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DÉPLACEMENTS QUOTIDIENS
L'approche fondée sur le mode de vie dans un contexte de déplacements quotidiens
et de planification
mobilité sociale. « Le bref rêve d’une prospérité sion des parents (Schimpl-Neimanns, 2000). On
sans fin » (Lutz, 1984) que la richesse écono- semble revenir par là à une conception structura-
mique a rendu possible dans les décennies liste des modes de vie (Bourdieu, 1979).
d’après-guerre a aidé à se libérer de façon inat-
tendue des structures traditionnelles, notamment Mobilité
avec la disparition des existences linéaires et pré-
visibles, l’amélioration des possibilités d’éduca- L’idée fondamentale, c’est qu’à des groupes de
tion offertes à toutes les couches de la population, modes de vie correspondent des formes spéci-
le prolongement de l’adolescence, l’évolution des fiques de mobilité. Mais la mobilité est un terme à
relations entre les sexes (y compris la place crois- deux sens. D’une part, elle désigne la mobilité
sante des femmes sur le marché du travail), la sociale et spatiale ; d’autre part, elle désigne une
réduction de la taille des ménages, la diversifica- mobilité à court terme (voyages) et à long terme
tion et la flexibilisation de l’emploi et la dispari- (changement de logement, choix du lieu d’habita-
tion des régimes traditionnels d’utilisation du tion). De surcroît elle sert à désigner un mouve-
temps. En ce qui concerne la mobilité, la motori- ment réel (déménagement, modalité de déplace-
sation des années 1960 et 1970 s’est développée ment, ascension ou déclin social) en même temps
à des rythmes qui n’ont pas cessé de déjouer que des potentialités et des possibilités. Ces der-
toutes les prévisions (Scheiner, 2002). nières façonnent le déplacement mais sont elles-
Tout récemment, la dérégulation du travail mêmes tributaires aussi de l’accessibilité des desti-
en relation avec la mondialisation de l’économie nations comme « offre » (Topp, 1994). Enfin, la
et les effets dans l’espace de la baisse des régimes mobilité dans l’espace est souvent utilisée comme
d’utilisation fixe du temps ont atteint des dimen- synonyme de déplacements physiques, mais elle
sions nouvelles (Wolf et Scholz, 1999). comprend aussi le recours aux médias (« mobilité
Pour les spécialistes des modes de vie, ces virtuelle »), que ce soit par l’utilisation individua-
évolutions structurelles constituent plus un lisée (Internet, courrier électronique, CD-ROM inter-
arrière-plan que l’objet même de l’étude. La actif, télécopie, BTX, téléphone) ou des médias
recherche sur les modes de vie s’intéresse essen- classiques (télévision, radio, presse écrite). Ces
tiellement à la façon dont les individus conçoi- différenciations sont très pertinentes pour analyser
vent leur existence. Le mode de vie est défini les modes de vie et la mobilité.
comme « habitudes régulières de comportement, L’idée que les modes de vie se détachent
qui reflètent des situations structurelles en même (partiellement) des cadres socio-structurels
temps qu’un comportement habituel et des affini- implique que les possibilités d’utilisation de l’es-
tés sociales » (Lüdtke, 1996, p. 140). Le temps pace deviennent plus nombreuses. L’analogie
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Vision urbaine de Fritz Lang dans son film de 1926, Metropolis. AKG
persées. Il trouve des différences importantes cafés, installations sportives ou autres lieux de
entre les distances et le choix des modes, qui per- rencontre (Schulze, 1992, p. 459 et suiv.). Cepen-
met de déterminer des styles de mobilité. dant les modes de vie domestiques et « non spa-
Le concept de style de mobilité a été appli- tiaux » (par exemple liés à l’utilisation des
qué dans des études récentes. Le but est en partie médias ou à la navigation sur le Net) supposent
de donner une description approfondie de formes eux aussi un « positionnement » dans l’espace.
typiques de modalité de déplacement (Lanzen- Celui-ci peut « simplement » indiquer que l’on se
dorf, 2001) ; par ailleurs, l’accent est mis sur des concentre sur la sphère privée ou sur des contacts
modèles théoriques qui permettent d’expliquer planétaires, où les individus « ne se contentent
les modalités de déplacement (Hunecke, 1999). pas de se dissoudre dans l’Internet pour vivre
Cependant, un certain nombre de questions dans le cyberespace » du fait de leur existence
essentielles restent sans réponse, et l’on ne voit matérielle (Rhode-Jüchtern, 1998, p. 7).
pas encore bien dans quelle mesure les modes de En ce qui concerne l’infrastructure interne
vie peuvent être pertinents dans les recherches du foyer, du quartier et du lieu d’habitation, ces
sur la mobilité. Aboutissent-ils à des explications conceptions différenciées de la vie quotidienne
qui confirment les résultats de la socio-démogra- présentent une difficulté (Klee, 2001, p. 162 et
phie classique ? En général, les typologies du suiv.). En effet, si certains ont besoin de centres
mode de vie sont considérées comme des commerciaux, d’installations sportives ou d’un
variables indépendantes et on y voit donc des centre de loisirs à proximité de chez eux, d’autres
styles qui apparaissent de façon autonome. La privilégient l’accès à l’Internet et les services de
question se pose de savoir comment ils sont livraison. Récemment, ces phénomènes ont été
structurellement influencés par les ressources ou examinés en relation avec les modes de vie et le
restrictions qui ne sont pas spécifiques aux modes choix du lieu de résidence.
de vie. On ne voit pas bien non plus ce qui se Chez les sociologues, ce débat est apparu à
trouve « derrière » les modes de vie. La question la suite de recherches sur la ségrégation. La plu-
repose sur la relation forte qui existe entre modes ralisation des modes de vie est associée aux
de vie et problèmes socio-démographiques (par jeunes élites urbaines (jeunes cadres, couples
exemple l’âge), ainsi que sur des considérations salariés sans enfants) dont le mode de vie est éco-
théoriques relatives au degré de dépendance des nomiquement et culturellement dominant, qui se
modes de vie par rapport aux ressources. répandent symboliquement et fonctionnellement
Deuxièmement, les recherches sur la mobi- dans l’espace urbain et évincent d’autres groupes
lité restent focalisées sur le choix du mode de de population en s’emparant de nouveaux quar-
déplacement. Les autres dimensions sont négli- tiers (« embourgeoisement »). En revanche,
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berg (1999), les modes de vie diffèrent encore établies depuis longtemps et des nouveaux arri-
sensiblement selon que l’environnement est vants dans la banlieue de Berlin. Il en ressort que
urbain ou rural, même si des modes de vie « les nouveaux banlieusards » restent tournés, à
urbains ont été relevés dès les années 1960 dans moyen terme, vers le centre-ville, d’où des dis-
des environnements ruraux, parallèlement à tances parcourues quotidiennement assez éle-
l’évolution économique et structurelle (déclin du vées. Cela vaut pour les allers et retours domi-
secteur agricole), avec des phénomènes de déve- cile-travail comme pour les déplacements à des
loppement de banlieues et d’exurbanisation, de fins d’achats ou de loisirs. Selon Scheiner (2002),
motorisation généralisée et de développement des il y a des différences notables à Berlin entre les
médias. La différenciation spatiale est également options spatiales par rapport à l’origine spatiale.
« visible » à l’intérieur des villes (Klee, 2001 Si les habitants d’une même zone résidentielle de
pour Nuremberg ; Wulfhorst, Beckmann, Berlin Ouest ont surtout pour destinations des
Hunecke et Heinze, 2000 pour Cologne). Outre lieux situés dans la partie ouest de la ville, l’in-
les lieux d’implantation, l’importance de la mobi- verse vaut pour les habitants de Berlin Est. Plu-
lité en matière de logement diffère sensiblement sieurs auteurs font état de changements des
en fonction des modes de vie (Schneider et Spel- modalités du déplacement à la suite d’un démé-
lerberg, 1999, p. 219 et suiv.). nagement vers les banlieues – par exemple, d’une
Après avoir procédé à un examen critique augmentation des distances parcourues ou de
des recherches en matière de modes de vie en l’achat d’un second véhicule pour le ménage.
fonction de l’espace, nous en retiendrons deux D’autre part, le premier véhicule du ménage était
constatations. Premièrement, ces recherches por- déjà une condition indispensable du déménage-
tent en général sur les centres urbains à forte den- ment en banlieue, où presque tous les ménages
sité de population. On pense que l’on y trouvera sont motorisés (Herfert, 1997). De ce point de
une concentration de modes de vie extrêmement vue, il n’y a pas de lien de cause à effet évident
différenciés en raison de l’hétérogénéité socio- entre le choix de l’emplacement de l’habitation et
culturelle et de la polarisation économique (Bla- la modalité du déplacement. Ce que l’on constate
sius et Dangschat, 1994). Cette conception étroite en revanche, c’est qu’il faut s’attendre à d’impor-
contredit les thèses selon lesquelles les tantes influences mutuelles entre mobilité à court
recherches sur les modes de vie ont une validité terme et à long terme. On note que les ménages
universelle (Schulze, 1992). De surcroît, on sans véhicule ont davantage tendance à choisir
considère normalement que les modes de vie sont l’emplacement de leur habitation en fonction des
indépendants, sans chercher à savoir quelle est transports publics et de la présence de petites
leur valeur explicative relative par rapport aux infrastructures que les ménages dotés d’un véhi-
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Structures spatio-temporelles
Choix du lieu
Mode de vie d’habitation
Structure sociale
Autre relation
contexte
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Monde
physique
Conception : Scheiner.
11 Scheiner/Kasper 22/05/07 13:24 Page 361
ment-emploi est stable depuis au moins dix ans Si les modes de vie dépendent en partie des
(Kalter, 1994, p. 465). situations sociales, ils ne conviennent pas comme
modèles exclusifs d’explication dans les travaux
Intégration de recherche sur la mobilité. Dans ces travaux, la
valeur du concept de mode de vie réside essen-
La figure 1 s’efforce d’intégrer en un concept de tiellement dans la différenciation des structures
recherche les interdépendances examinées ci-des- sociales par la prise en compte des modèles sub-
sus. L’accent est mis sur le choix du lieu d’habi- jectifs d’explication, des buts d’activité, de
tation et les déplacements quotidiens ainsi que l’orientation des valeurs, des préférences et affi-
sur leur contexte commun et leur relation aux liations (sub)culturelles. Comme ni les structures
structures sociales. Les décisions relatives aux spatiales ni les structures sociales ne peuvent
modalités du déplacement sont prises dans le orienter le comportement (en matière de mobi-
cadre de certaines structures spatio-temporelles. lité), les recherches sur les modes de vie sont en
Celles-ci ne déterminent pas les activités mesure de fournir des explications différenciées
humaines (en particulier s’agissant des occasions concernant des groupes cibles, à la différence des
de déplacements). Il faut plutôt y voir des res- modes d’explication actuelles plus uniformes qui
sources dynamiques et perméables. Les struc- se fondent sur des facteurs socio-économiques et
tures spatio-temporelles sont des macrostructures démographiques.
faites de prescriptions spatiales et temporelles D’une part, la mobilité effective est l’ex-
universelles et nationales (par exemple la divi- pression d’un comportement social et est l’abou-
sion spatiale du travail, la planification régionale tissement d’objectifs et de valeurs individuelles.
au niveau de l’Union européenne, l’infrastructure D’autre part, elle s’inscrit dans un contexte social
de transports rapides) ainsi que de structures et spatial (figure 2). C’est précisément en opposi-
d’habitat et régimes d’utilisation du temps à tion à ce contexte qu’apparaissent les marges à
l’échelle de villes et de quartiers tels que : occu- l’intérieur desquelles la mobilité est possible.
pation des sols, qualité de la vie dans les commu- Cependant, ces marges ne sont pas structurelle-
nautés locales, régimes d’utilisation du temps à ment fixées mais peuvent varier au niveau indivi-
petite échelle (par exemple heures d’ouverture, duel, par exemple du fait de la mobilité propre-
accords sur les emplois du temps), de la situation ment dite. Il est donc important de noter que les
du contexte urbain, etc. Les interprétations doi- contextes, s’ils ne sont pas choisis par l’individu,
vent se faire en fonction des conditions écono- sont des conditions et non des causes du compor-
miques, sociales, politiques et techniques (par tement.
exemple du marché immobilier, des aides fiscales Comme on l’a déjà indiqué, l’idée de base
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dite, en raison de la structure radiale et tournée sociale contre l’anonymat dans le quartier en tant
vers le centre des déplacements domicile-travail. qu’indicateur des relations entre différents
Cependant, du point de vue des résidents d’Esch, groupes sociaux et modes de vie. Le premier
ce n’est pas véritablement un problème étant thème est en rapport avec des observations que
donné qu’un accroissement des infrastructures et nous avons faites plus haut sur les relations entre
d’autres éléments d’urbanisation toucherait leur le changement de logement et les déplacements
« monde quasi idéal » et pourrait amener certains quotidiens. Les deux autres sont des facteurs
à déménager plus loin. En matière d’urbanisme, essentiels de qualité de vie et de satisfaction, qui
la première chose à faire serait donc peut-être de pourraient éventuellement offrir l’occasion de
signaler qu’un problème objectif se pose au-delà renforcer les liens à l’intérieur d’un quartier et de
de la justification subjective et individuelle de diminuer la circulation (liée aux loisirs) en rédui-
l’utilisation de la voiture. sant les distances et en favorisant les modes de
Par opposition, Stammheim est considéré déplacement non motorisés.
par les spécialistes locaux comme un lieu « diffé-
rent », et ils estiment que travailler dans le quar- L’installation à Stammheim : les déplacements
tier ou pour le quartier est un « pari difficile ». quotidiens et l’accessibilité ne sont pas
Stammheim est considéré avec mépris et n’a des critères pertinents
guère d’identité positive, ce contre quoi les spé-
cialistes s’appliquent précisément à lutter. S’installer à Stammheim n’est généralement pas
Ce qui caractérise Stammheim, c’est une synonyme de décision explicite. C’est plutôt
séparation nette entre les différents groupes de parce qu’une occasion est saisie. Généralement,
population. Construit en 1963-1964 à proximité les personnes interrogées sur les raisons de leur
du vieux village de Stammheim, le quartier abrite venue à Stammheim invoquent « le hasard ». Les
des modes de vie très différents : celui des facteurs les plus répandus sont les parents et amis
« autochtones » du vieux Stammheim, celui des qui habitent déjà à Stammheim et qui en disent du
premiers habitants du nouveau Stammheim – qui, bien quand un appartement se libère. De la sorte,
entre-temps, sont passés de la famille au ménage les quartiers sont « légués » un peu comme des
du troisième âge – et ceux des diverses vagues maisons le sont par leurs propriétaires. Le choix
d’immigrés, qui ont été installés dans les loge- du lieu de résidence n’est donc pas seulement une
ments publics. Pour tous ces groupes, les choix décision déterminée par la loi de l’offre et de la
de logement étaient restreints. Selon l’interpréta- demande ; il est aussi préconditionné par le lieu
tion d’un spécialiste, faute de choix les gens ont où l’on a grandi. La diversité des surfaces des
eu du mal à se rapprocher, ce qui est à l’origine appartements est un avantage si l’on veut démé-
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dents que leur lieu de travail soit à deux ou dix de compte, des disputes qui à chaque fois devien-
kilomètres de chez eux tant qu’il se trouve à un nent un événement semi-public. Le sentiment
temps-distance acceptable. d’agression est particulièrement vif et les accusa-
tions sont promptes. Par exemple, il y a eu des
Régulation sociale ou anonymat : l’air des villes heurts entre adolescents d’origine turque et russe
rend-il les êtres humains véritablement libres ? et Mme J. a déclaré « nous craignions pour nos
enfants et pensions partir mais, depuis, tout s’est
À Stammheim, les relations entre groupes d’habi- arrangé ». Par rapport aux autres quartiers étu-
tants et la diversité de leurs intérêts et modes de diés, ces aspects suscitent un désir de changement
vie sont dominées par le fait que l’ensemble du social, en particulier en ce qui concerne la com-
parc locatif est la propriété d’une société de loge- position sociale des habitants, ainsi qu’un désir
ment. Depuis les années 1960, un code de com- très élevé de protection contre la violence.
portement clair et strict s’est imposé (notamment
sous forme de « règlements d’immeubles »). Ces Espaces verts et espace public :
règlements ont été officialisés par les locataires zones tampons et centre oublié
installés de longue date et n’ont jusqu’à présent
pas été contestés. Les locataires estiment mainte- Les espaces verts dominent à Stammheim, et ser-
nant qu’il est de leur devoir de remédier au vent de zone tampon entre les barres d’im-
laxisme des gardiens d’immeubles des meubles. Autrefois, ils étaient le lieu de conflits
années 1960 et 1970. Ils s’estiment responsables entre gardiens, enfants et mères : « interdit aux
de la régulation et du maintien de l’ordre social, enfants, autorisé aux chiens » (Mme P.). Faute de
alors que les locataires « plus jeunes » jugent que solution de remplacement, l’interdiction était
cette surveillance est excessive : « Les vieux régulièrement violée, même lorsque les consé-
guettent derrière leurs rideaux […]. Ils ne tra- quences en étaient prévisibles. « Les employés de
vaillent plus mais surveillent tout. Du balcon, on la société de logement suivaient les enfants, pre-
les entend parler de tout le monde » (Mme L.). Les naient des photos et déposaient plainte » (Mme P.).
« nouveaux » gâchent les plaisirs paisibles des Dans le quartier, on ne trouve aucun site qui
retraités et menacent leur mode de vie. puisse être qualifié de « beau » ou « charmant ».
Il existe aussi des disparités entre les traite- Les habitants regrettent qu’il n’y ait pas dans le
ments (jugés à tort ou à raison injustes) réservés quartier d’endroit où l’on puisse aller, se rencon-
aux locataires lorsqu’il s’agit de rénover les trer, flâner ou se reposer. L’espace situé en face
appartements après un départ. Outre qu’elle est de l’église ou le centre socioculturel sont étroite-
perçue comme une injustice, cette question est ment tributaires d’une intention fonctionnelle et
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En résumé, on ne peut plus considérer des le moyen de combler l’écart entre les besoins
cités du type de Stammheim comme des quartiers propres au style de vie des résidents de Stamm-
anonymes ou des lieux de transit. Des réseaux de heim et les structures environnementales.
voisinage solides se constituent à l’occasion de S’agissant des divers types de problèmes et
rencontres, d’amitiés ou de liens familiaux. Leur de l’hétérogénéité des intérêts des résidents, l’ef-
expression spatiale se manifeste par des modes de fort pour combler cet écart doit 1) aller au-delà
vie. De surcroît, ces réseaux servent à se démar- de la planification classique (bâtiments, infra-
quer des groupes indésirables. En particulier, des structures, etc.), 2) ne pas négliger la capacité
limites sont tracées entre les résidents de longue des résidents à défendre eux-mêmes leurs inté-
date et leur famille, d’un côté, et les nouveaux rêts. L’instrument de cette démarche – où la pla-
résidents, de l’autre. La régulation sociale exer- nification est conçue de façon plus proche des
cée par les premiers est facilitée par la clarté de exigences de la « réalité » – est la « conception
l’espace public, puisqu’il n’y a pas moyen de se sociospatiale ». Ce n’est pas seulement ce que
retirer dans un espace semi-public, que l’aligne- l’on appelle d’ordinaire « plan » ; c’est plutôt un
ment des immeubles résidentiels ne le favorise ensemble potentiel de mesures et stratégies à dif-
pas et qu’il s’ensuivrait inévitablement des per- férents niveaux :
turbations. Enfin, une mise en œuvre floue de – concepts de planification pour l’environnement
règlements qui sont officiellement stricts mais construit (par exemple lien avec le réseau
mal appliqués aggrave l’ambiguïté. Quant aux public de transport) ;
espaces verts, ils constituent une zone tampon – conceptions ou scénarios structurels (par
dysfonctionnelle que l’on ne peut s’approprier. exemple utilisation et surveillance des
Enfin, l’absence de centre contribue à l’abandon espaces verts, répartition des habitations) ;
du quartier pour les activités quotidiennes. D’où – modèles de participation (par exemple avec la
une incompatibilité entre modes de vie différents société de logement, les responsabilités nou-
et une non-adaptabilité de l’environnement socio- velles).
spatial aux nouveaux modes de vie. À l’heure où nous écrivions la présente étude,
Dans l’ensemble, on peut dire que les bâti- nous préparions à Stammheim un atelier avec des
ments, espaces publics et structures d’organisa- spécialistes locaux, des résidents et des experts
tion ne correspondent plus au fait que les besoins non locaux dont les perspectives sont extérieures
et modes de vie des résidents sont différents. Cela pour élaborer des objectifs à court terme et moyen
ressort tout particulièrement de la gêne qu’occa- terme, des orientations et des concepts. À partir
sionnent des modes de vie tournés vers l’exté- des résultats empiriques, les urbanistes du projet
rieur, qui privilégient certains loisirs et modes de recherche « StadtLeben » ont conçu des scéna-
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nents pour des groupes sociaux différents en urbain, ainsi que l’amélioration des transports
prenant diverses mesures de construction ou publics et la mise en valeur de l’espace public.
d’organisation. Ce scénario a de bonnes Ces scénarios peuvent également se combiner
chances de réussite parce que la municipa- entre eux. Le caractère extrémiste ou « radical »
lité de Cologne, les sociétés de logement et de certains scénarios n’a pas été retenu pour rétré-
diverses organisations sociales travaillent cir d’emblée l’éventail. Les participants à l’atelier
dans ce sens pour remédier aux problèmes. doivent avoir leur mot à dire sur les questions de
L’inconvénient, c’est qu’il est peu probable structure et pas seulement sur les détails d’une
que l’on rendra ainsi plus compatibles les situation donnée.
modes de vie et le contexte spatial. Les scénarios seront examinés, testés et pro-
c) « Embourgeoisement » : il s’agit d’amener des posés lors de l’atelier ; il s’agit de savoir le type
groupes à venir habiter le quartier, et d’autres d’impact propre à chacun. En ce qui concerne les
à le quitter. On construira de nouveaux appar- conséquences spatiales, sociales et économiques,
tements de grand standing pour habitants les scénarios seront établis de façon à rendre les
aisés soit en ajoutant un étage ou plus aux évaluations plus faciles de la part des partici-
immeubles, soit en construisant de nouveaux pants. En ce qui concerne la mobilité, une éva-
immeubles entre les anciens. La structure luation de ses conséquences figurera également
spatiale et organisationnelle sera conservée. dans chaque scénario ; il s’agit de savoir quels
d) « Les copropriétés du Rhin » : la structure spa- sont les résultats des scénarios sous l’angle des
tiale restera la même mais l’organisation migrations des anciens et nouveaux habitants et
sera adaptée aux modes de vie modernes du développement de la mobilité dans l’espace.
(par exemple services aux ménages). Ce Chaque quartier aura pour responsabilité de
pourrait être un ensemble de luxe sur le Rhin déterminer s’il faut élaborer de nouvelles struc-
pour des groupes de propriétaires ou de loca- tures de communauté ou d’accessibilité.
taires aisés. Actuellement, il y a à Cologne
une demande de logements de grand stan- Perspectives
ding. Les habitants actuels seraient relogés.
e) « Démolition et rénovation » : aide à la pro- Le développement de la mobilité spatiale en rela-
priété pour des « jeunes familles » : cela sup- tion avec l’individualisation et la pluralisation
pose le relogement des habitants actuels et des modes de vie est de plus en plus incompatible
un développement fondé sur les maisons avec la réglementation par voie de planification.
individuelles pour les classes moyennes. On s’en aperçoit à la dispersion de plus en plus
f) « Démolition et rénovation » : création de nou- marquée dans l’espace, qui va contre les poli-
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ditionnelles. Bien que l’on prévoie souvent un Des interprétations comparables des modes
recours accru aux services d’information et de de vie, quartiers, communautés et déplacements
communication, le quartier reste un foyer de vie peuvent être intégrées dans la conception de la
humaine et constitue le décor des modes de vie. planification du logement et de la mobilité. Ces
À mesure que les besoins se diversifient, la concepts feront le lien entre la recherche fonda-
conception et l’organisation de l’environnement mentale et l’urbanisme appliqué. Dans l’hypo-
local ainsi que le choix de l’emplacement du thèse où le comportement spatial se détache de
logement ont des impacts très importants sur les plus en plus des cadres (infra)structurels, la pla-
déplacements quotidiens. nification doit également se dégager de ces
Stammheim ne constitue pas une exception.
conditions. Le « concept » ne s’ajuste pas étroi-
En Allemagne, de nombreux quartiers semblables
tement dans des schémas bidimensionnels. Il
à Stammheim passent par une phase de transfor-
mation fondamentale. Étant donné que le déve- faut une conception plus large de la planification
loppement général de ces quartiers et les autres qui prenne en compte un schéma plus individua-
options structurelles ne sont pas examinées de lisé et orienté sur la demande, avec une riche
près, ce que l’on voit apparaître, c’est une multi- panoplie de mesures organisationnelles, infra-
plicité de solutions de circonstances qui n’abou- structurelles, constructives et politiques. Alors,
tissent pas à des solutions durables. Les quartiers l’expression « planification intégrée » prendra
ne sont pas adaptés aux demandes et besoins nou- tout son sens.
veaux qui apparaissent avec la différenciation des
modes de vie. Traduit de l’anglais
Références