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Jean-Michel Huet. Le Digital en Afrique.

Les cinq sauts


numériques
Vincent Hecquet
Dans Afrique contemporaine 2018/2 (N° 266), pages 220 à 223
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0002-0478
ISBN 9782807391734
DOI 10.3917/afco.266.0220
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.64.175.247)

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Jean-Michel Huet
Le Digital en Afrique. Les cinq sauts numériques1

Dans cet ouvrage, Jean-Michel Huet étudie


les étapes du déploiement des technologies de
l’information et de la communication (TIC) en
Afrique, dont il est un des spécialistes 2 . Il en
retrace les étapes successives, en analysant leur
extension rapide ou au contraire leur moindre
avancée : les percées spectaculaires du téléphone
portable et du paiement par mobile ; les progrès
plus lents du commerce par Internet, qui néces-
site davantage d’adaptations au contexte local ;
les initiatives récentes dans le secteur public ;
les promesses de l’économie des plateformes où,
si l’on ne compte pas encore de grand opérateur
africain, les potentialités sont très grandes.
Le déploiement du numérique en Afrique constitue un cas d’école de ce
que les économistes du management ont défini sous les termes d’innovation
« frugale » et « inversée ». L’innovation frugale correspond au cas où il existe
un marché pour les populations à faible revenu pourvu que les entreprises
sachent leur adresser des produits correspondant à leurs moyens 3 . L’innovation
inversée prolonge le concept en explicitant des cas où les produits et services
sont d’abord conçus dans les pays émergents avant de revenir, moyennant ajus-
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tements, dans les pays développés 4 . Cela implique un complet renversement du
fonctionnement habituel des grandes firmes, puisque la recherche-développe-
ment est délocalisée du centre vers les filiales, l’expertise locale valorisée, et
que les produits, plutôt de que monter progressivement en gamme, sont d’em-
blée lancés vers des besoins jusqu’alors non satisfaits. Les services financiers
par téléphone en sont un excellent exemple. L’ouvrage est du reste préfacé par
Stéphane Richard, président-directeur général d’Orange, qui, après des années
d’expérience de services financiers en Afrique, a lancé Orange Bank en France
fin 20175 .
L’essor du digital en Afrique s’est opéré depuis les années 2000 à travers
cinq bonds successifs, autant de leapfrogs en anglais, selon l’image du saut de
la grenouille.

1. Michel Lafon, 2017. publiée : J.M. Huet, Africa and the the Execution Challenge, Cambridge,
2. Jean-Michel Huet a accompagné Digital ’Leapfrog’, Montreuil, Harvard Business Press Review, 2010.
le déploiement numérique de Pearson, 2018. 5. Fin 2017, Orange était présent
plusieurs entreprises et États en 3. C.K. Prahalad, The Fortune at the dans dix-sept pays africains. En
Afrique. Il préside la commission Bottom of the Pyramid, Philadelphie, France, cinquante-cinq mille clients
« Digital » du Conseil français des Wharton School Publishing, 2004. avaient souscrit à Orange Bank
investisseurs en Afrique. Une version 4. V. Govindarajan, C. Trimble, The (document de références du groupe
anglaise de cet ouvrage vient d’être Other Side of the Innovation. Solving Orange).

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Le premier de ces sauts est le développement des TIC. Jusqu’aux
années 1990, le taux de pénétration des accès téléphoniques reposait sur des
lignes fixes et ne dépassait pas 2 %, seules les administrations et quelques
grandes entreprises en étant pourvues. Depuis, la téléphonie mobile a connu
une croissance exponentielle, avec un taux de pénétration atteignant en 2017
44 % en Afrique subsaharienne et 21 % pour l’Internet mobile 6 . Le saut est
double puisque, d’une part, le portable a supplanté le développement des lignes
fixes et, d’autre part, l’accès à Internet est passé directement par les smart-
phones et les réseaux 3G et 4G, et non par l’ADSL ou la fibre. Dans 98 % des
cas, l’accès se fait via des cartes prépayées. Sur le marché africain des télé-
communications demeure une quarantaine d’acteurs nationaux, le plus souvent
anciens opérateurs historiques. Toutefois, le marché est désormais dominé par
des groupes multinationaux des pays occidentaux (tel Orange, Vodafone et
Millicom) ou de pays émergents, (l’Indien Bharti-Airtel ou l’Émirati Etisalat).
Le principal opérateur est le Sud-Africain MTN.
L’éclosion des services financiers mobiles, à la fin des années 2000,
constitue le deuxième changement majeur. Ces services peuvent être basiques
(dépôts, retraits, paiements) ou plus élaborés (épargne, prêts, assurance). Dans
certains pays, comme la Tanzanie ou le Kenya, on compte dix fois plus de
comptes sur mobile qu’en agence bancaire, conséquence de la sous-bancarisa-
tion des populations. La Tanzanie a en outre imposé une complète interopéra-
bilité entre les opérateurs pour développer l’accès au compte. Les avantages des
services financiers mobiles sont évidents tant dans la vie quotidienne des indi-
vidus qu’en tant que facteur de développement. Ces services associent toujours,
à des degrés divers, une banque et un opérateur mobile soumis à la régulation
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de leurs superviseurs respectifs, banque centrale et autorité de régulation des
télécommunications. La qualité de la supervision est essentielle pour protéger
les déposants et pour lutter contre les transferts illicites.
Le commerce électronique en Afrique soulève des difficultés particu-
lières. Si Google, Facebook, Uber se sont rapidement diffusés sur le continent,
Amazon commence juste à s’y implanter. Les freins sont le manque d’adresse
postale, les dysfonctionnements des postes et surtout la complexité de la logis-
tique, 60 % de la population vivant encore à plus de deux kilomètres d’une
piste bitumée. Plusieurs groupes ont su s’adapter à ces difficultés. Le groupe
de grands magasins CFAO a lancé sa plateforme Africashop qui permet aux
clients de retirer les produits commandés dans ses points de vente. Des sites
de e-commerce s’adressent à la diaspora, offrant aux émigrés en Europe ou aux
États-Unis la possibilité d’acheter des produits que leurs proches retireront en
Afrique. Fondé en 2012 au Nigeria, le site de commerce électronique Jumia a
connu une croissance remarquable, se déploie désormais sur une vingtaine de

6. Selon le rapport annuel de la constructeurs et opérateurs de


Global System for Mobile Association téléphonie mobile.
(GSMA), association mondiale des

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pays et incarne la réussite du nouvel entrepreneuriat africain. Jumia propose
plusieurs moyens de paiements, par carte bancaire, paiement mobile ou à la
réception7. Au Nigeria, il a noué un partenariat avec MTN qui permet au client
de surfer gratuitement sur son site. Les opérateurs Orange, MTN et Millicom
ont souscrit à son capital.
Le digital peut également permettre le développement et l’amélioration
des services publics. L’exemple le plus souvent cité est l’usage médical des TIC,
grâce auquel des populations éloignées des centres de santé peuvent recevoir
des alertes, conseils préventifs, ou même des médicaments. Des personnels
médicaux généralistes consultent à distance des spécialistes grâce à la trans-
mission d’images numériques. Dans les administrations, le travail repose avant
tout sur le traitement de l’information, aussi la dématérialisation est-elle par
nature susceptible d’en favoriser le stockage, les échanges et la diffusion. Ainsi,
AGS Mobilitas numérise les archives de plusieurs pays africains, Gemalto met
en place le passeport biométrique au Maroc ou les listes électorales au Gabon.
La combinaison des innovations précédentes conduit à l’économie des
plateformes, c’est-à-dire la capacité de créer et exploiter des interactions créa-
trices de valeurs entre les producteurs et consommateurs de données. Cela per-
mettrait de structurer des secteurs entiers dans un contexte « où il est plus
facile de partir de zéro ou de pas de grand-chose que de modifier l’existant ».
Un exemple serait la mise en place de systèmes de sécurité sociale à travers des
plateformes digitales réunissant toutes les parties prenantes (État, assureurs,
distributeurs de médicaments, bailleurs de fonds…). Une quarantaine de villes
africaines ont lancé des projets de smart cities, qui visent à utiliser les TIC
pour améliorer la qualité de vie des habitants, l’efficacité des services urbains
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et la compétitivité économique 8 . La plus avancée est Kigali qui, depuis son pro-
gramme lancé en 2013, est désormais entièrement connectée à Internet. Les
démarches administratives comme le paiement des impôts ou l’obtention de
certificats administratifs y sont dématérialisées et la prochaine étape devrait
être la mise en place de paiement uniquement par Internet 9 .
Ce livre contient de nombreux entretiens avec les entrepreneurs des
TIC, et il n’entre pas dans son projet d’analyser leurs usages10 . En revanche, l’un
des grands intérêts de l’ouvrage est de rappeler les conditions nécessaires pour
le succès de la digitalisation en Afrique. Ces nouvelles technologies supposent
l’accès régulier et abordable à l’électricité, ce qui est encore loin d’être acquis
dans de nombreux pays. L’administration numérique requiert des infrastruc-
tures informatiques sécurisées. La télémédecine ne pallie pas l’exode des per-
sonnels médicaux. De même, la digitalisation imposera de former de nombreux

7. Voir aussi Marie de Vergès, 9. J.-P. Nsengimana, ministre de la 10. Voir, sur le sujet, R.M. Manga,
« Jumia se rêve en Amazon africain », Jeunesse et des Nouvelles « Les TIC, nouvelles formes d’action
Le Monde, 15 avril 2018. Technologies du Rwanda, « Kigali est politique. Le cas des diasporas
8. Un prochain congrès du aujourd’hui une capitale totalement africaines camerounaises», Afrique
programme Smart City Africa se connectée à Internet », Le Monde, contemporaine, n° 234, 2010,
tiendra en février 2019 à Abidjan. 10 mai 2017. p. 127-140.

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informaticiens dont rien ne garantit qu’ils resteront en Afrique. Enfin, alors
que trop d’initiatives demeurent sans suite, la coordination des États, bailleurs
de fonds et ONG est nécessaire pour assurer le financement et la maintenance
des projets au fil du temps. Comme les autres leviers, la digitalisation a besoin
d’un cadre stable pour contribuer au développement du continent africain.
Vincent Hecquet11
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11. Vincent Hecquet, économiste,


est l’auteur de nombreux articles sur
les entreprises et les territoires.

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