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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise à l'ère

de la facilitation des échanges commerciaux


Thomas Cantens
Dans Afrique contemporaine 2011/4 (n° 240), pages 172 à 174
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0002-0478
ISBN 9782804168773
DOI 10.3917/afco.240.0172
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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Anne Cornet
Politiques de santé et contrôle social au Rwanda. 1920-1940 1

À côté de tant d’études sur la tragédie du Rwanda


contemporain, cet ouvrage nous reporte à la
situation de ce pays durant la première moitié
du xx e siècle. Une prise de distance historienne
qui aidera à réf léchir sur ce pays hors des pas-
sions de l’actualité. Cette histoire des politiques
de santé sous la colonisation, entre les deux guer-
res mondiales, éclaire de façon particulièrement
intéressante les débuts de l’évolution de la société
rwandaise au contact de la domination euro-
péenne. La période allemande, entre 1897 et 1916,
avait été celle des premiers contacts. C’est avec le
maillage administratif du « territoire du Ruanda-
Urundi » (regroupant Rwanda et Burundi), attri-
bué à la Belgique sous « mandat » de la Société des nations, que la modernité
européenne se fit sentir de manière omniprésente sur les « collines ».
Spécialiste de l’histoire coloniale belge, Anne Cornet pose d’emblée les
bonnes questions. Comment s’articulent l’action de l’administration et celle
des missions chrétienne ? Et surtout quel est le rôle des interventions médi-
cales et sanitaires dans l’emprise que les Européens établissent sur la société
« indigène » ? C’est donc la dimension sociale, politique et culturelle en milieu
africain de cette politique de santé qui est au cœur du sujet. L’analyse en est
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particulièrement détaillée, tant sur les structures administratives que sur les
objectifs, les établissements, les personnels et les pratiques au quotidien.
Le cadre médical est établi selon un modèle déjà rodé au Congo, auquel
le Rwanda est rattaché administrativement depuis 1925. Le personnel, formé
en médecine tropicale à Bruxelles et Anvers, est souvent d’origine militaire. Les
médecins (ils sont huit en 1930), les agents sanitaires et infirmiers européens
sont aidés par des auxiliaires locaux, de mieux en mieux formés, soit à l’école
d’infirmiers de Kitega (au Burundi), soit au groupe scolaire d’Astrida (l’actuel
Butare) où a été créée une section médicale en 1933. Le quadrillage sanitaire du
service d’assistance médicale aux indigènes (créé aussi en 1933) se calque sur le
découpage des territoires administratifs. En 1938, il existe seize dispensaires
ruraux et deux hôpitaux, à Kigali et Astrida.
Les moyens restent donc encore modestes dans un pays de 1,5 à 2 mil-
lions d’habitants, et dont la démographie (négligée par l’auteur) décolle peu à
cette époque. Les actions de santé visent surtout l’urgence, elles se concentrent
dans la lutte contre les épidémies (variole, typhus) et les endémies, notamment
la maladie du sommeil, qui connaît une nouvelle f lambée à l’est du pays dans

1. Karthala, 2011.

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
les années 1930 (après celle venue du Congo au début du siècle et combattue
par les Allemands) et surtout le pian. Cette maladie, très répandue, avec ses
plaies invalidantes, est combattue méthodiquement à partir de 1933, à coup
de campagnes itinérantes, appuyées sur un recensement médical systématique
et l’obligation de se faire traiter. Les injections de Salvarsan (un médicament à
base d’arsenic) obtiennent des résultats rapides qui impressionnent favorable-
ment la population, malgré le poids des corvées, des contraintes et des puni-
tions collatérales. Cette action, menée durant cinq ans, est une manifestation
éclatante de l’administration indirecte, puisque les autorités coloniales tra-
vaillent avec les autorités dites coutumières, selon des instructions données en
kinyarwanda par le mwami Mutara lui-même.
La même ambiguïté se retrouve dans la politique hygiéniste, à l’instar
des autres colonies : elle produit dès la fin des années 1920 un apartheid spatial
dans les agglomérations et une véritable police de la vie quotidienne (interdic-
tion des vêtements traditionnels, obligation de se raser).
L’action sanitaire missionnaire apporte un éclairage original sur des
aspects souvent méconnus de la présence européenne au Rwanda, notamment
sur le rôle des femmes et, dans ce monde colonial « confessionnel » dominé par
l’Église catholique, le rôle des protestants. Ces derniers (la Société belge de mis-
sions protestantes au Congo, créée en 1910 en Wallonie et qui reprend les missions
allemandes, les anglicans de la Church Missionary Society, venus d’Ouganda,
et les adventistes) sont accueillis par l’administration en fonction de leur pro-
fessionnalisme : personnel diplômé, création d’hôpitaux (la CMS à Gahini, les
adventistes à Ngoma), formation d’infirmiers africains.
La contribution féminine y est majoritaire. Du côté catholique, ce sont
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les sœurs blanches (issues en majorité du milieu rural f lamand) qui sont res-
ponsables des dispensaires des missions, aidées par une congrégation locale,
également féminine, créée en 1913, les Benebikira. Mis à part les adventistes,
qui insistent sur la rupture avec l’ancienne société, tous font la distinction entre
modernité occidentale et message évangélique, et se refusent à « détribaliser
les indigènes ». Mais, paradoxe connu, la connivence qu’ils réussissent à établir
avec les familles rwandaises (qu’ils – plutôt elles – n’hésitent pas à visiter) et la
dimension « sentimentale » de leur action, contribuent fortement à la pénétra-
tion des modèles européens dans les sociétés locales. Sans oublier la participa-
tion énorme de leurs auxiliaires africains, véritables « travailleurs de l’ombre ».
La partie consacrée aux réactions des populations est hélas très courte,
dans la mesure où, comme le reconnaît l’auteur, les seules sources utilisées sont
celles des colonisateurs. Elles vont de la résistance à des contraintes ou à des
vexations telles que l’obligation de se dénuder pour les femmes, à l’adhésion
devant les échecs des thérapies traditionnelles. Des émeutes contre la campagne
anti-pian ou contre des vaccinations sont signalées dans les années 1930 ; l’ab-
sentéisme, voire la fuite jusqu’en Ouganda, traduisent aussi les réticences, tout
comme le maintien des pratiques anciennes (pharmacopée, rituels et interdits),
qui sont très peu analysées ici. Par exemple, les Notes d’ethnographie d’Arthur

160 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Lestrade (un ancien des missions protestantes), publiées à Tervuren en 1972,
auraient pu être utiles. Malgré l’absence de sources orales, des indications (des
objets, des situations, des notes biographiques), livrées au fil du texte, auraient
pu être davantage mobilisées selon l’esprit de la Vision des vaincus de Nathan
Wachtel.
Une dernière observation : quelques passages montrent comment, dès
les années 1930, les pères blancs tendent à confondre globalement autorités ou
cadres rwandais 2 et identité tutsie (tel le cas de la mission de Rulindo, située au
nord du pays), alors que des observations multiples (voir p. 418-424) attestent
que, par exemple, les réticences des Hutus et des Tutsis sont rigoureusement les
mêmes dans la question de la pudeur féminine. Jean-Pierre Chrétien 3

Béatrice Steiner
Cybercafés de Bamako. Les usages de l’Internet au prisme des classes
d’âges et de parenté 4

On ne peut que savoir gré à Béatrice Steiner de


s’être penchée sur les cybercafés pour sa thèse de
doctorat dont ce livre est issu. D’abord, parce que
ces lieux collectifs, malgré la montée en puissance
des connexions individuelles fixes et mobiles,
demeurent des lieux privilégiés d’accès à Internet
en Afrique ; ensuite, parce que la recherche afri-
caniste sur les technologies de l’information et de
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la communication (TIC) les a trop peu considé-
rés ; enfin, on l’applaudira de l’avoir fait de cette
manière, c’est-à-dire en observant longuement
les usages d’Internet par le biais des institu-
tions aussi importantes que les classes d’âges et
la parenté. L’entreprise était donc salutaire pour
combler un déficit de connaissances, essayer de
rendre compte, dans toute leur épaisseur, de quelques manières dont, à Bamako,
l’informatique et Internet ont fait leur entrée dans les rapports sociaux au quo-
tidien, et pour étayer la critique des discours les plus communs auxquels donne
lieu le spectaculaire déploiement des TIC sur le continent.
En se concentrant essentiellement sur le dispositif technique du
courriel – « le plus utilisé pour entretenir des relations sociales » – l’auteur a
ainsi passé dix mois dans six cybercafés de la capitale malienne en situation

2. Les « Karavi », tels que transcrits effectivement recrutés surtout chez CNRS et spécialiste de l’Afrique des
dans la revue Grands Lacs en 1935, les Tutsis ? Grands Lacs.
ne sont-ils pas les karani, les 3. Jean-Pierre Chrétien est historien, 4. Karthala, 2011.
auxiliaires de l’administration, ancien directeur de recherches au

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
d’ethnographie 5 . Elle a complété cette observation par des entretiens fouillés
consacrés à l’étude de parenté et aux représentations d’Internet et usages des
internautes. Constatant que « les différences de pratiques d’un cybercafé à
l’autre restent marginales par rapport aux grandes tendances qui les traver-
sent », Béatrice Steiner rend compte successivement de trois espaces sociaux
qui composent selon elle le grand espace social du « Cyber ». Dans chacun de
ces espaces, « Ego » – le client du cybercafé et héros de l’ouvrage – entretient
des relations particulières avec ses pairs et les membres de sa famille, dont les
rôles sont typifiés et limités en nombre 6 . Ces espaces sont le « cybercafé » (cha-
pitre 7), le « tiers espace 7 » (chapitre 8), et le « cyberespace », où Ego évolue avec
ses correspondants (chapitre 9).
Résumons rapidement, pour chacun d’entre eux, les résultats de la
recherche. Concernant le « cybercafé », la proposition la plus importante est
sans doute que « tout le monde n’[y] est pas également bienvenu ni à l’aise car
tout ne peut se partager avec tous […]. Entre la rhétorique des promesses de
l’universalité du savoir et la réalité des pratiques, écrit Béatrice Steiner, l’écart
est important » (p. 167). Les profils des clients restent en effet relativement
homogènes et c’est un « monde de pairs » que le lecteur découvre, jeune (15-
35 ans), masculin, où la liberté de parole est de mise (on y plaisante, on y parle
des filles et on y drague) et où complicité et concurrence sont visibles autour
d’usages dominants qualifiés de « ludiques » (courriels et chats sont majoritai-
res devant les sites de sport, musique, turfisme, pornographie, d’astrologie ou
d’actualités people). Par voie de fait, la relation avec les aînés y serait compli-
quée, ces derniers ne souhaitant pas « perdre la face » nous dit l’auteur, soit en
étant témoin des pratiques « transgressives » des cadets, soit en rendant visi-
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ble les leurs, soit en attestant de leur incompétence informatique. Les aînés
seraient ainsi moins à l’aise, plus discrets, et se concentreraient sur des usages
de « travail ». Les femmes mariées brilleraient par leur absence dans le cyber-
café (celles qui ont des accès au travail ou à domicile les privilégieraient net-
tement pour ne pas être soupçonnées d’y chercher des aventures et éviter de se
faire courtiser), dont la fréquentation serait réservée aux adolescentes.
Dans le « tiers espace », le monde relationnel d’Ego est bien différent.
Ses parents, avec qui respect, loyauté et discrétion sont de mise, y sont bien plus
présents. On découvre successivement que « bien que les stratégies du mandant

5. Dans sa restitution du processus cybercafé, ses « initiateurs » à personnes auxquelles Ego confie son
d’enquête pour laquelle elle a pris l’informatique, ses « grands mot de passe), et enfin les
grand soin de s’inclure, on y apprend argentiers » qui financent sa « mandants », c’est-à-dire les
qu’elle y a successivement endossé connexion, les « correspondants personnes qui l’ont chargé d’aller
les rôles de simple cliente, de courriel et correspondants chats » chercher des informations sur
gérante, pour se fixer sur celui, le plus bien sûr, les « muses-adresse Internet ou de consulter leur boîte à
approprié, de visiteuse complice avec électronique et muses- leur place (p. 62-63).
les propriétaires et gérants. cryptogramme », c’est-à-dire les 7. Défini comme celui qui « réunit une
6. Il y a les « utilisateurs » qui sont les personnes dont le nom ou le surnom foule d’acteurs […] que l’on ne
autres clients du cybercafé, le ont inspiré Ego pour construire son rencontre jamais dans le cybercafé
« gérant » du lieu, les mot de passe et son adresse mais qui contribuent activement aux
« accompagnants » d’Ego au électronique, les « confidents » (les pratiques numériques d’Ego » (p. 64).

162 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
[par qui on est commissionné pour aller au cybercafé] diffèrent selon leur âge
et leur sexe, ils ont cependant un point commun : tous cherchent à préserver
quelque chose » : la « face » pour les aînés, la « réputation » pour les jeunes fem-
mes et les « dépenses intempestives » pour les jeunes garçons ; que les consan-
guins sont les « confidents » (à qui on confie son mot de passe) les plus appréciés
(mère, frères et sœurs, amis très proches parfois) ; qu’entre alliés ce mot de
passe peut devenir un enjeu de lutte et un moyen de contrôle, notamment des
époux sur les épouses ; et que les jeunes cachent parfois leur fréquentation des
cybercafés ou minimisent l’aspect « ludique » de leurs usages vis-à-vis d’aînés
qui souvent financent la connexion mais « craignent de perdre le contrôle » sur
leurs cadets.
Dans le « cyberespace » enfin, pairs et parents sont cette fois tous deux
présents, sous le visage de correspondants courriel et chat. Deux principales
propositions ressortent. D’abord, dans le cadre des relations et des obligations
financières familiales, le caractère asynchrone du courriel, en faisant effet de
« paravent », donnerait une marge de manœuvre plus grande aux cadets qui ose-
raient plus vis-à-vis de leurs aînés. La rapidité de la communication faciliterait
également les demandes matérielles et augmenterait ainsi la pression sur ces
derniers, notamment ceux vivant à l’extérieur 8 . Ensuite, ce même effet « para-
vent » et la possibilité de correspondre hors réseau social d’origine avec ses pairs
(l’auteur insiste sur le succès du « bavardage » en chat) ouvriraient des espaces
de discussion à la fois plus individualisés et où la parole circule plus librement.
Comme l’attestent ces résultats, l’auteur a souhaité relever le défi de
l’égale importance accordée au dispositif technique et aux rapports sociaux
d’âge et de parenté, sans trancher entre primauté du média et primauté de l’uti-
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lisateur. Sans remettre en cause le grand intérêt qu’il présente pour l’étude des
transformations sociales liées à la diffusion des TIC en Afrique, trois grands
problèmes traversent cependant l’ouvrage et affaiblissent sa capacité critique.
Le premier tient aux catégories d’appréhension des classes d’âge et de parenté :
celles-ci sont trop peu historicisées si bien qu’elles s’imposent souvent comme
un donné et apparaissent prisonnières de l’opposition tradition/modernité. Le
deuxième réside dans le fait que ces catégories et les usages d’Internet en géné-
ral apparaissent peu travaillés par les différences de capitaux sociaux, écono-
miques et culturels des acteurs. Enfin, la diversité des phénomènes sociaux que
donne à voir l’étude des usages (les obligations financières et l’échange de biens,
les relations amoureuses et de genre, le rapport à l’information, le rapport à la
diaspora) conduit souvent Béatrice Steiner à ne les évoquer que trop rapide-
ment et à grever les vertus explicatives de son exposé. Une manière de limiter
ce risque aurait peut-être été de limiter le périmètre de l’étude à quelques-uns
ou de tenter de les relier plus systématiquement à des dynamiques globales qui

8. « Pour les aînés, le cyberespace transparence qui règne dans ce


est donc un endroit dangereux. D’une territoire virtuel les place dans une
part parce que leur piédestal rétrécit, position délicate » (p. 233).
mais aussi parce que [...] la

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
traversent la société malienne (re-moralisation de l’espace public, monétarisa-
tion des rapports sociaux, multimédiatisation). Thomas Perrot 9

Pierre Vermeren
Maghreb, les origines de la révolution démocratique10

Maghreb, les origines de la révolution démocra-


tique est la réédition d’un ouvrage, Maghreb, la
révolution impossible ?, paru en 2004. Il s’en
distingue uniquement par la préface, inédite,
augmentée de quelques pages par rapport à celle
de la première édition. Le lecteur ayant déjà eu
accès à celle-ci sera donc forcément déçu de ne
pas trouver, dans la nouvelle édition, davantage
d’éléments d’information, d’analyse et de contex-
tualisation des révolutions démocratiques en
cours dans le monde arabe. De ce point de vue, le
titre donné à l’édition 2011 semble relever de l’op-
portunité en surfant sur une actualité politique
brûlante. Ce regret n’enlève cependant rien à la
qualité du travail accompli par Pierre Vermeren,
historien du Maghreb et auteur de plusieurs autres ouvrages sur les pays du
« petit » Maghreb, soit l’espace regroupant le Maroc, la Tunisie et l’Algérie.
Le livre est composé de douze chapitres commençant avec « L’Afrique
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romaine » et se terminant par une réf lexion prospective sur « La nécessaire
prise en charge de la société par elle-même » dans laquelle l’auteur, après avoir
diagnostiqué l’épuisement du « modèle » autoritaire et le « dépassement des
idéologies laïques et sécularisées » dans cette région du monde, passe en revue
les facteurs de sa possible démocratisation avant de conclure sur « L’inévitable
démocratisation du Maghreb ».
En 2004, écrit Pierre Vermeren dans sa préface inédite, la sortie de
l’ouvrage n’avait suscité en France qu’un « accueil poli », une relative indiffé-
rence des médias et le désintérêt des politologues, rebutés par sa facture « trop
historique ». Au Maghreb, censure d’État (en Tunisie) et nationalismes sour-
cilleux (au Maroc et en Algérie) militèrent contre sa diffusion, même s’il n’y
passa pas complètement inaperçu. Il est vrai – et c’est une, sinon la thèse forte
de ce livre – que Pierre Vermeren, à l’encontre de bon nombre d’observateurs et
d’analystes du Maghreb et du monde arabe, y soutenait déjà que la démocrati-
sation ne pouvait y passer que par l’incorporation au jeu politique de la « frange

9. Doctorant au Centre d’études sur l’internationalisation (CEMTI), 10. Fayard, 2011.


les médias, les technologies et université Paris-8.

164 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
populaire et démocrate » des islamistes et « leur nécessaire cohabitation avec
la frange moderniste et mondialisée11. Les alliances politiques post-électora-
les qui se sont mises en place en Tunisie entre les islamistes d’Ennahda et les
démocrates laïcs du CPR (Congrès pour la république) et d’Ettakatol semblent
lui donner raison.
Vibrant plaidoyer pour la démocratie au Maghreb, l’ouvrage apporte
donc un éclairage informé et inscrit dans la longue durée sur les dynamiques
politiques, culturelles, sociales et économiques dont la conjonction a rendu
possibles les changements en cours. Cet éclairage relativise aussi un tant soit
peu l’argument de l’imprévisibilité des révolutions arabes – même s’il est vrai
que nul spécialiste de la région, quelle que soit sa discipline, ne peut dire qu’il
les avait prévues – et donne sens à ce « surgissement de l’inattendu12 » qu’elles
ont incarné. Il convient de donner acte à Pierre Vermeren d’avoir restitué l’in-
telligibilité de ces évolutions même si son propos initial n’en était pas annon-
ciateur, et à l’historien de rappeler aux politologues combien la prise en compte
du temps long est indispensable à la compréhension du présent.
Le politologue, justement, s’autorisera néanmoins trois remarques criti-
ques inspirées par la lecture de la conclusion de l’ouvrage. La première a trait à
la démocratisation des « États africains, notamment maghrébins » qui, « durant
les années quatre-vingt… passait pour une douce utopie ». Il y a là comme une
confusion : si les États africains dont il est question incluent ceux d’Afrique
subsaharienne, alors il faut préciser que ceux-ci ont, pour la plupart, connu
leurs revendications démocratiques dès la fin de ces années-là et que, dans le
cas du Bénin notamment, la fin du régime autocratique de Mathieu Kérékou
s’amorce antérieurement à la chute du Mur. Si l’on doit parler d’un « Printemps
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arabe » avec toutes les précautions qui s’imposent tant les incertitudes restent
grandes, il faut ajouter d’emblée que l’Afrique subsaharienne a connu le sien
quelque vingt ans plus tôt… même si peu de transitions démocratiques y ont
accouché de véritables démocratisations.
La seconde se rapporte à l’interprétation que fait l’auteur du discours
de La Baule de François Mitterrand (1991). Il a, certes, pour la première fois
peut-être dans l’histoire des relations franco-africaines, énoncé la nécessité
d’une transformation démocratique des régimes autoritaires africains. Mais
peut-on en conclure pour autant que « la démocratisation des sociétés de la rive
sud de la Méditerranée est envisagée du point de vue français comme le terme
normal [souligné par nous] d’une évolution mettant fin à la vision néocolo-
niale de la “Françafrique” » ? Outre que la diplomatie française s’est longtemps

11. Petite remarque : la distinction G. Kepel, F. Burgat et d’autres ont, 12. Dobry, M. (1995), « Les causalités
entre ces franges qui seraient par-delà leurs divergences d’analyse, de l’improbable et du probables.
« mondialisées » et les islamistes qui, montré que l’islamisme, y compris Notes à propos des manifestations de
c’est dit implicitement, ne le seraient sous sa forme violente et 1989 en Europe centrale et
pas est pour le moins sujette à déterritorialisée, s’inscrit dans la orientale », Cultures et Conflits, n° 17.
discussion. Des spécialistes de l’islam mondialisation et se nourrit de ses
comme O. Roy, P. Haenni, B. Soares, dynamiques paradoxales.

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
accommodée après La Baule – et s’accommode encore – de la survivance de
régimes autoritaires en Afrique, y compris dans sa partie nord, la Françafrique
a su se recomposer en s’adaptant à la nouvelle donne « démocratique » et au
principe de conditionnalité dont le moins qu’on puisse dire est qu’il fut et reste
à géométrie variable. Cela ne veut pas dire que l’environnement international
n’a eu aucun impact sur les revendications démocratiques, mais c’est vraisem-
blablement dans la mondialisation de la norme démocratique, qui a aiguisé
le désir de démocratie des populations arabes, qu’il faut rechercher celui-ci,
davantage que dans les desseins démocratiques de l’administration de Georges
W. Bush, fussent-ils drapés dans les oripeaux du « Grand Moyen-Orient », qui
seraient entrés en résonance avec le volontarisme pro-démocratique français
et européen.
La troisième renvoie à l’effet d’aubaine qu’ont représenté les attentats
du 11 septembre 2001 pour les régimes autoritaires arabes (et subsahariens),
qui en ont profité pour revenir sur les timides réformes libérales qu’ils avaient
engagées et renouer avec leurs pratiques ultra-répressives. Le phénomène n’a
pas échappé à Pierre Vermeren mais il en tire une conclusion contestable. Son
hypothèse selon laquelle, aussi bien pour les autorités américaines que pour les
Européens, la chasse aux salafistes djihadistes n’aurait été qu’une « première
étape » préludant à une seconde qui aurait été une « contagion démocratique
étendue à l’ensemble du bassin méditerranéen » ignore le fait, avéré, que le sou-
tien des démocraties occidentales aux autoritarismes arabes a été sans faille au
nom de la lutte contre la « menace » islamiste. Et qu’il a fallu les soulèvements
populaires que l’on sait pour que Ben Ali, Moubarak et Kadhafi soient « lâchés ».
On pourrait ajouter que ce soutien aveugle a été contre-productif puisque, loin
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de neutraliser les mouvements islamistes, il leur a au contraire permis de se
poser en unique alternative possible. Le succès électoral d’Ennahda en témoi-
gne avec éclat. Ces réserves mises à part, l’ouvrage de P. Vermeren doit être lu
par tous ceux qu’intéresse l’histoire politique du Maghreb. René Otayek13

13. Politologue, René Otayek est dans le monde » (LAM) depuis le


directeur de recherche au CNRS. 1er janvier 2011 (UMR CNRS/
Directeur du CEAN de 2004 à 2010, Sciences Po Bordeaux).
puis du laboratoire « Les Afriques

166 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Scott Straus et Lars Waldorf
Remaking Rwanda. State Building and Human Rights After Mass Violence14

L’ouvrage collectif dirigé par Scott Straus (uni-


versité du Wisconsin-Madison) et Lars Waldorf
(université de York) viendra sans aucun doute
creuser un peu plus le sillon polémique de l’his-
toire contemporaine du Rwanda. Les textes
réunis s’intéressent cependant moins au passé
qu’aux réalités immédiates du pays. C’est donc
le Rwanda post-génocide qui fait l’objet de l’at-
tention des vingt-huit auteurs, essentiellement
nord-américains, britanniques et belges. Placées
sous la figure tutélaire de l’historienne améri-
caine Alison Des Forges, décédée en 2009, les
contributions revisitent de manière critique les
politiques mises en place par le régime rwandais
pour remodeler une société profondément entamée par le génocide des Tutsis.
Il s’agit surtout de contrebalancer l’image d’un pays incarnant une
success story africaine, érigée en modèle par certains médias britanniques ou
américains et prisée par les bailleurs internationaux. Bien que les auteurs recon-
naissent en introduction quelques-unes des réalisations du régime en matière
sanitaire, sociale ou économique, l’ensemble de l’ouvrage est construit sous la
forme d’un réquisitoire contre le régime en place à Kigali. La charge est portée
contre tous les domaines majeurs de la politique rwandaise de ces dix-sept der-
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nières années : la construction du cadre institutionnel, les relations internatio-
nales et régionales, la justice, la réforme foncière et les questions mémorielles.
L’image d’Épinal dénoncée par les auteurs cède le pas à un tableau sombre. Un
contraste si tranché que l’on finit par se demander si une caricature n’en a pas
remplacé une autre.
Tout, dans ce panorama, conduit à brosser le portrait d’un État auto-
ritaire, imposant sa volonté depuis les cénacles de Kigali à une population
contrainte, soumise, brimée. Si nombre de questions soulevées semblent perti-
nentes, la logique manichéenne à l’œuvre conduit parfois à sacrifier la nuance
nécessaire à l’analyse. Plusieurs contributions15 soulignent le fossé grandissant
entre une élite – tutsi, ultra-minoritaire, urbaine, riche – et la « populace »
– hutu, majoritaire, paysanne, pauvre. Leurs relations seraient régies par les
seuls principes de l’oppression et de la soumission. Cette disparité sociale appa-
raît certes de plus en plus criante. Il suffirait pour s’en convaincre d’effectuer
un aller-retour entre le quartier cossu de Nyarutarama et les campagnes. Pour

14. University of Winconsin Press, 15. En particulier celles de Bert (p. 240-251) et Susan Thomson
2011. Ingelaere (p. 67-78), Catharine (p. 331-339).
Newbury (p. 223-239), An Ansoms

 167

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
autant, les inégalités ne recouvrent pas toujours les lignes ethniques comme
le prétendent les auteurs. Ainsi, le monde des affaires rwandais a vu émerger
de grandes entreprises dirigées par des personnalités hutues16 . D’autre part,
les auteurs semblent ignorer que les paysans pauvres, hutus comme tutsis,
partagent le même quotidien. La lecture « ethnicisante » des réalités sociales,
économiques et culturelles se poursuit dans la critique des politiques de récon-
ciliation nationale menées depuis la fin du génocide.
Si certains points – comme la loi sur le « divisionnisme » – méritent en
effet d’être soulevés17 leur examen n’est guère alimenté d’études de cas concrets.
Plutôt qu’une analyse surplombante d’un texte de loi, on aurait souhaité un
exposé nourri par des exemples tirés de son application – qui aurait sans doute
donné plus de poids à la critique. La question pertinente relève moins, à notre
sens, de la prolifération législative que d’une appréhension judiciarisée du passé
en l’absence de tout enseignement de l’histoire depuis 1994. Le problème n’est
cependant guère posé en ces termes. Au contraire, les contributions recondui-
sent la logique manichéenne qu’ils dénoncent pourtant avec force quand celle-
ci est produite par le régime de Kigali, au prix parfois d’erreurs grossières.
Ainsi, dans sa contribution consacrée aux mémoriaux du génocide, Jens
Meierhenrich (London School of Economics)18 impute au pouvoir en place la
volonté d’effacer la mémoire des massacres en changeant les toponymes. Si la
restructuration administrative a en effet conduit à un tel phénomène, le régime
n’a pourtant pas modifié le nom des cours d’eau comme l’affirme l’auteur. Selon
lui, certains lieux marqués par l’histoire du génocide comme les ponts sur la
rivière Nyabarongo seraient purement et simplement sacrifiés à la logique de
la modernisation des infrastructures. Faut-il rappeler que les commémorations
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en 2010 furent dédiées à la mémoire des victimes jetées dans les cours d’eau
et qu’un projet de mémorial est en cours d’élaboration sur le pont franchis-
sant la Nyabarongo à la sortie de Kigali ? De même, en exposant ossements et
dépouilles, les autorités rwandaises viseraient à provoquer une émotion propre
à occulter les dérives présentes du régime. Cette intention prêtée aux acteurs
politiques ne se trouve pourtant guère étayée par des sources dûment réperto-
riées. En outre, une telle remarque ne rend pas compte de la progressive euphé-
misation de la mémoire du génocide depuis quelques années. L’observation des
dernières commémorations nationales témoigne en effet d’un net recul des
images et témoignages rappelant la violence.
Les erreurs relevées plus haut procèdent du point de vue adopté au long
de l’ouvrage. Tout en prétendant scruter une société qui tente – bon gré, mal
gré – de surmonter le legs pesant du génocide des Tutsis, cet événement est

16. Nous pensons à Gérard Sina, Underdemocratic Nature of 18. Jens Meierhenrich,
PDG de l’une des plus importantes Transition in Rwanda” (p. 25-47) et “Topographies of Remembering and
firmes agroalimentaires, Urwibutso. Lars Waldorf, “Instrumentalizing Forgetting. The Transformation of
17. Voir sur ce point les contributions Genocide. The RPF’s Campaign Lieux de Mémoire in Rwanda”,
de Thimothy Longman, “Limitations Against ‘Genocide Ideolog’” p. 283-296.
to Political Reform. The (p. 48-86).

168 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
paradoxalement absent de la réf lexion. La singularité du génocide – en par-
ticulier l’atteinte profonde qu’il a imprimée aux liens sociaux les plus intimes
– n’est guère prise en compte. Ainsi s’étonnera-t-on du ton empathique avec
lequel Carina Tertsakian (Human Rights Watch)19 traite la question du sort des
prisonniers. On s’étonnera tout autant de ses excès de généralisation lorsqu’elle
affirme, sans fournir de sources précises, que « pour les Rwandais ordinaires
comme pour le gouvernement elles [les arrestations pour génocide] représentent
une occasion de se débarrasser des personnes considérées comme des ennemis
ou des rivaux ». Les dysfonctionnements du système judiciaire rwandais sont
réels, mais n’autorisent pas un jugement aussi lapidaire. Les jugements gacaca
révèlent au contraire l’ampleur et le large spectre des modes de participation
au crime. Si des innocents furent arbitrairement détenus, d’autres participè-
rent activement à l’exécution d’un génocide. En outre, le chercheur ne saurait se
substituer au juge, en décrétant l’innocence ou la culpabilité des accusés.
De ce point de vue, la contribution de Max Rettig (Stanford Law School) 20
sur les juridictions gacaca prend soin de revenir sur l’histoire du génocide avant
de poser la question de la réconciliation. En effet, comment envisager la recons-
titution du tissu social sans rappeler les conditions dans lesquelles une atteinte
majeure y fut porté ? On regrettera toutefois que l’article n’établisse pas de lien
entre les perceptions populaires du processus gacaca et le déroulement concret
des procès. La pratique du sondage d’opinion prend le pas sur une analyse en
profondeur de la révélation du passé dans l’espace judiciaire. Or, les positions
des différents acteurs face au processus gacaca dépendent de ce qui aura pu
être révélé – ou occulté – au cours des audiences. Une nouvelle fois, la question
du point de vue adopté se pose avec force. En effet, comment analyser un pro-
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cessus judiciaire en partant de l’impératif politique de la réconciliation natio-
nale sans décrire le contenu concret de son déroulement ?
Cette question rejoint une interrogation générale à l’ensemble de
l’ouvrage. Le malaise suscité par sa lecture tient à son positionnement épistémo-
logique. Nous avons en effet affaire à une collection de textes mus par une pers-
pective prescriptive. Une logique qui tient sans doute à la tutelle sous laquelle
le livre est placé : celle de Human Rights Watch 21. La confusion entre recher-
che universitaire et travail des ONG imprime au texte une dimension partisane
regrettable. Décrivant un échec patent dans tous les domaines, les auteurs pro-
diguent donc conseils et avis éclairés. En définitive, le lecteur aura l’étrange
impression d’être en présence d’une sorte de gouvernement rwandais bis, dans
lequel chacun des contributeurs tiendrait un ministère. Hélène Dumas 22

19. Carina Tertsakian, “‘All Rwandans 20. Max Rettig, “The Sovu Trials. The 22. Hélène Dumas, doctorante,
Are Afraid of Being Arrested One Impact of Genocide Justice in One appartient au Centre d’études
Day.’ Prisoners Past, Present and Community”, p. 194-209. africaines, EHESS
Future”, p. 210-222. 21. Une contribution est d’ailleurs (helenedumas.uw@gmail.com).
signée de Kenneth Roth, directeur
exécutif de HRW.

 169

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Jean-Pierre Filiu
La Révolution arabe. Dix leçons sur le soulèvement démocratique 23

Jean-Pierre Filiu, ancien diplomate français, doc-


teur en histoire, arabisant et sinisant, directeur
de recherches au Centre d’études et de recher-
ches internationales de Sciences Po, publie La
Révolution arabe (2011) dont le sous-titre, « Dix
leçons sur le soulèvement démocratique », annonce
d’emblée l’objectif de l’ouvrage : tirer les enseigne-
ments politiques et sociologiques, à chaud, des
révoltes dans le monde arabe. Il s’agit de la traduc-
tion d’un ouvrage d’abord écrit en anglais 24 , dont
le propos est précis, émaillé de nombreux faits,
références et données. Anecdotes sur la culture
populaire (musique, réactions sur Internet) y
côtoient une analyse des processus politiques et
des remarques sociologiques pour dresser un por-
trait impressionniste du premier semestre 2011 dans les pays arabes.
Tout au long de l’ouvrage, les concepts et le vocabulaire sont utilisés pour
montrer à quel point les pouvoirs autoritaires étaient consubstantiels de l’envi-
ronnement politique : le mot jamlaka, littéralement « répumonarchie », décrit
par exemple le processus d’hérédité du pouvoir via, souvent, le régime républi-
cain (une hérédité préparée en Égypte ou en Libye, déjà réalisée en Syrie). Les
termes « régime » et « système » sont ainsi désignés par un même mot, nizâm,
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montrant bien le blocage des sociétés dans cette partie du monde 25 où le régime
faisait système. Le soulèvement démocratique est intervenu dans un contexte
où le chaos n’était pas à craindre puisqu’il faisait déjà partie du quotidien avec,
sous diverses formes, l’utilisation des états d’urgence qui assuraient l’« absolue
vulnérabilité du citoyen-sujet ».
Des revendications et des mouvements de contestation l’auteur fait une
description précise et détaillée, qui constitue le cœur de l’essai. Cette seconde
renaissance (nahda) est le « prolongement » de celle du xix e siècle qui, suite à
l’invasion française de l’Égypte, avait défendu le « réformisme parlementaire
et un panarabisme sous direction arabe », avant de soutenir les courants natio-
nalistes pendant la Première Guerre mondiale ; elle s’appuie aujourd’hui sur la
jeunesse et sur des musulmans dont les identités sont multiples et ne se rédui-
sent pas à la religion. Dans ce contexte, l’utilisation des moyens modernes de
communication n’est que l’écume puisque le soulèvement n’eut pas été possible
sans une solide organisation.

23. Fayard, 2011. Democratic Uprising, Hurst & Co, 25. Philippe Droz-Vincent,
24. Jean-Pierre Filiu, The Arab 2011. Moyen-Orient : pouvoirs autoritaires,
Revolution. Ten Lessons from the sociétés bloquées, PUF, 2004.

170 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Certaines des leçons tirées par l’ouvrage se révèlent convaincantes :
ainsi celle sur « Les Arabes ne sont pas une exception » qui donne de la pro-
fondeur historique aux événements de 2011, ou « La jeunesse est en première
ligne » qui montre les enjeux considérables auxquels doivent faire face les diri-
geants actuels et à venir. La transition démographique en cours, la nécessité
de créer des emplois et de renouveler les régimes politiques et les processus de
croissance économique sont les défis majeurs auxquels devront faire face les
États et les sociétés de la région.
Néanmoins, on peut rester sur sa faim lorsqu’il affirme « on peut gagner
sans chef » ou « la Palestine au cœur demeure » : la victoire dont il est question,
le départ de dictateurs, reste fragile et l’auteur affirme lui-même que les pro-
blèmes internes devraient largement occuper les dirigeants des pays concernés
avant que ceux-ci ne s’investissent lourdement sur la scène internationale. À
moins que le cœur ait ses raisons que la raison ignorera.
L’auteur insiste sur le fait que la perception des systèmes politiques ne
se résume pas à l’opposition entre la dictature et l’islamisme : cette alternative
a longtemps été présentée comme la seule possible pour expliquer le dilemme
auquel étaient confrontées les sociétés, fermant ainsi la porte à d’autres voies,
notamment la démocratisation. L’enthousiasme de Jean-Pierre Filiu est donc
rafraîchissant et à la mesure des mouvements historiques constatés. Cependant,
si le soulèvement révolutionnaire a des racines lointaines, il serait intéressant
d’approfondir la manière dont la démocratisation pourrait procéder (et l’auteur
reconnaît que son livre n’est qu’une modeste contribution à l’analyse de ces évé-
nements). En effet, la démocratie, si l’on reprend l’expression d’Hubert Védrine,
n’est pas un « café instantané » : l’utilisation du terme « révolution » dans le titre
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de l’ouvrage renvoie explicitement aux révolutions française, américaine, russe,
etc., qui ont été le déclencheur de bouleversements considérables toutefois suivis
de périodes plus autoritaires, ce qui devrait modérer, à court terme, l’optimisme.
Les développements sur les Frères musulmans dans les différents pays
et sur le modèle turc sont passionnants et, avec les quelques mois écoulés depuis
l’écriture de l’ouvrage, on regrette que l’analyse ne soit pas plus poussée sur ces
aspects (par exemple, sur les liens entre la Turquie et l’ensemble de la zone).
La prospective économique fait parfois défaut car il faudra bien répondre aux
espoirs portés par le soulèvement. L’environnement international de la région
n’est pour le moment pas aussi propice qu’il peut l’être sous d’autres géographies
pour permettre de transformer les révolutions arabes en réformes structurelles.
Par conséquent, les leçons livrées par Jean-Pierre Filiu donnent peu des
clés pour affronter l’avenir qui s’ouvre sur un large éventail des possibles. Si
les révolutions ont permis de redonner de l’espoir, les interrogations restent
nombreuses, y compris dans le feu de l’action de ces mouvements, sur l’issue des
révolutions 26 . Quelles sont les forces politiques susceptibles d’être majoritaires

26. Abdelwahab Meddeb, Printemps et Albin Michel, 2011, pour la France. est disponible dans le numéro 239
de Tunis. La métamorphose de Une note de lecture de cet ouvrage d’Afrique contemporaine.
l’histoire, Cérès, 2011, pour la Tunisie,

 171

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
dont les futurs dirigeants seront issus et avec lesquelles devront traiter ? Quelles
prochaines étapes dans l’évolution des droits économiques et sociaux des popu-
lations révoltées ? Comment créer les quelque cinquante millions d’emplois
nécessaires en Méditerranée dans les dix prochaines années ? Quelle recompo-
sition des inf luences extérieures ce soulèvement démocratique implique-t-il ?
Les réponses à ces questions ne sont connues de personne mais il est dommage
qu’à la fin ces leçons laissent les lecteurs sur leur faim. Emmanuel Comolet 27

Gustave Ngueda Ndiefouo


La Douane camerounaise à l’ère de la facilitation des échanges
commerciaux 28

L’ouvrage de Gustave Ngueda Ndiefouo, inspec-


teur des douanes camerounaises, présente l’inté-
rêt majeur de dresser une image claire, honnête
et panoramique de la réglementation et des pro-
cédures douanières au Cameroun, et plus spéci-
fiquement au port de Douala. Au-delà de cette
dimension descriptive, l’auteur remet le dispositif
technique actuel dans une perspective historique,
depuis les réformes des années 1990 jusqu’aux
plus récents changements.
Les enjeux propres aux réformes des
douanes contemporaines sont clairement identi-
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fiés dans l’équilibre délicat entre contrôler, donc
ralentir, et occasionner des coûts, d’une part, et
prendre le risque de l’introduction de produits illégaux ou la perte de recet-
tes fiscales, d’autre part. L’auteur fait résolument pencher la balance vers la
« facilitation », défendant l’idée généralement acceptée d’une administration
douanière non plus centrée sur sa fonction répressive ou fiscale mais actrice de
la vie économique nationale et pouvant constituer un atout ou un handicap à
l’attractivité du pays.
Le propos de l’auteur n’est pas de questionner les grands paradigmes
internationaux associant commerce, facilitation, développement et techniques
de gouvernement mais bien de montrer comment les douanes camerounaises s’y
sont progressivement adaptées et continuent de le faire. La densité de l’ouvrage
illustre finalement la force de ces paradigmes sur l’action quotidienne des
douaniers camerounais.

27. Économiste au département économiste, diplômé de l’ENSAE, de


« Méditerranée et Moyen-Orient » de Sciences Po et de la LSE.
l’AFD, ancien collaborateur du chef 28. L’Harmattan, 2011.

172 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Le lecteur trouvera une quantité importante de textes réglementaires,
parfois présentés de façon intégrale dans le corps de l’ouvrage et qui auraient pu
être rassemblés en annexe pour faciliter la lecture et accéder plus directement
aux analyses de l’auteur. Il n’en demeure pas moins que les données présentées,
tant réglementaires que chiffrées sur les coûts des transactions, intéresseront
autant les praticiens que les chercheurs travaillant sur les questions douanières
et logistiques en Afrique.
La première partie illustre la complexité technique propre à la matière
douanière et la multiplicité des acteurs qu’il faut coordonner pour tendre vers
un équilibre entre contrôle et facilitation : les opérateurs privés du commerce
extérieur (importateurs et exportateurs), les intermédiaires (transitaires, agents
maritimes, acconiers 29 , banques), les entités privées assurant des missions de
service public (société d’inspection, gestionnaire du terminal conteneur), les
institutions nationales concrétisant le dialogue public-privé (le guichet uni-
que, le comité national de facilitation du trafic maritime international 30) et les
administrations dont le rôle dans l’amélioration du passage au port de Douala
se trouve, à l’issue de cette partie, fortement relativisé au regard des nombreux
acteurs en présence.
Pour chaque acteur, l’auteur identifie quelques difficultés propres
à ralentir le mouvement des marchandises en élargissant fort justement la
réf lexion au-delà de la technique douanière pour s’intéresser aussi aux condi-
tions logistiques propres au port de Douala. On peut citer comme exemples
l’absence de certains acteurs majeurs du bâtiment du guichet unique (consi-
gnataires, acconiers), le report de l’inspection des marchandises depuis les pays
d’export vers une inspection à destination ou l’ensablement du chenal menant
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au port qui est, de plus, un port à marées.
Suite à ces constats détaillés identifiant les problèmes, il aurait été inté-
ressant que l’auteur partage sa vision sur comment coordonner les efforts de
modernisation entrepris séparément par tous les acteurs et dans quelle mesure,
comme le démontre l’existence même de l’ouvrage, l’administration douanière
pouvait prendre une part majeure aux réf lexions en cours par son pouvoir
réglementaire et ses capacités statistiques.
La deuxième partie est centrée sur l’administration douanière et ses
efforts de modernisation, principalement à l’aide de l’outil informatique.
L’auteur démontre l’importance de l’automatisation dans une réforme doua-
nière en offrant une comparaison précise entre l’ancien et le nouveau système
informatisé de dédouanement. Au lecteur familier des procédures douanières,
cette partie fournit un exemple complet de réforme de procédures avec ses avan-
tages et ses inconvénients. À celui qui est peu au fait de la technique douanière,

29. Le terme « acconier » désigne les 30. Plus connu au Cameroun sous la constitue un espace de dialogue
professions chargées du désignation « comité FAL », ce comité entre le secteur public et le secteur
déchargement et du chargement des est une institution paritaire, sous privé et représente une force de
marchandises. l’autorité du Premier ministre, qui vise proposition au gouvernement.
à améliorer le passage portuaire. Il

 173

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
elle révèle comment toute réforme administrative, bien que s’appuyant sur des
principes généraux et partagés à l’international, prend une forme concrète
dans des détails techniques – modifications des compétences administratives,
des fonctionnalités informatiques. Ces détails peuvent paraître mineurs mais
posent les conditions déterminantes du changement de culture professionnelle
des administrations et des professions intermédiaires.
S’il rend compte brièvement de l’impact de la réforme, l’auteur aurait
pu également développer une analyse plus quantitative des effets de la réforme
sur les recettes, la lutte contre la fraude et les délais de dédouanement. Ainsi,
l’impact d’une réforme douanière focalisée sur la réduction des coûts et leur
potentielle répercussion sur les prix des marchandises commercialisées aurait
pu être remis en perspective. Les gains financiers liés à l’amélioration des pro-
cédures douanières ne sont pas toujours aussi importants qu’espérés dès lors
que la douane est le seul acteur à se moderniser.
La troisième et dernière partie regroupe les textes juridiques, nationaux
et internationaux, qui ont été adoptés pour faciliter le passage en douane et
diminuer les effets négatifs des contrôles sur les délais. Paradoxalement, même
si les douanes proposent de nombreuses procédures facilitées, cette partie nous
apprend que pour « faciliter », il faut parfois être coercitif. Pour les importa-
teurs, les exportateurs et les professionnels du dédouanement, la facilitation
ne va pas toujours nécessairement de soi et ils doivent être incités fortement à
accomplir plus rapidement leurs formalités administratives. Ainsi, le dernier
chapitre offre une perspective intéressante sur la capacité de l’administration à
« négocier » avec les professions intervenant dans le domaine du dédouanement
pour les rendre plus efficaces. Cette approche contractuelle des rapports entre
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douaniers et usagers est présentée de façon exhaustive et constitue un apport
important de l’ouvrage, même si ses conséquences, notamment sur les rapports
des usagers à la loi et à l’État, ne sont pas particulièrement discutées. De même,
on peut regretter que le lien ne soit pas fait avec une question que se pose toute
personne extérieure aux douanes camerounaises, celle de la corruption et des
mauvaises pratiques en général, des fonctionnaires comme des usagers.
L’ouvrage constitue un apport opportun et conséquent à l’histoire de
l’administration camerounaise et plus généralement témoigne des conditions
locales d’appropriation des principes de réforme qui traversent la communauté
douanière internationale contemporaine. Thomas Cantens 31

31. Thomas Cantens est chercheur à 2006 à 2010, il a été le conseiller du


l’Organisation mondiale des douanes. directeur général des douanes du
Il est également membre du centre Cameroun pour le compte de la
Norbert-Elias (EHESS, Marseille). De coopération française.

174 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Jean Ziegler
Destruction massive. Géopolitique de la faim 32

Cinquante ans après son premier livre consacré à


l’Afrique indépendante 33 , l’ancien député suisse,
professeur à l’université de Genève, rapporteur
spécial des Nations unies pour le droit à l’alimen-
tation de 2000 à 2008, n’a rien perdu de sa verve et
de sa pugnacité. Inlassablement, il utilise sa grande
connaissance du terrain pour fustiger les méfaits
du capitalisme dans ses franges, aux quatre coins
de ce que l’on appelait autrefois le Tiers-monde.
Hélas, trop souvent chez Jean Ziegler
l’anecdote sert d’argument pour construire la
thèse, certes étayée par des chiffres et des extraits
de rapports, mais qui ne laisse aucune place aux
contre-arguments. De plus, la dimension affective
n’est jamais exclue du propos, avec une alternance parfois déroutante de récits
de vie (dont celle très riche de l’auteur qui se présente comme sans cesse menacé
par les grands de ce monde), de l’état des lieux parfois bien documenté en passant
par la référence philosophique (avec une prédilection pour l’école de Francfort
d’Horheimet, Bloch et Marcuse). Cela donne souvent d’insolites circonvolutions.
La thèse de Jean Ziegler s’énonce simplement : le monde a faim parce
que le capitalisme accapare les terres des pays du Sud pour y produire des agro-
carburants et parce que la spéculation boursière a investi de domaine des den-
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rées alimentaires. Il qualifie de « crime contre l’humanité » le fait d’abandonner
les cultures vivrières au profit des agrocarburants.
Le propos s’organise en six séquences, chacune au nom évocateur.
« Le massacre ». Toutes les cinq secondes un enfant meurt de faim. Des dizaines
de millions sont victimes de la malnutrition, avec ses atroces séquelles physi-
ques et psychologiques. Les mécanismes de la faim sont saisis dans leur mise
en œuvre concrète et cynique. La sanction est prononcée. Ceux des pays du Sud
qui ont cherché le plus énergiquement leur intégration dans le marché mondial
sont aujourd’hui les plus durement frappés.
Le « réveil de la conscience » occidentale devant le drame de la famine doit
beaucoup à une figure du tiers-mondisme des années 1950, le médecin brésilien
Josué Apolônio de Castro, à qui Jean Ziegler emprunte d’ailleurs le titre de son
célèbre livre, Géopolitique de la faim 34 . Aujourd’hui les institutions des Nations
unies ne soulèvent plus guère l’intérêt de l’opinion publique. Certaines ont trahi
leur mission. L’attaque est cinglante contre le Fond monétaire international,

32. Seuil, 2011. 34. Josué Apôlinio de Castro, Ouvrières, coll. « Économie et
33. Sociologie de la nouvelle Afrique, Géopolitique de la faim, nouv. éd. Humanisme », 1971.
Gallimard, 1964. revue et augmentée, Les Éditions

 175

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
l’Organisation mondiale du commerce et la Banque mondiale – « les trois cava-
liers de l’Apocalypse » – derrière lesquels se profilent sournoisement les deux
cents transnationales de l’agroalimentaire, dont la plus inf luente et la plus
omniprésente, Cargill. Il est exact que la position oligopolistique de quelques
grands exportateurs (dix États dans le monde assurent actuellement 60 % des
exportations agroalimentaires mondiales, explique la grande volatilité des prix,
la défaillance de l’un a des incidences sur l’équilibre général des échanges et des
prix) dans un contexte marqué par l’abandon depuis vingt ans des politiques de
régulation des marchés et de protections agricoles.
Le réveil des consciences fut de courte durée. À la « destruction mas-
sive » à laquelle on assiste à présent, l’opinion des pays occidentaux oppose
aujourd’hui une indifférence glacée. Les conférences internationales, les réu-
nions d’experts, les séances de négociation se multiplient à Genève, à New York
et ailleurs. Jean Ziegler évoque le chiffre de dix mille réunions en 2010 sur les
droits de l’homme et en particulier le droit à l’alimentation. Autant de choral
singing pour reprendre une heureuse expression de Mary Robinson, ancien pré-
sident d’Irlande et haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme,
qui fait référence à la coutume irlandaise des chorales qui le jour de Noël vont
de maison en maison chantant d’une voix monocorde les mêmes refrains naïfs.
Les « ennemis du droit à l’alimentation » sont désormais trop puissants au sein
des Nations unies. Jean Ziegler les démasque et les dénonce sans nuance, sur le
ton de l’inquisiteur qu’aucun argument n’ébranle.
« Les ennemis du droit à l’alimentation ». Les méfaits du libéralisme
sont évidents. L’auteur prend cette image : sur un même ring de boxe s’affronte
Mike Tyson, le champion poids lourds, et un chômeur bengali sous-alimenté.
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Que disent les ayatollahs du dogme néolibéral ? L’égalité de la confrontation est
assurée puisque les deux combattants ont les mêmes gants de boxe, qu’ils ont le
même temps de combat et que ses règles sont identiques. Quant à l’arbitre, il est
impartial, puisque c’est le marché.
« La ruine du PAM ». Il parvient difficilement à assurer ses missions
d’urgence et l’impuissance de la FAO condamnée à la ruine s’expliquent par l’ab-
sence de moyens. La FAO est l’institution internationale impuissante s’il en fut.
D’abord dénoncée pour ses frais de fonctionnement exorbitants (son budget se
décompose en 70 % en salaire, 15 % en frais de consultation, pour ne laisser que
des miettes pour ses projets) et son manque d’efficacité, ce que l’observateur
impartial remarque aisément dans les pays où il se rend. L’institution de Rome,
la FAO, autre victime des intérêts agro-industriels, est ensuite vantée pour sa
ténacité et l’intelligence de sa direction. L’indignation est à son paroxysme.
« Les vautours de l’or vert ». Ils sont légion. L’accaparement des terres
est un sujet connu des lecteurs d’ Afrique contemporaine qui a consacré son
numéro 237 aux « investissements agricoles en Afrique ». Jean Ziegler lui ne
fait pas dans la nuance sur les agrocarburants : « Non seulement les agrocar-
burants dévorent chaque année des centaines de millions de tonnes de maïs, de
blé et autres aliments, non seulement leur production libère dans l’atmosphère

176 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
des millions de tonnes de dioxyde de carbone, mais, en plus, ils provoquent
des désastres sociaux dans les pays où les sociétés transcontinentales qui les
fabriquent deviennent dominantes » (p. 261). Il développe le cas du programme
Pro-alcool au Brésil pour dénoncer l’esclavage dont sont victimes les coupeurs
de canne à sucre.
Les « spéculateurs » enfin. Ils sont toujours à rechercher du côté des
sociétés de l’agrobusiness et des hedge funds qui spéculent sur les prix des den-
rées alimentaires. « La cupidité illimitée des oligarchies prédatrices du capital
financier globalisé l’emportent – dans l’opinion publique et auprès des gou-
vernements – sur toute autre considération, faisant obstacle à la mobilisation
mondiale » (p. 16). On aurait souhaité plus de détails sur les mécanismes de la
financiarisation spectaculaire du marché des biens alimentaires, devenues des
produits hautement spéculatifs, comme en témoigne l’indice d’activités de la
Bourse de Chicago où se négocient les options et les contrats à terme des céréa-
les et des oléagineux.
On regrette que tant d’informations collectées tant dans les meilleures
sources que sur le terrain ne soient pas mobilisées pour un exposé plus serein,
qui ressemble moins à un « règlement de comptes », qui laisse une place aux
arguments de l’« ennemi », ne serait-ce que pour mieux construire l’espérance
d’un changement radical que souhaite l’auteur. Pierre Jacquemot 35

Jean-Pierre Vettovaglia et al.


Médiation et facilitation dans l’espace francophone : théorie et pratique 36
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Cet ouvrage collectif est le premier de deux épais-
ses publications (plus de neuf cents pages chacune)
consacrées à la prévention des crises et à la pro-
motion de la paix à l’initiative du président Abdou
Diouf, secrétaire général de l’Organisation inter-
nationale de la francophonie, et éditées par un
comité de pilotage dirigé par le diplomate suisse
Jean-Pierre Vettovaglia. La trentaine d’auteurs va
de l’ancien président du Burundi, Pierre Buyoya,
à d’anciens hauts responsables d’organisations
internationales (Lakdar Brahimi pour l’ONU et
Edem Kodjo pour l’OUA), d’anciens ministres,
des diplomates et des spécialistes universitaires
du Nord comme du Sud, rassemblés par un souci
commun de contribuer à un ouvrage de référence sur la médiation qui soit une

35. Pierre Jacquemot a été développement au ministère de la 36. Prévention des crises et
coopérant, chef de mission de Coopération, puis au ministère des promotion de la paix, vol. I, Bruylant,
coopération (Burkina Faso, Affaires étrangères et ambassadeur 2010.
Cameroun), directeur du de France (Kenya, Ghana, RDC).

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
« source d’inspiration renouvelée pour l’action politique de la francophonie »
institutionnelle, comme le souligne le président Diouf dans sa préface.
Le plan de cet ouvrage massif s’ordonne en quatre parties suivant une
logique déductive et prospective : concepts et approches de la médiation et de
la facilitation ; démarches et dispositif francophones ; études de cas (limitées à
l’espace francophone) ; dynamiques, potentiels et défis. Le « trésor caché d’en-
seignements et de bonnes pratiques » qu’évoque l’introduction n’est donc abordé
qu’après une longue première partie générale et conceptuelle de 260 pages, qui
constitue un ouvrage en soi. Ceci caractérise nettement ce livre comme éma-
nant d’une culture de droit romain et d’une tradition intellectuelle à l’opposé de
l’empirisme anglais : ce n’est pas un hasard si la contribution venant en tête de
l’ouvrage, celle de Komi Tsakadi, commence par rappeler que le « terme généri-
que “médiation” vient du latin mediare ».
Malgré son orientation théorique, cette première partie est cependant
loin d’être aride et monotone. Elle s’ordonne autour de deux petits chef-d’œuvre
de réf lexion générale sur l’expérience diplomatique de la médiation au tournant
du xxie siècle, la contribution de Lakdar Brahimi et Salman Ahmed sur les
« sept péchés capitaux de la médiation » (traduction française d’un article paru
en anglais en 2008), suivie immédiatement de celle d’Ahmedou Ould-abdallah
sur les “conf lits dans le conf lit : médiations et médiateurs” qui propose une
sorte d’examen de conscience du médiateur moderne face à la mondialisation
des interventions et à la multiplication des acteurs extérieurs dans le traitement
de crises internes et à la montée de nouveaux concepts comme le state-building,
alors que « la Charte des Nations unies en son article 2, paragraphe 7, reconnaît
le droit des États à gérer leurs affaires domestiques en toute souveraineté ».
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Ces textes sont heureusement complétés par le vade-mecum des « lignes
directrices de la médiation » rédigé par Jean-Pierre Vettovaglia, comme une
tentative délibérément prudente dans la conceptualisation de « mise sur pied
de principes pragmatiques à respecter par le médiateur et les parties à une
médiation dans le cadre d’un processus de paix ». Cette expression minutieuse
d’un classicisme diplomatique nourrie de réf lexions universitaires récentes (et
« anglo-saxonnes ») examine jusqu’à la question du type de médiateurs adapté à
celui du conf lit lui-même (haute ou basse intensité) et des stratégies de média-
tion. Elle se conclue par un conseil fondamental : si l’on veut le succès, il convient
d’intervenir lorsque la crise est « arrivée à maturité », ce qui implique bien sûr
d’effectuer une analyse de conf lit rigoureuse, ce qui est encore loin d’être le cas
pour bien des acteurs francophones.
D’autres textes de cette première partie obéissent mal à son objet. Certes,
l’interview du président Buyoya sur son expérience personnelle, les monogra-
phies sur la diplomatie du président Omar Bongo, les médiations du Burkina
Faso, ou l’examen comparé du traitement des crises au Togo et à Madagascar,
etc., contribuent à aérer un texte qui aurait été trop aride s’il était resté à domi-
nante conceptuelle. Néanmoins, il est difficile de comprendre pourquoi de tel-
les contributions ont leur place ici plutôt que dans la troisième partie sur les

178 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
études de cas. Ceci pose le problème de la structure de l’ouvrage, qui pâtit mani-
festement du fait que le comité de pilotage a eu à gérer des contributions trop
diverses dans la forme et trop inégales en longueur comme en qualité.
La deuxième partie, très déséquilibrée en longueur (soixante-quinze
pages seulement) n’en est pas moins au cœur du sujet et se prolonge dans la
troisième partie : elle aborde la véritable thématique de cet ouvrage, qui est
l’expérience de la francophonie politique institutionnelle dans le domaine de la
médiation et de la facilitation depuis les années 1990, sujet généralement très
peu connu.
L’article bilan de Christine Desouches, alors conseiller spécial du secré-
taire général Abdou Diouf, qui fut au centre du dispositif francophone depuis
1988, est donc un pilier central du livre. Il décrit le cadre (celui d’un « espace
démocratique francophone »), recense les principes et les textes internes de réfé-
rence avant d’analyser l’engagement effectif de la francophonie et de se conclure
par un appel à accroître une coopération multiforme dans un cadre où, en temps
de paix comme en tant de crise, les « dynamiques endogènes consensuelles »
soient systématiquement favorisées, avec plus de volonté et de capacité dans la
prévention, qui reste, en francophonie comme ailleurs, très peu satisfaisante
actuellement. Il est donc regrettable que cet article traitant des questions fon-
damentales abordées par la francophonie dans le domaine de la médiation ne
soit suivi d’aucune analyse critique extérieure du bilan des médiations franco-
phones selon les principes de la recherche universitaire. Sur ce point, l’ouvrage
se révèle trop proche de son commanditaire pour répondre aux exigences d’un
travail scientifique.
Néanmoins, la synthèse de Christine Desouches est complétée dans la
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troisième partie par des études de cas allant de l’Afrique de l’Ouest (Casamance,
Mauritanie, Côte d’Ivoire) à l’Afrique centrale et orientale (Tchad, RDC, RCA,
Burundi) et à l’océan Indien (Comores) qui contiennent une foule d’informations
spécifiques et sont une mine pour les chercheurs. Cet ensemble est dominé par
le témoignage personnel du président Buyoya sur le processus de négociation de
paix au Burundi, qui constitue en soi une petite monographie indépendante et
un document d’histoire directe remarquablement structuré et argumenté, avec
une importante bibliographie.
La quatrième et dernière partie, plus prospective, permet d’aborder des
questions liées au rôle de la société civile (rôles des mécanismes traditionnels
de médiation et de la médiation parlementaire, remarquablement abordés par
l’ambassadeur burkinabè Mélégué Traore ; rôle des femmes dans la prévention
des conf lits par Kari Karamé qui, ce n’est pas un hasard, est chercheure à Oslo),
aspects sur lesquels la francophonie n’a pas en général mis un accent prioritaire.
À cet égard, on peut regretter l’absence dans cet ouvrage de contributions venues
du Canada qui auraient permis de développer une perspective bottom-up, avec
pour base la médiation communautaire, comme on la favorise traditionnelle-
ment en Amérique du Nord. L’article sur la médiation francophone dans la crise
tchadienne corédigé par un juriste spécialisé dans le droit de l’environnement,

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Georges Nakseu Ngefang de l’université de Montréal, ne répond pas à cette
attente. Cela souligne les limites d’un ouvrage qui a parfois préféré les signatu-
res aux analyses de fond, mais qui n’en reste pas moins une référence sans équi-
valent pour toute étude de la dimension francophone de ce phénomène majeur
de notre époque, le développement de la médiation/facilitation extérieure dans
les conf lits nationaux. François Gaulme 37

Martin N. Murphy
Somalia, The New Barbary? Piracy and Islamism in the Horn of Africa 38

Cet ouvrage, qui traite de la piraterie au large


des côtes somaliennes, est une exploration minu-
tieuse et très bien documentée de la question. Le
travail de Martin Murphy est un apport précieux
pour éclairer une problématique que les médias
abordent trop souvent de manière superficielle
et dans un registre plus émotionnel qu’objectif.
Il y analyse les attaques des pirates enregistrées
depuis le tournant des années 1980-1990 et l’évo-
lution des modes d’action, passe en revue leurs
auteurs et les commanditaires de ces derniers,
explorant les causes, diverses et changeantes, qui
sont à l’origine du phénomène et de son rapide
développement, et se penche sur les stratégies,
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notamment militaires et judiciaires, de la com-
munauté internationale pour y faire face.
C’est ainsi que l’auteur montre clairement que la piraterie est née au car-
refour de causes multiples, en partie globales et en partie propres à la Somalie,
qui vont d’une situation géographique favorable sur un des axes majeurs du
trafic maritime international, à l’inexistence d’un appareil d’État qui aurait la
volonté et les moyens de lutter contre ce phénomène, et des rivalités politiques
et économiques entre clans soucieux d’engranger des ressources financières, à
l’opportunité d’une activité très rentable, dont certains hommes d’affaire soma-
liens se sont emparés avec la même efficacité que lorsqu’ils ont développé un
des réseaux de téléphonie mobile les plus performants du monde.
Mais l’intérêt de l’ouvrage va bien au-delà de la question de la piraterie
et nombre des traits particuliers de la Somalie sont ici analysés. L’auteur com-
mence en rappelant le parcours heurté du pays depuis son indépendance en
1960, en insistant sur le pouvoir clanique et prédateur du régime du président

37. François Gaulme est historien, développement (AFD) et membre 38. Columbia University Press, 2011.
chargé de mission à la cellule du comité de rédaction de la revue
« Prévention des crises et sortie de Afrique contemporaine
conflits » à l’Agence française de (gaulmef@afd.fr).

180 notes de lecture Afrique contemporaine 240

Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
Syad Barré, jusqu’à la chute de ce dernier en 1991 au terme d’une guerre civile
menée par plusieurs clans concurrents et qui déboucha sur la partition du pays
avec l’indépendance du Somaliland. S’ensuivirent deux décennies caractérisées,
jusqu’à nos jours, par la succession d’épisodes d’« anarchie » souvent sanglante
et de plages de paix et de stabilisation, certes précaires mais qui montrent que
le désordre somalien n’est peut-être pas insoluble, pour peu que soient choisies
et soutenues des solutions correspondant à l’esprit du lieu.
Martin N. Murphy décortique les pistes de solution en question. Certaines
d’entre elles furent mises en œuvre par les Somaliens eux-mêmes, selon des modè-
les de gouvernance politique qui sont propres à leur société et en s’appuyant sur
des institutions sui generis. C’est ainsi que les tribunaux islamiques, réunissant
hommes d’affaire, chefs de clan et religieux avec l’objectif de restaurer la sécurité
des biens et des personnes et de permettre l’exercice d’un minimum de missions
de service public au profit des populations, s’avérèrent souvent raisonnablement
efficaces au niveau local, voire sur une large partie du pays quand ces tribunaux
se fédérèrent en une Union du même nom. Toutefois, l’expérience fut éphémère,
car mise à mal par le soutien des États-Unis à une coalition de seigneurs de la
guerre soucieux de rétablir leurs prérogatives, puis par l’invasion du pays par
l’armée éthiopienne.
La communauté internationale, de son côté, a également tenté à de mul-
tiples reprises de stabiliser le pays et d’y construire la paix. Mais, jetant parfois
de l’huile sur le feu, comme dans les deux cas mentionnés ci-dessus, s’efforçant
de réimplanter un modèle de gouvernement central fort, bien peu convaincant
pour les Somaliens qui n’ont pas oublié ce que ce modèle avait produit sous le
régime du président Syad Barré, et décalquant des institutions sur celles en
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vigueur dans les pays développés occidentaux, ces interventions, parfois paci-
fiques et parfois militaires, n’ont pas réussi à ce jour à atteindre les objectifs
qu’elles s’assignaient.
Le souci d’analyser aussi exhaustivement que possible le contexte dans
lequel fonctionne la piraterie somalienne a également conduit Martin N. Murphy
à aborder deux autres thèmes importants pour comprendre non seulement cette
dernière mais aussi, et plus largement, la situation du pays. Il s’agit en l’occur-
rence de l’islam ou, plus exactement, des islams car ce dernier est loin d’être
monolithique et immuable en Somalie, et du terrorisme. L’auteur met en doute
la dénonciation par certains partenaires extérieurs de la Somalie, au premier
rang desquels les États-Unis, des liens entre certaines factions sectaires de l’is-
lam, le terrorisme de groupes franchisés par Al-Qaïda et la piraterie proprement
dite. Dans la réalité, ces liens sont tout sauf démontrés, même s’il est probable
que les commanditaires de la piraterie soient parfois « taxés » par les mouve-
ments en lutte contre le gouvernement de Mogadiscio, mais ni plus ni moins que
d’autres acteurs économiques appelés à soutenir financièrement, nolens volens,
la guerre que mènent ces mouvements contre le dit gouvernement.
L’auteur avance qu’une des raisons de l’attention attachée par la commu-
nauté internationale à un phénomène objectivement marginal à l’aune du trafic

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux
transitant par les lieux où sévit le phénomène est peut-être le produit de la psy-
chose née des attentats terroristes de septembre 2001 aux États-Unis. À preuve,
la piraterie également présente sur d’autres mers, en particulier dans le golfe de
Guinée ou le détroit de la Sonde, est loin de bénéficier de semblable publicité.
En conclusion, et très sagement, Martin N. Murphy laisse percer une
certaine perplexité devant cet ovni qu’est la Somalie et face à l’imbroglio des
causes, tant intérieures qu’extérieures, qui pourrait décourager les meilleu-
res bonnes volontés cherchant à y reconstruire la paix et la stabilité. D’où ce
non moins sage conseil que toute solution, nécessairement politique, devra
être assise sur la compréhension fine d’un pays aussi complexe. Son ouvrage y
contribue de belle manière. Jean-Bernard Véron 39
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39. Jean-Bernard Véron est


rédacteur en chef de la revue Afrique
contemporaine et responsable de la
cellule « Prévention des crises et
sortie de conflit » de l’Agence
française de développement.

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Gustave Ngueda Ndiefouo, La Douane camerounaise a l'ere de la facilitation des echanges commerciaux

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