasser vingt et même trente pour cent. Par conséquent, un score ne peut
jamais être considéré a priori comme une mesure précise et indiscutable de ce qu’il

nfance n◦ 4/2017
456 Jacques GRÉGOIRE

prétend représenter. Un travail d’interprétation par le praticien est indispensable.


Il consiste à démêler les différents facteurs qui ont influencé les performances
observées pour pouvoir apprécier la validité des résultats et leur donner sens. Un
test, même parfaitement construit, ne peut jamais donner lieu à des résultats qui
parlent d’eux-mêmes, dont le sens est une évidence. Comme le soulignaient déjà
Binet et Wechsler, les tests d’intelligence ne sont que des outils qui prennent leur
valeur dans des mains expertes. Selon la belle formule d’Alan Kaufman, il est
nécessaire que les tests d’intelligence soient utilisés avec intelligence.
La figure 3 représente ce que mesure chaque score composite du WISC-V.
Les différents indices sont des mesures des composantes de second niveau
du modèle CHC, auxquelles s’ajoute inévitablement une part d’erreur. Mais les
indices mesurent aussi, à des degrés divers, le facteur g qui est l’élément commun
à toutes les épreuves intellectuelles. Dans le schéma, les cercles représentant les
indices ont dès lors une intersection avec g. Le QI est, quant à lui, une mesure
globale de tous les éléments que nous venons de détailler. Il mesure g, mais
aussi les cinq aptitudes de grandes étendues. Il comprend également toutes les
erreurs de mesure qui apparaissent dans les différentes épreuves. Le QI ne peut
dès lors pas être assimilé à g, même si ce facteur explique la plus grande part de sa
variance. Le QI comprend g, mais recouvre une réalité plus large que ce dernier.
Le facteur g justifie le calcul du QI. C’est en effet parce que toutes les épreuves
du WISC-V partagent une composante commune et sont intercorrélées que le
calcul d’un score global pour l’ensemble du test a du sens. Si ce n’était pas le cas,
ce calcul serait absurde et contre-productif. Additionner les scores à des variables
indépendantes conduit inévitablement à réduire la variance du score total, car les
scores aux différentes variables ont tendance à se compenser les uns les autres.
Toutefois, même si les indices et les épreuves du WISC-V partagent une
composante commune, chacun mesure aussi une composante qui lui est propre.
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Figure 3.
Caractéristiques mesurées par les scores composites du WISC-V (Gré-
goire, à paraître).
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 457

Cette spécificité est bien illustrée par la dispersion des indices. Il est en effet
fréquent d’observer des résultats assez différents aux cinq indices. Ces différences
peuvent être la conséquence de la spécificité des indices, mais aussi des erreurs de
mesures. Lorsque l’on analyse la dispersion des indices, il est dès lors important de
faire la part des choses entre spécificité et erreur de mesure. Pour ce faire, nous
proposons d’utiliser une méthode simple et rigoureuse. Elle consiste à d’abord
calculer la moyenne des cinq indices, puis la différence entre chaque indice et cette
moyenne. Le manuel du WISC-V mentionne l’erreur type de la différence entre
chaque indice et la moyenne des cinq indices avec plusieurs seuils de signification
statistique. Ces valeurs de référence nous permettent de déterminer à partir de
quel seuil nous pouvons considérer qu’un écart entre un indice et la moyenne
représente une véritable différence et n’est pas un artefact dû aux erreurs de
mesure. La figure 4 illustre graphiquement de cette méthode d’analyse de la
dispersion des indices du WISC-V.
Nous avons utilisé cette méthode pour analyser la dispersion des indices au
sein de l’échantillon d’étalonnage du WISC-V français. Cet échantillon de 1 049
sujets est représentatif de la population française âgée de 6 ans à 16 ans 11
mois. Le tableau 5 présente les résultats de l’analyse de dispersion réalisée en
utilisant le seuil de signification de 0,05 mentionné dans le manuel du WISC-V
(Wechsler, 2016, p. 306). On peut constater qu’avoir au moins un indice s’écartant
significativement de la moyenne est relativement fréquent. C’est en effet le cas de
près des deux tiers des enfants de l’échantillon d’étalonnage. Plus d’un tiers des
enfants de cet échantillon ont même deux indices ou plus qui s’écartent de la
moyenne de leurs cinq indices. Un tel phénomène n’est pas nouveau. Il a été
observé dans tous les échantillons d’étalonnage des échelles de Wechsler (voir,
par exemple, Grégoire & Wierzbicki, 2007).
Tant que les tests d’intelligence ne mesuraient que le seul QI, cette
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relative hétérogénéité du fonctionnement cognitif des sujets tout-venant passait
inaperçue. Avec le développement des indices, il est apparu qu’une certaine
hétérogénéité des performances entre les différentes facettes de l’intelligence

IVS
ICV
IRF

= Moyenne
des indices

= Différence effective
+ erreur de mesure IVT

IMT

Figure 4.
Méthodologie d’analyse de la dispersion des scores aux cinq indices
(Grégoire, à paraître)

nfance n◦ 4/2017
458 Jacques GRÉGOIRE

Tableau 6.
Nombre d’Indices s’écartant significativement de la moyenne des cinq indices
chez les sujets tout-venant (Grégoire, à paraître)

N % % cumulé

0 34,8 100,0
1 27,6 65,2
2 29,6 37,6
3 6,7 8,0
4 1,2 1,3
5 0,1 0,1

est banale et ne devrait pas automatiquement être interprétée comme le signe


d’un dysfonctionnement intellectuel. Ce phénomène a, par ailleurs, complexifié
l’interprétation des résultats aux échelles de Wechsler. Quelle valeur a encore le
QI lorsque les indices qui lui sont sous-jacents sont très hétérogènes ? Un QI de
110 peut, par exemple, être accompagné d’un indice « Compréhension verbale »
de 133 et d’un indice « Visuospatial » de 85. Dans une telle situation, identifier le
fonctionnement intellectuel à la seule valeur de 110 est réducteur et ne rend pas
compte des particularités cognitives de l’enfant examiné. Comme le montre cet
exemple, les transformations du WISC, en particulier de sa cinquième version,
ne sont pas superficielles. Elles modifient en profondeur la manière dont nous
pouvons appréhender le fonctionnement intellectuel d’un enfant, qu’il souffre ou
non de pathologie.

CONCLUSION
Au cours du temps, les échelles de Wechsler se sont progressivement
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transformées du point de vue de leurs contenus, mais surtout de leur structure.
Initialement construites sur la base de considérations cliniques et pragmatiques,
elles sont aujourd’hui développées en référence à un modèle solide de la structure
de l’intelligence. Ce modèle a permis un meilleur échantillonnage des tâches et la
constitution d’indices plus homogènes et conceptuellement plus pertinents.
Le WISC-V est une évolution, mais pas une révolution. De nombreuses
caractéristiques classiques des échelles sont conservées qui font que cette
cinquième version du WISC ne devrait pas trop bouleverser les praticiens. Ces
derniers devront toutefois sortir de certaines routines et s’intéresser beaucoup
plus à l’analyse des indices et de leur dispersion. Le roi QI ne trône plus seul
dans le domaine des tests d’intelligence. Il faut aujourd’hui pouvoir le nuancer à
la lumière des informations que nous apportent les indices.
Les recherches neuropsychologiques récentes apportent un nouvel éclairage
sur l’intelligence et sa mesure. En particulier, les études de neuro-imagerie fonc-
tionnelle mettent en évidence des réseaux de régions corticales activées lors de la
résolution des tâches intellectuelles. À l’avenir, les recherches en neuropsycholo-
gie devraient nous aider à compléter le modèle CHC qui n’est aujourd’hui qu’un
Les évolutions de l’examen des fonctions intellectuelles, entre tradition et innovation. 459

modèle structurel. Il lui manque encore une théorie fonctionnelle et développe-


mentale de l’intelligence. Les évolutions attendues de notre compréhension de
l’intelligence auront d’inévitables répercussions sur les tests d’intelligence et sur
une future sixième version de l’échelle de Wechsler pour enfants.

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