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EXPORTATION DES DÉCHETS ET SOLIDARITÉ SPATIALE ENTRE LA VILLE

ET SON ESPACE PÉRIURBAIN


Le cas de Tours

José Serrano

ERES | « Espaces et sociétés »

2011/4 n° 147 | pages 117 à 134


ISSN 0014-0481
ISBN 9782749215129
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https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2011-4-page-117.htm
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Exportation des déchets


et solidarité spatiale
entre la ville et son espace périurbain.
Le cas de Tours
José Serrano

L e développement durable s’inscrit dans le long terme et cherche à intégrer les


préoccupations écologiques, économiques et sociales. La traduction territoriale
du développement durable ajoute les principes d’interdépendance et d’équité
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(Laganier, et al., 2002). Tout comme les générations futures sont liées par les
choix économiques d’aujourd’hui, les territoires sont interdépendants et peuvent
être affectés par des décisions d’aménagement qui sont prises ailleurs. Le prin-
cipe d’équité vient rééquilibrer les relations entre les territoires. Le développe-
ment d’un territoire n’est pas durable s’il se fait au détriment d’un autre.
L’article se propose d’étudier la mise en œuvre concrète de ces deux prin-
cipes à travers un cas de traitement de déchets. L’agglomération tourangelle épand
les boues issues de l’assainissement des eaux domestiques. La station d’épura-
tion collecte les eaux de quatorze communes du noyau urbain alors que les boues
sont épandues sur cinquante et une communes situées entre sept et trente kilo-
mètres de l’agglomération (cf. carte 1). Les boues d’assainissement contiennent
des éléments pathogènes et sont considérées comme un déchet par la législation
française. Bien que strictement encadré, l’épandage des boues peut entraîner une

José Serrano, enseignant-chercheur, École polytechnique de l’université de Tours


jose.serrano@univ-tours.fr
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accumulation d’éléments traces qui fait courir un risque sanitaire aux populations
riveraines. C’est bien la question de l’exportation d’un risque environnemental
et de l’équité qui est posée entre le pôle urbain et son espace périphérique. Nous
proposons d’étudier comment a été pensée la solidarité du pôle urbain avec son
espace périurbain à travers des entretiens semi-directifs auprès des acteurs de la
filière d’épandage. Les élus des communes concernées, les techniciens et les agri-
culteurs chargés de l’application du plan d’épandage ainsi que les associations
ayant contesté le plan ont été interrogés. Les entretiens ont été complétés par le
dépouillement des avis recueillis lors de l’enquête publique.
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Carte 1– Épandage des boues de la station dépuration de Tours+ en 2002


et périmètres des établissements de coopératuion intercommunale
(Source : D. Andrieu, MSH de Tours, novembre 2010)
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Comme grille d’analyse nous avons utilisé les concepts d’économie de


proximité et de justice environnementale. Les boues sont épandues dans des
espaces périurbains qui font l’objet d’usages multiples. Ce sont des espaces de
production pour les agriculteurs, un cadre de vie pour les personnes qui y rési-
dent, ou encore un espace de relégation des activités peu désirables pour le pôle
urbain. La multiplicité de ces usages peut-être traitée de manière coordonnée
ou exclusive suivant le type de relations qu’arrivent à établir les agents. Nous
utiliserons la typologie de Caron et Torre (2005) pour les analyser. Ce sera l’ob-
jet de la première partie. La notion d’équité quant à elle renvoie davantage à
la notion de justice et son corollaire, les inégalités. C’est une notion plus norma-
tive. Elle complète l’approche économique des relations entre acteurs mais
nécessite d’être clairement définie. Jusqu’ici, le concept de justice environne-
mentale a été peu mobilisé dans la littérature française (Villalba et al., 2007).
Ce concept est au cœur du développement durable puisqu’il permet de joindre
les dimensions sociales et environnementales. Il fait encore l’objet d’ap-
proches différentes (Charles et al., 2007). Nous tenterons de nous appuyer
dessus pour compléter l’analyse de notre cas d’étude. Dans la deuxième partie,
nous essayerons de préciser la notion de justice environnementale à partir de
la littérature existante. Dans une troisième partie nous ouvrirons une discus-
sion sur la durabilité des relations pôle urbain-espace périphérique à l’aune de
l’interdépendance et de l’équité.

LA SOLIDARITÉ ENTRE L’AGGLOMÉRATION ET SON ESPACE PÉRIURBAIN :


UNE APPROCHE PAR L’ÉCONOMIE DE LA PROXIMITÉ

Les rapports entre les différents utilisateurs de l’espace sont analysés en


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utilisant les concepts d’effets technologiques externes et d’effet externe de la
décision politique (Jeannaux, 2006). Ceci nous permet de caractériser les rela-
tions de préférences et de marchandages politiques qui aboutissent à une
redistribution des droits d’usages des espaces périurbains. Nous utiliserons
ensuite le concept de proximité organisée (Caron et Torre, op. cit.) pour expli-
quer la coordination entre les acteurs et l’issue des oppositions.

Des espaces complémentaires et économiquement liés

Les aires urbaines peuvent être divisées en deux sous-espaces articulés aux
fonctions complémentaires (Roux et Vanier, 2008). Le pôle urbain concentre la
population et les emplois tandis que les espaces périurbains deviennent des
espaces résidentiels et sont le lieu privilégié du contact avec la nature. En fonc-
tion de leur besoin en foncier, les activités économiques se localisent selon un
gradient centre-périphérie. Les services sont concentrés dans le noyau urbain. La
logistique, l’industrie ou la construction à la recherche de larges espaces se délo-
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calisent dans l’espace périurbain proche alors que les activités agricoles et sylvi-
coles se concentrent à la périphérie. Bien que la rente foncière agisse dans la loca-
lisation des activités et des ménages, l’aire urbaine n’est pas spatialement
organisée selon un schéma concentrique mais plutôt selon des espaces imbriqués.
Cela veut dire que les zones de contact entre les activités de natures différentes
sont plus nombreuses, cela veut dire aussi que les activités agricoles peuvent être
très proches des noyaux urbains (Roux et Vanier, op. cit.).
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Carte 2 – Épandage des boues de la station d’épuration de Tours+ en 2002


et densité de population en 1999
(Source : D. Andrieu, MSH « Villes et Territoires »,
université de Tours-CNRS, juillet 2005)
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Dans le cas présent, l’épandage des boues de la station d’épuration


aurait pu se faire in situ dans les communes du pôle urbain. Au lieu de cela
c’est l’éloignement qui a été choisi. Les boues sont épandues dans des
communes de faible densité (cf. carte 2). Bien qu’interdépendantes, une
hiérarchie des activités existe. Pour l’agglomération centre, l’espace périur-
bain est un espace de relégation des activités économiques à faible valeur
ajoutée ou indésirables.

Redistribution des droits d’usages des espaces périurbains

Selon une analyse économique, les conflits d’usages peuvent être assi-
milés à des effets externes négatifs induits par des proximités géographiques
subies entre des activités de natures différentes. Dans une économie de
marché, les interactions entre acteurs sont solutionnées par des échanges. Le
prix reflétant un accord entre les acteurs. Si le cadre de vie était un bien
échangeable, les externalités négatives dépréciant le bien seraient traduites
par le marché sur le prix. Mais, le cadre de vie peut être qualifié de bien inter-
médiaire. Il combine des ressources localisées matérielles qui peuvent être
échangées et des biens collectifs fournis par la puissance publique. Il ne peut
être échangé comme le sont des biens privatifs purs et n’est pas exempt de
conflits comme le sont les biens collectifs purs. La redistribution des usages
attribués aux espaces périurbains ne pouvant être analysée à travers des méca-
nismes de marché, Jeannaux (op. cit.) propose les concepts d’effets externes
technologiques et d’effets externes politiques. Les élus sont les agents privi-
légiés pour réguler les usages des biens environnementaux. Ils essayent de
satisfaire le maximum des personnes. Or la recherche du consensus a un coût.
Compte tenu des ressources limitées, les élus vont prendre une décision en
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se basant sur leur représentation de l’intérêt général. Ce faisant, ils ne pren-
nent pas en compte certains intérêts car le coût pour l’acquisition de l’in-
formation exhaustive est trop élevé (Jeannaux, op. cit.). Les personnes qui
subissent l’externalité négative vont réagir de manière conflictuelle. C’est leur
seul moyen de rééquilibrer l’effet négatif subi en émettant un signal. C’est
un processus de rééquilibrage de l’information. La notion d’externalité poli-
tique permet de traiter l’hétérogénéité de l’information et d’analyser le
processus de négociation qui peut aboutir à une redistribution des droits
d’usages.
C’est ce qui est arrivé à l’agglomération tourangelle. Forte du bon fonc-
tionnement de son précédent plan d’épandage, elle a sous-estimé l’opposition
des habitants concernés par le nouveau plan d’épandage (cf. figure 1).
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Figure 1 – Préférences politiques pour la redistribution des droits d’usages


des espaces périurbains dans le cas de l’épandage des boues
de l’agglomération tourangelle
(Source : Serrano, 2011)

Pour l’agglomération tourangelle, la contestation des habitants relève des


fantasmes et est infondée. Elle place sa confiance dans les procédés techniques
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et dans les analyses qui jalonnent tout le processus pour contrôler le risque à
un niveau très bas. La station d’épuration complètement refaite est à la pointe
technologique. Le contrôle de la filière a été amélioré par la construction de
hangars de stockage. L’agglomération souligne que les agriculteurs sont
d’ailleurs demandeurs des boues. Les habitants rurbains ont oublié que vivre
à la campagne c’était aussi supporter les odeurs inhérentes à l’activité agricole.
L’agglomération tourangelle justifie la localisation des épandages et disquali-
fie l’opposition des habitants. Au cours des deux réunions publiques, elle
enverra ses techniciens pour tenter de dissiper les craintes. Elle répond à la
contestation sociale par des arguments d’ordre technique (innocuité des boues,
respect des distances, neutralisation des odeurs…).
Les agriculteurs se divisent en deux groupes quant à l’utilisation de boues.
Tous sont conscients des propriétés fertilisantes et de la dangerosité des boues.
Les partisans de l’épandage ont foi dans les processus techniques de production
et d’épandage des boues. Les contrôles sont stricts et fiables. Les sols locaux
sont aptes à recevoir les boues. Ils mettent en avant que les agriculteurs ne vont
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pas polluer sciemment les terres et mettre en péril leur propre outil de produc-
tion. Toutefois, ces mêmes agriculteurs admettent que s’ils étaient engagés dans
des productions de qualité, ils n’épandraient certainement pas de boues. C’est
sur ce point que les positions se différencient. Les agriculteurs produisant des
produits de qualité (appellation d’origine contrôlée, vente directe) jugent incom-
patible l’établissement d’un lien de confiance avec leurs clients et l’épandage
des boues. Les boues, compte tenu de leur connotation négative, sont contraires
à une politique commerciale basée sur la qualité du produit. Ils rappellent que
les consommateurs sont très versatiles. Ils peuvent se retourner en cas de crise
alimentaire comme cela a été le cas avec la vache folle.
Les habitants sont très majoritairement opposés à l’épandage des boues.
La contestation est d’autant plus vive que leur commune va recevoir des
hangars de stockage. La contestation s’est manifestée à travers l’enquête
publique et au cours des deux réunions d’informations 1. Selon les dires du
président de la commission d’enquête, la réunion à Vernou-sur-Brenne s’est
déroulée dans une ambiance tendue, les réponses aux questions ont été peu
entendues voire qualifiées de mensongères par le public. « Je ne suis pas
d’accord pour un projet de boues de station d’épuration, notre village est
doux, calme, beau, accueillant, que deviendrons-nous tous ; avec ces gros
camions, qui vont passer, pourrons-nous nous promener toujours tranquille,
sans se faire écraser. Et puis, pensons à nos rivières, que vont-elles devenir ;
Nous avons plus ou moins des jardins avec fleurs, légumes et coin de pêche ;
alors ? Qu’allons nous faire ? Et les vignes ! Il faut y penser aussi ! Défendons
tous, notre belle commune de Vernou, et surtout la qualité de l’eau » (M. et
Mme B., habitants de Vernou-sur-Brenne, Observation déposée au registre
d’enquête publique le 24 janvier 2002).
La contestation des habitants a surtout porté sur l’atteinte au cadre de vie.
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Les habitants ont protesté contre les mauvaises odeurs et la circulation des
camions transportant les boues vers les centres de stockage. Les hangars de
stockage exacerbaient le mécontentement. Ils constituent de véritables points
noirs qui rappellent dans le paysage la présence des boues tout au long de l’an-
née. Avec 907 observations, les odeurs sont la première cause de mécontente-
ment. L’atteinte au tourisme et au paysage est la seconde récrimination formulée
(739 observations). Des châteaux privés, des maisons de caractère, des routes
touristiques mettant en valeur le vignoble tirent parti du cadre bucolique. Pour
les habitants, leur présence est aussi la confirmation de la qualité de leur

1. L’enquête publique a recueilli 1304 avis défavorables, 74 avis favorables dont 31 assortis
de conditions (Moreau et al., 2002). 7 pétitions ont été annexées à l’enquête publique. 3 péti-
tions à Saint Quentin-sur-Indrois (489 signatures), 1 pétition à : Luzillé (75 signatures),
Marray (60 signatures), Athée-sur-Cher (7 signatures), 1 pétition d’agriculteurs épandeurs
(13 signatures).
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cadre de vie. Le préjudice subi par les activités d’hôtellerie est donc bel et bien
une atteinte à leur propre cadre de vie. La méfiance des habitants est impor-
tante (738 observations). Ils mettent en doute la fiabilité des contrôles, ce qui
alimente leurs contestations. Les risques pour la santé qui sont liés à la présence
des éléments traces et qui sont moins directement perceptibles ne sont cités
qu’au quatrième rang (616 observations).
Les associations de défense de l’environnement sont divisées sur la ques-
tion des boues. Les associations locales vont relayer la contestation des habi-
tants sans réussir à l’amplifier. Les associations locales 2 de défense de
l’environnement sont centrées sur la défense du cadre de vie. Elles ont un recru-
tement essentiellement communal voire localisé à un hameau. Ces associations
opposées à l’épandage ont fait circuler des pétitions qu’elles ont annexées à
l’enquête publique. Elles ont aussi porté des observations sur le registre de l’en-
quête publique. Les associations se mobilisaient contre les odeurs, les camions,
les hangars. Elles mettaient en avant la perte de tranquillité des habitants. Là
aussi, les risques pour la santé étaient très peu développés. Les associations
adoptaient une position essentiellement contestataire. Elles demandaient que
l’épandage ne se fasse pas dans la commune mais elles ne proposaient pas d’al-
ternative. Cela ne relevait pas de leurs missions. Leur objectif était d’empêcher
une dégradation du cadre de vie. Les associations sont restées dispersées.
Malgré quelques rencontres, elles ne se sont pas fédérées dans un collectif.
Constatant que chacune avait des revendications propres, elles se sont expri-
mées au nom de leurs territoires. L’association départementale de défense de
l’environnement (SEPANT) qui aurait pu fédérer les associations ou du moins
porter un message qui dépasse le localisme des associations communales est
favorable à l’épandage des boues 3. Elle a une approche technique qui rejoint
celle de l’agglomération tourangelle et des agriculteurs. Compte tenu des
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contrôles et de la technicité des acteurs, la filière est fiable. Les odeurs ne sont
incommodantes que pendant quarante-huit heures et ne méritent pas que
l’épandage agricole soit abandonné.
L’épandage des boues d’assainissement est bien connu des communes
puisque toutes les communes concernées par le plan d’épandage de l’agglo-
mération tourangelle épandent leurs boues issues de leur propre assainisse-
ment. Pourtant, les conseils municipaux sont partagés entre le relais de la
contestation de leurs administrés et l’approbation du plan d’épandage de
l’agglomération tourangelle. Les communes qui émettent des avis défavo-
rables au plan d’épandage sont celles ou la contestation sociale est importante

2. Dolus+ à Dolus-le-Sec, ADEMI à Montlouis-sur-Loire, COSEB à Saint-Quentin-sur-Indrois.


3. Par rapport à l’enfouissement ou à l’incinération, l’épandage des boues d’assainissement
domestique est la meilleure solution écologique. Il permet de boucler le cycle de la matière et
apporte un amendement organique au sol.
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ou celles qui mènent une politique d’accueil de nouveaux habitants basés sur
la qualité du cadre de vie campagnard. Le projet communal est ici contrarié
par une décision venant de l’agglomération tourangelle ; décision aussi vécue
comme une certaine domination de l’agglomération tourangelle sur son
espace périphérique. Les arguments avancés par les conseils municipaux
reprennent ceux des habitants. Ils mettent en avant les nuisances occasionnées,
le manque de fiabilité des analyses. Ils y ajoutent le coût de la remise en état
de la voirie communale défoncée par les camions. Pour justifier leur opposi-
tion, ils soulignent la différence substantielle entre leurs boues et celles de l’ag-
glomération tourangelles dont le réseau d’assainissement domestique reçoit
aussi des eaux industrielles.
L’issue de l’enquête publique est un avis favorable assorti de recomman-
dations (Moreau et al., op. cit.). Le président de l’enquête publique souligne
qu’à ce jour l’épandage agricole des boues d’assainissement domestiques est
la meilleure solution. Compte tenu de la réglementation qui va en se durcis-
sant et de l’absence d’accidents depuis cinquante ans, le risque sanitaire est très
faible. « Au cours de cette enquête, nous avons essayé de dépasser notre
mission de commissaire enquêteur en nous efforçant de jouer un rôle pondé-
rateur, cherchant à réduire l’opposition ville/campagne. L’habitat rural s’est
profondément modifié depuis quelques décennies, de nombreux citadins habi-
tent maintenant à la campagne. Les agriculteurs et les ruraux doivent en tenir
compte. De même, les nouveaux habitants ne doivent pas oublier que c’est
toujours à la campagne que les agriculteurs exercent leur métier. » Commissaire
enquêteur (Moreau et al., op. cit.).
Le commissaire enquêteur tout en validant le plan d’épandage adopte une
position médiane quant à l’usage des espaces périurbains. Il souligne que ces
espaces sont de plus en plus résidentiels. À ce titre, il apprécie les efforts de
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l’agglomération tourangelle qui pour désodoriser les boues procède à leur chau-
lage alors que du point de vue agronomique, ce traitement ne s’impose pas. Il
recommande aussi à l’agglomération tourangelle de diviser les sites de stoc-
kage. Ceci afin d’amoindrir la gêne occasionnée. Il rappelle également la
fonction productive et agricole de ces mêmes espaces.
Jeannaux (op. cit.) distingue quatre types de places des pouvoirs publics
dans la redistribution des droits d’usages lors de conflits d’usages :
– les autorités publiques sont remises en cause soit directement lorsque ce sont
elles qui exploitent l’activité gênante (cas 1) ou indirectement lorsqu’elles déli-
vrent des autorisations nécessaires à l’activité d’un industriel polluant (cas 2) ;
– les autorités locales servent de relais à la contestation des habitants et font
pression sur l’émetteur des nuisances (cas 3) ;
– les autorités servent de régulateur pour rendre possible des usages concur-
rents (cas 4).
Dans le cas présent, nous sommes dans une situation mixte entre les cas
1 et 3. Une autorité publique est émettrice d’effets technologiques et poli-
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tiques négatifs et d’autres cherchent à modifier les usages sous la pression


des habitants. La contestation des habitants est bien une remise en cause
d’usages privilégiés à la faveur de nouveaux usages. Dans sa première
approche, l’agglomération tourangelle a considéré l’espace périurbain comme
un espace agricole pouvant recycler ses boues. Elle a délimité cet espace dans
un rayon compris entre sept et trente kilomètres considérant qu’en deçà la
fonction résidentielle était par trop affirmée du fait de la densité humaine.
Forte de son expérience réussie avec une dizaine d’agriculteurs, il s’agissait
d’une simple extension des pratiques qui avaient déjà cours. Les études
pédologiques et agronomiques ont été commandées pour prospecter de
nouveaux agriculteurs. L’usage de l’espace périurbain qui est entériné est la
fonction de production agricole. Les solutions retenues pour le nouveau
plan d’épandage sont d’ordre technique et prises en collaboration avec les
agriculteurs. La contestation des habitants et de certains conseils municipaux
vient remettre en cause cet usage dominant et tacite. Elle rappelle que même
plus faiblement occupés les espaces périurbains sont aussi et peut être même
avant tout des espaces résidentiels.
L’enquête publique pour l’épandage des boues a partiellement remis en
cause les arrangements locaux entre les collectivités pour l’usage des sols. Les
contradictions sont apparues. Les collectivités restent au centre du processus
de définition des droits d’usages mais à la faveur du rééquilibrage imposé par
la contestation sociale, elles ont pu prendre conscience de leur interdépendance
et chercher à améliorer leur coordination. À l’aide du concept de proximité
organisée (Caron et Torre, op. cit.), nous allons caractériser la nature des
rapports entre les collectivités et les différents usagers des espaces périurbains.
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La faiblesse de la proximité organisée

Caron et Torre (op. cit.) ont distingué la proximité géographique et la


proximité organisée pour pouvoir analyser les relations et les processus d’ajus-
tement entre acteurs. La proximité géographique est une distance qui sépare les
activités ou les acteurs. Elle peut être recherchée lorsque des acteurs souhai-
tent être au plus près des ressources dont ils espèrent tirer profit, ou subie
lorsque les acteurs supportent une contrainte. La proximité organisée caracté-
rise les relations qu’établissent des acteurs pour coopérer ou se coordonner. Elle
repose sur deux types de logiques : les logiques d’appartenance et celles de
similitude. Les logiques d’appartenance sont définies par des relations en
réseau qui facilitent les échanges d’informations ou de biens. Les logiques de
similitudes consistent dans le partage des mêmes référentiels, normes ou
savoirs. Elles favorisent les compréhensions réciproques. La distinction proxi-
mité géographique/proximité organisée permet de caractériser les rapports et
surtout l’issue des conflits.
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Pour le cas de l’épandage de l’agglomération tourangelle, les acteurs en


présence sont les agriculteurs, les habitants, les conseils municipaux des
communes périurbaines, l’agglomération tourangelle. Selon la nomenclature
établie par Caron et Torre (op. cit.), l’épandage des boues met les acteurs dans
une proximité géographique à la fois subie et recherchée. Les nouveaux habi-
tants des communes périurbaines ont choisi de vivre à la campagne pour le
cadre de vie. Ils s’en sont rapprochés. C’est une proximité géographique
recherchée entre les habitants et la « ressource » cadre de vie à la campagne.
Ce faisant, ils deviennent proches des agriculteurs qui occupaient le territoire
antérieurement et qui pratiquent des épandages (proximité subie). Le même
raisonnement peut être appliqué entre les collectivités. L’agglomération touran-
gelle recherche un exutoire pour ses boues d’assainissement. L’espace agricole
est une ressource qui lui permet d’atteindre cet objectif (proximité recherchée).
En planifiant son épandage, elle se confronte aux politiques de développement
des communes périurbaines (proximité subie).
Dans le cas de proximité géographique recherchée versus subie, la proxi-
mité organisée ne peut reposer sur des logiques de similitudes. Les référentiels
pour l’usage des espaces périurbains divergent. Les conceptions et donc les
usages des espaces périurbains sont antagonistes. Les oppositions lors des
réunions publiques révèlent ce dialogue de sourds. L’agglomération tourangelle
et les agriculteurs considèrent l’espace comme un outil de production et déve-
loppent une argumentation technique. Alors que pour les habitants l’espace
périurbain sert à autre chose, à un cadre de vie. La logique de similitude étant
impossible, les antagonismes peuvent être résolus par le biais de logiques d’ap-
partenance. Les acteurs ont été regroupés deux à deux car c’est sur le plan des
réseaux qu’il peut exister des coopérations. Les agriculteurs et les habitants en
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tant qu’occupants de l’espace peuvent entretenir des relations de voisinage
(réseaux informels). Les élus des communes périurbaines et de l’aggloméra-
tion tourangelle partagent le même statut et appartiennent à des syndicats de
coopération diversifiés. Force est de constater que ce levier n’a pas été utilisé
pour résoudre les antagonismes. Il n’existe pas d’association formelle regrou-
pant agriculteurs et habitants pour traiter du devenir des territoires. Les élus,
quant à eux, sont regroupés dans des établissements de coopération intercom-
munale (communautés de communes ou d’agglomération, cf. carte 1) plus
rivaux que partenaires (Serrano et Demazière, 2009).

Des acquis immédiats et superficiels

Il n’existe pas d’instance permettant aux élus de travailler de concert à


l’échelle du périmètre d’épandage. En dernier ressort, c’est le commissaire
enquêteur qui a fait office de médiateur entre les différentes parties. Son
action a été ponctuelle et s’est limitée au cadre d’une enquête publique.
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128 Espaces et sociétés 147

La contestation des habitants a eu pour effet une diminution sensible du


niveau de nuisance 4. Il s’agit bien d’une reconnaissance du signal émis par les
habitants (correction de l’externalité politique négative). Pour autant, il ne
s’agit là que d’ajustements techniques assez simples qui n’ont pas remis en cause
la vision des espaces périurbains par l’agglomération tourangelle. Celle-ci n’a
pas rapproché l’épandage des boues des zones plus densément peuplées. La zone
d’épandage est restée inchangée. Les mesures prises ont traité les effets visibles.
Elles laissent entière la question de l’exportation des risques sanitaires 5.

L’ÉPANDAGE DES BOUES ENTRE DEUX TERRITOIRES SOLIDAIRES,


UNE APPROCHE EN TERMES DE JUSTICE ENVIRONNEMENTALE

La difficile définition des inégalités écologiques :


quelques éléments de réflexion

La question du juste équilibre entre activités gênantes et aménités peut être


posée du point de vue des inégalités environnementales. Pour Gadrey (2009),
les inégalités écologiques sont de trois ordres : inégalités d’accès à des améni-
tés ou d’exposition à des pollutions, vulnérabilité des individus aux risques et
aux pollutions, inégalités de contribution à la réduction des risques. La ques-
tion des inégalités environnementales revient à analyser la répartition de
facteurs environnementaux à l’aune de variables sociales. Ce croisement fait
ressortir des disparités qui sont qualifiées d’injustes et qui peuvent être corri-
gées par des politiques socialement redistributives (Gadrey, op. cit.).
Les théories de la justice traitent toutes des inégalités et de leurs origines.
Or définir des inégalités c’est définir une légitimité pour trier les inégalités car
celles-ci sont inévitables compte tenu de la diversité des êtres humains et de
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leurs situations. Les piliers du développement durable rassemblent l’économie,
le social et l’écologie. L’économie et le social vont ensemble car ils participent
d’une même vision du monde. L’économie traite de la production des richesses,
le social de leur redistribution. L’émergence du concept d’environnement est
fondamentalement différente car il ne s’agit plus d’un problème de production
ou de distribution mais du rapport de l’homme au reste de la biosphère. C’est

4. Une désodorisation des boues, la localisation des hangars près des départementales pour éviter
la circulation des camions sur les routes communales, la division du grand site de stockage prévu
pour la partie nord du périmètre d’épandage.
5. Le traitement des boues peut être encore plus poussé. Celles-ci peuvent être compostées, ce
qui neutralise les odeurs et les microbes pathogènes. Le compostage est susceptible de faire chan-
ger les boues de catégorie. Elles cesseraient d’être un déchet pour être considérées comme une
matière fertilisante. Pour autant ce changement n’est pas souhaité par les acteurs de la filière car
il laisse entière la question des éléments traces qui ne sont pas détruits et rend facultative l’obli-
gation de contrôle tout le long de la filière.
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Exportation des déchets et solidarité spatiale entre la ville et son espace périurbain 129

un concept intersectoriel qui remet en cause les deux autres. Dès lors au
moment de rapprocher des données écologiques et sociales, des problèmes de
fond surgissent. La justice écologique et la justice sociale sont en tension (Flipo,
2009). L’écologie étudie le fonctionnement des écosystèmes et l’éthique envi-
ronnementale est centrée sur le rapport de l’homme à la nature. Les théories
de la justice écologique dites biocentriques placent l’homme au même niveau
que les autres êtres vivants et font l’impasse sur la dimension sociale. L’être
humain est traité de manière générique sans tenir compte des différences indi-
viduelles. Elles négligent les solidarités humaines et tendent à rejeter toutes les
constructions humaines. Les théories sociales, quant à elles, sont a-environ-
nementales. Les théories marxistes et socialistes ont fait historiquement l’im-
passe sur l’écologie. D’un point de vue éthique, l’introduction de l’écologie est
toujours suspectée d’ouvrir la voie à des thèses racistes (supériorité de races
d’hommes sur d’autres) ou malthusiennes (accaparement des ressources natu-
relles par la bourgeoisie sous prétexte de les préserver) (Flipo, op. cit.).
Le concept de justice environnementale ne se résume donc pas à un
simple croisement de données sociales et écologiques car les deux concepts sont
disjoints et n’ont pas de points de recoupement.

Les inégalités écologiques par l’approche du processus


de décision politique et de mobilisation des habitants

Faburel (2010) distingue trois grandes approches de justice environne-


mentale en fonction de l’échelle considérée. À l’échelle individuelle ou micro-
locale, la justice environnementale s’intéresse aux discriminations subies par
des minorités. Historiquement, il s’agissait des minorités noires aux États-Unis
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qui cumulaient exclusion sociale et exposition à des environnements dégradés
et nocifs. Pour les processus d’exclusion à une échelle macro-locale, la justice
environnementale pose le problème des grands équilibres écologiques, de
lutte contre la pauvreté et des rapports économiques entre les pays du Sud et
du Nord. Elle aboutit à la définition d’un nouveau projet politique qui remet
en cause les comportements individuels. Enfin, l’approche méso-spatiale met
l’accent sur les processus de concentration spatiale des inégalités à l’échelle
d’un territoire.
Le croisement de données sociales et environnementales ne suffit pas pour
définir la justice environnementale. Ce type d’indicateur a été utilisé aux
États-Unis pour révéler les situations de cumul et de ségrégation dans lesquelles
se trouvaient les minorités noires. En Europe, la densité de peuplement
rapproche souvent les émetteurs et les récepteurs de pollutions, les différences
ethniques sont moins marquées voire occultées dans les statistiques officielles.
Il en résulte une situation moins contrastée qui rend flou l’usage des indicateurs
(Emelianoff, 2006). Les contextes spatiaux sont aussi plus ambigus. Les quar-
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130 Espaces et sociétés 147

tiers d’habitat social sont plus souvent exposés aux bruits, aux pollutions et aux
risques industriels mais par ailleurs ils peuvent aussi bénéficier de qualité envi-
ronnementale (Emelianoff, op. cit. ; Faburel et Gueymard, 2008). La construc-
tion d’indicateurs synthétiques et la comparaison de territoires différents
peuvent vite devenir insolubles. Les habitants des communes périurbaines
bénéficient-ils d’un cadre de vie privilégié qui pourrait rendre acceptable la
délocalisation du risque lié à l’exportation des boues d’assainissement urbaines
au nom du partage des nuisances ? Les habitants du pôle urbain subissent les
pollutions, les bruits, la promiscuité et les encombrements liés au bâti dense.
Ils bénéficient également de la centralité avec une meilleure accessibilité à une
gamme étendue de services et d’emplois. Les habitants des communes péri-
urbaines ont recherché la proximité avec des aménités environnementales. Pour
continuer à bénéficier des services et des emplois du pôle urbain, ils suppor-
tent une charge élevée en termes de transport individuel. Dès lors quelle
valeur donner à chacun des deux territoires ? La mise au point d’indicateurs
fussent-ils synthétiques risque d’amener à un traitement de la justice environ-
nementale en terme de redistribution. En effet, les indicateurs révèlent des
disparités par rapport à des groupes sociaux. Même s’ils sont localisés, dans
un souci d’égalitarisme ceux-ci amènent à chercher à corriger les disparités. Les
politiques développées relèvent davantage de palliatifs que d’actions sur les
causes responsables des disparités.
En l’absence d’inscription à l’agenda politique et de savoirs scientifiques
établis, la mobilisation des habitants constitue le seul signal qui peut donner corps
aux inégalités environnementales subies (Emelianoff, op. cit.). Pour Faburel
(op. cit.), l’a-environnementalisme des politiques sociales peut être dépassé par
la capacité qu’ont les habitants ou leurs représentants à se saisir des questions
environnementales pour faire évoluer leurs territoires. La mobilisation d’habi-
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tants pour des questions environnementales permet de relier justice sociale et
environnement en évitant de revenir à une justice redistributive de raison.

La mobilisation a-t-elle permis aux habitants de se saisir des questions


environnementales relatives à leurs territoires et de faire reculer les inégalités
environnementales ?

La mobilisation de la population focalisée sur son confort

Roux et Vanier (op. cit., p. 36) ont fait apparaître que les populations du péri-
urbain proche ont des revenus au-dessus de la moyenne nationale. Les habitants
du périurbain éloigné sont dans la moyenne nationale alors que les revenus en
dessous de la moyenne se trouvent dans le rural et dans les communes-centres
ou la banlieue proche. Les habitants du périurbain éloigné bien qu’ayant un
revenu autour de la moyenne nationale ne sont pas pour autant des privilégiés car
les charges importantes (annuités et coûts de déplacements) qu’impose le mode
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Exportation des déchets et solidarité spatiale entre la ville et son espace périurbain 131

de vie périurbain en font une population économiquement vulnérable (Orfeuil,


2001). Cette vulnérabilité explique la grande sensibilité de cette population à toute
menace sur la qualité de son cadre de vie (Cloarec, 2004).
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Carte 3 – Épandage des boues de la station d’épuration de Tours+ en 2002


et revenu fiscal
(Source : D. Andrieu, MSH de Tours, novembre 2010)

Dans le cas de l’agglomération tourangelle, le plan d’épandage épargne les


communes à plus fort revenu. Il couvre les communes à revenu moyen ou légè-
rement inférieur à la moyenne (cf. carte 3). Les habitants se sont contentés
d’être des opposants au plan d’épandage. Ils n’ont ni défendu d’alternative, ni
relié l’épandage des boues de l’agglomération tourangelle à celui de leur
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132 Espaces et sociétés 147

propre station. Leur réaction relève-t-elle du NIMBY ? De prime abord, les popu-
lations visaient le report des boues sur d’autres communes. Était-il plus juste
que l’épandage soit localisé dans le périurbain proche ou des populations sont
plus denses et aisées ou encore dans la banlieue proche, plus près des produc-
teurs du déchet et de populations aux revenus diversifiés ? La question est inso-
luble si elle est abordée sous l’angle éthique. Aucune population n’a plus
vocation qu’une autre à être exposée aux risques et nuisances du traitement de
déchets produits par des tiers et ce quel que soit son revenu. Pour reprendre,
l’approche préconisée par Faburel (op. cit.) et Emelianoff (op. cit.), les habi-
tants sont-ils in fine les bons intégrateurs des critères sociaux et environne-
mentaux ? Dans le cas présent, les habitants ont obtenu gain de cause sur ce
dont ils se plaignaient le plus : les odeurs. Néanmoins, ils n’ont eu qu’une réac-
tion de rejet qui n’a pas conduit à une réflexion de fond sur la question des
déchets. L’agglomération de Tours a sauvé son plan d’épandage au prix d’une
désodorisation des boues. Des mesures simples d’atténuation, qui ont aussi été
demandées par le commissaire enquêteur ont permis de rendre le plan accep-
table. La contestation des habitants a laissé entière la question des risques sani-
taires. Celle-ci n’a pas émergé. Les agriculteurs peuvent aussi jouer le rôle
d’intégrateur des critères environnementaux et sociaux. Le périurbain est à la
fois leur outil de travail et leur lieu de résidence. À la différence des autres habi-
tants, ils sont beaucoup plus sensibles au risque sanitaire.

Le cloisonnement de la perception du risque

L’épandage agricole des boues n’est perçu comme une activité à part
entière ni par les agriculteurs ni par l’agglomération tourangelle. Il fonctionne
comme un échange de service en nature. Les agriculteurs reçoivent gratuite-
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ment les boues. Le coût de l’épandage est assumé par l’agglomération. Ils
rendent service à l’agglomération. La prise de risque environnemental est en
quelque sorte compensée par la gratuité. L’agglomération de Tours trouve un
débouché pour ses boues et assume le coût de l’épandage. Alors que d’autres
opérateurs privés se rémunèrent pour le traitement des déchets (entreprises
privées d’assainissement, de recyclage etc.). Les agriculteurs quant à eux
refusent de considérer l’épandage des boues comme une activité profession-
nelle rémunérée. Pour eux, leurs profits proviennent de la vente de leur produc-
tion. Ils ne veulent pas se percevoir comme des prestataires de services.
L’épandage des boues est un service rendu à la société, ce n’est pas une
mission assumée. Outre, la question de l’identité professionnelle, les agricul-
teurs craignent un discrédit de la qualité de leurs productions. Faire reconnaître
l’épandage agricole de déchets comme une part ordinaire de l’activité des agri-
culteurs, c’est prendre le risque d’une nouvelle crise de confiance des consom-
mateurs. Pour l’exploitant de la station d’épuration, la reconnaissance du
risque se limite à celui pris par les agriculteurs pour leur outil de production.
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La contrepartie est la gratuité des boues. L’absence de reconnaissance de


l’épandage des boues comme activité économique à part entière empêche
toute négociation sur les contreparties et la cantonne au domaine agricole.

CONCLUSION

Le réflexe des agriculteurs, des techniciens de la station d’épuration, des


élus des communes favorables à l’épandage agricole a été de dénigrer la
contestation sociale en taxant d’ignorance et d’égoïsme les habitants. Les
communes opposées à l’épandage ont été le relais de la contestation sociale
alors qu’elles épandaient elles-mêmes leurs propres boues. Les réunions
publiques ont été organisées pour apporter des arguments techniques. Elles
n’ont pas permis de poser plus globalement la question de l’exposition aux
pollutions diffuses des terres agricoles. Les termes du débat n’auraient plus été
l’innocuité des boues de l’agglomération tourangelle à laquelle les habitants
refusaient de croire mais l’exposition aux pollutions dues à l’épandage de boues
d’assainissement (communales ou non), des produits phytosanitaires, des
engrais chimiques et d’autres résidus de l’agroalimentaire. Replacé dans un
contexte plus global, le débat permet une véritable prise de conscience de la
responsabilité de la quantité de déchets générés et de la nécessité de les trai-
ter, du rôle joué par les agriculteurs et de l’interdépendance des territoires.
Quels outils préconiser pour faire émerger un débat spatialisé ?
La constitution d’un pays d’agglomération est un moyen d’élaborer un
projet de développement à l’échelle de l’aire urbaine. Le pays offre un espace
de coordination des acteurs et d’articulation des décisions à différentes échelles.
Précisément parce qu’il favorise l’adaptation locale des décisions prises en
fonction de contexte extérieur (Talbot, 2006), il rend possible une convergence
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d’intérêts entre des acteurs dotés et sous-dotés et entre acteurs de territoires
distincts mais interdépendants. Le pays est aussi un instrument qui favorise la
démocratie participative. Des élus, des acteurs économiques et de la société
civile se rassemblent pour chercher un développement commun. Ils permettent
de transformer une proximité géographique en proximité organisationnelle.
Dans le cadre du pays, la question de l’épandage des déchets peut-être repla-
cée dans un cadre plus large. Elle permet aux habitants d’acquérir une vision
plus éclairée et éviter que les débats ne soient tronqués. Ceci est indispensable
pour que les habitants puissent être des bons intégrateurs des dimensions
sociales et écologiques du développement.

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