REBONDIR FACE À LA CRISE : CONSTRUIRE UNE ENTREPRISE

VIGILANTE, RÉSILIENTE ET AGILE

Louis Hébert

HEC Montréal | « Gestion »

2009/3 Vol. 34 | pages 20 à 22

ISSN 0701-0028
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 Réflexion
Rebondir face A la crise
construire une entreprise
vigilante, résiliente et agile1
L’auteur
Louis Hébert
i Dans le doute, agir
L
es bouleversements économiques et financiers actuels
touchent la grande majorité des entreprises, de quel-
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que industrie ou secteur qu’elles soient. Avec le flot
continu de nouvelles, rarement bonnes, que les médias
véhiculent, ces bouleversements sont une source
d’inquiétude et d’incertitude. Pour les entreprises et les diri-
geants, les circonstances actuelles soulèvent toute une série
de questions :
• Comment faire face à l’incertitude actuelle? Peut-on la gérer
ou la réduire?
• Doit-on changer notre stratégie ou garder le cap?
• Peut-on simplement «couper» et licencier ou faut-il plutôt
penser à transformer notre entreprise, son organisation et
sa structure?
• Faut-il agir maintenant ou attendre?
• Sommes-nous capables de changer? Sinon, quels obsta-
cles au changement faut-il surmonter?
Bien sûr, ce sont les réponses à ces questions qu’il est
important de considérer. Et nous observons que plusieurs
entreprises réussissent à «piloter» dans cette tempête. Elles
s’appuient sur des compétences stratégiques qui leur permet-
tent de mettre en œuvre des stratégies et des pratiques qui
portent des fruits. Ce texte vise à présenter ces compétences.
Notons qu’il ne s’agit pas tant de prescriptions à suivre au pied
Louis Hébert est professeur titulaire à HEC Montréal, louis.hebert@hec.ca.
20
de la lettre que de quelques principes pouvant orienter les
réflexions et l’action dans le contexte turbulent que nous
connaissons.
L’action s’avère importante face à l’incertitude. Ce qui dis-
tingue d’ailleurs plusieurs entreprises performantes dans la
situation actuelle, c’est leur ferme volonté d’éviter de faire du
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surplace. Pour elles, rester immobiles alors que leur marché
se transforme n’est pas une option. Les stratégies et les tacti-
ques mises en œuvre sont multiples. Par exemple, plusieurs
rationnalisent leurs opérations pour réduire leurs coûts. D’autres
offrent des produits plus bas de gamme pour répondre aux
changements de la demande. Au-delà de ces tactiques, toute-
fois, il faut s’attarder à ce qui permet à ces entreprises de
mieux agir et réagir que les autres. À cet effet, il semble que
ces entreprises se démarquent de trois façons. D’abord, elles
redoublent de vigilance par rapport à leur environnement d’af-
faires. Ensuite, elles misent sur leur résilience. Enfin, elles font
preuve d’agilité. Examinons de plus près ces trois compétences.
Redoubler de vigilance
Cette capacité d’agir face à des conditions économiques
difficiles s’appuie d’abord sur une compétence que l’on remar-
que chez plusieurs entreprises, soit l’élévation du degré de
vigilance de la part de la direction. Il ne s’agit pas ici d’une
simple vigie ou d’une veille concurrentielle, mais de la volonté
de la direction de se rapprocher de son environnement. La
direction veut exercer une «écoute rapprochée» de ses clients
et concurrents en vue de reconnaître aussi rapidement que
possible les occasions souvent camouflées par la complexité
et l’instabilité de l’environnement. De même, il s’agit de repé-
rer sans délai les menaces afin d’évaluer les vulnérabilités de
l’entreprise. Même dans une période de récession, des occa-
sions peuvent apparaître. On peut, par exemple, profiter des
difficultés financières d’un concurrent qui vient d’être abandonné
par ses clients. Ces clients peuvent soudainement se montrer
plus réceptifs à de nouvelles propositions. Des ressources de
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
 gestion clés sont aussi susceptibles d’être disponibles. De
plus, pour les entreprises ayant une bonne situation financière,
des occasions d’acquisition peuvent se présenter.
Dans tous ces cas, une entreprise vigilante peut réussir à
se renforcer malgré les conditions économiques défavorables.
La récession actuelle a pour conséquence d’accélérer la trans-
formation de plusieurs secteurs d’activité. Il suffit de penser
aux difficultés que vivent l’industrie automobile, celle des pâtes
et papiers de même que plusieurs journaux et imprimés. Le
marché de la publicité est aussi fortement touché avec la ten-
dance de plusieurs entreprises à déplacer leur publicité vers le
Web aux dépens des imprimés. Cette transformation rapide
de plusieurs secteurs souligne l’importance d’une plus grande
vigilance de la part des dirigeants.
Bâtir une entreprise résiliente
Si la vigilance permet de découvrir les menaces et les occa-
sions, encore faut-il qu’une entreprise puisse compter sur les
ressources et les compétences requises pour agir. Plusieurs
entreprises accordent ainsi un intérêt particulier à leur rési-
lience, c’est-à-dire à leur capacité d’absorber un choc prove-
nant de leur environnement d’affaires, comme une récession.
On constate que les difficultés de plusieurs entreprises ne
s’expliquent pas seulement par des facteurs externes et les
conditions économiques. Parfois, elles sont aussi dues à la
fragilité de l’entreprise, à la mise en œuvre de décisions ris-
quées ou à des changements qui ont tardé à venir. Plusieurs
entreprises en difficulté le sont justement parce qu’elles ont
hésité à procéder à des changements et à des restructurations
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alors que le climat économique le permettait.
Dans ce contexte, on comprend l’importance de miser sur
la résilience, une compétence qui a plusieurs facettes. La rési-
lience est d’abord financière et concerne l’endettement, la
solvabilité de l’entreprise et la qualité de ses relations avec ses
actionnaires et ses créanciers. Elle est aussi opérationnelle,
touchant l’efficience des opérations et la chaîne d’approvision-
nement – une entreprise peut en effet être solide mais dépen-
dre de fournisseurs qui, eux, sont fragiles. Enfin, la résilience
porte sur son marketing, la solidité de son réseau de distribu-
tion et la solvabilité de ses clients, notamment. Les tactiques
de résilience visent en somme à soutenir la pérennité de l’en-
treprise. Elles veulent lui permettre de survivre à court terme
sans la fragiliser ni hypothéquer son avenir. Pour bâtir une
entreprise résiliente, la direction doit consolider ses sources
de capital et d’approvisionnement, améliorer l’efficience de ses
opérations et compter sur une position stable sur ses marchés.
Faire preuve d’agilité
Les entreprises performantes dans le contexte actuel ne
se contentent pas d’être vigilantes et résilientes. Elles démon-
trent aussi une impressionnante agilité stratégique, une capa-
cité unique de mettre en œuvre des initiatives stratégiques.
Ces entreprises réussissent à surmonter les obstacles et les
résistances qui peuvent nuire à la mise en œuvre d’actions
stratégiques. L’entreprise agile intervient rapidement. Elle par-
vient à modifier son offre de produits et de services, à la per-
sonnaliser et à la repositionner selon l’évolution de ses marchés.
Au besoin, elle peut modifier son modèle d’affaires et même
le remettre en question, quitte à en mettre au point un nou-
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veau qui soit mieux adapté à son environnement changeant.
L’agilité s’appuie aussi sur des opérations à la fois efficientes
et flexibles, ce qui permet justement d’introduire ces change-
ments.
Pour comprendre l’agilité de ces entreprises, il ne faut pas
se limiter à leurs initiatives observables. Il faut également
regarder leur organisation en prêtant attention à leur structure,
à leur culture et à leurs systèmes et processus de gestion.
C’est cette organisation qui en quelque sorte rend possibles
ces initiatives. L’entreprise agile se distingue de plusieurs
façons. Notamment, elle tire profit du potentiel des technolo-
gies de l’information disponibles comme les systèmes ERP et
SAP. Elles ont recours systématiquement à des pratiques
reconnues, comme la gestion par projet, les équipes multi-
fonctionnelles, les tableaux de bord et de gestion de la perfor-
mance ainsi que les processus d’amélioration continue. Ces
pratiques favorisent à la fois la flexibilité et le changement en
douceur tout en assurant l’efficience des opérations. Elles
comptent aussi sur une équipe de direction cohésive, bien
intégrée et qui prêche par l’exemple. L’équipe de direction
comprend que son rôle est entre autres de créer un contexte
organisationnel qui appuie l’agilité de l’entreprise.
i
Pour y arriver : transformer, innover
et collaborer
Nous constatons donc que, pour composer efficacement
avec la situation présente et même en profiter pour distancer
ses concurrents, une entreprise doit être vigilante, résiliente
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et agile. Toutefois, il n’existe pas de recette pour construire du
jour au lendemain ce type d’entreprise qui se distingue des
autres. Au contraire, c’est un travail de longue haleine qui
demande discipline et engagement. Pour y arriver cependant,
il est important d’adopter certaines actions dès maintenant.
Encore là, les expériences d’entreprises performantes témoi-
gnent de l’importance d’agir de manière rapide et décisive. La
situation économique que nous traversons crée des condi-
tions pouvant favoriser l’action plutôt que l’immobilité. Pour
réussir, en somme, il ne faut pas hésiter à se transformer
immédiatement, à privilégier l’innovation et à encourager un
climat de coopération tant avec les partenaires d’affaires
qu’avec les employés.
Transformer maintenant
Pour plusieurs dirigeants, les conditions actuelles présen-
tent une «fenêtre d’opportunité» unique pour proposer des chan­
gements qui, dans d’autres circonstances, seraient impossibles
ou trop longs à implanter. Le personnel de l’entreprise est
généralement conscient des difficultés auxquelles il se heurte
sur les marchés. Il est sans doute davantage ouvert à des
changements plus importants, radicaux et rapides que d’habi-
tude. Même pour lui, le statu quo peut ne plus être une option
valide. On note ainsi que des dirigeants tentent de tirer parti
de ce contexte particulier, qui se prête davantage à des chan-
gements cruciaux. On parle ici entre autres d’une restructu­
ration de l’organisation de l’entreprise et de son comité de
direction. C’est aussi un moment que certains jugent appro-
prié pour se départir d’activités qui ne cadrent plus avec le
positionnement stratégique de l’entreprise ou pour accélérer
21
 la mise en œuvre de changements majeurs à son modèle
d’affaires. L’objectif de cette transformation n’est pas seule- Note
ment de composer avec un environnement instable ou de 1. Ce texte présente une brève synthèse d’idées qui ont été discutées
profiter des faiblesses des concurrents. Il s’agit aussi de posi- lors du colloque «Stratégie et marché» organisé à HEC Montréal
tionner correctement l’entreprise pour qu’elle puisse bénéfi- le 7 avril 2009. Cet événement avait invité des dirigeants reconnus
cier au maximum de la croissance qui suivra la fin de la crise. comme Jacques Landreville, jusqu’à récemment président
Toutefois, pour que cette transformation de l’entreprise puisse d’Uni-Sélect, Christian Hélie, président de Pélican Sport, Pierre
Marcouiller, président de Camoplast, et Jacques Daoust, président
s’effectuer, il faut que le dirigeant ait une idée très claire de
d’Investissement-Québec. Cette rencontre s’inscrivait dans une
ses priorités, à court et à long terme. série de quatre colloques, intitulée «Devenir plus fort en temps
de crise», organisée par le Centre de formation des cadres et
Innover pour survivre des dirigeants de HEC Montréal.
Les conditions actuelles forcent la majorité des entreprises
à réduire leurs dépenses et leurs investissements; la chasse
aux coûts, qu’ils soient fixes ou variables, est ouverte. Cela
constitue aussi une question de viabilité et de survie pour plu-
sieurs. Des entreprises adoptent toutefois une attitude très
stratégique dans cette chasse aux coûts. Si des compressions
ou des rationalisations sont nécessaires, on y recourt pour
dégager une marge de manœuvre. Celle-ci pourra par la suite
être investie dans des activités visibles pour le client. Mais
surtout, les entreprises misent sur l’innovation pour rebondir
dans ces temps difficiles. Plusieurs maintiennent, sinon aug-
mentent, leurs investissements en recherche et développe-
ment ainsi que dans le développement de nouveaux produits.
Elles tablent sur l’innovation pour se distinguer et distancer
leurs concurrents qui, eux, se retranchent. En définitive, l’inno-
vation est au cœur de leur stratégie, et encore plus dans un
contexte de récession.

Collaborer
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On constate aisément que les entreprises qui se montrent
agiles et qui réussissent à se transformer et à innover favori-
sent une culture fondée sur la collaboration tant à l’interne
qu’à l’externe. Elles s’appuient sur des partenaires, des four-
nisseurs et des clients avec lesquels elles entretiennent des
relations particulières. C’est dans des conditions adverses
qu’il est important de pouvoir compter sur un tel réseau. Par
ailleurs, à l’interne, ces entreprises s’appuient sur le travail en
équipe et sur la collaboration avec le personnel. On assiste
d’ailleurs à la multiplication des équipes de travail faisant appel
à plusieurs disciplines et fonctions. Ces équipes de travail, qui
sont une preuve tangible de collaboration, permettent des
synergies uniques à partir des compétences de l’entreprise.
Elles soutiennent le changement et servent de catalyseurs à
l’innovation.

i Conclusion
Malgré les difficultés auxquelles les entreprises font face,
il existe différentes stratégies et options. L’important, dans le
contexte présent, c’est d’aspirer à construire une organisation
vigilante, résiliente et agile. Pour y arriver, il ne faut pas hésiter
à saisir l’occasion de se transformer, à investir dans l’innova-
tion et à encourager la collaboration avec tous les partenaires.

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