Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2022/2 N° HS 17 | pages 11 à 18
ISSN 1768-6520
ISBN 9782753587748
DOI 10.3917/parl2.hs17.0011
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-2-page-11.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Malik Mellah
Docteur en histoire,
membre associé du Collège des Études mondiales, IHMC
malikmellah arobase hotmail.fr
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)
qu’ils maltraitent des bêtes et, d’autre part des animaux objets de droit,
mieux protégés et donc au bout de la chaîne de l’exploitation, mieux
mis en valeur dans leur travail demeurant forcé. Si les animaux doivent
d’abord compter sur le facteur humain dans toute sa complexité et ses
lentes mutations morales, la loi mais aussi le travail parlementaire par
lui-même constituent de puissants leviers d’accélération des mutations
ou de redoutables moyens de répression, c’est selon.
C’est d’abord le discours même de Grammont, exercice parle-
mentaire par excellence, qui semble éveiller chez Joigneaux un intérêt
pour ce qui n’est d’abord considéré que comme un non-sujet : non
pas la cause animale mais la nécessité d’un débat parlementaire sur
la protection légale à accorder aux bêtes. C’est ensuite ce que la loi
a créé en quatorze ans qui a achevé de convaincre l’élu de changer
sa vision. Davantage encore que la création de la Société protectrice
des animaux, la loi Grammont de 1850 2 aurait, selon lui, permis de
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)
2 Voir le commentaire de la couverture par Pierre Serna et Sylvain Ledda, [Sources], infra.
3 La discussion de la loi Grammont en juillet 1850 n’occupe que peu de place dans La
Feuille du village, l’hebdomadaire qu’il a créé et qu’il anime. « N’eût été un long discours
de M. le général de Grammont en faveur des animaux, la séance de mardi dernier eût
été bien ennuyeuse. M. de Grammont, avec ses histoires de bouchers, de veaux, de char-
retiers, de chevaux, a été fort divertissant. La droite seule ne riait pas. Elle a le caractère
si mal fait ! Comme M. de Grammont, nous ne saurions voir, de sang-froid, maltraiter
de pauvres bêtes par leurs conducteurs, mais contrairement à lui, nous ne pensons pas
qu’une loi puisse empêcher les mauvais traitements. Constituez l’association, établissez
une assurance mutuelle sur les animaux, et par ce moyen vous obtiendrez une surveil-
lance intéressée de la part de chaque sociétaire et vous anéantirez en même temps l’em-
pirisme vétérinaire. » La Feuille du village, journal politique hebdomadaire (rédacteur en
chef P. Joigneaux), 4 juillet 1850, p. 291.
INTRODUCTION 13
dont la norme doit sans cesse, non seulement s’adapter aux représen-
tations, mais davantage encore aux usages et aux pratiques, enten-
dus aussi bien sur le plan économique que sur le plan du travail des
autorités. François Jarrige met en évidence l’ambiguïté de la situation
française : des réglementations visant à protéger les canidés se multi-
plient alors même que les attelages de chiens n’ont jamais été aussi
nombreux et utilisés. L’un des grands intérêts de son étude consiste
à mettre en évidence le fait qu’aussi bien les débats, nombreux à la
fin du xixe siècle sur l’encadrement, voire la limitation du travail
des animaux, que la mosaïque juridique et législative complexe qui
caractérise la France, s’expliquent autant par l’hétérogénéité du rôle
des chiens eux-mêmes, que par des tensions propres à l’écriture et à
l’application des règles. « L’interdiction du travail des chiens relève
d’abord des pouvoirs de police municipaux et s’inscrit dans le débat
constant sur les prérogatives respectives des communes et de l’État
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)
dans le Journal de Francfort, trouve drôle que « le décret sur l’esclavage
des noirs adoptés par le corps législatif de France ait beaucoup moins
causé de débats en France que le bill proposé au Parlement impérial ».
Les échanges sont vifs et aboutissent à l’ajournement du bill, « ce qui
est une manière de le rejeter ». Aux arguments moraux des uns, s’op-
posent de froides réalités qui rapportent toujours la discussion légis-
lative sur l’animal, caractérisée comme un « objet insignifiant », au
statut projeté de moyen ou de dérivatif politiques. Chiens et taureaux
ne peuvent exister pour eux-mêmes. La proposition de bill serait, selon
des orateurs, un projet des méthodistes pour parvenir à changer le
caractère et les mœurs du peuple anglais en lui « interdisant les plaisirs
de la vie sociale », un complot contre l’Église et l’État ou bien encore
un contre-feu consistant à « se dédommager de la cessation des hosti-
lités [les négociations de paix de 1802] en allumant une guerre entre
les taureaux et les chiens 6 ». Ce type de débats révèle ce qui constitue
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)
8 [http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/054000297/index.shtml].
9 D’autres entités différentes, tels des fleuves ont pu accéder à un nouveau statut juridique,
tel le fleuve Whanganui ou bien le Gange et le Yamuna qui sont considérés comme
des êtres vivants et ont des identités juridiques, tout comme en France le fleuve corse
Tavignagnu possède sa déclaration de droits, ou bien la Loire qui a vu un « Parlement »
se former, réunissant humains et autres qu’humains, auquel ont participé Jacques Leroy
et Jean-Pierre Margeneau (Le fleuve qui voulait écrire. Les auditions du parlement de Loire,
mise en récit par Camille de Tolédo, Tours, Les liens qui libèrent, 2021).
18 MALIK MELLAH, PIERRE SERNA
de parler pour les plus silencieux, ceux qui n’ont aucun moyen de se
défendre ? L’étude que consacre Benoît Martin aux débats du Conseil
général de la Gironde depuis la loi sur la chasse de 1844 offre, dans
cette perspective, un éclairage intéressant quant à des formes parti-
culières de résistance en France. Le choix de l’échelle et de la période
permet en effet de montrer comment peuvent exister des inerties,
voire des tentatives de perversion de la loi, rappelant que le travail
du législateur s’inscrit toujours dans des rapports complexes entre
différents niveaux, entrecroisant les intérêts locaux prédateurs et les
principes nationaux philanthropiques, ou bien la réalité locale protec-
trice face à une uniformisation globale spoliatrice.
Ainsi, depuis plus de deux cents ans, la question de la sensi-
bilité, la définition du vivant, la conscience d’un destin partagé
entre l’animal politique qu’est l’Homme et les vivants non-humains
n’ont pu laisser indifférent le législateur, conscient que la loi trans-
© Presses universitaires de Rennes | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.71.8.164)