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José Serrano
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accumulation d’éléments traces qui fait courir un risque sanitaire aux populations
riveraines. C’est bien la question de l’exportation d’un risque environnemental
et de l’équité qui est posée entre le pôle urbain et son espace périphérique. Nous
proposons d’étudier comment a été pensée la solidarité du pôle urbain avec son
espace périurbain à travers des entretiens semi-directifs auprès des acteurs de la
filière d’épandage. Les élus des communes concernées, les techniciens et les agri-
culteurs chargés de l’application du plan d’épandage ainsi que les associations
ayant contesté le plan ont été interrogés. Les entretiens ont été complétés par le
dépouillement des avis recueillis lors de l’enquête publique.
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Les aires urbaines peuvent être divisées en deux sous-espaces articulés aux
fonctions complémentaires (Roux et Vanier, 2008). Le pôle urbain concentre la
population et les emplois tandis que les espaces périurbains deviennent des
espaces résidentiels et sont le lieu privilégié du contact avec la nature. En fonc-
tion de leur besoin en foncier, les activités économiques se localisent selon un
gradient centre-périphérie. Les services sont concentrés dans le noyau urbain. La
logistique, l’industrie ou la construction à la recherche de larges espaces se délo-
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calisent dans l’espace périurbain proche alors que les activités agricoles et sylvi-
coles se concentrent à la périphérie. Bien que la rente foncière agisse dans la loca-
lisation des activités et des ménages, l’aire urbaine n’est pas spatialement
organisée selon un schéma concentrique mais plutôt selon des espaces imbriqués.
Cela veut dire que les zones de contact entre les activités de natures différentes
sont plus nombreuses, cela veut dire aussi que les activités agricoles peuvent être
très proches des noyaux urbains (Roux et Vanier, op. cit.).
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Selon une analyse économique, les conflits d’usages peuvent être assi-
milés à des effets externes négatifs induits par des proximités géographiques
subies entre des activités de natures différentes. Dans une économie de
marché, les interactions entre acteurs sont solutionnées par des échanges. Le
prix reflétant un accord entre les acteurs. Si le cadre de vie était un bien
échangeable, les externalités négatives dépréciant le bien seraient traduites
par le marché sur le prix. Mais, le cadre de vie peut être qualifié de bien inter-
médiaire. Il combine des ressources localisées matérielles qui peuvent être
échangées et des biens collectifs fournis par la puissance publique. Il ne peut
être échangé comme le sont des biens privatifs purs et n’est pas exempt de
conflits comme le sont les biens collectifs purs. La redistribution des usages
attribués aux espaces périurbains ne pouvant être analysée à travers des méca-
nismes de marché, Jeannaux (op. cit.) propose les concepts d’effets externes
technologiques et d’effets externes politiques. Les élus sont les agents privi-
légiés pour réguler les usages des biens environnementaux. Ils essayent de
satisfaire le maximum des personnes. Or la recherche du consensus a un coût.
Compte tenu des ressources limitées, les élus vont prendre une décision en
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pas polluer sciemment les terres et mettre en péril leur propre outil de produc-
tion. Toutefois, ces mêmes agriculteurs admettent que s’ils étaient engagés dans
des productions de qualité, ils n’épandraient certainement pas de boues. C’est
sur ce point que les positions se différencient. Les agriculteurs produisant des
produits de qualité (appellation d’origine contrôlée, vente directe) jugent incom-
patible l’établissement d’un lien de confiance avec leurs clients et l’épandage
des boues. Les boues, compte tenu de leur connotation négative, sont contraires
à une politique commerciale basée sur la qualité du produit. Ils rappellent que
les consommateurs sont très versatiles. Ils peuvent se retourner en cas de crise
alimentaire comme cela a été le cas avec la vache folle.
Les habitants sont très majoritairement opposés à l’épandage des boues.
La contestation est d’autant plus vive que leur commune va recevoir des
hangars de stockage. La contestation s’est manifestée à travers l’enquête
publique et au cours des deux réunions d’informations 1. Selon les dires du
président de la commission d’enquête, la réunion à Vernou-sur-Brenne s’est
déroulée dans une ambiance tendue, les réponses aux questions ont été peu
entendues voire qualifiées de mensongères par le public. « Je ne suis pas
d’accord pour un projet de boues de station d’épuration, notre village est
doux, calme, beau, accueillant, que deviendrons-nous tous ; avec ces gros
camions, qui vont passer, pourrons-nous nous promener toujours tranquille,
sans se faire écraser. Et puis, pensons à nos rivières, que vont-elles devenir ;
Nous avons plus ou moins des jardins avec fleurs, légumes et coin de pêche ;
alors ? Qu’allons nous faire ? Et les vignes ! Il faut y penser aussi ! Défendons
tous, notre belle commune de Vernou, et surtout la qualité de l’eau » (M. et
Mme B., habitants de Vernou-sur-Brenne, Observation déposée au registre
d’enquête publique le 24 janvier 2002).
La contestation des habitants a surtout porté sur l’atteinte au cadre de vie.
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1. L’enquête publique a recueilli 1304 avis défavorables, 74 avis favorables dont 31 assortis
de conditions (Moreau et al., 2002). 7 pétitions ont été annexées à l’enquête publique. 3 péti-
tions à Saint Quentin-sur-Indrois (489 signatures), 1 pétition à : Luzillé (75 signatures),
Marray (60 signatures), Athée-sur-Cher (7 signatures), 1 pétition d’agriculteurs épandeurs
(13 signatures).
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cadre de vie. Le préjudice subi par les activités d’hôtellerie est donc bel et bien
une atteinte à leur propre cadre de vie. La méfiance des habitants est impor-
tante (738 observations). Ils mettent en doute la fiabilité des contrôles, ce qui
alimente leurs contestations. Les risques pour la santé qui sont liés à la présence
des éléments traces et qui sont moins directement perceptibles ne sont cités
qu’au quatrième rang (616 observations).
Les associations de défense de l’environnement sont divisées sur la ques-
tion des boues. Les associations locales vont relayer la contestation des habi-
tants sans réussir à l’amplifier. Les associations locales 2 de défense de
l’environnement sont centrées sur la défense du cadre de vie. Elles ont un recru-
tement essentiellement communal voire localisé à un hameau. Ces associations
opposées à l’épandage ont fait circuler des pétitions qu’elles ont annexées à
l’enquête publique. Elles ont aussi porté des observations sur le registre de l’en-
quête publique. Les associations se mobilisaient contre les odeurs, les camions,
les hangars. Elles mettaient en avant la perte de tranquillité des habitants. Là
aussi, les risques pour la santé étaient très peu développés. Les associations
adoptaient une position essentiellement contestataire. Elles demandaient que
l’épandage ne se fasse pas dans la commune mais elles ne proposaient pas d’al-
ternative. Cela ne relevait pas de leurs missions. Leur objectif était d’empêcher
une dégradation du cadre de vie. Les associations sont restées dispersées.
Malgré quelques rencontres, elles ne se sont pas fédérées dans un collectif.
Constatant que chacune avait des revendications propres, elles se sont expri-
mées au nom de leurs territoires. L’association départementale de défense de
l’environnement (SEPANT) qui aurait pu fédérer les associations ou du moins
porter un message qui dépasse le localisme des associations communales est
favorable à l’épandage des boues 3. Elle a une approche technique qui rejoint
celle de l’agglomération tourangelle et des agriculteurs. Compte tenu des
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ou celles qui mènent une politique d’accueil de nouveaux habitants basés sur
la qualité du cadre de vie campagnard. Le projet communal est ici contrarié
par une décision venant de l’agglomération tourangelle ; décision aussi vécue
comme une certaine domination de l’agglomération tourangelle sur son
espace périphérique. Les arguments avancés par les conseils municipaux
reprennent ceux des habitants. Ils mettent en avant les nuisances occasionnées,
le manque de fiabilité des analyses. Ils y ajoutent le coût de la remise en état
de la voirie communale défoncée par les camions. Pour justifier leur opposi-
tion, ils soulignent la différence substantielle entre leurs boues et celles de l’ag-
glomération tourangelles dont le réseau d’assainissement domestique reçoit
aussi des eaux industrielles.
L’issue de l’enquête publique est un avis favorable assorti de recomman-
dations (Moreau et al., op. cit.). Le président de l’enquête publique souligne
qu’à ce jour l’épandage agricole des boues d’assainissement domestiques est
la meilleure solution. Compte tenu de la réglementation qui va en se durcis-
sant et de l’absence d’accidents depuis cinquante ans, le risque sanitaire est très
faible. « Au cours de cette enquête, nous avons essayé de dépasser notre
mission de commissaire enquêteur en nous efforçant de jouer un rôle pondé-
rateur, cherchant à réduire l’opposition ville/campagne. L’habitat rural s’est
profondément modifié depuis quelques décennies, de nombreux citadins habi-
tent maintenant à la campagne. Les agriculteurs et les ruraux doivent en tenir
compte. De même, les nouveaux habitants ne doivent pas oublier que c’est
toujours à la campagne que les agriculteurs exercent leur métier. » Commissaire
enquêteur (Moreau et al., op. cit.).
Le commissaire enquêteur tout en validant le plan d’épandage adopte une
position médiane quant à l’usage des espaces périurbains. Il souligne que ces
espaces sont de plus en plus résidentiels. À ce titre, il apprécie les efforts de
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4. Une désodorisation des boues, la localisation des hangars près des départementales pour éviter
la circulation des camions sur les routes communales, la division du grand site de stockage prévu
pour la partie nord du périmètre d’épandage.
5. Le traitement des boues peut être encore plus poussé. Celles-ci peuvent être compostées, ce
qui neutralise les odeurs et les microbes pathogènes. Le compostage est susceptible de faire chan-
ger les boues de catégorie. Elles cesseraient d’être un déchet pour être considérées comme une
matière fertilisante. Pour autant ce changement n’est pas souhaité par les acteurs de la filière car
il laisse entière la question des éléments traces qui ne sont pas détruits et rend facultative l’obli-
gation de contrôle tout le long de la filière.
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un concept intersectoriel qui remet en cause les deux autres. Dès lors au
moment de rapprocher des données écologiques et sociales, des problèmes de
fond surgissent. La justice écologique et la justice sociale sont en tension (Flipo,
2009). L’écologie étudie le fonctionnement des écosystèmes et l’éthique envi-
ronnementale est centrée sur le rapport de l’homme à la nature. Les théories
de la justice écologique dites biocentriques placent l’homme au même niveau
que les autres êtres vivants et font l’impasse sur la dimension sociale. L’être
humain est traité de manière générique sans tenir compte des différences indi-
viduelles. Elles négligent les solidarités humaines et tendent à rejeter toutes les
constructions humaines. Les théories sociales, quant à elles, sont a-environ-
nementales. Les théories marxistes et socialistes ont fait historiquement l’im-
passe sur l’écologie. D’un point de vue éthique, l’introduction de l’écologie est
toujours suspectée d’ouvrir la voie à des thèses racistes (supériorité de races
d’hommes sur d’autres) ou malthusiennes (accaparement des ressources natu-
relles par la bourgeoisie sous prétexte de les préserver) (Flipo, op. cit.).
Le concept de justice environnementale ne se résume donc pas à un
simple croisement de données sociales et écologiques car les deux concepts sont
disjoints et n’ont pas de points de recoupement.
tiers d’habitat social sont plus souvent exposés aux bruits, aux pollutions et aux
risques industriels mais par ailleurs ils peuvent aussi bénéficier de qualité envi-
ronnementale (Emelianoff, op. cit. ; Faburel et Gueymard, 2008). La construc-
tion d’indicateurs synthétiques et la comparaison de territoires différents
peuvent vite devenir insolubles. Les habitants des communes périurbaines
bénéficient-ils d’un cadre de vie privilégié qui pourrait rendre acceptable la
délocalisation du risque lié à l’exportation des boues d’assainissement urbaines
au nom du partage des nuisances ? Les habitants du pôle urbain subissent les
pollutions, les bruits, la promiscuité et les encombrements liés au bâti dense.
Ils bénéficient également de la centralité avec une meilleure accessibilité à une
gamme étendue de services et d’emplois. Les habitants des communes péri-
urbaines ont recherché la proximité avec des aménités environnementales. Pour
continuer à bénéficier des services et des emplois du pôle urbain, ils suppor-
tent une charge élevée en termes de transport individuel. Dès lors quelle
valeur donner à chacun des deux territoires ? La mise au point d’indicateurs
fussent-ils synthétiques risque d’amener à un traitement de la justice environ-
nementale en terme de redistribution. En effet, les indicateurs révèlent des
disparités par rapport à des groupes sociaux. Même s’ils sont localisés, dans
un souci d’égalitarisme ceux-ci amènent à chercher à corriger les disparités. Les
politiques développées relèvent davantage de palliatifs que d’actions sur les
causes responsables des disparités.
En l’absence d’inscription à l’agenda politique et de savoirs scientifiques
établis, la mobilisation des habitants constitue le seul signal qui peut donner corps
aux inégalités environnementales subies (Emelianoff, op. cit.). Pour Faburel
(op. cit.), l’a-environnementalisme des politiques sociales peut être dépassé par
la capacité qu’ont les habitants ou leurs représentants à se saisir des questions
environnementales pour faire évoluer leurs territoires. La mobilisation d’habi-
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Roux et Vanier (op. cit., p. 36) ont fait apparaître que les populations du péri-
urbain proche ont des revenus au-dessus de la moyenne nationale. Les habitants
du périurbain éloigné sont dans la moyenne nationale alors que les revenus en
dessous de la moyenne se trouvent dans le rural et dans les communes-centres
ou la banlieue proche. Les habitants du périurbain éloigné bien qu’ayant un
revenu autour de la moyenne nationale ne sont pas pour autant des privilégiés car
les charges importantes (annuités et coûts de déplacements) qu’impose le mode
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propre station. Leur réaction relève-t-elle du NIMBY ? De prime abord, les popu-
lations visaient le report des boues sur d’autres communes. Était-il plus juste
que l’épandage soit localisé dans le périurbain proche ou des populations sont
plus denses et aisées ou encore dans la banlieue proche, plus près des produc-
teurs du déchet et de populations aux revenus diversifiés ? La question est inso-
luble si elle est abordée sous l’angle éthique. Aucune population n’a plus
vocation qu’une autre à être exposée aux risques et nuisances du traitement de
déchets produits par des tiers et ce quel que soit son revenu. Pour reprendre,
l’approche préconisée par Faburel (op. cit.) et Emelianoff (op. cit.), les habi-
tants sont-ils in fine les bons intégrateurs des critères sociaux et environne-
mentaux ? Dans le cas présent, les habitants ont obtenu gain de cause sur ce
dont ils se plaignaient le plus : les odeurs. Néanmoins, ils n’ont eu qu’une réac-
tion de rejet qui n’a pas conduit à une réflexion de fond sur la question des
déchets. L’agglomération de Tours a sauvé son plan d’épandage au prix d’une
désodorisation des boues. Des mesures simples d’atténuation, qui ont aussi été
demandées par le commissaire enquêteur ont permis de rendre le plan accep-
table. La contestation des habitants a laissé entière la question des risques sani-
taires. Celle-ci n’a pas émergé. Les agriculteurs peuvent aussi jouer le rôle
d’intégrateur des critères environnementaux et sociaux. Le périurbain est à la
fois leur outil de travail et leur lieu de résidence. À la différence des autres habi-
tants, ils sont beaucoup plus sensibles au risque sanitaire.
L’épandage agricole des boues n’est perçu comme une activité à part
entière ni par les agriculteurs ni par l’agglomération tourangelle. Il fonctionne
comme un échange de service en nature. Les agriculteurs reçoivent gratuite-
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CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES