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LA FRAUDE EN MATIERE DOUANIERE

Bassem KARRAY1
Maître de conférences,
Université de Sfax
Faculté de Droit

1-Comme Platon avait soutenu que la perversion de la cité


commence par la fraude des mots, on peut prétendre aujourd’hui que la
perversion de l’Etat commence aux frontières par la fraude des droits de
douane. Ce phénomène qui connaît une hypertrophie avec l’évolution
technologique et l’ouverture des échanges, prive le budget de l’Etat de
ressources financières considérables. Les montages et les méthodes
auxquels recourent les fraudeurs diffèrent, mais leur objectif est toujours
le même : payer moins ou échapper aux interdictions prévues par la
législation en vigueur.
2- Investie d’une fonction fiscale d’une portée de plus en plus
limitée et d’une fonction économique et sécuritaire, qui prend de
l’importance avec l’ouverture commerciale, la douane est un véritable
garde-fou contre la fraude. Il lui revient en tant que première
administration à l’entrée du territoire douanier et dernière administration
à la sortie d’appliquer la réglementation douanière indistinctement et
rigoureusement. Toute tolérance injustifiée dans l’application du droit et
dans la poursuite des fraudeurs entraîne des effets pervers. Déjà, le
Tribunal de Tunis avait clairement constaté dans son jugement datant du
13 mai 1887, régie de tabacs de Tunis contre Sfadini, le concours de
l’administration des douanes à la propagation de la fraude. Il a clairement
statué « qu’il a plu à quelque époque et dans quelques circonstances que
ce soit, aux agents de l’administration de douane de permettre à certains
1
bassem.karray@fds.usf.tn

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étrangers d’introduire telle quantité de tabacs fabriqué à l’étranger, ce


fait ne saurait être considéré que comme une simple tolérance ne pouvant
créer aucun droit à la contrebande au profit de ceux qui en étaient et a
fortiori au profit des tiers »2.
3- Il ressort de cet attendu que l’indulgence des douaniers et la
permissivité des juges ont conduit à la revendication par la communauté
frontalière d’un droit à la fraude. Ce droit bénéficie dans les zones
frontalières, qui constituent de véritables paradis de contrebandiers, d’une
légitimité face au désintéressement de l’autorité centrale et à la déficience
de la politique de développement régional. La vie commerciale dans ces
zones est largement tributaire des courants de contrebande qui prennent la
forme de changes informels de monnaies et de trafic de tout type de
produits. Conscients des répercussions néfastes de ces pratiques sur
l’économie nationale, les pouvoirs publics ont décidé de créer une unité
de gestion par objectif pour la création d’une zone commerciale et
logistique à Ben Guerden en vue de soutenir la dynamique économique et
l’emploi dans la région, de faciliter l’établissement des grandes sociétés
commerciales internationales et de valoriser ses avantages comparatifs 3.
4- Sur le plan socio politique, la fraude douanière suscite de
nombreuses interrogations sur la morale et sur la perception de l’Etat
dans la conscience collective. Des hommes proches de l’ancien régime et
les gouvernants eux-mêmes étaient derrière les réseaux de fraude qui ont
brisé l’économie nationale et qui risquaient de conduire à la faillite de
l’Etat. L’implication des gouvernants a conduit à l’infiltration de la
fraude dans le corps social et à sa convoitise par les consommateurs. Ceci
a débouché sur la valorisation sociale des fraudeurs, présentés par
certains romanciers comme des héros4. Mais, un vol à l’Etat est un vol.
Cette évidence de bon sens ne semble pas s’imposer chez certains
puisque de forts honnêtes gens ne se font aucun scrupule de soustraire ou
de dissimuler certains objets à la douane. Ainsi, le tort causé à l’Etat
justifie en quelque sorte l’arsenal répressif prévu par le code de douane

2
Jurisprudence administrative tunisienne, II, tribunaux judiciaires, 1 er fascicule
1884-1905, CREA, 1983, affaire n° 18, p. 42.
3
Décret n° 2010-2069 du 23/8/2010 portant création d’une unité de gestion par
objectifs pour la création d’un projet de zone commerciale et logistique à Ben
Guerden, JORT, du 31/8/2010, n° 70, p. 2456.
4
« Douaniers contre fraudeurs, des héros à deux francs par jour », in Lecture
pour tous, revue universelle illustré, France, Hachette et Cie, 5ème année, janvier
1903, n° 4, p.303

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La fraude en matière douanière

tunisien de 2008 (ci-après CDT) qui développe une approche caractérisée


par une certaine sévérité puisque la moindre erreur ou irrégularité voire la
simple imprudence est constitutive d’infraction pénale graduellement
sanctionnée.
5-La fraude douanière consiste dans la commission de faits et/ou
actes illégaux tendant à échapper à l’application des prélèvements
douaniers et à contourner les prohibitions et les contingents à
l’exportation ou à l’importation. La notion de fraude douanière semble
appartenir aux concepts clairs-obscurs. La diversité de ses formes
(contrebande, circuit de marché informel, fraude monétaire, financière et
comptables, fraude sur la qualité des produits, exportation fictive…)
complique sa définition. La convention de Nairobi sur l’assistance
mutuelle administrative en vue de rechercher et réprimer les infractions
douanières du 5 juillet 1977, signée sous l’égide de l’Organisation
Mondiale des Douanes, l’a défini comme étant une infraction par laquelle
une personne trompe la douane et par conséquent, élude en tout ou en
partie le paiement des droits et taxes à l’importation ou à l’exportation,
l’application des mesures de prohibition ou de restriction prévues par la
législation douanière ou l’obtention d’un avantage quelconque en
enfreignant à cette législation.
6- La lutte contre ce phénomène revêt à l’échelle interne une
dimension politique puisqu’elle constitue un indice d’affirmation des
pouvoirs de l’Etat qui encourent une limitation incessante. L’absence
d’une volonté politique réelle de combattre la fraude a conduit au
dysfonctionnement de l’économie formelle et organisée. Sur le plan
externe, le caractère transnational et organisé de la fraude a commandé la
création auprès de l’OMD d’un réseau douanier de lutte contre la fraude
dès l’an 2000, auquel les Etats membres ont accès. Face à l’ampleur de la
fraude au niveau international, l’OMD a élaboré des programmes destinés
à aider les membres à trouver un certain équilibre entre contrôle et
efficacité5. Dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée, la
douane est appelée à concilier entre des impératifs complexes : assurer
une souplesse et une rapidité dans le dédouanement des marchandises et

5
Ces programmes consistent dans la création au niveau des bureaux régionaux de
liaisons chargées de renseignements et appuyées par une base de données globales
(réseaux douaniers de lutte contre la fraude). Elle a également confiné un modèle
d’accord bilatéral de la convention de Nairobi qui prévoit une assistance mutuelle
administrative afin de rechercher, prévenir et réprimer les infractions.

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La fraude en matière douanière

rassurer les opérateurs honnêtes dans le traitement du phénomène de la


fraude.
7-La fraude douanière peut être vue comme une réaction ou
même une riposte à tout système multipliant les formalités aux échanges,
quelques fois superflues. L’Etat se trouve paradoxalement dans un
dilemme puisqu’autant il durcit ou il allège les formalités de contrôle
autant il peine à juguler la fraude. D’ailleurs, la recherche de la
facilitation des échanges a conduit les Etats à créer des zones franches,
mais inversement les fraudeurs ont profité de la carence du contrôle
douanier dans ces zones pour développer de véritables réseaux de fraude6.
8- Le renouvellement des pratiques de fraude a fait que le cadre
juridique mis en place déjà depuis le décret du 3 octobre 1884 peine à les
éradiquer. Le législateur de l’époque avait mis en place un dispositif
redoutable concernant les faits d’introduction en contrebande des
marchandises tarifées, des marchandises prohibées et des fausses
déclarations7. L’application de ce texte avait généré un contentieux
répressif devant les juridictions tunisiennes8.
9-L’ampleur de la fraude douanière dans toute économie est
difficile à évaluer puisqu’elle est par définition discrète et non transcrite
dans les livres de compte. L’absence de statistiques et d’informations
officielles ne sert pas la politique de lutte contre ce phénomène qui
asphyxie les finances publiques des Etats et qui délégitime les institutions
étatiques9. Comme l’humanité a profité de la révolution technologique à
6
Brijit BIJSGERS, « Zones franches : le maillon faible », WCO actualités, n°47,
2005, p.14.
7
Articles 7, 8 et 9 du décret du 3/10/1884.
8
Voir l’affaire Tribunal de Tunis du 13/5/1887, régie de tabacs de Tunisie contre
Sfadini, in Jurisprudence administrative tunisienne, II, tribunaux judiciaires, 1 ère
fascicule 1884-1905, CREA, 1983, affaire n° 18, p. 42. Dans cette affaire le juge
était appelé à se prononcer sur l’applicabilité du décret du 3/10/1884 sur les sujets
britanniques. Ayant exclu le motif de l’illégalité de la confiscation de la marchandise
en application de l’article 20 du traité anglo-tunisien du 19/7/1875, le Tribunal a
déclaré le ressortissant anglais coupable du délit de contrebande et a prononcé la
confiscation des tabacs saisis et a condamné le prévenu à une amende. Le Tribunal a
pris la fraude en matière de déclaration comme une forme de contrebande alors que
le ressortissant anglais a reconnu dans le procès verbal qu’il a présenté des énoncés
inexacts.
9
Le Journal Essabh (numéro hebdomadaire lundi 4/10/2010, p. 4 et 5) nous
rapporte dans un dossier des chiffres concernant le volume de la fraude par secteur
que l’administration des douanes avait saisi : le carburant en 2009 : un million 80
mille litres ; en ce qui concerne les 8 premiers mois de 2010 : 510 mille litres. Les

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La fraude en matière douanière

travers le bon usage des matériaux, des pro logiciels, des supports
numériques électroniques et biotechnologiques, elle subit les effets de
leur mauvais usage par les fraudeurs.
10-Les règles régissant les procédures de constatation et de
répression de la fraude témoignent du caractère exorbitant du droit
douanier. Ainsi, l’hétérogénéité des pratiques de fraude et sa profusion
en toute impunité ne constituent-elles pas un facteur compliquant sa
détermination ainsi que sa constatation et sa répression dans un contexte
peu perméable aux valeurs de transparence ? Compte tenu de son
caractère polymorphe, l’étude de la fraude impose de procéder à son
identification (I), de préciser les modalités de sa constatation (II) et de
déterminer le régime de sa répression (III).
I) L’IDENTIFICATION DE LA FRAUDE DOUANIERE
11-La fraude en matière douanière consiste d’abord dans la
commission d’un fait illégal à travers l’introduction clandestine d’une
marchandise. Dans ce cas, on parle de la fraude matérielle (A). Elle
consiste ensuite dans la commission d’actes illégaux consistant dans la
manipulation des éléments de la déclaration. Dans ce cas, on parle de la
fraude documentaire (B).
A) La fraude matérielle
12-L’acheminement régulier et non frauduleux d’une
marchandise implique son passage par un bureau de douane pour
l’accomplissement des formalités douanières. L’introduction d’une
marchandise sans respect de cette exigence est synonyme de contrebande.
Alors qu’elle constitue le délit douanier par excellence qui justifie même
le cordon douanier10, la notion de contrebande est difficilement
saisissable. Sous l’apparence d’une fausse clarté se tapit une nichée de
faits différents qui révèlent en quoi cette notion est juridiquement peu
intelligible. Le législateur n’a pas retenu dans l’article 390 du CDT une
définition claire et homogène puisque des pratiques différentes quant à
leurs éléments constitutifs mais répondant à un même objectif sont prises

cigarettes : en 2009 : 57 mille cartouches ; les 8 premiers mois de 2010, 57.5 mille
cartouches. Maasel et jirak, en 209 43 mille cartouches ; les 8 premiers mois de
2010, 22,5 mille cartouches. Téléphones portables, en 2009 : 2400 pièces ; les 8
premiers mois de 2010 : 2755. Jouets d’enfants, en 2009 : 5800 pièces ; les 8
premiers mois de 2010 : 4700
10
Jean PANNIER, « Les abus de présomption de contrebande du code des
douanes », Revue du Droit Pénal, lexis nexis juris classeur, juin 2009, p. 9.

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La fraude en matière douanière

comme des faits de contrebande. La notion de contrebande s’entend aux


opérations d’importation ou d’exportation effectuées en dehors des
bureaux de douane ainsi qu’à toute violation des dispositions légales ou
réglementaires relatives au transport et à la détention des marchandises à
l’intérieur du territoire douanier11.
13-La contrebande est une infraction portant nécessairement sur
une marchandise, laquelle est définie comme tout objet destiné à être
vendu, abstraction faite de sa valeur réelle 12. Pris dans ce sens, cette
infraction ne couvre pas la contrebande de monnaies nationales et
étrangères, qui est réprimée par le code de change. L’assimilation des
crimes de change aux faits de contrebande ne conduit pas à l’application
du dispositif répressif du CDT dans la mesure où le code de change
prévoit un régime répressif spécifique.
14-Le CDT distingue entre les faits de contrebande proprement
dits, les faits assimilés et les présomptions de contrebandes. Les faits de
contrebande proprement dite désignent le passage d’une marchandise en
dehors d’un bureau de douane situé au point d’accès du territoire
douanier tunisien. Une opération d’importation régulière suppose, selon
les termes de l’article 46.1 du CDT, l’accomplissement des formalités
douanières dans les bureaux de douane. Pris dans ce sens, la contrebande
suppose le passage des marchandises par des points d’accès illégaux. Le
passage en clandestinité des marchandises à l’importation ou à
l’exportation consiste à dérouter les voies terrestres, maritimes et
aériennes légales.
15-Dans une acception plus large, la contrebande s’étend aux
faits liés aux transports des marchandises en violation des textes légales
et réglementaires, au transport des marchandises en dehors des rayons
douaniers, à la détention et à la circulation des marchandises dans la zone
terrestre du rayon de douane, contrairement aux règles fixées par les
articles 285 à 289 du CDT13. La pluralité des faits constitutifs de
contrebande a imposé au législateur de se limiter à l’énumération de
quelques faits dans le paragraphe 2 de l’article 390 du CDT.

11
Claude Jean BERR et Henry TREMEAU, Le droit douanier communautaire et
national, économica, 2007, p. 442.
12
Cass. Crim. 24/6/1948, Doc. Cont, 834 ; cité par Claude Jean BERR et Henry
TREMEAU, Le droit douanier communautaire et national, précité, p. 499.
13
Article 390 du CDT.

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La fraude en matière douanière

16-Sans qu’ils remplissent la condition du passage en dehors des


bureaux de douane, certains faits sont soit assimilés soit présumés à des
faits de contrebande. L’article 390.3 du CDT assimile à des faits de
contrebande la dissimulation d’une marchandise importée ou exportée
des contrôles douaniers dans des contenants impropres compte tenu de sa
nature. Ainsi, la contrebande consiste dans la soustraction d’une
marchandise aux contrôles douaniers soit sans passage d’un bureau de
douane soit en l’important ou en l’exportant sans déclaration.
17-Quant à la présomption de contrebande (articles 391 et 392 du
CDT), elle est établie pour les marchandises se trouvant sur la zone
terrestre du rayon de douane14. « La marchandise soumise à la police du
rayon des douanes » est réputée de plein droit une marchandise de fraude
si elle est détenue ou si elle circule en violation des procédures légales
prévues par les articles 284 et 285 du CDT. Mieux encore, la présomption
de contrebande ne se limite pas aux zones terrestres du rayon de douane,
elle s’étend également aux restes du territoire douanier. Toute
marchandise en circulation ou en détention ne justifiant d’aucune pièce
d’origine est réputée une marchandise de fraude. Par l’utilisation de la
notion de détention, le code paraît étendre le champ de la présomption.
N’exigeant pas un lien de propriété entre le détenteur et la marchandise,
ni même une intention frauduleuse, le législateur a élargi le champ de la
présomption de fraude au point que la qualité du détenteur (propriétaire,
gardien, locataire…) n’a aucun intérêt. La bonne foi est ici non présumée.
La possession d’une marchandise fraude sous quelque titre que ce soit
voire son existence dans un dépôt à usage privé suffit pour présumer la
contrebande.
18-Les éléments concourant à la détermination de la présomption
de contrebande sont l’endroit où les marchandises litigieuses ont été
localisées, la nature et la situation desdites marchandises au regard de la
réglementation douanière. Une marchandise soumise au régime de
prohibition d’entrée, mais tout de même importée, même au titre
d’admission temporaire, est considérée comme une marchandise de
fraude.
19-La contrebande sous toutes ses formes se nourrit de la
corruption et de la démission de l’Etat voire son impuissance 15. Le rôle de
l’administration douanière est fondamental dans la maîtrise de la fraude.
14
Article 391.1 et 391.4 du CDT. Le rayon de douane est une zone terrestre
soumise à une surveillance particulière. Il est défini à l’article 44 du CDT.

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La fraude en matière douanière

L’intensification des contrôles portés sur les marchandises et les


documents qui lui sont annexés est toujours au centre de préoccupations
de tous les intervenants. Le passage de la marchandise par un bureau de
douane conformément aux dispositions légales ne confère pas dans
certains cas le caractère loyal de l’opération d’importation. Le fraudeur
procède à la manipulation de la déclaration pour payer moins. Dans ce
cas, la fraude prend un caractère documentaire.
B) La fraude documentaire
20-La déclaration en douane constitue la pierre angulaire de tout
système douanier16. Sa vérité ou sa fausseté doit être jugée sur ce qui a été
premièrement déclaré17. De ce fait, la déclaration doit être soigneusement
établie par le déclarant ; faute de quoi, il risque d’être poursuivi pour
commission de pratiques de fraude. Etant un acte solennel, la déclaration
comporte plusieurs éléments qui concourent à la détermination des
composants de l’opération d’importation ou d’exportation.
21-La fraude relative à la formalité de déclaration consiste dans
le fait d’importer ou d’exporter sans une déclaration en détail ou sous le
couvert d’une déclaration en détail non applicable aux marchandises
déclarées. Elle consiste également dans la soustraction ou la substitution
de marchandises sous douane et dans le défaut de dépôt, dans le délai
imparti, des déclarations complémentaires prévues par l’article 118 du
CDT. Alors accomplie, la déclaration peut être qualifiée de fausse
lorsqu’elle comporte des mentions mensongères ou lorsqu’elle est non
accomplie selon les dispositions légales. L’importation ou l’exportation
sans déclaration désigne le passage par un bureau de douane sans
présentation d’une déclaration en détail ou le dépôt d’une déclaration non
exigée à la marchandise correspondante 18. Il s’agit également de la
soustraction ou la substitution de la marchandise au contrôle douanier. Le
défaut de présentation d’une déclaration s’étend à la déclaration en détail
et au complément exigé au titre de la déclaration simplifiée. La notion

15
Mustapha CHANDOUL, Hassen BOUBAKRI, Gildas SIMON, Jacqueline
COSTA-LASCAUX, « Migration clandestine et contrebande à la frontière tuniso-
libyenne », Revue Européenne de Migration Internationale, vol. 7, p. 161.
16
Voir notre étude « Le système tunisien de déclaration en douane au regard du
système communautaire », RTF, numéro 12, 2009, p. 483.
17
Article 349 du CDT.
18
Article 394.3 du CDT.

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La fraude en matière douanière

d’importation ou d’exportation sans déclaration recouvre les opérations


effectuées sous couvert d’une fausse déclaration19.
22- Par le mécanisme de présomptions, le législateur a élargi les
faits constitutifs d’importation ou d’exportation sans déclaration. La
catégorie de marchandise importée ou exportée sans déclaration est
ouverte puisqu’elle renferme des pratiques hétérogènes. A l’importation
et à l’exportation sans déclaration, les articles 395 à 399 du CDT ajoutent
d’autres faits.
23-Les fausses déclarations portent sur les éléments d’assiette.
Certains déclarants manipulent couramment la valeur afin de réduire les
droits à payer. La sous évaluation, la fausse facturation, les faux
documents justificatifs, la fausse déclaration de rabais, la non révélation
d’existence de liens familiaux ou commerciaux pouvant viciés la valeur,
la déclaration incorrecte des éléments exclus ou inclus de la valeur,
l’utilisation de fausse indication relative à l’adresse réelle de
l’expéditeur20, sont les pratiques les plus répandues. Ces formes de fraude
sont révélées par les agents de bureau devant lesquels s’effectuent les
formalités douanières21 ou lors d’un contrôle a posteriori 22 effectué par la
direction d’enquêtes.
24-Outre la valeur, l’origine fait l’objet de manipulation afin de
bénéficier des régimes préférentiels qui donnent droit à une réduction ou
à une exonération des droits de douane ou même pour contourner les
prohibitions d’importation ou les contingents. La constitution de zones de
libre échange où règnent des préférences tarifaires conduit inversement à
la fraude sur les certificats d’origine. Ces zones créent un écart tarifaire
entre les produits circulant dans la zone et ceux qui lui sont étrangers. Ces
écarts favorisent la fraude qui ne peut être limitée que moyennant
l’accentuation du contrôle.
25- La désignation du régime douanier économique ou du régime
suspensif est parmi les mentions qui doivent figurer dans la déclaration en

19
Article 397 du CDT.
20
L’article 397.4 du CDT assimile les fausses déclarations dans l’espèce, la valeur
ou l’origine des marchandises ou dans la désignation de l’expéditeur réel ou du
destinataire réel lorsque ces infractions sont été commises à l’aide des factures,
certificats ou tous autres documents faux, inexacts, incomplets ou non applicables, à
une importation sans déclaration.
21
Article 46 du CDT.
22
Article 124 du CDT.

153
La fraude en matière douanière

détail. Néanmoins, le déclarant peut procéder à la présentation d’une


déclaration par laquelle une marchandise est mise sous un régime alors
qu’elle est couverte par un autre. La fraude peut consister, entre autres,
dans la manipulation du régime de transit 23 et du transbordement, qui
permettent le transport des marchandises sous douane soit à destination
soit au départ d’un point déterminé du territoire douanier 24. Ces régimes
donnent droit à une panoplie de mesures avantageuses consistant à
suspendre les droits, taxes, prohibitions et autres mesures économiques
fiscales ou douanières applicables à ces marchandises. Afin de tirer profit
des avantages qu’ils procurent, les fraudeurs procèdent à l’écoulement
d’une marchandise sur le marché local d’une manière illégale. L’usage
des documents, des cachets falsifiés ou volés, le changement des routes
suivies et le descellement des marchandises constituent les manœuvres
auxquelles font recours certains déclarants25.
26-L’emprunt du territoire tunisien dans le cadre du régime de
transit ne peut être envisagé en Tunisie du moins sur le plan théorique
que pour des convois à destination de la Libye et de l’Algérie. Ce type de
fraude peut paraître dans le contexte tunisien peu probable 26. En
revanche, on peut relever une forme particulière de fraude au régime
totalement exportateur prévu par le code d’incitation aux investissements.
Les entreprises totalement exportatrices sont soumises au régime de
zones franches, tel qu’établi par le code de douane 27. Ce régime peut être
utilisé comme couverture juridique pour faire écouler sur le marché
intérieur des marchandises soumises à une taxation élevée. Compte tenu
du grand risque de détournement et de la mise en consommation
23
Article 155 du CDT.
24
Article 156 du CDT.
25
Voir rapport d’information de l’Assemblée Nationale sur la lutte contre la
fraude dans l’Union européenne, 22/6/2000, n° 2507, p. 20.
26
La Tunisie a signé la convention TIR le 11/6/1976. Elle l’a ratifié par la loi n°
77-39 du 2/7/1977 et l’a mis en place à partir de 2/9/2002. La Libye n’est pas
membre de la convention TIR et l’Algérie ne l’a pas encore intégré dans ses
procédures nationales, alors qu’elle avait signé la convention de Genève (convention
TIR) du 14 novembre 1975. Mais, on peut relever quand même un type particulier de
fraude au transit. Dans l’acheminement par voie terrestre d’une marchandise destinée
à l’exportation, les opérateurs peuvent procéder frauduleusement à son écoulement
total ou partiel sur le marché tunisien. Il peut subvenir en pratique que le transporteur
profite de la distance entre le dernier bureau de douane de l’Etat tunisien et le
premier bureau de douane, notamment de l’Etat algérien, pour faire un détour et
réintroduire la marchandise en Tunisie.
27
Article 11 du code d’incitation aux investissements.

154
La fraude en matière douanière

clandestine de ces marchandises28, le transport des marchandises au point


d’exportation doit être effectué selon l’article 158-4 dans les délais fixés
par les services de douane. Pour pallier ces manœuvres, le CDT entoure
le transport des marchandises couvertes par ce régime de mesures de
surveillance assez sévères. Les services de douane peuvent imposer au
transporteur un itinéraire déterminé et soumettre les marchandises à un
scellé ou à une escorte par les agents de douane ou à toutes ces
formalités.
27-Le caractère polymorphique de la fraude est une source de
difficulté pour l’administration de douane. A l’épreuve de la pratique, les
agents de douane doivent utiliser leur habileté intellectuelle pour
constater des pratiques secrètes et cachées dans des montages complexes.
La constatation de la fraude est le préalable et le baromètre de la
répression douanière.
II- LA CONSTATATION DE LA FRAUDE DOUANIERE
28- La constatation de la fraude est l’une des plus compliquées
taches de l’administration douanière en raison du caractère occulte et
complexe de certaines pratiques. Le CDT l’a investi de prérogatives
importantes dans la recherche de la fraude (A) et l’a assujetti à certaines
sujétions. Les éléments recueillis lors des poursuites ou des contrôles
effectués doivent être transcrits dans un document officiel : le procès
verbal (B).
A) Des pouvoirs étendus de l’administration de la douane dans
la recherche de la fraude
29-L’administration des douanes doit concilier dans la recherche
de la fraude entre la protection de l’ordre public et le respect des libertés
fondamentales. La reconnaissance des prérogatives redoutables est
contrebalancée par l’exigence de respecter la présomption d’innocence et
les droits de défense. Le législateur de 2008 a cherché à ménager à
travers l’extension des pouvoirs du juge, le rapport inégalitaire entre une
administration particulièrement dotée d’une panoplie de pouvoirs
régaliens et les prétendus fraudeurs. Néanmoins, on relève qu’un titre
entier a été consacré dans le CDT aux pouvoirs des agents de douane
alors qu’il n’a pas été jugé nécessaire de réserver un titre équivalent
relatif aux droits des suspects.
28
Claude Jean BERR et Bernard TREMEAU, Le droit douanier communautaire
et national, précité, p. 374.

155
La fraude en matière douanière

30-La présence des services de douane aux frontières leur confère


un statut particulier. Ils leur incombent de veiller à la lutte contre les
pratiques de fraude avant et après leur commission. La poursuite des
pratiques de fraude à l’entrée et à la sortie du territoire est musclée par
une extension de leur pouvoir sur l’ensemble du territoire douanier. Le
fraudeur qui a réussi à éviter un contrôle douanier aux frontières peut
faire l’objet d’un contrôle effectué par les services douaniers à l’intérieur
du rayon douanier. Dans ces zones de surveillance spéciale, les pouvoirs
de l’administration sont accentués.
31-La fraude douanière est constatée selon l’article 301.1 par les
agents des douanes, les gardes forestiers et les agents qui ont la qualité
d’officier de police judiciaire ainsi que les agents de police, de la garde
nationale et les militaires chargés de garder les frontières terrestres,
maritimes et aériennes. Concernant les agents de douanes, ils sont soit les
agents de bureaux frontaliers, soit ceux de la brigade des douanes, soit les
enquêteurs. Ayant reçu des informations au sujet d’une pratique de
fraude, la direction d’enquête procède à des investigations ; ce contrôle a
posteriori prévu par l’article 124 du CDT s’effectue après l’octroi de la
main levée qui sanctionne le processus de dédouanement.
32-Les pouvoirs de l’administration des douanes s’exercent sur
les documents relatifs aux opérations d’importation et d’exportation, les
personnes et les marchandises. Sur les documents, l’administration
procède après l’enregistrement de la déclaration à la vérification des
toutes les énonciations qui y figurent et les documents qui y sont joints.
Les agents disposent, à ce titre, d’un droit de communication de toute
information ou de tout document utile 29. Sur les marchandises,
l’administration exerce des vérifications intégrales ou partielles ainsi que
le prélèvement d’échantillon. Pour l’exercice de ces pouvoirs, les agents
de douane dispose d’un droit de visite des marchandises 30 et des moyens
de transport. Ils peuvent adresser des injonctions et accéder aux bureaux
de poste et sont autorisés à faire usage des armes lorsqu’ils leurs
s’avèrent impossible de capturer vivants les animaux employés pour la
conduite de marchandises de fraude à l’entrée et à la sortie des
frontières31. Les prérogatives en matière de recherche permettent à
l’administration de saisir les marchandises de fraude.

29
Article 62 du CDT.
30
Article 119 du CDT et s.
31
Article 54.2.d du CDT.

156
La fraude en matière douanière

33-Sur les personnes, l’administration des douanes procède au


contrôle d’identité des passagers32, aux interrogatoires des suspects, des
témoins et même des personnes étrangères à la fraude. Elle est habilitée à
ordonner la retenue du suspect en cas de flagrant délit 33. Le législateur n’a
pas entouré cette prérogative des garanties les plus élémentaires, telles
que la délimitation de la durée de la retenue, la notification de son droit
de garder le silence et d’être assisté d’un avocat. L’article 301.1 du CDT
ne prévoit même pas l’obligation d’informer le procureur de la
République en cas d’arrestation d’un suspect en flagrant délit 34. La
retenue douanière, non assimilable à une mesure de garde à vue,
méconnaît le respect de certains droits de défense. Cette mesure doit être
entourée de garanties suffisantes surtout que l’administration soumet le
suspect à un interrogatoire. Le Conseil constitutionnel français a
récemment déclaré que les dispositions de l’article 323.3 du CDF sont
inconstitutionnelles alors même que cet article prévoit certaines garanties
non prévues par le texte tunisien35. Saisie d’une question prioritaire de
constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel français a reconnu la
possibilité de transposer en matière douanière sa jurisprudence
concernant la garde à vue36.
34-Outre les prérogatives dont ils disposent durant la phase de
constatation, les services de douane sont soumis à des sujétions non
moins importantes, en particulier celles consistant dans l’établissement
d’un procès verbal (PV).

B) L’exigence d’établir d’un procès-verbal

32
Article 64 du CDT.
33
Article 301.3 du CDT.
34
Par contre, l’administration des douanes est dans l’obligation de solliciter une
autorisation du procureur de la République pour effectuer des examens médicaux de
dépistage en cas de refus d’une personne de s’y soumettre lorsque l’administration a
des indices sérieux qu’il transporte des produits prohibés dans son organisme (article
56.3 du CDT). De même, l’obtention de l’autorisation est requise en cas de refus du
capitaine de navire de permettre aux agents de douane d’effectuer leur enquête à bord
(article 59.2 du CDT).
35
Décision 2010-32 QPC du 22/9/2010.
36
Décision 2010-14/22 QPC du 30/7/2010.

157
La fraude en matière douanière

35- Les faits de fraude sont dans la plupart des cas instantanés et
éphémères. Les fraudeurs procèdent par crainte d’être surpris par un
contrôle douanier à la destruction de toutes traces documentaires et de se
débarrasser des marchandises de fraude. Le mode normal de constatation
des faits incriminés est le procès verbal que les agents dûment habilités
sont appelés à dresser dans toute opération de contrôle et de saisie. Ce
mode est secondé par la possibilité reconnue par l’article 317 du CDT de
poursuivre et de prouver les délits et les contraventions par toutes voies
de droit alors qu’aucune saisie n’aurait pu être effectuée dans le rayon des
douanes ou hors de ce rayon ou que les marchandises ayant fait l’objet
d’une déclaration n’auraient donné lieu à aucune observation.
36-Le régime de preuve en droit douanier se distingue par la
technique de renversement de la charge de preuve. L’article 345 du CDT
prévoit que dans toute action sur une saisie, les preuves de non
contravention ou de non délits sont à la charge du saisi. Les modes de
preuve en matière douanière, comme ceux en matière fiscale 37, s’écartent
sensiblement du droit commun et de ses principes généraux.
37-Revers des prérogatives étendues dont dispose
l’administration des douanes, le procès verbal (PV) constitue la sujétion
la plus importante. Régulièrement établis, les PV jouissent d’une force
probante. Le non respect de l’une des conditions prévues par les articles
311.2 et 314.1 du CDT entraîne la nullité. L’article 301 impose
l’obligation de rédiger un PV dans toutes contraventions et délits
douaniers constatés par les agents de douane et tout agent ayant la qualité
d’officier public conformément à l’article 10 du code des procédures
pénales.
38-Le PV prend deux formes : PV de constat et PV de saisie. Ces
deux actes sont soumis à des dispositions communes38, à une procédure
de récusation et à des procédures conservatoires 39. Le PV de constat
sanctionne les opérations d’enquête, d’interrogatoires, de contrôle
d’écriture40 et de communication de toutes pièces documentaires exigées

37
Yadh BEN ACHOUR, « Le système de la preuve en droit fiscal tunisien au
regard de la théorie générale de la preuve », RTF, n° 3, 2005, p. 27 et Fériel
KAMMOUN, La preuve en droit fiscal, Mémoire de DEA, FDS, 2001-2002.
38
Articles 312, 313 et 314 du CDT.
39
Article 316 du CDT.
40
Article 313 du CDT.

158
La fraude en matière douanière

par l’administration des douanes41. Le PV de saisie est dressé, quant à lui,


par suite à la saisie des marchandises et des moyens de transport lors
d’une opération de contrôle42.
39-Ces actes solennels obéissent à des formalités draconiennes
liées aux mentions obligatoires et au délai de rédaction. L’article 303 du
CDT dresse l’ensemble des énonciations qui doivent figurer dans le PV.
Dans sa rédaction, le prévenu reçoit une sommation pour y assister. Son
refus ou sa négligence ont des effets non négligeables sur ses droits
puisqu’il ne pourrait arguer devant le juge, en cas de recours, le non
respect du principe du contradictoire dans l’établissement du PV. Les PV
de saisie doivent être rédigés avec minutie notamment dans la description
de la marchandise de fraude. Une fois rédigé, le texte doit être lu aux
fraudeurs qui doivent être invités à le signer. Outre les conditions
communes, des conditions spécifiques sont prévues pour les saisies à
domicile, les saisies sur les navires et bateaux pontés et les saisies en
dehors du rayon des douanes.
41-Ayant constaté la fraude, l’administration des douanes
procède en application des dispositions du CDT à l’application des
sanctions correspondantes. Dans le prolongement des pouvoirs étendus en
matière de constatation, le CDT retient un régime de répression assez
sévère.
III- LA REPRESSION DE LA FRAUDE DOUANIERE
42- Un auteur a souligné, à juste titre, que le droit douanier risque
d’être victime de ses outrances43. Le CDT de 2008 n’échappe pas à ce
risque puisqu’il a étendu le champ personnel de la répression (A) et a
prévu une panoplie de sanctions (B).
A) L’extension du champ personnel de la répression
43-La responsabilité pénale douanière est fondée sur des
présomptions diverses en matière d’imputabilité des faits. Outre l’auteur
de la fraude, la responsabilité s’étend aux complices et aux intéressées à
la fraude. La notion d’auteur de la fraude, sur laquelle pèsent des
présomptions de détention de marchandises en dépôt et en circulation, est
41
Article 62 du CDT.
42
Article 302 du CDT et articles 303 et 311 du CDT.
43
E. NATAREL, « Pour une modernisation de l’encadrement juridique de nos
échanges commerciaux : l’indispensable réforme du code douanier français », RTD
Com, 2008, p. 485.

159
La fraude en matière douanière

d’une portée assez large. La notion d’auteur de la fraude ne couvre pas


seulement le contrebandier ou le déclarant 44 ou le soumissionnaire45, mais
également certaines personnes exerçant certaines professions à titre
permanent ou temporaire. Il s’agit des capitaines de navires 46, du chef de
train47, de commandants d’aéronefs48 et de commissionnaires en douane
agrées49. Leur négligence ou leur défaut de surveillance 50 suffit pour
établir leur responsabilité.
44-La particularité du régime répressif douanier se manifeste à
travers le régime juridique de la participation. Tout en renvoyant aux
dispositions de l’article 32 du code pénal relatif à la complicité 51, le CDT
retient la notion d’intérêt à la fraude dont les contours sont mous et
modulables. Sa portée est limitée aux seuls délits de contrebande,
d’importation ou d’exportation sans déclaration. Cette notion est plus
étendue que la complicité puisqu’elle permet de poursuivre même des
personnes qui auraient participé à la fraude d’une manière assez lointaine.
La participation au sens du droit douanier prend la forme d’un concours
pécuniaire, moral et même matériel. Son régime repose
fondamentalement sur la notion d’intérêt à la fraude 52. L’article 371 du
CDT prévoit que « ceux qui ont participé comme intéressés à la fraude
d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit
d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des

44
Article 367 du CDT.
45
Article 369 du CDT.
46
Voir CA Alger du 15/10/1891, ministère public et administration des douanes
tunisiennes contre Ciglio, salvatore, in Jurisprudence administrative tunisienne, II,
tribunaux judiciaires, 1er fascicule 1884-1905, CREA, 1983, affaire n° 47, p. 113.
47
Tribunal de Tunis du 5/8/1893 Davin et compagnie Bône-Guelma contre
ministère public, in Jurisprudence administrative tunisienne, II, tribunaux judiciaires,
1er fascicule 1884-1905, CREA, 1983, affaire n° 60, p. 147. « Qu’il a d’ailleurs été
jugé que le chef d’un train de chemin de fer est responsable des contraventions
douanières dans les mêmes conditions que le conducteur d’une voiture publique
ordinaire » (cass. Crim. 3/3/1877 ; D. 78.1.90).
48
Article 365 et 366 du CDT.
49
Article 368 du CDT.
50
Tribunal de Tunis du 5/8/1893 Davin et compagnie Bône-Guelma contre
ministère public, in Jurisprudence administrative tunisienne, II, tribunaux judiciaires,
1er fascicule 1884-1905, CREA, 1983, affaire n° 60, p. 147.
51
L’article 32 du CP retient 5 formes de complicité : complicité par provocation,
complicité par instruction, complicité par fourniture de moyens de transport, l’aide
l’assistance et le recel.
52
Article 371 du CDT.

160
La fraude en matière douanière

mêmes peines privatives et des droits édictés par l’article 402 du présent
code ». Outre le fait que l’article 371 du CDT n’a pas défini la notion
d’intéressé à la fraude, le législateur s’est référé pour les besoin de son
identification à des notions ambiguës telle que les membres d’entreprise
de fraude, plan de fraude qui sont sujettes à des interprétations multiples.
45-On peut relever à travers l’article 371 du CDT que l’intéressé
à la fraude est identifié à travers sa qualité (il s’agit des assureurs, des
bailleurs de fonds, des propriétaires de marchandises). C’est celui qui a
un intérêt direct à la fraude, c'est-à-dire celui qui tire profit de l’opération
de fraude. L’intéressé à la fraude peut être un professionnel ou un
ensemble de personnes agissant de concert suivant un plan de fraude
prédéterminé ou un ensemble de personnes ayant sciemment couvert
l’agissement des fraudeurs. Bref, il s’agit de celui ayant sciemment
coopéré avec les fraudeurs en vue d’accomplir des actes de fraude ou
ayant couvert leurs agissements. Cela suppose une participation
consciente du prévenu à l’opération frauduleuse 53. L’intéressé à la fraude
encourt les mêmes sanctions appliquées à l’auteur principal.
46-Le champ personnel de la répression a une portée très étendue
puisque des personnes peuvent être sujettes aux sanctions alors même
qu’elles n’avaient pas participé aux actes incriminés mais ont contribué à
leur commission par négligence ou imprudence. N’ayant pas accompli un
fait incriminé, ces personnes avaient un intérêt à la fraude.
B) La diversité des sanctions
47-Ayant hérité l’image d’une administration arrogante qui
défiait même l’autorité juridictionnelle 54, la douane s’apparente toujours à
l’administration la plus redoutable même si le législateur s’est employé à
travers le nouveau code de 2008 à modérer ses pouvoirs en consolidant
les pouvoirs du juge. Rappelons que toute organisation sociale équilibrée
suppose une administration forte mais non arrogante.
48-La diversité et la variété des sanctions prévues par le code ne
confèrent pas systématiquement une efficacité à la répression de la fraude
puisque c’est au niveau de la mise en œuvre que se mesure le plein effet
des sanctions. Néanmoins, on observe dans la pratique que les poursuites
pénales en matière douanière se soldent généralement par la transaction.
53
Claude Jean BERR et Henry TREMEAU, Le droit douanier communautaire et
national, précité, p. 455
54
Voir les articles 241 et suivants de l’ancien code des douanes.

161
La fraude en matière douanière

49-L’intensité des sanctions prévues par le code dépend de la


classification de l’infraction commise dans la catégorie des
contraventions et des délits. Le passage d’une catégorie à une autre
équivaut à une aggravation de la sanction. C’est ainsi que les
contraventions de première classe sont passibles d’une amende
forfaitaire ; alors que pour les contraventions de deuxième classe
l’amende est calculée à partir des droits et taxes éludés ou compromis.
Concernant les contraventions de troisième classe, le législateur inflige la
confiscation de la marchandise litigieuse et une amende forfaitaire. Au
sujet des contraventions de quatrième classe, l’amende infligée est
calculée en fonction de la valeur de la marchandise litigieuse. Enfin, les
infractions rangées dans les contraventions de cinquième classe sont
passibles d’une amende forfaitaire et d’un emprisonnement. Quant aux
infractions qualifiées de délits douaniers, elles sont soumises au moins à
trois types de sanctions. Il s’agit de l’emprisonnement, de la confiscation
et d’une amende calculée en fonction de la valeur de la marchandise
litigieuse. Ces sanctions s’aggravent en passant de la première, à la
deuxième et à la troisième classe.
51-Outre ces sanctions pécuniaires et corporelles qui sont
qualifiées de principales, le CDT de 2008, prévoit des peines
complémentaires et administratives. Ces peines sont la confiscation 55,
l’astreinte56, la privation de certains droits 57 et les sanctions
administratives58.
52-Dans le calcul des amendes sur la base de la valeur en douane
de la marchandise ou à partir des droits et taxes réellement exigibles, le
législateur impose à l’administration des douanes de déterminer le
montant à partir de la valeur moyenne indiquée par la dernière statistique
douanière trimestrielle et du tarif le plus élevé applicable à la catégorie
des marchandises de même nature. Le montant des pénalités pécuniaires
ne peut en aucun cas être inférieur à cent dinars. Le code autorise même
le calcul de la pénalité sur la base des offres, propositions d’achat ou de
vente, conventions de toute nature, portant sur les marchandises de fraude
faites ou contractées à un prix supérieur au cours du marché intérieur à
l’époque où la fraude a été commise. Cette disposition ne semble
applicable que pour les marchandises ayant un similaire national.
55
Article 400 du CDT.
56
Article 401 du CDT.
57
Article 402 du CDT.
58
Article 403 du CDT.

162
La fraude en matière douanière

54-Le caractère rigoureux de la répression pénale douanière


s’étend aux cas de concours de contraventions et de délits douaniers
puisque tout fait tombant sous le coup des dispositions répressives
distinctes est envisagé sous la plus haute acception dont il est susceptible
tant en ce qui concerne la qualification de la sanction.
Conclusion
55-La douane reste toujours comme l’administration la plus forte
et la plus outillée des administrations de l’Etat. L’opérateur se trouve
presque toujours enclin à transiger même si l’administration lui impose
des valeurs en douane arbitraires. Les milieux d’affaires se plaignaient de
l’arrogance de la douane et du caractère tatillon et paperassier de ses
méthodes de travail. Dans cet environnement peu transparent et fiable, les
pratiques de complaisance voire de corruption ont prospéré dans certains
réseaux. De côté de l’administration des douanes, elle s’emploie de plus
en plus à promouvoir l’économie tunisienne en tissant des liens
privilégiés avec les bons opérateurs59, à travers l’octroi du statut de
l’opérateur agrée, et à dématérialiser les procédures de déclaration. Mais,
le destin du droit douanier tunisien ne risque-t-il pas de persister, à
l’instar du droit administratif60, dans le décalage entre les textes officiels
et les pratiques réelles.
56-Le phénomène de la fraude met le professionnalisme des
agents de douane face au génie des fraudeurs. Le renforcement des
capacités logistiques et humaines est plus que nécessaire. Le
renforcement des techniques d’enquête et de renseignement et de la base
de données par des éléments actualisées et facilement accessibles
permettra de réagir en temps opportun contre la fraude.

59
L’administration des douanes s’est pleinement engagée dans le programme des
partenariats douane/entreprises qui constitue l’un des dix éléments constitutifs de la
stratégie de l’organisation mondiale des douanes au 21 ème siècle (Voir « La
communauté douanière se rassemble pour améliorer les partenariats douane/
entreprises », OMD, Actualités, n° 62, juin 2010, p. 52.
60
Yadh BEN ACHOUR, Droit administratif, CPU, 3ème éd., 2010, p. V

163

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