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Dynamiques rurales, Université de Toulouse 2 le Mirail. ngeforsanguv@yahoo.com
2
La notion polysémique d’élites est difficile à cerner. Nous l’entendons dans le sens des élites
entrepreneuriales, administratives, intellectuelles, ainsi que les élites traditionnelles, soit
l’ensemble des groupes sociaux qui contrôlent la société par leur influence, leur prestige,
leur richesse, leur pouvoir (politique, économique, moral ou intellectuel).
1.1 Le contexte
Les contestations actuelles dans le domaine politique peuvent être analysées
comme la recherche d'une émancipation des communautés et de leurs
organisations de la tutelle des structures du gouvernement central dans un
contexte de crise économique ayant conduit à des programmes d’ajustement
structurel drastiques. La crise politique au Cameroun a commencé dans les
années 1980, après la suppression des parlements régionaux et la proclamation
de la République. Les activités, auparavant décentralisées, ont été transférées à
l'administration centrale. En 1986, les réformes (sous l’influence du Fonds
monétaire international) ont engendré une réduction de 50% des salaires des
fonctionnaires. En 1994, le Franc CFA a été dévalué de 50%. Ces deux
phénomènes combinés ont conduit à une perte de pouvoir d'achat de 75% qui
n'a pas été compensée. Cette crise s’est assortie d’un affaiblissement significatif
de l'administration publique, se traduisant par une moindre pression sur les
villages. L’opposition, encadrée par le Social Democratic Front (SDF),
dominant dans la région du Nord-Ouest Cameroun, en a été renforcée.
Dans le secteur de l’eau, l’approvisionnement des populations dépend en partie
de facteurs climatiques. Par sa situation géographique, le pays présente une
grande diversité, avec au sud un climat équatorial (précipitations entre 2 000 et
10 000 mm/an), et au nord un climat presque sahélien (moins de 800 mm/an).
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Dans le secteur de l’eau, on est d’abord passé d’une gestion assurée par l'État
(SNEC) à la communauté villageoise, puis aux mairies (tableau 1).
seule dans la mesure où les régimes de gestion de l'eau sont étroitement liés au
contexte global de la société (Olivier de Sardan, 1995). Définie par le Global
Water Partnership (2004)4, la gouvernance de l'eau se réfère à la gamme des
systèmes politiques, sociaux, économiques et administratifs qui sont en place
pour réglementer le développement et la gestion des ressources en eau, ainsi
que la fourniture des services d'eau à différents niveaux de la société. Nous
adoptons ici cette approche large de la gouvernance, qui englobe tous les
modes de pilotage politico-socio-économique.
En dehors des liens formels comme ceux concernant les structures
réglementaires, les influences informelles telles que la culture politique de
participation peuvent avoir un effet sur la gouvernance de l'eau (Breuil, 2005).
En effet, des études empiriques révèlent que le contexte culturel a une influence
significative sur les processus participatifs. L’arène des acteurs informels peut
agir comme un élément structurant pour accroître la capacité d'adaptation des
modes de gouvernance de l'eau. La présence d’institutions5 informelles aide à
maintenir la flexibilité indispensable pour répondre aux défis émergents
puisqu’elles sont “spontanément” acceptées par les populations, les institutions
formelles étant trop rigides et sans souplesse. La participation “spontanée” est
entravée lorsque les règles sont imposées par le haut. La population peut cesser
de participer à toute action lorsqu’elle n’a pas été associée.
Néanmoins, le manque de responsabilité et de règles explicites en cas
d’informalité excessive peut créer des situations d'arbitraire et une gestion de
l'eau difficile. La participation “spontanée” n’est possible que lorsqu'il existe
une articulation, voire une hybridation, entre les règles formelles et informelles.
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Organisme international qui s’occupe de la gestion de l’eau et qui a des branches nationales
dans beaucoup de pays, avec par exemple le Global Water Partnership Cameroun.
5
Nous utilisons le mot “institutions” pour désigner les règles formelles et informelles qui
régissent le comportement des êtres humains. Les institutions formelles comprennent les
lois et les règlements, les structures organisationnelles et les procédures formelles. Les
institutions informelles peuvent être définies comme des règles socialement partagées,
généralement non écrites, qui sont créées, communiquées et appliquées en dehors des
canaux officiellement reconnus (Baron, 2005).
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Le terme “redevabilité” utilisé pour traduire le mot “accountability” signifie la capacité des
citoyens à contrôler leurs dirigeants et leur aptitude à répondre aux attentes de la société.
2. L'ÉVOLUTION DE L'APPROVISIONNEMENT EN
EAU À KUMBO : ANTAGONISME ENTRE
AUTORITÉS POLITIQUES ET ORGANISATION
COMMUNAUTAIRE
La situation politique au Cameroun dans les années 1990 s’est dégradée. Les
citoyens, mécontents suite à la manipulation des élections, n'avaient aucun autre
moyen de montrer leur désapprobation vis-à-vis de l’État qu’à travers une
affaire locale. Cette situation s'est aggravée quand ils se sont rendus compte que
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2.1.1 Kumbo
Kumbo est le siège administratif du Département de Bui dans la région du
Nord-Ouest du Cameroun, l'une des dix régions du pays. Il est localisé à 110
7
Entendu comme un contre-pouvoir susceptible de négocier avec les partenaires publics la
mise en place d’un modèle se société non imposé par l’État.
Ministère de Mairie
Soutien extérieur
l’Eau et de (2009- 2011)
l’Énergie, SNEC Gestion et soutien
(1974 -1991) technique HELVETAS
Soutien
t h i
Association et
élites (NSODA ;
période transitoire
PROJET DE Redevabilité de 1991/92)
KUMBO (KWA)
économiques et politiques
gouvernement canadien
Bénéfices socio-
Soutien du
Soutien
par femme), ce qui a été estimé à 80 millions FCFA8. Lorsque le projet a été
achevé, il y avait 74 bornes-fontaines gratuites. Le financement provenait du
gouvernement canadien (325 millions FCFA), de la République Fédérale du
Cameroun et du gouvernement de l'Ouest Cameroun. Le nombre important
d’intervenants dans le financement du projet fait que le groupe Kumbo Water
Authority se revendique de plusieurs propriétaires. Deux points de vue tout
aussi convaincants, mais contradictoires, s’opposent. Pour les uns, le projet est
considéré par la population comme une initiative entièrement communautaire,
avec le soutien financier du gouvernement canadien et les élites Nso. Dans cette
optique, les membres de la communauté ont toujours considéré le projet
d'approvisionnement en eau comme leur appartenant et ils récusent toute
intervention de l'État. Pour d’autres, qui bénéficient du soutien de l'État, il
relève de la propriété publique, étant donné le rôle technique et diplomatique
du gouvernement du Cameroun dans sa réalisation. Par conséquent, l'État a
toujours considéré le projet comme relevant de sa compétence comme les
autres systèmes d'approvisionnement en eau pour lesquels il impose les tarifs.
8
La preuve de ces contributions peut être trouvée dans les reçus délivrés par le Département
pour le développement urbain (Public Works Department), qui a supervisé la collecte de la
redevance.
CONCLUSION
Cet article avait pour but de montrer comment l'organisation communautaire
dans la région du Nord-Ouest du Cameroun a influencé les relations entre les
collectivités locales et la politique à travers la gestion de l'approvisionnement en
eau. L'objectif spécifique était d'analyser les réactions des populations face à la
politique étatique ainsi que leur impact sur la gestion de l'approvisionnement en
eau. Il nous a permis de discuter du concept de communauté dans ses
dimensions perceptive, fonctionnelle et politique. L'argument que nous
retenons ici est que les communautés peuvent réagir très violemment face aux
actions gouvernementales en utilisant l’adduction d'eau potable comme un
prétexte. Nous attribuons ce phénomène à la complexité du processus
historique des politiques nationales qui prétendent prendre en compte les
réalités locales alors que celles-ci sont ignorées quand elles n'ont aucun lien avec
les intérêts politiques nationaux.
Cette situation confirme la nécessité de rechercher une complémentarité entre
l'organisation traditionnelle des villages, l’État et les ONG, comme le montre
l’exemple de la gestion locale de l'eau à Kumbo. Les contributions extérieures
sont les bienvenues, mais elles ont une chance accrue d’être acceptées si elles
s’intègrent dans l'organisation communautaire en place. Nous avons par ailleurs
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