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ÉMOTIONS, ORGANISATION ET MANAGEMENT : UNE RÉFLEXION

CRITIQUE SUR LA NOTION D'INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE

Jean-François Chanlat

Martin Média | « Travailler »

2003/1 n° 9 | pages 113 à 132


ISSN 1620-5340
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Émotions, organisation
et management :
une réflexion critique sur la notion
d’intelligence émotionnelle
Jean-François CHANLAT

Résumé. Le monde de la gestion, notamment en Amérique du Nord,


s’intéresse de plus en plus aux émotions. Au cours des dix dernières
années, ce mouvement a tourné très largement autour de la notion
d’intelligence émotionnelle. L’objet de cet article est de resituer cette
question dans le contexte et de montrer combien la notion d’intelli-
gence émotionnelle fait l’impasse sur un certain nombre de points et
est reliée à la culture américaine. Summary p. 132. Resumen p. 132.
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epuis quelques années, le monde de la gestion, notamment an-
glo-saxon, a développé un fort engouement pour les émotions
(Raz, 2000 ; Briner, 1999 ; Askhenasy, Zerbe et Hartel, 2000 ;
Fineman, 2002 ; Payne et Cooper, 2001 ; Noon et Blyton, 2002). Ce
mouvement touche à la fois les entreprises, les cabinets de conseils,
les éditeurs, les journaux, les magazines spécialisés, les revues scien-
tifiques et professionnelles, les programmes de formation et les écoles
de management. Il suffit de procéder à une simple recherche sur Inter-
net pour s’en convaincre aisément. On retrouve des centaines de mil-
liers d’entrées sous les rubriques : Emotion intelligence and manage-
ment, Emotion and organization, Emotion at work, Emotional labour,
etc. Dans les autres pays, notamment francophones, il existe égale-
ment un mouvement dans ce sens, notamment dans certains pro-
grammes de formation en gestion très influencés par la production
américaine.

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Jean-François Chanlat

Cet intérêt considérable pour les émotions n’a pas, à ma connais-


sance, jusqu’à présent produit une réflexion critique, notamment en France.
Par cet article, j’aimerais modestement y remédier. Car le sujet est d’im-
portance pour une revue comme Travailler, dont l’objet est de faire pro-
gresser la réflexion sur les rapports psychiques que les humains entretien-
nent avec leur travail. Il l’est d’autant plus que ce numéro publie un dossier
sur les travaux que poursuivent les sociologues anglo-américains autour des
émotions au travail (emotion work), dont les idées sont par ailleurs fort dif-
férentes de celles que je vais présenter dans cet article. Notre article se divi-
sera de la manière suivante : Dans un premier temps, nous exposerons un
bref rappel historique sur la question ; dans un deuxième temps, nous pré-
senterons les principales causes et le contexte de cet engouement pour l’in-
telligence émotionnelle ; dans un troisième, nous tenterons de présenter les
limites de cette perspective pour conclure sur ce que nous inspire un tel
mouvement dont les sources sont principalement américaines.

Émotions, organisation et management :


un bref rappel historique
De la logique des sentiments des relations humaines à la satisfaction
au travail (1930-1990)
Si les chercheurs d’origine anglaise en organisation n’ont pas tou-
jours été passionnés par la question des émotions, il reste que le sujet n’est
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pas nouveau dans le champ. En effet, dès les premiers travaux du courant
des Relations humaines, durant les années trente, le thème des émotions est
abordé sous d’autres vocables : sentiments, ambiance, moral, etc. On se
souvient de la logique des sentiments, présentée par Roethlisberger et
Dickson, dans l’ouvrage le plus célèbre de ce courant (1939 ; 1983), dans
lequel ils écrivaient : « Il y a un autre système d’idées et de croyances que
nous désignerons par la logique des sentiments : ce sont les valeurs qui se
situent au cœur des relations interpersonnelles des différents groupes de
l’organisation… Cette logique, comme son nom l’indique, est profondé-
ment enracinée dans les sentiments et les sensibilités. » Ils ajoutaient un
peu plus loin que cette logique était présente autant chez les employés que
chez les cadres. Même si la logique du coût et la logique de l’efficacité
étaient dominantes dans ce que l’on appellerait aujourd’hui le « manage-
ment ». Dans ce schéma, la performance des employés était déjà reliée à
des aspects que l’on qualifierait aujourd’hui d’émotionnels. À la même
époque, quelques chercheurs, comme Munsterberg, ont mis aussi l’accent

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sur la joie au travail (1912). Au cours des années quarante et cinquante, le


moral devint un concept très en vogue auprès des psychologues industriels,
notamment pour ceux qui travaillaient avec l’armée. Mais, comme le sou-
ligne avec raison Fineman, cette notion avait une signification particulière.
Elle renvoyait au degré d’attachement et au sentiment d’appartenance so-
ciale d’une personne et à son degré d’implication par rapport à la tâche col-
lective et à l’esprit de groupe (1996). Dans les années cinquante, des re-
cherches dans les organisations et sur les petits groupes, inspirées par la
posture psychanalytique, voient le jour à l’institut du Tavistock de Londres
(Jaques, 1951 ; Bion, 1956). Ce mouvement aura des répercussions en
France puisqu’il influencera en partie le courant psychosociologique (Ba-
rus-Michel, Enriquez et Lévy, 2002). Contrairement au mouvement de re-
cherche actuel sur les émotions qui demeure très largement dicté par une
vision de l’acteur conscient, idée sur laquelle nous reviendrons un peu plus
loin, ces derniers courants mettront en évidence le rôle de l’inconscient
dans la vie sociale.
Des années cinquante aux années soixante-dix, les recherches dans
les pays anglo-saxons s’attarderont surtout à la motivation et à la satisfac-
tion au travail. Cette dernière en renvoyant à une expérience vécue du tra-
vail touche des aspects que l’on relie aux émotions, comme l’amour ou la
haine de son travail. Depuis les années soixante-dix, la recherche dans le
domaine du comportement humain s’est beaucoup orientée vers les aspects
cognitifs. L’accent mis sur l’information, la décision, la pensée, la résolu-
tion de problème, a rejeté dans l’ombre les aspects affectifs (Chanlat, 1990).
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Certains ont toutefois tenté de connecter les aspects cognitifs et émotifs et
de déterminer le rôle qu’ils tenaient dans les performances de l’organisation
(Park, Sims et Motowildo, 1986), car ces chercheurs pensent que les affects
ont une influence sur le jugement managérial. Dans ce registre, il faut éga-
lement souligner les travaux qui sont développés dans des écoles de gestion
sur la question du leadership et qui partent d’une posture psychanalytique.
On tente alors de comprendre le comportement du manager et/ou du diri-
geant à partir de sa personnalité profonde (Levinson, 1987 ; Zaleznik,
1989 ; Kets de Vries, 1984 ; Lapierre, 1994, Amado, 1994), de constater les
effets produits sur la dynamique de l’organisation (Kets de Vries et Miller,
1985 ; Schwartz, 1990) ou encore de critiquer la notion même de leadership
(Sievers, 1993). Un autre aspect évoqué également par Fineman dans sa ré-
cente revue de la littérature sur le sujet : ce sont les travaux qui ont surgi au
cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix sur les émotions posi-
tives. C’est ainsi que d’aucuns s’intéressent au plaisir au travail (Abramis,
1987), à la fierté (Frese, 1990), à l’amélioration des conditions physiques de

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travail, à la transformation de la culture ou à l’amélioration des communi-


cations (Argyle et Martin, 1991) afin d’instiller un sentiment de joie au tra-
vail. Certains vont même à déclarer que l’amour, l’empathie, l’enthou-
siasme sont des conditions sine qua non du succès et de l’excellence
organisationnelle (Peters et Austin, 1985). Mais c’est l’ouvrage de Daniel
Goleman, psychologue et journaliste au New York Times, intitulé L’Intelli-
gence émotionnelle (1995 ;1997) et inspiré de nombreuses recherches en
psychologie, éducation, et neurologie, qui fournira une impulsion extraor-
dinaire à ce mouvement contemporain autour des émotions, notamment
dans l’univers de la gestion.

De la satisfaction au travail à l’intelligence émotionnelle


(1990 à aujourd’hui)
De l’intelligence émotionnelle : rappel de quelques éléments clés
Historiquement, quand les psychologues des pays anglo-saxons se
sont intéressés à l’intelligence, ils se sont tournés, comme d’ailleurs leurs
homologues d’autres régions du monde, vers les aspects essentiellement co-
gnitifs. On met alors l’accent sur la mémoire, les raisonnements logiques, la
capacité d’abstraction, etc. S’il existait des psychologues qui soulevaient
l’existence de qualités non intellectuelles, il reste que leur travail n’a guère
retenu d’attention jusqu’au moment où un psychologue américain, Gardner,
se mit à écrire sur les différentes formes d’intelligence (1983) et, notam-
ment, sur les intelligences intrapersonnelle et interpersonnelle. Selon lui,
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ces formes étaient aussi importantes que l’intelligence mesurée par le QI.
Dans le domaine de la psychologie organisationnelle, comme le rap-
pelle Cherniss dans une récente publication, des travaux émergent dès les
années quarante (2000). C’est ainsi qu’un certain nombre d’études se sont
en effet tournées à l’époque vers le rôle de la considération dans le leader-
ship (Hemphill, 1959), ou encore vers celui de la confiance mutuelle, du
respect et d’une certaine chaleur affective dans la relation supérieur-subor-
donné (Fleishman et Harris, 1962). Au même moment, le bureau des ser-
vices stratégiques développait un processus d’évaluation du personnel qui
intégrait des aspects cognitifs et non cognitifs. Ce processus déboucha sur
l’idée d’assesment center, laquelle fut pour la première fois mise en pra-
tique dans le secteur privé par AT et T en 1956 (Bray, 1976). De nom-
breuses dimensions mesurées par ces centres d’évaluation incluaient déjà
des compétences sociales et affectives (Thornton et Byham, 1982). Mais
c’est à Salovey et Mayer que l’on doit, en 1990, l’apparition du vocable
« intelligence émotionnelle » qu’ils définissent ainsi :

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« Une forme d’intelligence sociale qui implique l’aptitude à contrô-


ler ses propres émotions et celles des autres, à discriminer entre elles et à
utiliser cette information pour guider à la fois sa pensée et son action » (Sa-
lovey et Mayer, 1990).
C’est à partir de la connaissance de ces travaux et de nombreux
autres menés en neurologie, notamment, que Goleman, un ancien élève de
David McClelland à Harvard, célèbre dans les écoles de management pour
sa théorie du besoin de réalisation (1961), livre sa réflexion et popularise
dans le monde entier cette notion. Depuis lors, les publications se multi-
plient par milliers. Dans le monde de la gestion, la très grande majorité
d’entre elles se penchent, comme on s’en doute, sur les liens que l’on peut
établir entre l’intelligence émotionnelle et les performances de l’organisa-
tion. Nous en rappellerons ici les quatre points clés :
1) l’intelligence émotionnelle est un bien meilleur indicateur de perfor-
mance future que le QI ;
2) l’intelligence émotionnelle est associée au succès personnel ;
3) l’intelligence émotionnelle est le résultat d’un processus d’apprentis-
sage ;
4) le développement de l’intelligence émotionnelle est un impératif pour
les organisations.

L’intelligence est un bien meilleur indicateur de performance future que le QI


Un grand nombre de travaux sont dévolus à mesurer les perfor-
mances respectives des quotients cognitifs et émotionnels. Les résultats
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montrent, selon les chercheurs américains, que le QI est un indicateur peu
fiable pour ce qui concerne la performance au travail (Sternberg, 1996).
Pour citer un exemple, une recherche a été menée auprès de quatre-vingts
PhD en sciences, qui avaient passé dans les années cinquante une batterie de
tests de personnalité, de QI et des entretiens quand ils étaient étudiants.
Quarante ans plus tard, ils furent recherchés et une estimation de leur suc-
cès respectif à partir de leur CV fut établie, à partir d’évaluations réalisées
par des collègues, experts dans leur discipline et en puisant dans des
sources bibliographiques comme American Men and Women of Science.
On a découvert que les aptitudes émotionnelles et sociales étaient quatre
fois plus importantes que le QI dans la détermination du succès et du pres-
tige professionnel (Feist et Barron, 1996). Si l’on ne niait pas la pertinence
des qualités intellectuelles pour faire des études doctorales, ce qui eût été
totalement absurde, on observait qu’après avoir été admis les facteurs so-
ciaux et émotionnels étaient déterminants. Goleman lui-même, dans un
article publié dans la Harvard Business Review, largement cité, n’hésite

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pas à déclarer : « Quand j’ai calculé les quotients d’aptitudes techniques,


d’intelligence et d’intelligence émotionnelle (sur la base de modèles de
compétence provenant de 188 entreprises) comme éléments d’une excel-
lente performance, l’intelligence émotionnelle était deux fois plus impor-
tante que les autres quotients pour n’importe quel emploi, et ce, quel que
soit le niveau […] En outre, mon analyse a montré que l’intelligence émo-
tionnelle jouait un rôle croissant dans les échelons plus élevés de l’entre-
prise, là où les différences en matière d’habiletés techniques sont d’une im-
portance négligeable. » (1998). Dans certains écrits, on affirme même que
l’intelligence émotionnelle améliore le fonctionnement cognitif. On fait
ainsi appel à une recherche largement citée par ce courant, the marshmal-
low studies, faite à Stanford, auprès d’enfants de quatre ans à qui il fut de-
mandé de rester seuls dans une salle où se trouvait un morceau de gui-
mauve et d’attendre le retour du chercheur, en promettant deux guimauves
s’ils ne mangeaient pas celui qui était sur la table. On a découvert que, dix
ans plus tard, ceux qui avaient résisté à la tentation avait un score SAT (test
intellectuel) de 210 points plus élevé que ceux qui en avaient été incapables
(Shoda, Mischel et Peake, 1990).

L’intelligence émotionnelle est associée au succès personnel


À partir de nombreuses études de psychologie, de psychologie so-
ciale et de neuropsychologie, les chercheurs américains ont donc conclu
que les qualités sociales et émotionnelles jouaient un très grand rôle dans
le succès personnel. Il serait fastidieux de citer ici toutes les études de ce
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type, mais ce qu’elles tendent à montrer, selon eux, c’est que les personnes
qui sont capables de contrôler leurs émotions, de faire preuve d’enthou-
siasme et d’empathie, connaissent des résultats largement supérieurs en
termes professionnels à ceux qui en sont incapables (Cherniss et Goleman,
2000). Goleman, toujours dans son article de la HBR (1998), rappelle que
l’intelligence émotionnelle est dans une très large mesure (85 %) respon-
sable du développement de cadres à haut potentiel, « les stars », en grand
leader : « Les études qui comparent parmi les cadres ceux qui ont une per-
formance très supérieure à ceux qui ont une performance moyenne mon-
trent que les stars présentent un fort besoin de réalisation, prennent beau-
coup plus de risques calculés, soutiennent les innovations entreprenantes,
fixent des objectifs intéressants à leurs subordonnés, etc. »

L’intelligence émotionnelle est le résultat d’un apprentissage


Face aux critiques qui ont été opposées aux liens supposés entre l’in-
telligence émotionnelle et la performance personnelle et professionnelle,

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Goleman (1998) et Mayer, Salovey et Caruso (1998) ont répondu qu’il était
probable que l’intelligence émotionnelle ne soit pas en effet un bon indica-
teur de performance au travail, mais qu’en revanche les compétences émo-
tionnelles étaient de bons indicateurs. C’est pourquoi ils en sont venus à
distinguer l’intelligence émotionnelle des compétences émotionnelles, ces
dernières renvoyant aux aptitudes personnelles et sociales qui mènent à
une performance supérieure au travail. En effet, Goleman écrit : « La com-
pétence émotionnelle est une capacité apprise fondée sur l’intelligence
émotionnelle qui entraîne une performance remarquable au travail. »
(2002). Par exemple, l’aptitude à sentir ce qu’une autre personne ressent
participe, selon lui, au développement d’une compétence spécifique
comme l’influence. De la même manière, les personnes qui sont capables
de maîtriser leurs émotions pourront plus aisément développer des initia-
tives. Goleman propose le schéma suivant :

Un schéma des compétences émotionnelles


SOI AUTRUI
Compétence personnelle Compétence sociale
Conscience de soi Conscience sociale
Reconnaissance :
Prise de conscience de Empathie
ses émotions Orientation service
Auto-évaluation pertinente Conscience
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Confiance en soi Conscience
Organisationnelle
Autocontrôle Développement d’autrui
Confiance Influence
Consciencieux Communication
Régulation :
Adaptabilité Gestion des conflits
Initiative Leadership
Réalisation Catalyseur
Création de liens
Travail d’équipe
et collaboration
Comme nous pouvons le voir, ce schéma fait apparaître quatre
grandes compétences : une compétence liée à la prise de conscience de ses
propres émotions, une compétence liée à leur régulation, une compétence

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liée à la prise de conscience d’autrui et une compétence liée à la régula-


tion des émotions d’autrui. Chacune de ces quatre compétences est en re-
lation avec l’efficacité organisationnelle. En d’autres termes, si l’on est
conscient de son état émotionnel, si l’on est capable de bien le réguler, si
l’on fait preuve d’empathie envers l’autre et si l’on est capable de réguler
les émotions des autres, les performances personnelles et organisation-
nelles seront supérieures, voire davantage (Boyatis, 1999 ; Cherniss et
Goleman, 2002 ; Goleman, 2002). On peut alors comprendre pourquoi,
pour tous ces chercheurs américains, le développement de l’intelligence
émotionnelle est un impératif pour les organisations, qu’elles soient pri-
vées, publiques ou sociales.
« En résumé, écrit de nouveau Goleman, les chiffres sont en train de
nous dire des choses très parlantes à propos du lien qui existe entre la réus-
site d’une entreprise et l’intelligence émotionnelle de ses dirigeants. Et, la
recherche nous démontre aussi que les gens peuvent, s’ils prennent les
bons moyens, développer leur intelligence émotionnelle. » (1998.)

Le développement de l’intelligence émotionnelle : un impératif pour les or-


ganisations
Les organisations étant dépendantes des personnes qui y travaillent,
le profil psychologique, notamment émotionnel, de ces personnes ayant
une influence sur la dynamique et les résultats de leur organisation, les or-
ganisations et leur direction ne peuvent pas ne pas s’en préoccuper. Cet im-
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pératif est d’autant plus catégorique que le constat semble, selon eux, en-
core plus fort lorsque l’on s’intéresse aux profils des dirigeants et des
cadres, donc au leadership, comme on le qualifie généralement dans l’uni-
vers de la gestion (Goleman, 1998). On cite, à cet égard, un sondage récent
de la maison Gallup, aux États-Unis, réalisé auprès de deux millions d’em-
ployés travaillant dans 700 entreprises, qui montre que la stabilité et la pro-
ductivité d’un employé étaient déterminées par la relation qu’il entretenait
avec son supérieur immédiat (Zipkin, 2000). Une autre enquête menée en
Floride a montré que les employés qui classaient excellent leur chef
n’étaient que 11 % à penser à changer d’emploi alors qu’ils étaient 40 % à
y songer lorsqu’ils qualifiaient leur chef de mauvais (Zipkin, 2000). Autre-
ment dit, les chefs les plus efficaces sont ceux et celles qui sont à l’écoute
de leur personnel, qui sont attentifs à ce qui se passe au travail, qui sont ca-
pables de maîtriser leurs émotions, en lesquels leurs employés ont
confiance et avec lesquels ces mêmes employés se sentent bien (Cherniss
et Goleman, 2002).

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À une époque de changements rapides, dans laquelle innovation,


qualité, excellence, service au client, productivité, compétitivité, création
de valeur, riment dans les organisations avec performance et survie, il est
d’autant plus vital, nous disent ces chercheurs, de tenir compte du niveau
d’intelligence émotionnelle de son personnel. Car cette dernière, par son
importance dans la construction des résultats d’une organisation, modifie
de nombreux aspects qui sont à la base de sa réussite : le recrutement et la
fidélité du personnel, le développement des talents, le travail d’équipe,
l’implication, le moral et la santé du personnel, l’innovation, la producti-
vité, l’efficacité, les ventes, les résultats financiers, la qualité du service, la
fidélité des clients, etc. (Spencer, McClelland et Kelner, 1997 ; Cherniss et
Goleman, 2002). De tels constats débouchent par ailleurs sur des prescrip-
tions en matière d’éducation, de formation professionnelle, d’évaluation,
de recrutement et de sélection du personnel ou encore d’enseignement en
gestion (Cherniss et Goleman, 2002). Développer les compétences socio-
affectives des employés et des managers et bâtir des organisations qui met-
tent l’accent sur ces compétences, tels sont les leitmotivs de certaines
sphères du management, de nos jours, aux États-Unis.

La principale cause de cet intérêt considérable envers les émotions :


l’épuisement du modèle du gestionnaire rationnel
L’explosion des publications sur des notions d’émotions, d’intelli-
gence et/ou de compétence émotionnelle que le champ de la psychologie
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des organisations connaît, depuis le début des années quatre-vingt-dix,
est attribuable à une cause bien précise : l’épuisement du modèle du ges-
tionnaire rationnel et de son postulat de base : l’acteur rationnel. En effet,
comme chacun sait, l’expérience des deux derniers siècles, notamment,
est caractérisée par un puissant mouvement à l’égard de la raison et de la
rationalisation du monde (Weber, 1993). Ce mouvement a été particuliè-
rement visible dans le domaine de la gestion des organisations depuis le
tournant du XXe siècle, la majorité des conceptions de l’organisation
s’étant fondées sur le postulat de l’homme rationnel. Que l’on pense à la
bureaucratie, à l’organisation scientifique du travail, ou à certaines
formes plus modernes du management et à leurs principales techniques
enseignées dans les écoles de gestion, toutes se fondent sur une vision
très largement, pour ne pas dire exclusivement, cognitive, voire totale-
ment abstraite de l’organisation (Mintzberg, 1989 ; Pitcher, 1997). Si l’in-
fluence de la conception dominante en économie de l’homo economicus
n’y est pas étrangère, il reste que le monde de la gestion a été, et est

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encore aujourd’hui, soouvent très réfractaire aux aspects affectifs (Chan-


lat, 1990). L’affectivité est perçue comme une menace potentielle pour la
performance de l’organisation. Il faut donc s’employer à l’évacuer (Enri-
quez, 1997). Même dans le cas des études sur la satisfaction au travail,
lesquelles ont été influencées par un courant plus humaniste dans le pro-
longement du mouvement des Relations humaines lancé dans les années
trente, on découvre que la satisfaction au travail qui est reliée à des senti-
ments comme la joie, l’enthousiasme, le plaisir, le bonheur, l’accomplis-
sement, n’a pas été traitée de cette manière. Comme le rappelle encore
fort justement Fineman (1996), malgré l’impressionnante littérature sur
la satisfaction au travail, on reste sur sa faim quant aux aspects affectifs
de l’expérience de travail. Il en est de même pour ce qui est de la notion
de stress, laquelle est aussi très largement associée à une vision objecti-
viste de l’être humain (Chanlat, 1990).
Le mythe de l’acteur rationnel a été ébranlé par deux grandes dé-
couvertes. D’une part, la découverte du rôle de la vie psychique et des
processus inconscients dans le comportement humain et, d’autre part, la
découverte du caractère inter-relié des aspects cognitifs et affectifs. La
première découverte renvoie à tous les travaux d’inspiration psychanaly-
tique qui ont montré comment certaines actions, certains comportements,
certaines décisions, devenaient compréhensibles lorsque les chercheurs
faisaient appel à certains processus inconscients comme les réactions de
défense, le transfert, etc. Derrière la scène visible, observable, se cache
une autre scène tout aussi importante, laquelle est tout aussi fondamen-
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tale pour appréhender ce qui se passe dans une organisation (Enriquez,
1997). La seconde repose sur un grand de nombre de travaux qui mon-
trent que le dualisme émotion-cognition ne tient pas. Dans une organisa-
tion, la fixation des buts, la sélection et l’utilisation de l’information, les
décisions sont étroitement liées à des jugements et des sentiments per-
sonnels où la colère, la joie, la peur, la honte, tiennent souvent un rôle
prépondérant. Autrement dit, ce que nous décrivons comme rationnel est
bien souvent émotif (Kemper, 1993). Il nous suffit de penser à la récente
exaltation des marchés, dénoncée par Alan Greenspan, le directeur de la
Banque centrale américaine, ou encore à certains comportements de diri-
geants d’entreprise pour s’en convaincre aisément (Lapierre, 1994 ; Kets
de Vries, 2002 ; Frost, 2003). Au cours des dernières années, cette idée
s’est vu renforcée par les travaux de neurologie et notamment, par ceux
de Damasio, qui montrent la nécessité que tout individu a de mobiliser
certaines zones affectives de son cerveau pour accomplir des actions lo-
giques (1995, 2002).

122
Travailler, 2002, 9 : 113-132

Par ailleurs, le contexte socio-économique des vingt dernières an-


nées n’est pas non plus étranger à cet intérêt pour l’intelligence émotion-
nelle. En effet, le développement d’une économie majoritairement de ser-
vices a eu pour conséquence de multiplier les emplois en relation avec des
clients et des usagers dans de nombreux secteurs (services financiers, in-
dustrie du voyage et du tourisme, distribution, communication, services
publics, hôtellerie et restauration, etc.). L’affirmation de la primauté du
client dans le discours gestionnaire a mis sur le devant de la scène, encore
plus qu’auparavant, l’importance de la relation commerciale, et ce, dans
un contexte qui cherche à réduire le temps d’attente et valorise par-dessus
tout la clientèle. Comme les travaux présentés dans le dossier de ce nu-
méro le suggèrent, cela a conduit des chercheurs à analyser la manière
dont les travailleurs et les employés maîtrisent cette composante émotive
de leur rôle professionnel, notamment, lorsqu’ils doivent masquer leurs
sentiments réels. Ce qui, dans certains cas, peut aboutir à des dispositifs
très précis d’expression (Hochschild, 1983 ; Van Maanen et Kunda, 1989).
Il n’est pas non plus neutre de savoir que la plupart de ces emplois sont dé-
tenus par des femmes et qu’ils ont généralement un faible statut (Noon et
Blyton, 2002). Le contexte culturel est également un élément qu’il faut as-
similer. En effet, au cours des vingt dernières années, on a vu se dévelop-
per aux États-Unis, entre autres, un mouvement New Age qui a insisté sur
le rôle des émotions dans la conscience de soi et plus généralement sur
une tyrannie de l’intimité pour parler comme Sennett. C’est dans ce
contexte social-historique qu’il faut aborder la popularité que connaît au-
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jourd’hui le thème de l’intelligence émotionnelle, plus particulièrement en
gestion.

Des émotions au travail à la gestion des émotions :


retour sur les publications concernant l’intelligence émotionnelle
Que le travail soit un lieu d’investissement affectif et que les organi-
sations soient des cadres dans lesquels des émotions s’expriment quoti-
diennement à tous les niveaux, personne, à part quelques esprits hyperra-
tionnels, ne peut en effet le contester (Thévenet, 1999). Que cette recon-
naissance soit prise en compte par le management dans l’établissement de
ses pratiques de gestion afin de rendre son personnel plus heureux, per-
sonne ne peut là encore s’y opposer. En revanche, il nous semble que la no-
tion d’intelligence émotionnelle, telle qu’elle est formulée actuellement
dans ses grandes lignes et en dépit des bonnes intentions souvent affichées
par ces promoteurs, peut être l’objet de plusieurs critiques.

123
Jean-François Chanlat

Ces critiques touchent le caractère, tour à tour asocial, apolitique,


apsychique, aculturel et aéthique des idées présentées.

Des relations sociales décontextualisées


Le monde humain est un univers social qui met en jeu des rapports so-
ciaux de tous types (sexuels, professionnels, ethniques, d’âge, etc.). Ces rap-
ports sont à la fois constitutifs de la vie sociale et produits par les interactions
quotidiennes. Si les rapports affectifs sont une partie intégrante de ces rap-
ports sociaux, ils ne peuvent pas en revanche se substituer totalement à eux.
Or, lorsque l’on lit ces publications sur l’intelligence émotionnelle, même
celles qui l’associent à la performance de l’organisation, on est frappé par
l’accent que mettent les auteurs sur les qualités individuelles, voire interper-
sonnelles ou sociales, sans renvoyer au contexte social réel dans lequel se
meut la relation. On a l’impression qu’il suffit que le patron, le supérieur im-
médiat ou l’employé de base soient dotés de bonnes aptitudes relationnelles
pour que tout se passe bien. Comme nous le rappelle Goleman, si nous avons
affaire à des leaders visionnaires, « ils peuvent articuler et susciter de l’en-
thousiasme autour d’une vision et d’une mission partagées, aller plus loin
quand c’est nécessaire, guider la performance des autres tout en les tenant
pour responsables de ce qu’ils font et diriger par l’exemple » (2002). Autre-
ment dit, « les émotions sont contagieuses, notamment lorsqu’elles sont ex-
primées au plus haut niveau et les leaders qui connaissent énormément de
succès distillent un haut niveau d’énergie positive qui se diffusent à travers
toute l’organisation. Plus le style du leader est positif, plus les membres du
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groupe sont positifs, prévenants et coopératifs ». Or, si les dirigeants ont un
rôle important à jouer dans la dynamique sociale de l’organisation, si le cha-
risme d’un responsable n’est pas sans effet dans l’activité de tous les jours, il
reste que nous savons que la réalité est toujours un peu plus complexe, que
toute organisation est divisée fonctionnellement et hiérarchiquement et que
cette division n’est pas sans modifier les relations et les identités au travail
(Sainsaulieu, 1977 ; Dubar, 2000), voire la santé mentale et physique (De-
jours, 1993, 1998). En d’autres termes, que considérer la relation affective
sous l’angle uniquement des qualités de la personne du dirigeant ou du ma-
nager n’est pas suffisant pour rendre compte de ce qui se joue sur le plan so-
cial et notamment en matière de rapports sociaux de sexe. Ce que les articles
publiés dans ce dossier révèlent bien 1. De la même manière, estimer que la
réussite professionnelle est attribuable à de bonnes compétences sociales
écarte la question des réseaux sociaux. Or, la sociologie a depuis longtemps

1. Dossier « Les émotions dans le travail », Travailler, 9, 2002.

124
Travailler, 2002, 9 : 113-132

identifié que la composition des élites ou d’une catégorie socioprofession-


nelle n’est pas uniquement le fruit de qualités personnelles. Au contraire, les
réseaux dans lesquels on s’est inséré au cours de nos itinéraires (origine so-
ciale, niveau d’instruction, type de diplômes, sexe) sont décisifs dans notre
destinée sociale (Bourdieu, 1990). On a beau avoir l’intelligence émotion-
nelle, encore faut-il adhérer à un réseau social qui facilite l’ascension sociale.

Des relations sociales dépolitisées


Un autre aspect qui frappe le lecteur que nous sommes et qui est relié
à ce qui vient d’être dit, c’est l’absence quasi totale de la notion de pouvoir
ou de relation de pouvoir dans ce qui est écrit autour de cette notion d’intel-
ligence émotionnelle. Il semble que, là aussi, la relation sociale soit dépen-
dante uniquement des qualités des interlocuteurs en présence. Que les rela-
tions sociales s’inscrivent dans des rapports politiques, que les gens en
présence soient des acteurs sociaux mus par des intérêts souvent divergents et
orientés par des valeurs et des objectifs différents ne semblent pas troubler
nos auteurs. Bien au contraire, ils ont une vision fonctionnaliste de l’organi-
sation où l’harmonie repose sur les qualités sociales de l’encadrement, sa
bonne humeur et son enthousiasme. Enfin, à l’inverse des psychosociologues
dont le projet intellectuel, depuis Lewin, est de réfléchir aux processus sus-
ceptibles de solidifier la démocratie et de faire advenir le sujet (Barus-Mi-
chel, Enriquez et Lévy, 2002), le courant de l’intelligence émotionnelle s’ins-
crit dans une vision dégagée de tout enjeu démocratique dans laquelle
l’instrumentation, la fonctionnalité technique et l’optimisme jovial dominent.
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Des relations sociales sans aucune vie psychique
Se centrer sur l’affectivité et le caractère émotif de la vie humaine
pourrait laisser penser que les travaux sur l’intelligence émotionnelle évo-
quent les aspects moins visibles du comportement humain. Or, à l’excep-
tion d’un renvoi à l’alexithymie et à quelques travaux de professeurs de
management inspirés par la posture psychanalytique, Goleman dans son
célèbre livre n’évoque à aucun moment la possibilité de l’inconscient. Il
s’agit avant tout d’une construction qui s’inspire de la biologie, de la psy-
chologie cognitive et de la psychologie sociale dans sa version expérimen-
tale (1995). Si les émotions font partie de la vie humaine, elles laissent peu
de place au postulat de l’inconscient. Il s’agit avant toutes choses de déve-
lopper des techniques de contrôle des émotions qui peuvent améliorer les
performances individuelles et organisationnelles. Baptisées compétences
émotionnelles, ces qualités, dont certaines ont été reconnues depuis long-
temps, doivent être instrumentalisées. Il existe d’ailleurs un test de QE,

125
Jean-François Chanlat

même si l’on considère qu’il n’est pas fiable! Ce travail laisse bien sûr dans
l’ombre tous les travaux d’inspiration psychanalytique qui ont été conduits
dans les organisations ou dans les petits groupes. Il va sans dire que les ac-
quis de la psychodynamique ne sont pas non plus présents. L’être humain
en tant qu’être de désir et pourvu d’un imaginaire est passé à la trappe au
profit d’une vision bio-consciente des émotions. Le rapport au travail et à
autrui fait fi des ressorts cachés de la conduite humaine.

Des relations sociales « déculturées »


L’intelligence émotionnelle fait également peu de cas de la culture.
Les auteurs phares de ce courant de pensée font comme si les émotions s’ex-
tériorisaient de la même manière un peu partout dans le monde. Or, nous sa-
vons justement par l’anthropologie que s’il existe des émotions fondamen-
tales propres à l’espèce humaine : joie, colère, tristesse, dégoût, surprise,
peur, l’on sait aussi qu’elles tiennent compte de la culture du groupe en
question. « Les gens qui alimentent le rapport au monde et colorent la pré-
sence ne relèvent ni d’une physiologie pure et simple, ni d’une seule psy-
chologie, l’une et l’autre, nous dit Le Breton, s’enchevêtrent à une symbo-
lique corporelle pour leur donner sens, ils se nourrissent d’une culture
affective que le sujet vit à sa manière. » (1996, p. 7.) Autrement dit, si « les
émotions sont des modes d’affiliation à une communauté sociale, une ma-
nière de se reconnaître et de pouvoir communiquer ensemble sur le fond
d’un ressenti proche », il est impératif de bien saisir le répertoire des émo-
tions dans leur contexte socioculturel. L’entrée en relation, la civilité, la ca-
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pacité d’écoute, la manière de s’exprimer, sont socialement et culturellement
enracinées (Raz, 2002). L’intelligence émotionnelle telle qu’elle est présen-
tée fait l’impasse sur cet enracinement anthropologique. Elle est très liée à la
conception américaine de ce qu’est une bonne relation sociale, à l’éthos des
relations dans la société américaine, pour parler comme Bateson.

Des relations sociales dénuées d’éthique


Si les écrits sur l’intelligence émotionnelle s’inscrivent à l’intérieur
d’un éthos particulier, ils ne discutent pas en revanche l’orientation que
peuvent avoir les dirigeants à succès. En effet, le dernier point qui frappe
est le nombre d’études qui présentent des résultats très positifs pour les
personnes dotées de compétence émotionnelle. À en croire les principaux
auteurs de ce courant, les gens qui réussissent seraient pourvus d’une in-
telligence émotionnelle au-delà de la moyenne et ils obtiendraient des ré-
sultats supérieurs aux autres. Si nous ne sommes pas hostiles à l’idée que
les qualités humaines peuvent jouer un rôle dans la réussite personnelle et

126
Travailler, 2002, 9 : 113-132

professionnelle de certaines personnes, il reste que cette vision est histo-


riquement loin de coller toujours à la réalité. Pensons à la réussite de
nombreux dirigeants d’entreprises ou d’organisations dont la personna-
lité correspond peu à la description que nous en dresssent les avocats de
l’intelligence émotionnelle, ou encore aux scandales récents d’Enron et
de World Com, dont les dirigeants ont effectivement réussi, ont été en-
censés par la presse et les consultants en gestion pendant plusieurs an-
nées, (par exemple, Enron a été déclaré, six ans d’affilée, comme l’entre-
prise innovatrice par excellence par Fortune et louée par le cabinet
McKinsey pour sa gestion des ressources humaines) et qui, en définitive,
se sont avérés être de parfaits criminels en col blanc ! Pensons enfin au
nombre de gens possédant des qualités humaines qui ne réussissent pas,
c’est-à-dire qui n’atteignent pas les sommets de leur profession. On peut
même alléguer que, dans certains cas, l’intelligence affective peut nuire à
la carrière.
La vision que développe Goleman et consorts, même si elle part
d’un bon sentiment, manque cruellement d’une réflexion éthique. Car,
dans leurs allusions à la réussite et au succès, ils n’invoquent jamais expli-
citement les valeurs qui guident l’action de ces cadres et de ces dirigeants.
Comme l’a rappelé un journaliste du New Yorker (Gladewell, 2002), la
question éthique est au centre de l’action et il faut bien avouer qu’elle est
quasiment absente des réflexions conduites autour de l’intelligence émo-
tionnelle. Pourtant, l’actualité des entreprises nous le rappelle, il existe des
dirigeants charismatiques, dont la probité est sérieusement en question, et
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un grand nombre d’entreprises parmi les plus en vue qui font face à des
scandales aux origines variées (Dalla Costa, 1999). On ne peut donc s’in-
téresser à la réussite professionnelle sans interroger les valeurs qui orien-
tent l’action des gens qui réussissent surtout quand ces dernières ne se ré-
duisent qu’à l’appât du gain.

Conclusion
L’intelligence émotionnelle : une réflexion profondément américaine ?
À lire les écrits sur l’intelligence émotionnelle, on demeure frappé
par le caractère profondément américain de leur teneur. La culture améri-
caine est généralement définie par un ensemble de traits : un fort désir de
gagner et d’être un gagnant, une pensée très instrumentale et pratique, une
tendance à évacuer une vision conflictuelle du social, un fort sentiment re-
ligieux, un esprit positif, un enthousiasme débordant, une espérance dans

127
Jean-François Chanlat

la chance de chacun, un optimisme envers le futur, un positivisme scienti-


fique, une obsession de la quantité, du nombre, une certaine insularité,
(Hertsgaard, 2002). On retrouve tout à fait ces éléments dans le courant sur
l’intelligence émotionnelle.
Toute la réflexion sur l’intelligence émotionnelle porte en effet sur
la manière de l’instrumenter, le développement du QE et des questionnaires
concernant les compétences émotionnelles abondant en ce sens. Elle trai-
te également du caractère positif et fondamentalement efficace du déve-
loppement de telles compétences. Elle suppose que l’individu qui acquiert
une telle intelligence est promis à un bel avenir et qu’il sera du nombre des
gagnants, c’est-à-dire de ceux et celles qui réussissent dans leurs sphères
professionnelles. Elle développe une conception normative pour les mana-
gers et les organisations. Elle demeure à un niveau micro, soit interper-
sonnel soit au niveau d’un petit groupe de travail. Enfin, elle reste très eth-
nocentrique dans sa conception. On peut en effet très facilement identifier
certains traits valorisés par la culture américaine dans les écrits touchant
l’intelligence émotionnelle. On retrouve notamment l’idée développée par
David McClelland dans son livre The Achieving Society (1961) sur le
besoin de réussite lequel d’ailleurs a bel et bien inspiré Daniel Goleman.
Les émotions font aujourd’hui recette dans l’univers de la gestion. Si
l’on peut l’interpréter comme un retour des affects dans un monde qui les
a toujours tenus à l’écart, il reste que, comme nous venons de le voir, sa tra-
duction dans les sphères « managériales » sous la forme de l’intelligence
émotionnelle est discutable par bien des aspects. Pour les spécialistes des
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ressorts de la vie affective au travail, qui ont une vraie culture à ce sujet, la
vision qu’exposent les avocats de l’intelligence émotionnelle peut appa-
raître limitée, simpliste ou encore naïve. Mais la très grande popularité que
connaît cette notion dans les cercles de la gestion outre-atlantique et, par
voie d’influence, dans ceux d’autres parties du monde, nous prouve encore
une fois combien le management est sensible à des réponses pratiques. La
seule chose que nous pouvons espérer, c’est que cette ouverture faite aux
dimensions affectives du comportement humain conduise les managers
vers d’autres sentiers grâce auxquels ils ou elles découvriront que la dyna-
mique psychique est au cœur de l’humanité et notamment de l’activité de
travail. Ce que la plupart d’entre eux savent déjà, mais que, dans bien des
cas, leur univers tende constamment à refouler.
Jean-François Chanlat
Professeur, HEC Montréal
Professeur associé,
Université Paris-Dauphine

128
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131
Jean-François Chanlat

Mots clés : Émotions, intelligence, management, organisation, tra-


vail, culture.
Resumen. El mundo de la gestión, particularmente en Norte Amé-
rica, se interesa cada día mas por las emociones. A lo largo de los
diez últimos años este movimiento ha girado sobre todo en torno a
la noción de inteligencia emocional. El objetivo del articulo
consiste en reubicar dicha cuestión en el contexto y en mostrar en
que medida la noción de inteligencia emocional falla en un cierto
numero de puntos y esta ligada a la cultura americana.
Palabras clave : Emociones, inteligencia, gestión, organización,
trabajo, cultura.
Summary. The world of business management, especially in North
America, is becoming increasingly interested in emotions. During
the last ten years, this movement has largely turned around the no-
tion of emotional intelligence. The purpose of this article is to relo-
cate this question in context and to show the degree to which the no-
tion of emotional intelligence fails on a certain number of issues and
is linked to American culture.
Key words : Emotions, intelligence, management, organisation,
work, culture.
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