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Gaël RABALLAND *
Thomas CANTENS **
À ceux qui pensent pouvoir y échapper, même l’au-delà offre un bien piè-
tre espoir. L’eschatologie byzantine ne compte pas moins de 22 postes de
douanes célestes qui bloquent l’âme du défunt dans son ascension (Magne,
19811). Les douaniers, démons accusateurs, y réclament des péages, retenant
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* Gaël Raballand est économiste senior de la région Afrique de la Banque mondiale, titulaire d’un doctorat en économie,
co auteur d’un livre sur les prix et coûts de transport en Afrique (Transport Prices and Costs in Africa) et chercheur associé
à l’Institut Choiseul, Paris.
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Thomas Cantens est inspecteur des douanes françaises et doctorant en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des hau-
tes études en sciences sociales (EHESS), rattaché au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS-Paris), sous la direction de
M. André Bourgeot. Il a bénéficié de deux détachements au ministère des Affaires étrangères et européennes, pour exercer, au
titre de la coopération française, les fonctions de conseiller technique des directeurs généraux des douanes du Mali (2001-2003)
et du Cameroun (2006-2010). L’article proposé est une partie de sa thèse qui sera présentée à la fin 2009 à l’EHESS et dont le
sujet principal est la question du changement dans les administrations douanières d’Afrique subsaharienne.
Les auteurs souhaitent remercier Luc De Wulf, Anca Dumitrescu, Enrique Fanta, Irène Hors, Tuan Minh Le, Gerard McLinden,
Lionel Pascal, Abdoulaye Seck pour leur relecture des articles.
1. MAGNE, J. (1981), compte-rendu de sa communication dans le Bulletin de la société Ernest-Renan, n° 29, p. 111-112.
2. NICOARA, T. et DURANDIN, C. (2002), Société rurale et mentalités collectives en Transylvanie à l’époque moderne (1680-1800),
Paris, L’Harmattan.
DOI: 10.3917/afco.230.0019 19
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3. COPANS, J. (2001), « Afrique noire : un État sans fonctionnaires ? », in M. RAFFINOT et F. ROUBAUD (ed.) (2001), Les Fonc-
tionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Bondy, Autrepart (20), p. 11-26.
4. À l’instar de DE WULF, L. and SOKOL, J. (2005), Customs Modernization Handbook, Washington, World Bank. Pour la
dimension sociale voir BLUNDO, G. et OLIVIER DE SARDAN, J.-P. (eds) (2001), La Corruption au quotidien en Afrique de l’Ouest.
Approche socio-anthropologique comparative : Bénin, Niger et Sénégal, Paris, EHESS/IRD, Genève, IEUD, rapport de recherche,
octobre, 282 p.
5. À propos de recueils d’expériences de réforme des douanes, on peut citer KLITGAARD, R. (1989), Controlling Corruption,
Berkeley (CA), University of California Press et HORS, I. (2001), “Fighting corruption in Customs Administration : What Can
We Learn from Recent Experiences ?”, Working Paper, n° 175, OECD Development Centre.
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Dans la plupart des pays africains (hors pays pétroliers), les droits et taxes
collectées par les douanes représentent de 30 à 70 % des recettes du budget
national 6. Là où les douanes collectent moins de la moitié des recettes, la
fiscalité intérieure repose principalement sur les taxes à la consommation,
comme la TVA, qui ne sont pas à proprement parler collectées par l’admi-
nistration mais plutôt par les entreprises qui les reversent à l’administration.
Généralement, les impôts sur le revenu ou sur le foncier sont délaissés en
raison de leur collecte difficile. Alors, les douanes demeurent la principale
institution capable de collecter elle-même des revenus publics. Cela conduit
à placer les douanes au cœur de l’économie africaine.
Économiquement, les douanes ont un impact direct sur les prix à la con-
sommation. Peu modernisées, elles représentent en effet un frein important
au commerce par le renchérissement des coûts de transaction. Leur ineffi-
cacité amoindrit encore le montant disponible des ressources publiques,
déjà rares (voir encadré 1 pour le rôle concret des douanes dans le processus
d’importation).
D’un point de vue social, les douaniers forment une élite administrative.
Recrutés à la sortie des écoles les plus prestigieuses de l’administration,
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6. RABALLAND, G., MARTEAU, J.-F., CANTENS, T. et MJEKIQI, E. (2009), “Could a Well-Designed Customs Reform Remove the
Trade-Off between Revenue Collection and Trade Facilitation ?”, Mimeo.
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Toutes les marchandises qui entrent ou sortent d’un territoire douanier doivent faire
l’objet d’une déclaration en douane qui permet de déterminer le montant des droits
et taxes à payer et les autres mesures douanières appliquées. La déclaration en douane
est un acte juridique par lequel le déclarant désigne le régime douanier appliqué aux
marchandises et s’engage à accomplir les obligations qui en découlent : fournir les
indications nécessaires à l’identification de la marchandise, à l’application des mesures
fiscales ou douanières afférentes au régime choisi et à l’établissement des statistiques
du commerce extérieur. L’application des lois et règlements douaniers s’appuie prin-
cipalement sur les éléments de taxation que sont l’espèce tarifaire, la valeur en douane
et l’origine des marchandises.
Le régime douanier est le statut juridique conféré à une marchandise lors du fran-
chissement de la frontière à l’importation ou à l’exportation. On distingue les régi-
mes dits de « droit commun » (importation directe pour mise à la consommation et
exportation définitive) et les régimes dits « économiques » (entrepôt, importation ou
exportation temporaire, perfectionnement passif et actif, transit, etc.). Pour les pre-
miers régimes, les droits et taxes sont acquittés et les opérateurs peuvent disposer
librement de leur marchandise pendant que pour les autres régimes les marchandises
restent sous le contrôle de la douane, les droits et taxes étant suspendus pour une
période déterminée.
L’espèce tarifaire est la désignation technique donnée à une marchandise dans le tarif
des douanes. Cette désignation est très souvent différente de la désignation commer-
ciale de la marchandise concernée. La valeur en douane est, selon les termes de
l’accord de l’OMC sur l’évaluation en douane, le prix effectivement payé ou à payer
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7. Le rôle de ces entreprises est décrit dans l’article de Dequiedt et al. dans ce numéro : « Les programmes de vérification
des importations (PVI) à la lumière de la théorie de l’agence ».
8. La théorie principal-agent peut contribuer à mesurer certains phénomènes observés sur le terrain, tels que l’asymétrie
d’information entre directeur général et douaniers ou bien la collusion entre douaniers de première ligne et commission-
naires en douanes.
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9. Pour l’évaluation de l’impact à court terme de cette mesure et un aperçu de la littérature sur ce phénomène, on pourra se
reporter à YANG, D. (2008), “Integrity for Hire : An Analysis of a Widespread Customs Reform”, Journal of Law and Economics, vol. LI.
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10. ENGELSCHALK, M. et LE, T.M., (2004), “Two decades of World Bank lending for Customs reform : trends in project design,
project implementation, and lessons learned”, Customs Modernization Handbook, sous la direction de Luc De Wulf et José
B. Sokol, Washington D.C., Banque mondiale.
11. BARBONE, L., DAS-GUPTA, A., DE WULF, L., HANSSON, A. (1999), “Reforming Tax Systems – The World Bank Record in the
1990s”, World Bank Policy Research Working Paper, n° 2 237.
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■ Introduction thématique ■
outil dans une réforme de l’administration fiscale mais devient souvent une
fin en soi ». Pour les bailleurs de fonds, le problème revient à trouver le juste
équilibre entre la fourniture d’équipements informatiques répondant à un
besoin réel incontestable et le changement institutionnel nécessaire pour en
assurer la pérennité et en tirer des bénéfices.
PRÉSENTATION DU DOSSIER
Les articles du dossier sont rassemblés autour de deux axes de recherche
principaux. La lutte contre la corruption constitue le premier axe. Injonc-
tion principale au mouvement de réforme, la corruption constitue le fil
directeur de trois premières contributions qui s’y consacrent plus particuliè-
rement en combinant données empiriques, points de vue professionnels et
analyses comparatives.
Fjeldstad conforte une approche des dispositifs douaniers qui dépasse le
seul champ technique. Constatant l’échec des réformes douanières, il milite
pour une réévaluation des politiques anti-corruption en proposant une ana-
lyse critique des approches généralement adoptées qu’il juge technocrati-
ques et inefficaces. Sa contribution explore ainsi plusieurs limites : celles du
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■ Introduction thématique ■
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rait déjà les bases d’une coordination annoncée dans la Déclaration de Paris,
difficile à mettre en œuvre et rarement sur l’initiative des autorités locales.
S’agissant des PVI, constatant leur diversité autant que le caractère essen-
tiellement empirique des contributions universitaires qui leur ont été con-
sacrées, Dequiedt, Geourjon et Rota-Graziosi proposent une approche
normative en leur appliquant la théorie de l’agence. Les modèles d’agence
hiérarchique semblent particulièrement adaptés à l’enjeu principal des
douanes d’ASS qu’est la corruption, dont la pérennité est garantie par l’asy-
métrie d’informations entre les différents acteurs. Les auteurs insistent judi-
cieusement sur le nécessaire respect du principe de surveillance mutuelle
entre les douanes et les sociétés chargées des PVI. Ils rendent ainsi toute sa
normalité à la relation conflictuelle banalement observée sur le terrain et
perçue parfois comme un défaut d’organisation par les bailleurs. Ils relèvent
notamment les objectifs parfois contradictoires des contrats qui affaiblissent
la nécessaire tension entre sociétés d’inspection et douaniers. Toutefois, un
problème semble difficile à résoudre. Dans la phase de négociation de ces
contrats, le gouvernement se trouve pris entre deux contraintes : sa faible
information sur le fonctionnement du dédouanement et la pertinente
recommandation des auteurs de ne pas s’adjoindre l’administration doua-
nière dans les négociations afin de préserver le principe de surveillance
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12. Pour ce faire, la connexion au système d’information est critique pour les postes-frontières, dans les ports et les prin-
cipales aires de dédouanement.
13. Le suivi des performances des agents est critique et devrait inciter à de meilleures pratiques. Par exemple, la perfor-
mance des agents peut être évaluée sur une échelle qui comprend à la fois des notes positives et négatives.
14. Un cadre fondé sur les résultats individuels peut être envisagé. Jusqu’à présent, dans de nombreux pays africains, il
existe déjà un vaste éventail de mesures incitatives, telles que des protocoles avec les professions maritimes, le travail en
dehors des heures légales, les primes, un pourcentage non plafonné sur les amendes payées (avec peu de résultat sur la
lutte contre la fraude). Les salaires et les primes des douaniers sont les plus attractifs du secteur public. L’augmentation
des salaires au niveau de ces primes aurait un coût excessif.
15. Par exemple, les cadres supérieurs des douanes camerounaises disposent des indicateurs suivants pour contrôler l’acti-
vité de leurs agents : efficacité du contrôle par bureau et par agent, résultats globaux des contrôles, croisement avec les
données de la société d’inspection pour les conteneurs devant passer au scanner et qui ont échappé à cette procédure.
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