Rce 028 0200

La politique de la ville permet-elle de renforcer
l’attractivité des quartiers prioritaires ?

Galaad Defontaine, Lorine Labrue
Dans Regards croisés sur l'économie 2021/1 (n° 28), pages 200 à 208
Éditions La Découverte
ISSN 1956-7413
ISBN 9782348071980
DOI 10.3917/rce.028.0200
© La Découverte | Téléchargé le 25/11/2023 sur www.cairn.info via UPEC (IP: 193.48.143.25)
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200
La politique de la ville permet-elle de

renforcer l’attractivité des quartiers
prioritaires ?
Does the French national urban policy
strengthen the attractiveness of priority
neighborhoods?
Galaad Defontaine
(RCE)
Lorine Labrue
(RCE)

Résumé
La politique de la ville est mobilisée pour renforcer l’attracti-
vité des quartiers prioritaires. Cet encadré examine si elle y
parvient et questionne la pertinence de la prise en compte de
cet objectif à l’avenir.
Abstract
The French national urban policy is used as a key tool to
strengthen the attractiveness of so-called “priority neighbor-
hoods.” This short piece analyzes whether it achieves this goal
and questions the suitability of such a target.
Aux termes de la loi de programmation pour la

ville et la cohésion urbaine du 24 février 2014, qui constitue
sa dernière grande évolution, « la politique de la ville est une
politique de cohésion urbaine et de solidarité, nationale et
La politique de la ville permet-elle de renforcer l’attractivité des quartiers 201
locale, envers les quartiers défavorisés et leurs habitants. Elle

est conduite par l'État, les collectivités territoriales et leurs
groupements dans l'objectif commun d'assurer l'égalité entre
les territoires, de réduire les écarts de développement entre les
quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et d'améliorer les
conditions de vie de leurs habitants ».
À ce titre, elle regroupe un large ensemble d’interven-
tions qui peuvent être réparties autour de grands axes :
« ciblage de quartiers constituant une « géographie priori-
taire » ; approche globale combinant des interventions à la
fois sociales, urbaines, sécuritaires et économiques ; parte-
nariat contractuel entre État et collectivités ; mobilisation
des politiques dites de droit commun1 en faveur des quar-
tiers ; participation des habitants ; évaluation régulière des
programmes et des actions menées. » (Epstein et Kirszbaum,

2019)
À l’exception de ces grandes tendances, la finalité et
les moyens de la politique de la ville n’ont cessé d’évoluer.
En décembre 2020, la Cour des comptes relevait ainsi, que
pas moins de huit lois depuis son origine avaient précisé ses
objectifs. La loi du 21 février 2014 en dénombre dix, parmi
lesquels figure l’attractivité des quartiers prioritaires.
1 C’est-à-dire l’ensemble des politiques publiques (urbanisme, santé, éduca-

tion, etc.) qui n’ont pas été pensées initialement pour répondre aux besoins
des quartiers prioritaires.
202 Villes. L’attractivité à quel prix ?
Politique de la ville et attractivité :

un bilan contrasté
Entre autres objectifs, la politique de la

ville cherche à soutenir l’attractivité des
quartiers prioritaires
Les quartiers dits « prioritaires » concentrent des
populations pauvres, éloignées du marché du travail (Borloo,
2018). Ils rassemblent une part importante de la population
française : 5,4 millions de personnes, qui résident dans les
1 514 quartiers désignés comme quartiers prioritaires de la
politique de la ville (QPV), situés dans 859 communes selon
la Cour des comptes (2020).
Avec la loi du 24 février 2014, l’État a souhaité simplifier
les interventions publiques et resserrer les périmètres d’ac-

tion pour concentrer les moyens financiers et humains sur
les territoires les plus en difficulté. Désormais, un quartier est
considéré comme un QPV en fonction d’un unique critère de
revenu des habitants, le revenu médian par unité de consom-
mation, à partir duquel est apprécié l’écart de développement
économique et social par rapport au territoire national ou à
l’unité urbaine dans laquelle se situe le quartier2. Ce critère
permet un ciblage des moyens sur des quartiers qui souffrent
d’un déficit d’attractivité : d’une part, d’un point de vue rési-
dentiel, les QPV présentent des soldes migratoires négatifs
ainsi qu’une structure socio-économique caractérisée par une
surreprésentation des employés et ouvriers (73,0 % contre
41,4 % dans les agglomérations) et une sous-représentation
des cadres et professions intellectuelles supérieures (21,7 %
contre 52,4 %). D’autre part, d’un point de vue économique,
les commerces de proximité et les services marchands sont
2 Article 2 du décret n° 2014-767.

plus faiblement présents dans les QPV que dans l’ensemble

des agglomérations dans lesquels ils s’inscrivent (Cour des
comptes, 2020). Le déficit d’attractivité peut, entre autres,
trouver des explications dans les effets de réputation négatifs
entretenus par la délinquance réelle ou supposée.
Le bilan de la politique de la ville au regard

de l’objectif d’attractivité est contesté
La politique de la ville fait partie des politiques
publiques les plus évaluées, à la fois par les chercheurs, les
organismes publics, les think tanks et les corps d’inspection
ou de contrôle de l’État. Dans son rapport 2020, l’Observa-
toire national de la politique de la ville souligne que les écarts
entre les habitants des QPV et ceux des agglomérations envi-
ronnantes persistent. Le taux de pauvreté y reste trois fois

plus élevé, le taux de chômage deux fois et demi supérieur, et
la suroccupation des logements demeure trois fois supérieure
à la moyenne métropolitaine.
La Cour des comptes (2020) dresse un constat similaire,
considérant que si « la notion d’attractivité s’est progressi-
vement imposée parmi les objectifs clés de la politique de la
ville », elle « ne prend en compte que de manière partielle les
multiples facteurs permettant de rendre un quartier attrac-
tif ». Dans l’ensemble, « la politique de la ville ne permet pas
d’attirer des ménages socialement moins défavorisés dans les
quartiers » : entre 2015 et 2017, les populations quittant les
QPV étudiés présentaient des revenus supérieurs de 13 % au
revenu de référence du quartier alors que les populations s’y
établissant disposaient de revenus inférieurs à celui-ci.
Ce bilan national ne doit pourtant pas occulter les succès
réels de la politique de la ville sur le plan local, en particulier
la politique de rénovation urbaine3, qui fait l’objet d’un fort

consensus politique (Epstein, 2013), et a contribué à amélio-
rer la vie quotidienne des habitants, même si elle n’a pas
réduit de manière significative les écarts entre quartiers.
En définitive, la politique de la ville contribue principa-
lement à endiguer la dégradation de l’attractivité des quar-
tiers prioritaires plutôt qu’à réduire les écarts avec les autres
quartiers de leur aire urbaine, ce qui ne doit pas être négligé :
sans elle, la situation pourrait être bien plus difficile. Reste
qu’elle ne répond pas totalement aux ambitions affichées, ce
qui pose la question de son évolution.
Face à ces critiques, quelle(s)

stratégie(s) pour la politique

de la ville à l’avenir ?
Deux grandes voies semblent se dessiner pour la
politique de la ville : chercher à remplir l’objectif de renfor-
cement de l’attractivité des quartiers prioritaires, en mobili-
sant différemment les instruments dont elle dispose, ou opter
pour un abandon relatif de cet objectif, au profit d’un recen-
trement autour de sa dimension purement sociale.
Poursuivre la quête d’attractivité : réarmer

les services publics locaux et permettre
une différenciation accrue des politiques
publiques
Une première option s’inscrit dans la continuité
de la politique de la ville telle qu’elle est actuellement menée.
3 La rénovation urbaine regroupe un ensemble d’actions sur les logements, les

équipements publics et les aménagements urbains (construction, destruc-
tion, rénovation, réhabilitation) visant à transformer les quartiers priori-
taires.
Elle considère que ses résultats limités en matière de gains

d’attractivité sont liés à des insuffisances dans le déploiement
de ses outils.
Tout d’abord, la réduction durable de la délinquance
dans ces quartiers constitue une condition essentielle de
l’engagement d’une dynamique attractive : les missions réga-
liennes de l’État les plus fondamentales (sécurité, prévention
de la délinquance) sont d’ailleurs citées comme la principale
attente des habitants et des acteurs économiques de ces quar-
tiers vis-à-vis des pouvoirs publics, comme le rappelle la Cour
des comptes (2020).
Ensuite, la politique de la ville voit ses objectifs et ses
priorités définis par l’État de manière prescriptive (top down).
Or, les problèmes identifiés, notamment en termes d’attrac-
tivité, varient d’un quartier à l’autre et les réponses visant à

les surmonter doivent pouvoir s’adapter aux difficultés et aux
spécificités locales : de ce point de vue, l’élaboration de la
politique de la ville pourrait être davantage décentralisée et
déconcentrée. Les projets de quartiers, document d’orienta-
tion de la politique de la ville au niveau local, sont suscep-
tibles d’offrir un cadre permettant aux collectivités de mieux
prendre en compte les besoins locaux dans la définition de
leur stratégie.
Enfin, l’association accrue des habitants doit favoriser la
mise en œuvre de solutions plus ciblées. Le développement
des instruments participatifs, par le biais de consultations ou
de concertations, peut être encouragé.
S’affranchir de l’objectif d’attractivité

en ciblant les populations plutôt que les
espaces ?
Les résultats limités de la politique de la ville
en termes d’attractivité pourraient plus fondamentalement
inviter à remettre en question la pertinence de cet objectif.
En effet, la politique de la ville s’apparente à une poli-
tique spatiale, visant à agir sur les lieux, là où l’ensemble des
interventions visant à améliorer les conditions de vie des
populations des quartiers défavorisés dans les pays anglo-
saxons ou en Allemagne relève davantage du champ des poli-
tiques sociales, et ciblent les habitants (Blanc, 2006). Si traiter
les espaces contribue à l’amélioration du cadre de vie, cette
approche en elle-même n’est pas forcément suffisante pour
permettre aux habitants de sortir de la pauvreté : les interven-

tions d’aménagement doivent nécessairement être complé-
tées par des interventions sociales, notamment à destination
des plus jeunes, pour favoriser l’égalité des chances. Or, la
Cour des comptes (2020) déplore le manque de cohérence
entre les dimensions spatiale et sociale de la politique de la
ville. Elle plaide pour une meilleure articulation du renou-
vellement urbain avec l’accompagnement social, éducatif,
économique des habitants.
Finalement, traiter les espaces plutôt que les populations
et poursuivre un objectif d’attractivité pousse à maintenir
sur place les ménages résidant déjà dans le quartier, et donc
potentiellement à freiner leur insertion (Gilli, 2007). Dans
cette perspective, une politique de la ville recentrée davan-
tage sur son objectif d’accompagnement des populations
plutôt que sur l’objectif d’attractivité pourrait permettre le
développement d’instruments favorisant la mobilité des
populations. Des exemples étrangers ont montré que ce type
de politique pouvait s’accompagner de résultats substantiels
en termes d’égalité des chances : l’expérimentation Moving to

Opportunity, menée aux États-Unis dans les années 1990, a par
exemple permis à des ménages à très bas revenus avec enfants
de quitter leurs quartiers d’origine et d’améliorer le niveau
d’éducation et de revenus des enfants (Chetty, Hendren et
Katz, 2016).
Conclusion
Spécificité française, la politique de la ville
contribue à renforcer l’attractivité des quartiers prioritaires,
ou du moins à réduire leur déficit d’attractivité par rapport
à leur aire urbaine. À la lumière des nombreuses évaluations
dont elle fait l’objet, son efficacité peut être améliorée. Elle
reste toutefois un instrument essentiel de la cohésion sociale

dans un contexte marqué par la montée des inégalités.
Bibliographie
Blanc M. (2006), « Politique de la ville et Soziale Stadt,
une comparaison franco-allemande », Pensée plu-
rielle, vol. no 12, n° 2, p. 45-51.
Borloo J.-L. (2018), « Vivre ensemble, vivre en grand
pour une réconciliation nationale », ministère de la
Cohésion des territoires et des relations avec les col-
lectivités territoriales, rapport.
Chetty R., N. Hendren et L. F. K atz (2016), « The effects
of exposure to better neighborhoods on children:
New evidence from the moving to opportunity
experiment », American Economic Review, vol. 106,
n° 4, p. 855-902.
Cour des comptes (2020), L’évaluation de l’attractivité des
quartiers prioritaires, Une dimension majeure de la poli-
tique de la ville, Rapport public thématique.
Epstein R. (2013), La Rénovation urbaine, Presses de

Sciences Po, Paris.
Epstein R. et T. K irszbaum (2019), « Ces quartiers dont
on préfère ne plus parler : les métamorphoses de la
politique de la ville (1977-2018) », Parlement[s], Revue
d'histoire politique, vol. 30, n° 3, p. 23-46.
Gilli F. (2007), « La politique de la ville aux États-
Unis : des ressources fédérales pour le développe-
ment économique et les initiatives locales », La Revue
Tocqueville, vol. 28, n° 2, p. 101-126.
Observatoire national de la politique de la ville (2020),
Vulnérabilités et ressources des quartiers prioritaires, rap-
port annuel.

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