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LL10 / Balzac, La Peau de chagrin, 2ème partie (pages 215-216, lignes 3431-3476)

(De « Rendu à toute sa raison… » à « …le faisaient tousser »)

L’action fantastique de la Peau : désir et mort


Éléments d’intro
Dans cet extrait, R comprend que l’antiquaire a dit vrai sur le fonctionnement de la Peau. Elle
satisfait les désirs mais rétrécit à chaque fois que l’un d’entre eux est exaucé, ce qui reflète le
raccourcissement de la vie de son propriétaire. R prend conscience de sa mort prochaine,
entouré d’une assemblée qui se perd en considérations futiles. Nous pourrons nous demander
en quoi le désir est ici représenté comme une force destructrice/

Mouvements du texte :
1.Jusqu’à « …n’est-elle pas morte de la poitrine ? » :
Un récit fantastique (R menacé par son désir)
2. « Ah ! Ah !... » à « …dit Émile » :
La satire sociale (Une société détruite par l’excès de désirs et de plaisirs)
3. « Le hourra… » à la fin :
L’Utopie du paysan (deux mondes qui s’opposent -> le modèle d’une vie simple, presque dénuée
de désirs)

1.Champ lexical de la raison qui signifie un retour au pragmatisme et au rationnel (« raison »,


« mesuré ») + verbes d’action au P.S (« étendit », « superposa », « frissonna ») et adverbes de
manière (« promptement », « violemment » ) = éléments qui indiquent que l’héritage inattendu de
R représente une nouvelle péripétie qui marque le retour du fantastique dans le récit, de
manière brusque, soudaine et violente. Le jeune homme a beau faire preuve de lucidité,
envisager sa situation de manière rationnelle, il constate avec terreur la transformation de la
Peau.
Le discours direct + interjection (« Hé bien ! qu’a-t-il donc ?... ») brise momentanément le
fantastique. Taillefer ne considère que l’aspect financier de l’événement, peu lui importe
l’origine de la fortune. « Soutiens-le Châ tillon » est une citation ironique de Zaïre (tragédie de
Voltaire) qui souligne l’une des morales de l’œuvre : les émotions trop intenses peuvent tuer.
Peu à peu un autre lexique, celui de la mort, montre que la peur paralyse littéralement R, qui
semble se transformer sous nos yeux en cadavre (« pâleur », « flétrie », « blanchirent »,
« devinrent sombres », « livide » et « MORT », en majuscules (mise en relief explicite). La longue
énumération associée aux PS souligne la dramatisation de l’instant. De même, la désignation de
R par le GN « cet héritier » lui enlève symboliquement une partie de son identité.
Deux autres lexiques s’entremêlent : celui du luxe et de la fin (« banquier splendide »,
« courtisanes », « fanées », « visages rassasiés », « agonie de la joie »), offrant un contraste
saisissant entre ce que R a obtenu et ce vers quoi tend son existence.
R. contemple ainsi une société décadente qui s’éteint lentement dans le luxe et l’excès de plaisirs.
Lui en a épousé les vices, a vécu une vie de débauche. Cette société reflète donc parfaitement sa
vie.
L’adj « impitoyables » marque la marche inéluctable du processus mis en place dès l’instant où R
a formulé son premier souhait : le talisman prend une connotation tragique (annonce de son
destin) ; le vocabulaire du doute (« douter », « incrédulité ») montre que le personnage tente,
vainement, de réagir de manière rationnelle face à l’événement ; il ne peut douter de ce qui se
cependant.
« Le monde lui appartenait, il pouvait tout et ne voulait plus rien », ( l. 3449-3450) -> phrase qui
s’impose par son ampleur et son rythme ternaire ; le point de vue interne nous donne accès à la
conscience du personnage, tandis que les hyperboles (« le monde », « tout ») et l’opposition
« tout/rien » montrent que R est à la fois tout puissant et prisonnier de la Peau. Renversement
« pouvoir/vouloir », qui s’opposent désormais. La seule volonté du personnage est de survivre.
Les images utilisées (comparaison « comme un voyageur » + métaphore « mesurer sa vie »)
soulignent sa détresse. Il reste cependant matérialiste, comme le montre le lexique de la mesure
et du calcul : « mesurer », « un peu », au nombre de », « coûter » => envisage la vie et le temps
dans une perspective chiffrée, monétaire. É numération de verbes à l’imparfait l. 3453-3454
soulignant malgré tout la panique qui s’empare de R (« il croyait », « s’écoutait », « se sentait »…).
Inconsciemment, il fait appel à la figure maternelle (cf. interrogations directes « Ne suis-je pas ? »,
« ma mère n’est-elle pas… ? ») et tente d’expliquer rationnellement la mort en utilisant le champ
lexical de la maladie (« respirer », « malade », « pulmonique»), pour se rassurer et sans doute
tenter d’apprivoiser l’inconnu (forme d’auto-persuasion)
Ainsi, le motif fantastique de la Peau révèle à R et au lecteur la puissance mortifère du désir.

2.Intervention des autres personnages sous forme de discours direct (dialogue) : le DD +


exclamations et question directe montrent une certaine vivacité et un enthousiasme qui
contrastent avec l’effroi et le désarroi de R. Les convives se réjouissent, mais demandent de
l’argent (Aquilina), portent un toast pour fêter la mort d’un homme (« Buvons à la mort de… »)…
ce qui montre leur cynisme. Ces gens là ne voient en toutes choses, y compris les plus graves,
qu’un moyen de s’enrichir ou de prendre du bon temps. L’enchaînement rapide des répliques
témoigne du ton plutô t désinvolte de la conversation.
Le GN « pair de France » (désigne un type social) renvoie à l’idée d’une promotion future de R,
mais montre également que fortune, richesse et carrière politique vont ensemble (société
corrompue). La réplique suivante se veut méprisante (interjection désinvolte « Bah ! ») et
rabaisse le prestige de l’institution. Les membres de cette assemblée ne croient donc plus en
rien.
Dans les répliques qui terminent le dialogue, on comprend que la fortune sert aussi à satisfaire
les plaisirs mondains (« loge aux Bouffons », « vous nous régalerez ») -> les convives sollicitent et
flattent R pour profiter de sa nouvelle fortune (« un homme comme lui » = flatterie)
Les réactions des convives font donc percevoir le cynisme des hommes sous la Monarchie de
juillet : avides d’argent et de plaisirs, ils ne croient plus en grand-chose (perte de valeurs)

3.Le retour au point de vue interne (« il pensait ») nous livre le contenu de la rêverie de R, qui
consiste à évoquer une vie radicalement différente de la sienne, une vie au contact de la nature
(« champ »), féconde (« enfants ») et conforme aux préceptes de la religion. L’accumulation de
verbes au participe présent (« labourant », « mangeant », « buvant »…) montre un ensemble
d’activités saines, tandis que le voc pittoresque de la Bretagne (« sarrasin », »cidre », « piché ») +
voc de la religion (« Vierge », « communiant », « Pâques », « sermon »…) rendent cette évocation
particulièrement vivante et réaliste. R envie l’homme simple qui croit dans l’ordre politique
(« roi »), un homme qui est dénué d’esprit critique, ne comprend pas le sermon du prêtre mais le
respecte. Le paysan évoqué est également dénué de désirs, se contente de ce qu’il a : en ce sens,
il représente une sorte de fantasme pour R, qui se révèlera vain dans la suite du roman.
L’énumération (« ces lambris dorés », « ces courtisans »…) + anaphore du démonstratif montrent
que face à cet idéal de simplicité, le spectacle de la vie parisienne est insupportable à R. Lexique
du luxe et de la maladie s’entremêlent -> la toux rappelle la crainte du personnage de mourir
d’une maladie pulmonaire, mais annonce également sa mort inévitable.
Ainsi, pour échapper à cette société malade, R fantasme une vie simple et vertueuse au contact
de la nature. La suite du roman nous révèlera l’inefficacité de cette utopie.

CCL/ Cet extrait, qui se situe à la fin de la deuxième partie, constitue un moment important du
récit puisque R comprend que la Peau de chagrin est un piège mortel. Ses désirs sont alors
irrémédiablement rattachés à l’idée de la mort vers laquelle le personnage se dirige, comme le
souligne de manière explicite le titre de la troisième partie du roman.

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