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INTRODUCTION

Les parlements parlent-ils pour les animaux ?

Malik Mellah, Pierre Serna

Presses universitaires de Rennes | « Parlement[s], Revue d'histoire politique »

2022/2 N° HS 17 | pages 11 à 18
ISSN 1768-6520
ISBN 9782753587748
DOI 10.3917/parl2.hs17.0011
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-2-page-11.htm
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INTRODUCTION

LES PARLEMENTS PARLENT-ILS POUR LES ANIMAUX ?

Malik Mellah
Docteur en histoire,
membre associé du Collège des Études mondiales, IHMC
malikmellah arobase hotmail.fr
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Pierre Serna
Professeur d’histoire moderne
à l’Université de Panthéon-Sorbonne, IHRF-IHMC (UMR 8066)
pierreserna arobase wanadoo.fr

La plupart de nos conducteurs de chevaux agissent sans discernement,


frappent sans mesure des bêtes chargées à l’excès et les frappent même sans
nécessité, par désœuvrement, par distraction, pour s’exercer la main. C’est
triste et odieux à la fois. – La raison n’y pouvant rien, la loi est intervenue,
en France, et nous nous en félicitons, mais nous nous féliciterions bien
autrement si l’homme arrivait à comprendre ses devoirs, et si, pour l’hon-
neur de notre espèce, la conscience de nos actes rendait cette loi inutile 1.
La conversion du député Pierre Joigneaux (1815-1892), d’abord
circonspect voire réticent à la loi Grammont, est la manifestation de la
réalité de ce que la loi de 1850, tout imparfaite qu’elle soit, a su mettre
en évidence, les contradictions d’un siècle de fer, d’industries et de
colonisations. Par ailleurs, le xixe siècle constitue un temps de prise de
conscience des souffrances de tous les damnés de la terre : d’une part,
des humains potentiellement délinquants rappelés à leurs devoirs lors-

1 Joigneaux Pierre, Causeries sur l’agriculture et l’horticulture, Paris, Librairie agricole de


la maison rustique, 1864, p. 97.
12 MALIK MELLAH, PIERRE SERNA

qu’ils maltraitent des bêtes et, d’autre part des animaux objets de droit,
mieux protégés et donc au bout de la chaîne de l’exploitation, mieux
mis en valeur dans leur travail demeurant forcé. Si les animaux doivent
d’abord compter sur le facteur humain dans toute sa complexité et ses
lentes mutations morales, la loi mais aussi le travail parlementaire par
lui-même constituent de puissants leviers d’accélération des mutations
ou de redoutables moyens de répression, c’est selon.
C’est d’abord le discours même de Grammont, exercice parle-
mentaire par excellence, qui semble éveiller chez Joigneaux un intérêt
pour ce qui n’est d’abord considéré que comme un non-sujet : non
pas la cause animale mais la nécessité d’un débat parlementaire sur
la protection légale à accorder aux bêtes. C’est ensuite ce que la loi
a créé en quatorze ans qui a achevé de convaincre l’élu de changer
sa vision. Davantage encore que la création de la Société protectrice
des animaux, la loi Grammont de 1850 2 aurait, selon lui, permis de
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poser les jalons juridiques d’une avancée particulièrement lente à se
mettre en place au sein d’une société, toujours plus rétive à se trans-
former que ne le voudraient ses représentants 3. Joigneaux constate
que le Français ne vit pas au milieu des sages et que la raison, fût-elle
économique, ne peut pas tout… bien au contraire. « Chez ces gens-là
[ceux qui maltraitent les animaux], un côté de l’intelligence ne fonc-
tionne pas, un côté du sens moral est engourdi. Ils ne voient pas,
dans la bête, l’être qui sent, souffre ou se réjouit à l’occasion. » Selon
Joigneaux, la Société protectrice des animaux s’adresse davantage aux
convertis qu’aux gens à convertir. Il faudrait, pour parvenir au but
que se fixent ceux qui veulent modifier la condition des animaux, que

2 Voir le commentaire de la couverture par Pierre Serna et Sylvain Ledda, [Sources], infra.
3 La discussion de la loi Grammont en juillet 1850 n’occupe que peu de place dans La
Feuille du village, l’hebdomadaire qu’il a créé et qu’il anime. « N’eût été un long discours
de M. le général de Grammont en faveur des animaux, la séance de mardi dernier eût
été bien ennuyeuse. M. de Grammont, avec ses histoires de bouchers, de veaux, de char-
retiers, de chevaux, a été fort divertissant. La droite seule ne riait pas. Elle a le caractère
si mal fait ! Comme M. de Grammont, nous ne saurions voir, de sang-froid, maltraiter
de pauvres bêtes par leurs conducteurs, mais contrairement à lui, nous ne pensons pas
qu’une loi puisse empêcher les mauvais traitements. Constituez l’association, établissez
une assurance mutuelle sur les animaux, et par ce moyen vous obtiendrez une surveil-
lance intéressée de la part de chaque sociétaire et vous anéantirez en même temps l’em-
pirisme vétérinaire. » La Feuille du village, journal politique hebdomadaire (rédacteur en
chef P. Joigneaux), 4 juillet 1850, p. 291.
INTRODUCTION 13

les beaux discours prennent corps et descendent jusqu’aux derniers


des ruraux. L’éducation est nécessaire, c’est le moyen ultime et la
raison d’être des lois républicaines. En espérant cette acculturation
du plus grand nombre, dans un pays rural qui met à contribution ses
animaux, ainsi que dans les villes ou les usines, il y a des animaux à
protéger du fouet, de l’aiguillon ou des dents du molosse 4.
L’entrée en matière de Sylvain Ledda dans ce hors-série le
démontre. Il s’intéresse, dans le Paris romantique, aux rapports
complexes entre les textes législatifs ou réglementaires, les pratiques
sociales et la condition des plus précaires ou des plus en péril des
animaux : les chevaux en fin de vie devenus inutiles, les chiens ou
les taureaux de combat. L’évocation littéraire des lieux parisiens de
la barbarie contre les animaux lui permet, en effet, de s’interroger
sur le dialogue qui existe entre, d’une part, les enquêtes diligentées
par les autorités, œuvres préparatoires à la loi ou l’accompagnant et,
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d’autre part, la littérature romantique. Il montre comment les textes
de fiction exhibant la barbarie humaine dans les faubourgs contri-
buent aussi à dessiner un nouveau rapport qui n’est pas que légal.
Puisque « la promulgation de lois ne suffit pas à faire disparaître
du paysage urbain des traditions et des pratiques » jugées barbares
dans une capitale qui se transforme rapidement, superposant mœurs
traditionnelles et nouvelles représentations du monde en un croise-
ment de violences, difficile à décrypter pour celles et ceux qui y sont
confrontés.
Dans ces conditions, il n’est point étonnant que le travail parle-
mentaire se penche particulièrement sur les formes de travail au sein
d’un monde capitalocène, bouleversé par de nouvelles conditions
de productions et d’exploitation de la nature et des animaux 5. Les
contributions que proposent François Jarrige autour du travail des
chiens dans un xixe siècle étendu et Arnaud Exbalin sur la régle-
mentation urbaine concernant les porcs à Mexico dans le second
xviiie siècle reprennent une partie de ces interrogations sur la façon
4 N’est-ce pas ce que proposait déjà en 1801, le concours de l’Institut à propos de la
maltraitance des animaux et la nécessité de légiférer en leur faveur ? Voir Serna Pierre,
L’Animal en République, 1789-1802. Genèse du droit des bêtes, Toulouse, Anacharsis,
2016.
5 Moore Jason, Capitalism in the Web of Life. Ecology and the Accumulation of Capital,
Londres, Verso, 2015.
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dont la norme doit sans cesse, non seulement s’adapter aux représen-
tations, mais davantage encore aux usages et aux pratiques, enten-
dus aussi bien sur le plan économique que sur le plan du travail des
autorités. François Jarrige met en évidence l’ambiguïté de la situation
française : des réglementations visant à protéger les canidés se multi-
plient alors même que les attelages de chiens n’ont jamais été aussi
nombreux et utilisés. L’un des grands intérêts de son étude consiste
à mettre en évidence le fait qu’aussi bien les débats, nombreux à la
fin du xixe siècle sur l’encadrement, voire la limitation du travail
des animaux, que la mosaïque juridique et législative complexe qui
caractérise la France, s’expliquent autant par l’hétérogénéité du rôle
des chiens eux-mêmes, que par des tensions propres à l’écriture et à
l’application des règles. « L’interdiction du travail des chiens relève
d’abord des pouvoirs de police municipaux et s’inscrit dans le débat
constant sur les prérogatives respectives des communes et de l’État
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qui traverse tout le siècle. » À propos du contrôle de la présence des
suidés à Mexico, Arnaud Exbalin explique, par l’analyse d’un règle-
ment de 1792, comment le rôle croissant du vice-roi en matière de
police dans une ville traditionnellement gouvernée de manière pluri-
céphale, se heurte à un manque de moyens qui oblige à inventer une
réglementation particulière. La nouvelle norme impose la limitation
de la place des porcs dans la ville ainsi que des formes de délégation
de l’exercice de l’autorité allant jusqu’à l’encouragement du contrôle
par le voisinage.
Ce hors-série vise aussi à penser les modalités concrètes et les
procédures institutionnelles, indispensables au passage à l’acte législatif,
comme autant de clés de compréhension des législations concernant
les animaux, en France comme à l’étranger, au xxe siècle ou durant
l’époque moderne. Plusieurs contributions tendent à réfléchir non
point seulement aux droits des animaux, mais aussi à la façon dont ils
peuvent advenir dans des enceintes où les bêtes ne sont jamais présentes
physiquement, où elles ne peuvent intervenir et où l’on parle pour elles,
et dans des débats, auxquels, par définition, elles ne participent jamais.
Un court passage par l’Angleterre du début du xixe siècle s’avère utile.
Le 24 mai 1802, Sir Hill défend au Parlement anglais un bill pour
« soustraire les chiens et les taureaux aux plaisirs féroces de quelques
personnes qui les font se battre ». L’auteur d’un compte rendu repris
INTRODUCTION 15

dans le Journal de Francfort, trouve drôle que « le décret sur l’esclavage
des noirs adoptés par le corps législatif de France ait beaucoup moins
causé de débats en France que le bill proposé au Parlement impérial ».
Les échanges sont vifs et aboutissent à l’ajournement du bill, « ce qui
est une manière de le rejeter ». Aux arguments moraux des uns, s’op-
posent de froides réalités qui rapportent toujours la discussion légis-
lative sur l’animal, caractérisée comme un « objet insignifiant », au
statut projeté de moyen ou de dérivatif politiques. Chiens et taureaux
ne peuvent exister pour eux-mêmes. La proposition de bill serait, selon
des orateurs, un projet des méthodistes pour parvenir à changer le
caractère et les mœurs du peuple anglais en lui « interdisant les plaisirs
de la vie sociale », un complot contre l’Église et l’État ou bien encore
un contre-feu consistant à « se dédommager de la cessation des hosti-
lités [les négociations de paix de 1802] en allumant une guerre entre
les taureaux et les chiens 6 ». Ce type de débats révèle ce qui constitue
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une dynamique parlementaire. Tout d’abord les députés portent, en
tant que mandataires, des paroles de citoyens. Ils devraient dans une
démocratie idéale, représenter le reflet d’une opinion publique et leur
discours révéler l’état d’une nation au moment d’exprimer les attentes,
les volontés et les désirs de leurs mandants. Ensuite, par le jeu des péti-
tions, des adresses ou des motions, les citoyens se font entendre direc-
tement dans l’enceinte des représentants en une forme de démocra-
tie directe, par la communication de leur volonté. Dans un troisième
temps, les députés réunis en comités ou commissions, préparent les
textes de lois qui sont discutés dans les débats controversés. Enfin, le
temps du vote – d’adoption ou de rejet de la loi – vient concrétiser l’en-
semble de ce long travail de répercussion, de mobilisation, de sédimen-
tation d’opinion, de mise en texte, de discussions dans lequel le débat
parlementaire prend toute sa place dans ses controverses liées au plura-
lisme de la liberté d’expression. Le vote n’est finalement que le dernier
moment de concrétisation d’une part moins visible de toute la vie
démocratique, ultime réalisation de l’ensemble de la vie parlementaire.
Est-ce à dire qu’il y a là, dans le cas des animaux, une exception dans la
vie parlementaire ? Certes pas, et les députés sont très souvent confron-
tés à des questions qui impliquent de légiférer sur des objets inanimés,
telles des personnes morales, ou des espaces à organiser. L’ingénierie
6 Journal de Francfort, avec privilège de sa majesté impériale, no 163, samedi 12 juin 1802.
16 MALIK MELLAH, PIERRE SERNA

parlementaire ou politique existe et permet d’agir sur le plan législatif 7.


Sous la Convention dite thermidorienne, la simple réorganisation des
écoles vétérinaires léguées par la Monarchie et laissées dans une forme
de précarité par les assemblées révolutionnaires est ainsi l’occasion d’af-
firmer la possibilité d’une science républicaine de l’animal domestique.
La création en 1795 des « écoles d’économie rurale vétérinaire » est
bien l’occasion de repenser la façon dont la République peut modifier
la manière dont sont traités des animaux précieux par leur travail ou
par leur dépouille, comme le montre l’article de Malik Mellah.
De leur côté, les juristes Jacques Leroy et Jean-Pierre
Marguenaud rappellent la lente évolution du législateur en faveur
des animaux. Il fallut attendre la rédaction de la déclaration des droits
des animaux en 1924 par André Géraud pour prendre réellement
compte les animaux dans leur spécificité. Les deux guerres mondiales
ont fait passer, sur le devant de l’urgence juridique, la protection des
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êtres humains et la punition des crimes contre l’Humanité. L’après-
seconde guerre mondiale ouvre de nouvelles perspectives de recons-
truction d’un monde sensible à l’environnement et aux animaux,
de façon contradictoire, entre surexploitation nouvelle et accélérée
et nouvelle prise de conscience de leur sensibilité. En 1959, le légis-
lateur reprend sa plume et définit toujours mieux le statut de l’ani-
mal et le nécessaire devoir de protection de l’homme sur les autres
vivants. Depuis 1976, une charte de l’environnement adossée à la
Constitution française, stipule qu’un animal est un être sensible. Les
textes européens ratifiés par les différents gouvernements, et notam-
ment les traités d’Amsterdam en 1992 et de Lisbonne en 2007,
rappellent la Convention européenne de protection des animaux, et
l’importance de leur bien-être. En France, la loi du 6 janvier 1999,
dans son article 50, redéfinit un nouveau statut pour l’animal dans
les articles 522, 524 et 528 du Code civil. Il n’est plus « une chose
appartenant à » un être. Il est désormais séparé des biens inertes et se
voit qualifié par sa faculté à se mouvoir seul. L’animal acquiert ainsi
le statut d’être vivant tout « en étant propriété de ». La faune sauvage
elle, se voit moins protégée mais jouit d’un statut particulier, appar-
tenant au patrimoine commun de l’environnement. Depuis 2005 et
7 C’est aussi ce que suggère l’ouvrage Zoopolis de Sue Donaldson et Wilm Kymlicka
(Paris, Alma, 2016).
INTRODUCTION 17

la remise du rapport de Suzanne Antoine, une somme de réflexions


dans tous les domaines scientifiques a permis d’avancer dans un
débat qui instituerait, dans le droit, une catégorie intermédiaire entre
l’homme et les biens : l’animal, comme sujet de droit animé, être
vivant et assisté dans son silence, recouvrant le domaine de son exis-
tence protégée 8. Depuis le 2 janvier 2015, à la suite du retentissement
d’un Manifeste fort de 775 000 signataires, le député Jean Glavany se
laissa convaincre de prendre l’initiative parlementaire indispensable
d’un amendement, pour faire reconnaître la nature « d’être sensible »
de l’animal dans le Code civil. Désormais, « l’animal est un être
vivant doué de sensibilité ». C’est là un glissement essentiel pour les
deux juristes, car l’entrée de l’animal dans le Code civil, et donc la
possibilité de ne plus le laisser enfermer dans le code rural, le consti-
tue de fait, comme une personnalité juridique qu’il suffit désormais
aux juges de faire exister en cas de jurisprudence, avant de parvenir
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dans un futur, que l’on peut espérer proche, à une reconnaissance de
la personnalité pleine et entière des animaux 9.
Les deux exemples, aussi différents que ceux présentés par
Tomohiro Kaibara pour le Japon du début du xviiie siècle et par
Giulia Guazzalocca pour l’histoire des lois animalistes en Italie aux
xixe et xxe siècles, montrent les résistances de sociétés d’autant plus
hermétiques que l’ampleur de la souffrance animale ne trouve que
peu de relais dans l’opinion publique, plus prompte à se mobiliser
pour des causes strictement humaines et qu’elles perçoivent immé-
diatement. Cependant, au Japon comme en Italie, le volontarisme
exprimé au travers soit de décrets, soit de textes législatifs montre là
encore le rôle déterminant du texte écrit, dans le changement de l’ap-
proche des mœurs de populations aussi différentes que celle du Japon
ancien ou de l’Italie contemporaine. N’est-ce pas l’une des raisons
qui imposent encore aux parlements la responsabilité de légiférer et

8 [http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000297/index.shtml].
9 D’autres entités différentes, tels des fleuves ont pu accéder à un nouveau statut juridique,
tel le fleuve Whanganui ou bien le Gange et le Yamuna qui sont considérés comme
des êtres vivants et ont des identités juridiques, tout comme en France le fleuve corse
Tavignagnu possède sa déclaration de droits, ou bien la Loire qui a vu un « Parlement »
se former, réunissant humains et autres qu’humains, auquel ont participé Jacques Leroy
et Jean-Pierre Margeneau (Le fleuve qui voulait écrire. Les auditions du parlement de Loire,
mise en récit par Camille de Tolédo, Tours, Les liens qui libèrent, 2021).
18 MALIK MELLAH, PIERRE SERNA

de parler pour les plus silencieux, ceux qui n’ont aucun moyen de se
défendre ? L’étude que consacre Benoît Martin aux débats du Conseil
général de la Gironde depuis la loi sur la chasse de 1844 offre, dans
cette perspective, un éclairage intéressant quant à des formes parti-
culières de résistance en France. Le choix de l’échelle et de la période
permet en effet de montrer comment peuvent exister des inerties,
voire des tentatives de perversion de la loi, rappelant que le travail
du législateur s’inscrit toujours dans des rapports complexes entre
différents niveaux, entrecroisant les intérêts locaux prédateurs et les
principes nationaux philanthropiques, ou bien la réalité locale protec-
trice face à une uniformisation globale spoliatrice.
Ainsi, depuis plus de deux cents ans, la question de la sensi-
bilité, la définition du vivant, la conscience d’un destin partagé
entre l’animal politique qu’est l’Homme et les vivants non-humains
n’ont pu laisser indifférent le législateur, conscient que la loi trans-
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formait l’homme de nature en citoyen avec des droits positifs. Le
lecteur peut retrouver dans les sources commentées par Anne-Louise
Le Cossec, Élisabeth Plas ou Boris Cattan, ces problématiques d’un
face-à-face entre Humains et non-humains sensibles. Le législateur
ne vit pas que de lois. Plongé dans le réel ou l’imaginaire, il traduit
à des moments précis l’état moral, social, économique et politique
d’une communauté qu’il représente, pour la faire progresser, pour la
protéger de formes incontrôlées de la modernité ou pour l’émanci-
per de représentations surannées. Hommes et femmes de lettres, de
sciences, ou simples palefreniers, toutes et tous ces acteurs de la vie
sociale influencent les députés et les font agir. Comme le montre la
couverture de ce numéro spécial, commentée par Sylvain Ledda et
Pierre Serna, tous les moyens d’interpeller les députés ont été utili-
sés, jusqu’aux affiches murales pour sensibiliser le législateur sur la
maltraitance animale au début du xxe siècle. Aujourd’hui, c’est toute
l’opinion publique, les simples citoyennes et les citoyens, le parlement
et les associations, l’État et les institutions régionales qui se trouvent
responsabilisés face à l’attitude juste, légitime et légale à adopter face
aux autres qu’humains. L’urgence est à l’ordre du jour des Parlements
et le devoir du législateur face à la nature et aux animaux s’annonce
encore plus impérieux en ce temps de crise écologique, la plus grave
qu’ait connue l’anthropocène.

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