Vous êtes sur la page 1sur 14

Introduction thématique

Réforme des douanes et développement en Afrique subsaharienne


Gaël Raballand, Thomas Cantens
Dans Afrique contemporaine 2009/2 (n° 230), pages 19 à 31
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0002-0478
ISBN 9782804102388
DOI 10.3917/afco.230.0019
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-2-page-19.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Introduction thématique
Introduction thématique
Réforme des douanes et développement
en Afrique subsaharienne

Gaël RABALLAND *
Thomas CANTENS **

À ceux qui pensent pouvoir y échapper, même l’au-delà offre un bien piè-
tre espoir. L’eschatologie byzantine ne compte pas moins de 22 postes de
douanes célestes qui bloquent l’âme du défunt dans son ascension (Magne,
19811). Les douaniers, démons accusateurs, y réclament des péages, retenant
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


l’âme en dressant l’inventaire de ses péchés. Véritables commissionnaires
agréés, deux anges se chargent de l’accompagner et de la défendre. Pour pré-
parer le défunt, une cuisinière lui a déjà confié nourriture et sou d’argent
« pour les brigands et les douaniers » (Nicoara et Durandin, 2002 2). Les textes
ne nous racontent pas si les démons sont sensibles à la corruption ou si les
délais à chaque poste occasionnent des tourments à l’âme. Les douaniers
sont figurés par leur capacité de blocage et leur prélèvement, synthèse d’un
pouvoir de police et d’un pouvoir fiscal. Il s’agit de faire en sorte que la
société parvienne à s’en accommoder, dans les limites de la légalité.

* Gaël Raballand est économiste senior de la région Afrique de la Banque mondiale, titulaire d’un doctorat en économie,
co auteur d’un livre sur les prix et coûts de transport en Afrique (Transport Prices and Costs in Africa) et chercheur associé
à l’Institut Choiseul, Paris.
**
Thomas Cantens est inspecteur des douanes françaises et doctorant en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des hau-
tes études en sciences sociales (EHESS), rattaché au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS-Paris), sous la direction de
M. André Bourgeot. Il a bénéficié de deux détachements au ministère des Affaires étrangères et européennes, pour exercer, au
titre de la coopération française, les fonctions de conseiller technique des directeurs généraux des douanes du Mali (2001-2003)
et du Cameroun (2006-2010). L’article proposé est une partie de sa thèse qui sera présentée à la fin 2009 à l’EHESS et dont le
sujet principal est la question du changement dans les administrations douanières d’Afrique subsaharienne.
Les auteurs souhaitent remercier Luc De Wulf, Anca Dumitrescu, Enrique Fanta, Irène Hors, Tuan Minh Le, Gerard McLinden,
Lionel Pascal, Abdoulaye Seck pour leur relecture des articles.
1. MAGNE, J. (1981), compte-rendu de sa communication dans le Bulletin de la société Ernest-Renan, n° 29, p. 111-112.
2. NICOARA, T. et DURANDIN, C. (2002), Société rurale et mentalités collectives en Transylvanie à l’époque moderne (1680-1800),
Paris, L’Harmattan.

DOI: 10.3917/afco.230.0019 19
■ Afrique contemporaine ■

C’est bien souvent par la thématique de la corruption qu’universitaires


et bailleurs s’intéressent, dans un premier temps, aux douanes d’Afrique
subsaharienne. La corruption occupe la part centrale de leurs analyses où
l’État et ses « dysfonctionnements » occultent l’analyse de la pratique
(Copans, 2001 3). Quand bien même est-elle réelle, la corruption ne peut
constituer à elle seule l’unique centre d’interrogation sur ces administra-
tions. De même, une approche focalisée sur les « dysfonctionnements »
d’un État, présenté de manière abstraite, ne peut suffire à éclairer le rap-
port entre l’administration d’une société et son développement. Au regard
du nombre élevé des textes sur l’État et la corruption et à quelques excep-
tions près 4, l’impact des réformes des douanes sur le développement éco-
nomique et social en Afrique demeure négligé. Certaines analyses existent
mais elles se perdent dans des considérations techniques de description
de procédures et peinent à reconstituer l’ampleur des enjeux économi-
ques et sociaux. D’autres demeurent très théoriques et masquent, par
exemple, l’importance d’une économie politique des réformes dont la
compréhension requiert une analyse fine des pratiques réelles des doua-
niers et des opérateurs économiques. D’autres encore négligent singuliè-
rement l’Afrique subsaharienne 5.
Ce numéro rassemble des articles écrits par des économistes et anthropo-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


logues qui permettent d’évaluer les liens entre modernisation des douanes
et développement économique et social. La combinaison interdisciplinaire
de regards portés sur les réformes des douanes dans la plupart des pays
d’Afrique permet de mieux comprendre les obstacles principaux au change-
ment. Ce dossier est conçu comme un dialogue entre chercheurs et praticiens
du développement, entre douaniers et non-douaniers. Il propose d’ébaucher
les voies d’une modernisation plus efficace des douanes.

3. COPANS, J. (2001), « Afrique noire : un État sans fonctionnaires ? », in M. RAFFINOT et F. ROUBAUD (ed.) (2001), Les Fonc-
tionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Bondy, Autrepart (20), p. 11-26.
4. À l’instar de DE WULF, L. and SOKOL, J. (2005), Customs Modernization Handbook, Washington, World Bank. Pour la
dimension sociale voir BLUNDO, G. et OLIVIER DE SARDAN, J.-P. (eds) (2001), La Corruption au quotidien en Afrique de l’Ouest.
Approche socio-anthropologique comparative : Bénin, Niger et Sénégal, Paris, EHESS/IRD, Genève, IEUD, rapport de recherche,
octobre, 282 p.
5. À propos de recueils d’expériences de réforme des douanes, on peut citer KLITGAARD, R. (1989), Controlling Corruption,
Berkeley (CA), University of California Press et HORS, I. (2001), “Fighting corruption in Customs Administration : What Can
We Learn from Recent Experiences ?”, Working Paper, n° 175, OECD Development Centre.

20
■ Introduction thématique ■

LES DOUANES, ENJEU MAJEUR DU DÉVELOPPEMENT

Dans la plupart des pays africains (hors pays pétroliers), les droits et taxes
collectées par les douanes représentent de 30 à 70 % des recettes du budget
national 6. Là où les douanes collectent moins de la moitié des recettes, la
fiscalité intérieure repose principalement sur les taxes à la consommation,
comme la TVA, qui ne sont pas à proprement parler collectées par l’admi-
nistration mais plutôt par les entreprises qui les reversent à l’administration.
Généralement, les impôts sur le revenu ou sur le foncier sont délaissés en
raison de leur collecte difficile. Alors, les douanes demeurent la principale
institution capable de collecter elle-même des revenus publics. Cela conduit
à placer les douanes au cœur de l’économie africaine.
Économiquement, les douanes ont un impact direct sur les prix à la con-
sommation. Peu modernisées, elles représentent en effet un frein important
au commerce par le renchérissement des coûts de transaction. Leur ineffi-
cacité amoindrit encore le montant disponible des ressources publiques,
déjà rares (voir encadré 1 pour le rôle concret des douanes dans le processus
d’importation).
D’un point de vue social, les douaniers forment une élite administrative.
Recrutés à la sortie des écoles les plus prestigieuses de l’administration,
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


leurs revenus légaux sont élevés – d’autant plus si on y inclut les diverses
primes (dont celles liées aux contentieux qui généralement ne sont pas
plafonnées). Informellement, un directeur des douanes est souvent aussi
puissant qu’un ministre des Finances et bien plus puissant que la majorité
des ministres. Le corps des douanes compte les personnes politiquement
les plus influentes du pays. Il est d’ailleurs paradoxal de constater qu’en
Afrique, les douanes attirent bien souvent les meilleurs cadres de l’adminis-
tration alors qu’elles forment l’institution la plus décriée, perçue comme
l’archétype de la corruption et de la mauvaise gouvernance.

6. RABALLAND, G., MARTEAU, J.-F., CANTENS, T. et MJEKIQI, E. (2009), “Could a Well-Designed Customs Reform Remove the
Trade-Off between Revenue Collection and Trade Facilitation ?”, Mimeo.

21
■ Afrique contemporaine ■

Encadré 1 – Quelle place des douanes dans le processus d’importation ?

Toutes les marchandises qui entrent ou sortent d’un territoire douanier doivent faire
l’objet d’une déclaration en douane qui permet de déterminer le montant des droits
et taxes à payer et les autres mesures douanières appliquées. La déclaration en douane
est un acte juridique par lequel le déclarant désigne le régime douanier appliqué aux
marchandises et s’engage à accomplir les obligations qui en découlent : fournir les
indications nécessaires à l’identification de la marchandise, à l’application des mesures
fiscales ou douanières afférentes au régime choisi et à l’établissement des statistiques
du commerce extérieur. L’application des lois et règlements douaniers s’appuie prin-
cipalement sur les éléments de taxation que sont l’espèce tarifaire, la valeur en douane
et l’origine des marchandises.
Le régime douanier est le statut juridique conféré à une marchandise lors du fran-
chissement de la frontière à l’importation ou à l’exportation. On distingue les régi-
mes dits de « droit commun » (importation directe pour mise à la consommation et
exportation définitive) et les régimes dits « économiques » (entrepôt, importation ou
exportation temporaire, perfectionnement passif et actif, transit, etc.). Pour les pre-
miers régimes, les droits et taxes sont acquittés et les opérateurs peuvent disposer
librement de leur marchandise pendant que pour les autres régimes les marchandises
restent sous le contrôle de la douane, les droits et taxes étant suspendus pour une
période déterminée.
L’espèce tarifaire est la désignation technique donnée à une marchandise dans le tarif
des douanes. Cette désignation est très souvent différente de la désignation commer-
ciale de la marchandise concernée. La valeur en douane est, selon les termes de
l’accord de l’OMC sur l’évaluation en douane, le prix effectivement payé ou à payer
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


pour ces marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du
pays d’importation après ajustement. L’origine d’une marchandise est le pays ou le ter-
ritoire où la marchandise a été fabriquée, récoltée, extraite ou élevée. Elle doit claire-
ment être distinguée de la provenance, entendue comme le pays ou le territoire d’où
a été expédiée la marchandise à destination directe du lieu d’importation.
Pour disposer de sa marchandise, un agent doit nécessairement suivre une procédure
de dédouanement. Il s’agit en fait d’un ensemble de formalités et obligations auxquelles
sont soumis les opérateurs et qui aboutissent à l’enlèvement des marchandises. Pour
cela, l’opérateur peut soit recourir à un professionnel du dédouanement (commis-
sionnaire en douane), soit procéder lui-même à l’enregistrement en douane de la
déclaration évoquée plus haut. Cet enregistrement consacre l’acte juridique et ouvre
les procédures de vérification (contrôle douanier) des éléments de taxation en douane
qui débouchent sur le paiement des droits et taxes. Après paiement, l’enlèvement de
la marchandise peut alors avoir lieu en se rapprochant des exploitants des magasins
où sont stockées les marchandises en attente de dédouanement.
Pour concilier les impératifs de fluidité et de sécurisation de la chaîne logistique, les
contrôles douaniers ne sont pas exhaustifs. La sélection des marchandises à contrôler
est assurée par une analyse de risque effectuée avant l’arrivée ou le départ des cargai-
sons. Cette procédure permet d’orienter les contrôles douaniers vers des envois à risque
et à faciliter la procédure de dédouanement aux autres envois. Le cœur des réformes
actuelles des douanes est d’arriver à un parfait équilibre entre la nécessité du contrôle
douanier et la facilitation des échanges.

22
■ Introduction thématique ■

Les réformes des administrations douanières sont devenues l’un des


principaux piliers des programmes financés par les bailleurs de fonds. La
problématique des douanes est devenue particulièrement sensible depuis
les attentats du 11 septembre 2001 qui ont conduit, de manière planétaire,
à intégrer les douanes dans le dispositif sécuritaire, quand elles étaient jus-
que-là essentiellement préoccupées par la facilitation du commerce. Le
mouvement s’est amorcé aux États-Unis et s’est diffusé en Afrique : les procé-
dures ont ainsi été modifiées pour tenir compte de l’implantation de scanners.
Envisagés initialement comme réponse au risque terroriste et aux trafics de
produits illicites, les scanners ont été installés souvent sous l’impulsion des
sociétés d’inspection 7 qui ont déplacé leur contrôle des pays d’embarquement
vers les pays africains.
Mais le mouvement de réformes des douanes s’inscrit dans une tempora-
lité plus longue qui dépasse la conjoncture sécuritaire, du fait de leur impact
capital sur la corruption, la gouvernance et la gestion des recettes de l’État.
Unions douanières régionales, tarif extérieur commun, accord sur la valeur,
accord sur les sociétés de préinspection et prochainement accords de parte-
nariat économique avec l’Union européenne sont autant d’engagements
politiques des États africains au niveau international. Ces thématiques con-
cernent au final les douanes et en affectent leur fonctionnement quotidien.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


LA RÉFORME À L’ÉPREUVE DES RÉALITÉS
La réalité des douanes est encore trop souvent méconnue alors que les
directeurs des douanes, les chefs de service opérationnels sont des acteurs
essentiels de la politique économique des pays d’Afrique subsaharienne (ASS).
Ils ont souvent une très bonne perception des objectifs à atteindre pour la
réforme mais se heurtent à des intérêts contradictoires au sein même de leur
institution 8. En admettant une volonté de réforme de la part d’un directeur
général des douanes, la pratique douanière demeure souvent très largement
non conforme à la législation nationale et aux normes internationales.

7. Le rôle de ces entreprises est décrit dans l’article de Dequiedt et al. dans ce numéro : « Les programmes de vérification
des importations (PVI) à la lumière de la théorie de l’agence ».
8. La théorie principal-agent peut contribuer à mesurer certains phénomènes observés sur le terrain, tels que l’asymétrie
d’information entre directeur général et douaniers ou bien la collusion entre douaniers de première ligne et commission-
naires en douanes.

23
■ Afrique contemporaine ■

Dans de nombreux cas, le directeur général ne contrôle pas les recrute-


ments ni ne maîtrise les sanctions, surtout quand il s’agit du haut niveau,
domaine où s’immisce le politique. Ce constat est parfaitement homogène
avec celui de l’importance des douanes dans la politique économique. En
outre, il est difficile pour un directeur général de connaître la situation
réelle des mauvaises pratiques sur le terrain, d’avoir l’exhaustivité d’une
situation de corruption ou de fraude pour envisager une sanction juste, et
encore moins d’en évaluer l’impact global sur les recettes. Dans certains
pays, il se peut que seuls 10 % des déclarations soient enregistrées dans le
système informatique à certains postes-frontières. De plus, on remarque par-
fois que l’outil informatique est utilisé à rebours : la valeur des biens déclarés
est parfois définie en partant des sommes officiellement versées au Trésor, le
reste étant partagé entre douaniers et autres personnes impliquées dans la
collusion. C’est pourquoi la structure tarifaire a parfois bien moins d’impact
qu’en théorie puisque le montant des droits est négocié. Initialement
dépourvus de moyens réels de coercition sur les opérateurs pour lutter con-
tre la fraude et de moyens de contrôle sur leurs agents pour lutter contre la
corruption, les responsables opérationnels préfèrent négocier un « niveau
acceptable de taxation » pour certaines filières pourvoyeuses de recettes.
La simplification des quotités tarifaires est une procédure avancée. Elle
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


s’appuie sur l’idée que la complexité et le niveau tarifaire élevé ne sont pas
viables dans une administration douanière faible. Cette mesure oublie le
fonctionnement réel de la douane dans de nombreux pays africains. En
effet, la simplification du tarif ne peut pas répondre à un manque de capa-
cité des administrations douanières. Par nécessité, voire par intérêt, les
douaniers ont au contraire une connaissance fine du tissu économique et de
la matière taxable. On remarque d’ailleurs qu’une réduction des positions
tarifaires a parfois un effet inverse à celui attendu, en favorisant une collusion
fondée sur une faible lutte contre la contrefaçon, des contrôles sanitaires
inexistants et une impossible distinction tarifaire de marchandises similaires
mais de qualité très différente.
Ainsi, aussi bien dans leurs aspects organisationnels qu’économiques ou
technologiques, les réformes douanières doivent s’appuyer sur de solides
connaissances du fonctionnement réel de l’administration. Affirmer cette
nécessité ne relève pas d’une quelconque empathie mais d’une contrainte
inhérente à la gouvernance efficace de la réforme qui, plus que de répéter
des objectifs connus et partagés par l’ensemble de la communauté doua-
nière internationale, s’attache aux étapes pour y parvenir.

24
■ Introduction thématique ■

LES BAILLEURS DE FONDS CONFRONTÉS À CES RÉALITÉS


Confrontés à cette réalité qu’ils feignent parfois de ne pas connaître ou ne
connaissent pas bien, les bailleurs de fonds peuvent difficilement mettre en
avant des succès de programmes de modernisation des douanes qu’ils ont
financés. Malgré les fréquents revers, l’Organisation mondiale des douanes
(OMD, voir encadré 2) et les bailleurs bilatéraux ou multilatéraux ont souvent
du mal à se remettre en question dans ce domaine. Plusieurs raisons permet-
tent d’expliquer les difficultés rencontrées par le programme de réforme.
Tout d’abord, au motif que les objectifs à atteindre sont souvent identi-
ques, les bailleurs peinent à tenir compte des singularités de chaque pays et
préconisent des mesures génériques qui s’avèrent régulièrement inefficaces.
On peut citer l’exemple des expériences menées en Europe orientale ou dans
le Maghreb, qu’on pensait pouvoir importer aussi facilement en Afrique sub-
saharienne (ASS) et qui ont essuyé de sérieux revers. Dans la même veine, à
la fin des années 1990, l’inspection avant embarquement était présentée comme
une mesure cruciale pour améliorer la collecte de recettes 9. À la même épo-
que, l’insuffisance des salaires officiels était souvent citée comme l’une des
principales causes de la corruption dans les douanes. Cet argument continue
d’être invoqué localement par certains douaniers. Malgré cela, Hors (2001) a
montré empiriquement que dans un environnement de corruption générali-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


sée, les bénéfices liés aux pots-de-vin sont tels que même une augmentation
substantielle des salaires a un effet très limité sur le niveau de corruption.
Aujourd’hui, la douane est partout prônée comme instrument de facilita-
tion du commerce. La question de savoir qui bénéficie de la facilitation et qui
est entravé par les contrôles abusifs. À trop vouloir faire des douanes un
« instrument » de facilitation, les bailleurs ont oublié la nature des obstacles au
commerce. L’impact négatif du contrôle sur ceux qui sont dans la légalité est
une question inhérente à tout appareil répressif. Celui des douanes est quan-
tifiable, en termes de délais et donc de coûts. Pour autant, ne considérer les
douanes que sous un questionnement de facilitation et mener des réformes
qui conduisent à adjoindre aux douanes des sociétés d’inspection conduit les
douaniers à ne plus être en mesure de contrôler une déclaration et surtout à
refuser d’assumer les responsabilités liées à leur pouvoir. Plus généralement,
dans certains ports, l’exigence de facilitation rend légitime la multiplication
d’organismes censés accélérer le passage en frontière, ce qui ajoute de nouvel-
les formalités et conduit alors à augmenter les délais de transit. Finalement,
on aboutit à des résultats contradictoires avec les objectifs des réformes.

9. Pour l’évaluation de l’impact à court terme de cette mesure et un aperçu de la littérature sur ce phénomène, on pourra se
reporter à YANG, D. (2008), “Integrity for Hire : An Analysis of a Widespread Customs Reform”, Journal of Law and Economics, vol. LI.

25
■ Afrique contemporaine ■

Encadré 2 – L’Organisation mondiale des douanes


L’Organisation mondiale des douanes (OMD) est la dénomination d’usage du Conseil
de coopération douanière, créé en 1952. Initialement constituée par 17 États, l’OMD,
seule organisation internationale à traiter exclusivement des questions douanières,
regroupe aujourd’hui 173 pays membres et traite de tous les domaines douaniers : le
tarif, l’origine, l’évaluation en douane, la facilitation et la sécurité du commerce et la
lutte contre la fraude.
Le Conseil réunit les directeurs des administrations douanières membres et fixe les
orientations générales de l’organisation. Il s’appuie sur un secrétariat composé d’une
centaine de fonctionnaires internationaux, d’experts techniques et de personnels
administratifs, chargé d’exécuter les décisions du conseil, et sur des comités techniques
spécifiques auxquels participent les administrations membres.
L’OMD produit des conventions internationales dont la convention relative aux con-
teneurs, la convention de Kyoto révisée sur l’harmonisation et la simplification des
régimes douaniers, la convention de Johannesburg sur l’assistance administrative
mutuelle en matière douanière. Néanmoins, contrairement à l’Organisation mondiale
du commerce, ces conventions n’ont pas de valeur juridiquement contraignante. Elles
traduisent l’engagement des administrations membres à respecter les meilleures normes
techniques du moment.
Par ailleurs, l’OMD dispose d’outils qu’elle met à la disposition de ses membres.
Le Customs Enforcement Network (CEN) facilite la communication d’informations
à caractère opérationnel dans le cadre d’enquêtes douanières internationales. Une
plate-forme d’apprentissage en ligne (e-learning) est proposée aux membres pour
qu’ils l’installent localement ; elle comprend des modules de formation sur la plupart
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


des questions douanières.
Source : www.wcoomd.org

Les bailleurs de fonds sont fréquemment victimes de leurs incitations inter-


nes. En effet, le financement de la réussite d’une réforme des douanes est une
opération risquée car elle requiert un changement structurel de l’institution,
alors même que celle-ci est capitale au fonctionnement de l’économie. Le
déboursement rapide et important est généralement considéré comme un
des principaux critères de réussite d’un programme du point de vue d’une
banque de développement. Alors, la priorité est alors donnée à la fourniture
d’équipement au détriment des mesures aboutissant aux changements de com-
portement des douaniers en première ligne (voir Engelschak et Le, 2004 10).
Barbone et al. (1999) 11 explique ainsi que « l’informatisation n’est plus un

10. ENGELSCHALK, M. et LE, T.M., (2004), “Two decades of World Bank lending for Customs reform : trends in project design,
project implementation, and lessons learned”, Customs Modernization Handbook, sous la direction de Luc De Wulf et José
B. Sokol, Washington D.C., Banque mondiale.
11. BARBONE, L., DAS-GUPTA, A., DE WULF, L., HANSSON, A. (1999), “Reforming Tax Systems – The World Bank Record in the
1990s”, World Bank Policy Research Working Paper, n° 2 237.

26
■ Introduction thématique ■

outil dans une réforme de l’administration fiscale mais devient souvent une
fin en soi ». Pour les bailleurs de fonds, le problème revient à trouver le juste
équilibre entre la fourniture d’équipements informatiques répondant à un
besoin réel incontestable et le changement institutionnel nécessaire pour en
assurer la pérennité et en tirer des bénéfices.

PRÉSENTATION DU DOSSIER
Les articles du dossier sont rassemblés autour de deux axes de recherche
principaux. La lutte contre la corruption constitue le premier axe. Injonc-
tion principale au mouvement de réforme, la corruption constitue le fil
directeur de trois premières contributions qui s’y consacrent plus particuliè-
rement en combinant données empiriques, points de vue professionnels et
analyses comparatives.
Fjeldstad conforte une approche des dispositifs douaniers qui dépasse le
seul champ technique. Constatant l’échec des réformes douanières, il milite
pour une réévaluation des politiques anti-corruption en proposant une ana-
lyse critique des approches généralement adoptées qu’il juge technocrati-
ques et inefficaces. Sa contribution explore ainsi plusieurs limites : celles du
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


modèle principal-agent appliqué au contexte social des douaniers africains,
les effets négatifs de la théorie de la Nouvelle gestion publique (NGP) géné-
ratrice d’inégalités fortes au sein de l’institution et donc de corruption, les
procédures de licenciement qui conduisent les douaniers expérimentés et
corrompus à être recrutés dans le secteur privé désireux de disposer de con-
nexions dans les douanes. Fjeldstad se réfère aux structures sociales qui,
sans expliquer la corruption, ne situent pas les fonctionnaires corrompus
aux marges de la société mais les réintègrent dans des schémas traditionnels
de distribution de richesse. Les solutions qu’il examine replacent le politi-
que au centre de la réforme. Confier les postes de responsabilité à des
cadres expatriés est une de ses recommandations qui va à l’encontre des
choix de certains bailleurs (dont la France) qui préfèrent une coopération
d’accompagnement à une coopération de substitution. La position de
Fjeldstad interroge sur ce choix qui fait de la réforme un processus essen-
tiellement autonome et extérieur à l’institution sur laquelle il s’applique.
Une plus grande autonomie de l’administration garantit contre l’influence
négative de l’autorité politique en même temps qu’elle favorise l’émergence
d’une culture singulière, aux standards qui peuvent donc être plus élevés
que ceux du secteur public en général.

27
■ Afrique contemporaine ■

Djeuwo enseigne à l’École nationale d’administration et de magistrature à


Yaoundé (Cameroun) et forme les cadres des douanes camerounaises. Il
apporte un point de vue de l’intérieur du fonctionnement d’une administra-
tion qui figure parmi les plus corrompues d’un pays mal classé selon les orga-
nisations observant la corruption, et s’interroge sur l’effet de la formation dans
les processus de réforme, depuis le recrutement jusqu’aux stages pratiques. Le
point de vue de ce praticien réhabilite courageusement la dimension morale
de la formation et des réformes, dimension paradoxalement bien souvent
occultée par les experts et les bailleurs.
Sequeira et Macchi montrent en comparant la situation à Maputo et Dur-
ban l’impact de la corruption des douanes sur les schémas logistiques. Elles
réconcilient une description microéconomique et une analyse macroécono-
mique qui évalue l’impact de la corruption sur la compétitivité des deux
ports. L’intérêt de leur étude est de quantifier les importants montants en
jeu de façon empirique en construisant une analyse fondée sur un échan-
tillon important d’opérations commerciales. Les auteurs démontrent pour-
quoi les dysfonctionnements des douanes du port de Maputo peuvent
orienter les acteurs économiques vers le port de Durban pour leur com-
merce, quand une simple analyse financière tend à privilégier le port de
Maputo. À l’instar de l’ensemble des articles, celui de Sequeira et Macchi
illustre plus particulièrement l’efficacité d’une fine connaissance des ter-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


rains d’investigation dès lors qu’on s’intéresse aux douanes africaines. Leurs
travaux démontrent que la corruption n’est pas un phénomène secret et
obscur mais bien une pratique sociale qui peut également faire l’objet de
quantification précise et d’une mise en perspective macroéconomique.
Moins focalisé sur la corruption en soi mais plutôt sur la circulation de
l’argent et du pouvoir au sein de l’administration, Cantens propose une
approche ethnographique des chefs à partir d’un terrain de trois ans con-
duit au cœur des douanes camerounaises. Il explique que l’abondante
réflexion sur l’État a paradoxalement occulté les fonctionnaires. Malgré la
récurrence des recommandations aux administrations africaines, une solide
connaissance empirique des questions d’autorité n’a pas été produite. Son
étude montre que les chefs des bureaux des douanes camerounaises, big
katika, s’emploient à remettre de l’ordre en permanence pour créer un con-
sentement à ce qu’il propose comme changements à défaut d’une adhésion.
Dans le processus de réforme, toute la difficulté de son action est de changer
une structure sur laquelle il doit néanmoins s’appuyer. Cantens met en
lumière une multiplicité d’ordres sur laquelle se construit l’autorité dans
l’administration des douanes, ordres qui doublent le simple organigramme.
La reconnaissance de ces différentes logiques est fondamentale pour com-

28
■ Introduction thématique ■

prendre la faiblesse de la hiérarchie douanière. La réussite de la réforme des


douanes nécessite la connaissance de ce fonctionnement. Sans cette der-
nière, elle devient aléatoire. Cet article permet ainsi de comprendre pour-
quoi, dans certains pays, malgré le discours politique à tous les niveaux et le
volontarisme politique d’acteur reconnus comme centraux, la réforme peut
être ralentie voire stoppée.
Le deuxième axe du numéro analyse la dimension économique de la
réforme et regroupe des articles concentrés sur les contraintes externes aux
administrations douanières et qui ouvrent différentes réflexions sur l’exécu-
tion des programmes de modernisation. Le rôle des bailleurs y est mis en
perspective ainsi que deux dogmes ayant largement pesé sur les réformes
douanières depuis une vingtaine d’années, les programmes de vérification
des inspections (PVI) confiés à des sociétés privées et l’impact de la politique
tarifaire. Le rôle des bailleurs s’est imposé progressivement au fil des
contributions ; tous les articles l’évoquent, et deux articles lui sont consacrés
plus particulièrement.
À partir d’un exemple précis, un projet de modernisation du transit,
Bilangna retrace la genèse de l’action des bailleurs, leur difficile coordi-
nation dès lors que le projet comprend une forte composante régionale.
Il interroge également le rôle des unions douanières et surtout les modes
de financement de leurs représentants. L’auteur fait une distinction intéres-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


sante entre ce qu’il appelle les « fonds propres de la douane » et les fonds
fournis par les bailleurs. Embarqués dans des projets de réforme, les diri-
geants des douanes doivent y consacrer une partie de leurs fonds propres,
autant d’argent qui n’est plus réparti en primes et intéressements pour les
douaniers. La rupture de certains équilibres de redistribution peut affecter
l’appropriation de la réforme. Bilangna plaide pour de nouvelles formes de
financement qui laissent une plus grande autonomie aux administrations
récipiendaires de l’aide publique au développement.
Marteau et de Castelnau proposent un panorama plus général sur les
projets soutenus par la Banque mondiale en Afrique subsaharienne.
Ils remettent en perspective historique les appuis aux administrations doua-
nières et en proposent une typologie. Leur schéma d’élaboration d’un pro-
jet illustre l’importance des conditions préalables que sont un diagnostic
précis et un engagement politique, et de leur pleine appropriation par les
autorités nationales. Ils concluent que l’action des bailleurs n’a rien de mira-
culeux et qu’elle ne peut qu’accompagner ce qui est déjà lancé par les admi-
nistrations locales. En d’autres termes, les bailleurs ne devraient pas penser
leur rôle en termes d’initiatives mais uniquement en termes de soutien. Si
ce constat se trouvait être accepté par tous les bailleurs, ce consensus pose-

29
■ Afrique contemporaine ■

rait déjà les bases d’une coordination annoncée dans la Déclaration de Paris,
difficile à mettre en œuvre et rarement sur l’initiative des autorités locales.
S’agissant des PVI, constatant leur diversité autant que le caractère essen-
tiellement empirique des contributions universitaires qui leur ont été con-
sacrées, Dequiedt, Geourjon et Rota-Graziosi proposent une approche
normative en leur appliquant la théorie de l’agence. Les modèles d’agence
hiérarchique semblent particulièrement adaptés à l’enjeu principal des
douanes d’ASS qu’est la corruption, dont la pérennité est garantie par l’asy-
métrie d’informations entre les différents acteurs. Les auteurs insistent judi-
cieusement sur le nécessaire respect du principe de surveillance mutuelle
entre les douanes et les sociétés chargées des PVI. Ils rendent ainsi toute sa
normalité à la relation conflictuelle banalement observée sur le terrain et
perçue parfois comme un défaut d’organisation par les bailleurs. Ils relèvent
notamment les objectifs parfois contradictoires des contrats qui affaiblissent
la nécessaire tension entre sociétés d’inspection et douaniers. Toutefois, un
problème semble difficile à résoudre. Dans la phase de négociation de ces
contrats, le gouvernement se trouve pris entre deux contraintes : sa faible
information sur le fonctionnement du dédouanement et la pertinente
recommandation des auteurs de ne pas s’adjoindre l’administration doua-
nière dans les négociations afin de préserver le principe de surveillance
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


mutuelle, objet même du contrat. Le rôle de l’autorité politique comme
régulateur bienveillant demeure une hypothèse qui limite sans doute
l’application de ce modèle, comme le remarquent les auteurs, mais dont le
mérite est justement de focaliser l’attention sur cette contrainte.
La réforme des politiques commerciales en matière douanière ne se résume
pas à une diminution des droits de douane. Mjekiqi et Raballand décrivent
l’impact négatif d’une politique commerciale complexe et protectionniste sur
les réformes douanières. À partir de l’exemple du Nigeria et de ses flux com-
merciaux avec le Bénin, ils démontrent l’inefficacité de cette politique en
observant l’accroissement de la contrebande en utilisant une méthode d’ana-
lyse des statistiques récoltées de part et d’autre de la frontière bénino-nigé-
riane (méthode de « statistiques-miroirs »). Les divergences de statistiques les
plus fortes concernent les produits prohibés. Cette contrebande ne signifie pas
pour autant des mouvements de marchandises non contrôlés par les douanes.
Au contraire, le protectionnisme et les mesures d’interdiction à l’importation
favorisent la collusion entre opérateurs et douaniers au détriment, à court
terme, des recettes et, à moyen terme, de toute velléité de réforme de l’admi-
nistration. Les auteurs appellent donc à une réforme de la politique commer-
ciale avant d’envisager toute réforme des douanes.

30
■ Introduction thématique ■

RÉFORMER LES DOUANES ?


Les contributions, les expériences et les théories auxquelles elles se réfè-
rent permettent d’ébaucher quatre principes d’une stratégie de réforme des
douanes. Le premier consiste à renforcer la responsabilité des cadres diri-
geants des douanes (audit externe ou droit de regard plus élevé de la part du
Parlement) et publication externe systématique dans la presse de la perfor-
mance douanière en matière de recettes et de contrôle. Le deuxième principe
vise la réduction du pouvoir discrétionnaire des agents de première ligne en
simplifiant la politique commerciale et en accroissant l’automatisation 12. La
réduction de l’asymétrie d’information entre les cadres dirigeants dans les
services de conception et de décision et les agents sur le terrain est le troisième
principe. Il pourra se réaliser par le soutien de la fonction de renseignement,
par la production d’une information juste sur les activités économiques et les
comportements des opérateurs, et par le développement de relations avec les
importateurs et les exportateurs pour limiter à moyen terme l’accès à la pro-
fession de commissionnaires en douane suivant des critères qualitatifs. Enfin,
le quatrième principe est de concevoir une nouvelle politique de ressources
humaines 13 pour changer le cadre incitatif 14 des douaniers de première
ligne, voire concevoir un cadre véritablement dissuasif pour les mauvaises
pratiques et suivre leur activité d’une façon régulière, à partir de données
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 102.244.223.138)


objectives 15.
Toutes les contributions de ce dossier montrent également l’importance
de l’environnement des administrations douanières. Les douaniers forment
une élite bureaucratique parfaitement insérée dans la société en dépit des
critiques récurrentes de corruption. Cet apparent paradoxe ne devrait pas
lasser d’interroger les experts qui formulent des propositions techniques.

12. Pour ce faire, la connexion au système d’information est critique pour les postes-frontières, dans les ports et les prin-
cipales aires de dédouanement.
13. Le suivi des performances des agents est critique et devrait inciter à de meilleures pratiques. Par exemple, la perfor-
mance des agents peut être évaluée sur une échelle qui comprend à la fois des notes positives et négatives.
14. Un cadre fondé sur les résultats individuels peut être envisagé. Jusqu’à présent, dans de nombreux pays africains, il
existe déjà un vaste éventail de mesures incitatives, telles que des protocoles avec les professions maritimes, le travail en
dehors des heures légales, les primes, un pourcentage non plafonné sur les amendes payées (avec peu de résultat sur la
lutte contre la fraude). Les salaires et les primes des douaniers sont les plus attractifs du secteur public. L’augmentation
des salaires au niveau de ces primes aurait un coût excessif.
15. Par exemple, les cadres supérieurs des douanes camerounaises disposent des indicateurs suivants pour contrôler l’acti-
vité de leurs agents : efficacité du contrôle par bureau et par agent, résultats globaux des contrôles, croisement avec les
données de la société d’inspection pour les conteneurs devant passer au scanner et qui ont échappé à cette procédure.

31

Vous aimerez peut-être aussi