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LA PEAU DE CHAGRIN, Balzac (1831)

En 1833, commence à germer dans l'esprit de Balzac l'idée de faire réapparaître certains personnages dans ses romans
ultérieurs. C'est à ce moment qu'il prend conscience de l'unité de son projet et qu'il entreprend le regroupement de ses
œuvres sous divers thèmes. En 1840, Il intitulera cette grande fresque La Comédie humaine.

La Comédie humaine, œuvre monumentale s'il en est une, comprend 91 romans ou nouvelles achevés. Les intentions
de Balzac en bâtissant cette œuvre sont d'ailleurs assez ambitieuses : «peindre et comprendre l'homme et la société dans
leur globalité

Balzac a placé La Peau de chagrin en tête de la section des études philosophiques, mais il aurait tout
aussi bien pu la placer parmi les études de mœurs car la réalité de la société française sous la Monarchie de Juillet y est
peinte. Seulement, Balzac ne cherche pas qu'à exposer cette réalité, il veut avant tout expliquer «le moteur de la vie
humaine et de la société »

Intérêt de l'oeuvre

En dépit des précautions que Balzac prit, dans sa préface, pour dissocier la personne de l'écrivain des personnages et
situations qu'il avait inventé, il semble bien que le roman a un côté autobiographique, que le romancier s'incarna dans
Raphaël :
- Comme lui, emporté dans la grande compétition parisienne, il voulut tout : la gloire, la richesse, les femmes
- Comme lui, il a imaginé pouvoir conquérir Paris en vivant dans la pauvreté la plus totale pour écrire.
- Comme lui, il a connu des expériences malheureuses.
- Comme lui, il a écrit une "Théorie de la volonté"
- Comme lui, il voulut «débuter par un chef-d'œuvre, ou (se) tordre le cou», ainsi qu'il l'écrivit à sa sœur,
Laure, en novembre 1819. "La peau de chagrin" réalisé ce désir précoce en 1831, après un long apprentissage
sous divers pseudonymes

La figure paternelle ou la virile castrée

M. de Valentin, le père de Raphaël, est présenté comme un homme qui possède le pouvoir et qui impose sa loi sans
égard pour la personne sur laquelle elle s'exerce. Raphaël décrit son père comme «un grand homme sec et mince» (p.
94), sévère, despote, «l'homme le plus caillouteux, le plus atrabilaire, le plus froid du monde» (p. 95), adjectifs pouvant
être considérés comme les marques d'une figure castratrice. Confortant l'image ici donnée de la figure paternelle,
Raphaël note le pouvoir écrasant dont son père fait preuve à son égard: «jusqu'à vingt et un ans, j'ai été courbé sous un
despotisme aussi froid que celui d'une règle monacale [.…. ] Sa paternité planait au-dessus de mes lutines et joyeuses
pensées, et les enfermait comme sous un dôme de plomb» (p. 94).

Foedora : le jeu de la séduction

Foedora est la seconde figure castratrice du roman. Jeune femme de 22 ans elle a le sourire gracieux et la voix
mélodieuse: c'est «la femme à la mode» (p. 122). Cependant, elle est un mystère, une énigme, une «espèce de
problème féminin» (p. 122). Mi-Russe, mi-Parisienne, elle est à la fois celle qui fascine, celle qui séduit et celle qui
castre. Foedora joue avec les hommes afin de leur faire perdre tous leurs moyens par le jeu de la séduction. Elle s'y prend
grâce à la stratégie de la présence et de l'absence.Pour elle, le mariage est synonyme d'aliénation et de dépendance: «je
me trouve très heureuse d'être seule, pourquoi changerais-je ma vie, égoïste si vous voulez, contre les caprices d'un
maître?» (p.172). Les hommes désirent Feodora pour sa beauté, mais aussi en raison de ce refus de s'abandonner qui
attise leur désir. Feodora est donc un agent de la castration envers les hommes: elle les prive de la satisfaction de leur
désir. Elle en fera autant envers Raphaël

Pour Balzac tout être dispose d’une certaine quantité d'énergie à dépenser durant son existence. Cette quantité est
symbolisée par l'inscription en forme de triangle inversé figurant sur la Peau de chagrin découverte par Raphaël dans
un magasin d'antiquités. Les lignes de la peau rétrécissent à mesure que la réserve d'énergie diminue. Quand tout est
consommé, l'individu meurt. Cette conception vitaliste de l'existence, en vogue dans certains milieux médicaux et
scientifiques à l'époque de Balzac et que lui-même partage, soulève trois grandes questions. La première est de préciser
la source de cette énergie: d'où vient-elle? À chacun ensuite de la dépenser plus ou moins rapidement, c'est-à-dire de
choisir la vie qu'il entend mener: intense, mais brève; fade, mais longue. D'où une deuxième question : comment cette
énergie devient-elle une source de création, de construction de sa propre existence? Et une troisième question qui en est
la contrepartie: comment cette énergie créatrice est-elle dans le même temps une force de destruction?

1• LES SOURCES DE L'ÉNERGIE DES PERSONNAGES

À qui ou à quoi des personnages de roman doivent-ils leur énergie vitale? pour certains, elle provient d'un élément
magique, telle la Peau de chagrin' ou d'une intervention surnaturelle; d'autres ne la doivent qu'à eux-mêmes, parce
qu'ils sont habités par une force intérieure qui les pousse à agir et à se dépasser.

1. Une source magique ou surnaturelle

Dans La Peau de chagrin, Raphaël n'est pas naturellement d'une grande énergie. Le vieil antiquaire remarque en effet
qu'il a rencontré «des hommes doués de plus d'énergie» que lui (p. 74). Son pouvoir, il le tient
d'un «talisman?» (titre de la première partie du roman), qui lui permet de transformer ses désirs en réalité et lui
confère une capacité d'action exceptionnelle. Sans la Peau, Raphaël est sans force et ne songe d'ailleurs au à se suicider.
L'idée d'une toute-puissance d'origine magique.n'est pas nouvelle à l'époque de Balzac: elle remonte à l'Antiquité.

Pour Illustrer cette toute-puissance d'origine surnaturelle, Thomas Mann'un des plus grands romanciers allemands du
Xx; siecle, reprend dans sun roman Le Docteur Faustus (1947) un Vieille légende allemande _
XVI siecle, dont, avant lui, Goethe (1749-1832) avait tiré un drame puissant, Faust (1806).

Le mythe de Faust :
Selon ce mythe, Faust est un savant qui a consacré sa vie à étudier. L'âge venant, il lui semble n'avoir pas vraiment vécu.
Le Diable, sous les traits de Méphistophélès, lui propose alors d'exaucer tous ses désirs en échange de son âme. Faust
vivra un amour passionné. Selon la plupart des récits populaires, son âme appartiendra au Diable et Faust sera damné.

Thomas Mann (1875-1955)


Le Docteur Faustus (1949)
Le récit s'inscrit dans cette période de décadence intellectuelle de l'Allemagne qui précède la Seconde Guerre mondiale,
et se présente comme la biographie d'un compositeur prodige, Adrian Leverkühn,
qui sent ses forces et son génie décliner. Le Diable lui propose alors de réaliser tous ses rêves et désirs en contrepartie de
son âme. Cette situation rappelle celle de Raphaël dans La Peau de chagrin à la différence près toutefois que celui-ci
joue sa vie terrestre et non le salut de son âme. Balzac multiplie d'ailleurs les références à Faust et à Méphistophélès (voir
par exemple p. 58; p. 88; p. 310...).

Une force intérieure


L'énergie vitale peut aussi être propre au personnage. Cette énergie qu'il porte en lui se confond avec ses motivations
les plus profondes. S'il rêve un temps de célébrité, à travers ses écrits notamment, Raphaël, le héros de La Peau de
chagrin, n'est pas mû par une force intérieure

Stendhal(1783-1842)
Le Rouge et le Noir (1830), Livre I, chapitre X
Dans son univers romanesque, Stendhal évoque la vie sociale et politique de son temps à travers celle de personnages
qui se lancent tous dans une quête passionnée du bonheur et l'affirmation de soi, au mépris.
souvent, de toute convention. Ainsi, dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel, fils d'un charpentier gros-
sier et brutal, rêve de s'affranchir de son milieu d'origine. Grand lecteur, Julien a dévoré Le Mémorial de Sainte-Hélène
(1823) écrit par Las Cases qui a accompagné l'empereur déchu dans son exil et recueilli ses paroles. Cette lecture lui
donne une formidable énergie. Le voici, dans cet extrait, emporté par ses rêves, son désir d'ascension sociale et sa haine
des riches.

I1-L'ÉNERGIE CRÉATRICE
Quelle que soit sa source, l'énergie est une capacité d'action. C’est un but ou cette cause qui transforme l'énergie en
création, parce qu'elle s'efforce de réaliser ou de construire quelque chose qui n'existe pas encore. Ainsi, dans La Peau
de chagrin, Raphaël peut-il mener, grâce au talisman, une existence dorée et heureuse qu'il n'aurait pas autrement
connue. Les romans privilégient quatre grands types d'énergie créatrice; sur
un plan personnel, construire sa propre vie, notamment à travers une passion amoureuse (c'est l'objectif poursuivi par
Raphaël); sur un plan politique, travailler à l'avènement d'un monde meilleur; dans le domaine
intellectuel ou artistique, percer les mystères de la Nature ou réaliser un chef-d'œuvre

1• Construire sa vie
Réussir sa vie: chacun en rêve, mais certains plus que d'autres. Tout dépend des efforts déployés, parfois de la rage mise
pour y parvenir, bref de l'énergie dépensée pour s'enrichir, par exemple, ou encore conquérir la femme aimée, comme
dans l'extrait qui suit.

Stendhal(1783-1842)
Le Rouge et le Noir (1830),
Julien met toute son énergie dans la conquête de Mathilde. Mais entre elle et lui, les différences sociales sont énormes.
C'est un véritable abime.

Réaliser un chef-d'œuvre
Le savant dans son laboratoire, l'écrivain à son bureau, le peintre devant sa toile, l'artiste en général sont tous habités
par l'obsession de découvrir ou réaliser quelque chose de nouveau, qui fasse date dans l'histoire.
Ils y mettent toutes leurs forces. C'est une énergie qui les porte et qui parfois les brûle.

II1 • UNE ÉNERGIE DESTRUCTRICE


Cette énergie dépensée produit un effet paradoxal: créatrice, elle est en même temps destructrice. Et elle l'est dans la
mesure même où elle est créatrice! La destruction ne s'oppose pas à la création, elle est contenue dans celle-ci. Elles sont
comme imbriquées l'une dans l'autre. Toute énergie créatrice est en effet rupture ou excès. Plaisirs, débauches et orgie
provoquent une usure de l'être et sa mort, comme dans le cas de Raphaël. Mais, dans la dynamique impulsée par des
êtres énergiques, la destruction est aussi source de création. Création et destruction sont bien les deux faces de l'énergie.

Energie créatrice et destructrice


Dans la nouvelle de Balzac, Le Chef-d'œuvre inconnu (1831), le vieux maître Frenhofer, longtemps en quête du
modèle artistique idéal, détruit le chef-d'œuvre qu'il a mis dix années à réaliser pour soustraire La Belle Noiseuse à tout
regard extérieur. La destruction de son œuvre ne s'oppose pas à sa création.

Conclusion
Le roman de l'énergie véhicule ainsi une conception de l'existence où création et destruction forment un couple
indissociable. Dans La Peau de chagrin, l'excès tue, la mort de l'artiste chez Zola. Tout se passe donc comme si l'énergie
était un courant ou un fluide qui allait dans les deux sens: de la création à la destruction, mais aussi de la destruction à la
création.

La structure du roman
Source de jouissance, le désir finit en effet par tuer. Mais sans désir, la vie vaut-elle la peine d'être vécue? Tel est le
dilemme auquel est confronté Raphaël.

Première partie: Le Talisman (p. 21 à 134)


Sur le point de se suicider, Raphaël entre par hasard en possession d'une étonnante «peau de chagrin». Celle-ci
exaucera tous ses vœux mais diminuera, à chaque vœu exaucé, son espérance de vie.

Un extraordinaire magasin d'antiquités Pages 45 à 60


Raphaël s'arrête devant un magasin d'antiquités qu'un jeune vendeur lui fait visiter. Sur trois étages, ce magasin recèle
des trésors inouïs: «Tous les pays de la terre semblaient avoir apporté là quelque débris de leurs sciences, un échantillon
de leurs arts » (p. 47).

A Redoutable et tentante Peau de chagrin! Pages 61 à 83


Le vieillard lui explique qu'il a tort de prendre la chose à la légère. À 102 ans, il dit posséder le « grand mystère de la vie
humaine», qui tient en quelques mots: « Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit» (p. 75). Si lui est parvenu à un
âge aussi avancé, c'est qu'il a économisé ses forces en se contentant de voir et de savoir.

Deuxième partie: La Femme sans cour (p. 135 à 289)


Le récit opère un vaste retour en arrière et se situe donc chronologiquement avant la première partie. Raphaél raconte à
son ami Emile l'histoire de sa vie, principalement depuis ses 17 ans jusqu'à ses 25 ans, son age actuel. C'est l'histoire
d'une folle et vaine passion pour Foedora, une riche comtesse russe, qui, «femme sans cœur», se joue de lui.

Une jeunesse solitaire et sans joie Pages 135 à 147


Raphaël évoque sa jeunesse solitaire d'enfant pauvre passée à étudier sous la surveillance d'un père sévère.

Devenir un homme de génie! Pages 157 à 174


Ne disposant pas des relations nécessaires pour s'introduire dans le grand monde ni d'une fortune qui lui ouvrirait
toutes les portes, Raphaël décide de s'imposer par son talent et son intelligence. Il écrit une comédie et un traité de
philosophie, une Théorie de la volonté.
Foedora! Pages 175 à 189
• Trois ans plus tard, en décembre 1829, Raphaël fait la rencontre de Rastignac, un jeune Gascon cynique, qui se
moque de lui. A l'entendre, travailler ne sert à rien, avoir du génie encore moins. L'essentiel est de paraître, de s'insinuer
dans le grand monde, d'y cultiver des relations et des amours.Introduit par Rastignac chez Fodora, Raphaël s'éprend de
la jeune femme.

Pages 235 à 244


• Un soir, profitant d'une réception que donne Foedora, Raphaël se cache dans la chambre de celle-ci afin de l'observer
quand elle est seule avec sa femme de chambre.

Rupture Et désespoir
Pour oublier Foedora, Raphaël se jette dans le travail. songe à se suicider. Son ami Rastignac lui conseille plutôt de
s'adonner à la débauche. C'est une forme de suicide certes plus lente que la noyade ou la balle de revolver mais combien
plus agréable.

3 Troisième partie: L'Agonie et l'épilogue (p. 291 à 427)


Le récit reprend là où l'action s'était arrêtée à la fin de la première partie, fin 1830 et début 1831. La Peau s'étant
considérablement rétrécie, Raphaèl, malade, s'efforce de ne plus rien souhaiter.

22 Tristes retrouvailles Pages 360 à 366


Raphaël et Pauline reprennent leur vie commune.
• Il ne lui dit rien de sa démarche auprès des scientifiques ni de sa certitude d'être désormais condamné.De fait, son état
de santé s'aggrave. Un jour qu'elle le tient dans ses bras, Pauline a l'impression de tenir «le hideux squelette de la
MORT» (p. 365).

23 L'incompétence de la médecine Pages 367 à 378


• Son affaiblissement pousse Raphaël à consulter des sommités médicales, qui ne s'accordent ni sur le diagnostic ni sur
un possible traitement.
• Jeune médecin et ami personnel de Raphaël, Bianchon l'envoie faire une cure en Savoie à Aix-les-Bains.

24 Un duel sans surprise Pages 379 à 398


Comme Raphaël tousse de plus en plus fort, les curistes le tiennent à l'écart et le traitent en pestiféré. Certains d'entre
eux lui conseillent de partir et même le menacent de mort.
• Certain de sa victoire sur un tel malade, l'un des curistes le provoque en duel. Raphaël le tue et quitte la station
thermale.

25 Une existence végétal


• Raphaël s'installe en Auvergne au Mont-Dore. Il se réfugie chez de pauvres paysans mais de solide constitution.

26 Mourir,dans une ultime étreint amoureuse Pages 414 à 423


• Raphaël retrouve Pauline qui s'efforce de le protéger.
• Celle-ci tente de se suicider afin qu'il cesse de la désirer et qu'ainsi subsiste un morceau de Peau. Un ultime désir jette
Raphaël dans les bras de Pauline, et il meurt

27 Épilogue Pages 425 à 427


• Pauline survit à Raphaël mais se métamorphose en un personnage immatériel, qui se confond avec les éléments (feu,
air, eau). L'amour absolu qu'elle incarne n'a pu vivre dans un monde sans idéal.
• Quant à Foedora, elle continue de briller dans les salons, d'être courtisée de tous et de n'aimer personne. « Sans
cour», elle est à l'image de la Société, égoïste et matérialiste.

Une vie de souffrances et de déceptions


si brève soit-elle, son existence est marquée par une jeunesse désargentée, par la déception de ne pas être l'homme de
génie qu'il croyait être, par le désespoir, enfin, de l'amoureux et de l'amant qu'il fut.

1) Une jeunesse désargentée et sans joie


• Issu d'une vieille famille d'Auvergne, Raphaël, qui porte le titre de marquis, est de petite noblesse. Fils unique, ayant
tôt perdu sa mère, il est élevé par un père sévère. Son éducation est stricte, son enfance solitaire
et sa jeunesse studieuse. En même temps qu'il poursuit des études de droit, il travaille chez un homme de loi. C'est un
jeune homme pauvre.

2) Un «homme de génie » déçu et méconnu


¡Sa pauvreté l'empêche de fréquenter la haute société parisienne, de mener grand train et de retenir l'attention des
femmes.Raphaël décide de réussir par son travail et de briller par son intelligence: il se fera un nom en devenant un
«homme de génie» (p. 155)!
il s'adonne trois ans durant à deux projets: l'écriture d'une comédie, dont il attend un succès, une renommée et une
fortune rapides; et la rédaction d'un traité philosophico-médical, une Théorie de la volonté, qui
doit faire de lui l'égal des plus grands philosophes. Ce sont deux échecs

3 Un amoureux et un amant désespérés


• « J'étais né pour l'amour impossible, et le hasard a voulu que je fusse servi par-delà mes souhaits» (p.172). Raphaël est
effectivement l'homme de deux amours successives, mais douloureuses, même si c'est pour
des raisons différentes.
• Par l'entremise de son ami Rastignac, il rencontre la comtesse Fœdora qui passe pour «la plus belle femme de Paris»
(p. 177)

Un être hors du commun


Raphaël est aussi un être hors du commun, tantôt supérieur aux autres, tantôt inférieur. Il dispose en effet d'un
pouvoir exceptionnel. Cependant le savoir que lui donne ce pouvoir le réduit à une tragique impuissance.
1 Doué d'un pouvoir exceptionnel
• La possession de la Peau de chagrin confère à Raphaël un statut et une capacité d'action inédits. La Peau réalisant
tous ses désirs, il peut en effet ce qu'il veut.
© Souhaite-t-il par exemple, alors qu'il est affamé et qu'il n'a pas un sou,participer à un somptueux banquet ? Des amis
l'invitent aussitôt à une soirée chez le banquier Taillefer (p.89). Il lui suffit de penser un souhat sans même le formuler
oralement pour que celui-ci se réalise. C'est ainsi qui tue son adversaire en duel (p.39/7). Sa pensée ou sa parole est
action. et action immédiate. C'est disposer d'un pouvoir quasi divin.

2 Doté d'un savoir macabre


•Raphaël n'est cependant pas un dieu. Son pouvoir créateur possède une contrepartie destructrice. Chaque désir
exaucé diminue son espérance de vie, qu'il peut mathématiquement évaluer en mesurant le rétrécisse-
ment de la Peau. « Je n'en ai pas pour deux mois» (p. 330), calcule-t-il après une nouvelle vérification. Sa situation et
son savoir sont inédits.

•Raphaël connaît à l'avance la date de sa mort. Toutes ses tentatives pour la repousser se révèlent inutiles. Pas à pas, il
observe l'échéance se rapprocher. La Peau n'est plus qu'un lambeau « petit comme la feuille d'une
pervenche» (p. 421) quand il étreint Pauline dans un ultime et mortel désir.

3 Réduit à une impuissance tragique


• Raphaël est ainsi un personnage paradoxal en qui se réunissent les contraires. Lui qui peut tout se condamne
progressivement à l'impuissance. Vouloir, désirer, agir, c'est se suicider. Ne rien penser ni ne rien faire,
ce n'est pas vivre.
• Dans son refuge auvergnat du Mont-Dore, Raphaël s'efforce de prolonger son existence en s'imposant un état
végétatif. Il tente d'être un rocher avec les rochers, une plante avec les plantes (p. 407). C'est une vie mini-
male, qui est encore une vie. C'est du moins ce que croit Raphaël jusqu'à ce qu'il se laisse emporter par ses réactions et
sentiments.

Un héros romantique

Un personnage désenchanté
• A 26 ans, il est «sûr de mourir inconnu» (p. 153). C'est la fin de ses illusions et le début de son mal de vivre. Cet écart
entre des aspirations par nature infinies et la médiocrité ou la banalité de l'existence caractérise
le héros romantique.

• Né en 1804, Raphaël appartient à la génération marquée par la lecture de René de Chateaubriand. Ce mal de vivre est
alors très vif après l'échec de la révolution de 1830, qui vit un roi (Louis-Philippe) en remplacer un autre (Charles X) et
où l'argent a tué tout idéal et tout vrai sentiment.

• C'est Balzac lui-même qui lance le mot de « désenchantement». Il enfait une des caractéristiques de son personnage.

2 La tentation permanente du suicide


• Ce désenchantement conduit Raphaël au désespoir puis au suicide. La première partie du roman le voit décidé à se
noyer dans la Seine. La possession de la Peau ne le sauve qu'en apparence. Comme le lui fait remar-
quer le vieil antiquaire, elle retarde son suicide, elle n'en annule pas l'éventualité (p. 82).

• Les orgies et débauches de la deuxième partie auxquelles il se livre pour oublier Fodora sont une autre façon de se
tuer. Selon Rastignac, il n'y a rien de mieux que d'user son existence par le plaisir: « L'intempérance» est « la reine de
toutes les morts» (p. 254) parce qu'elle conduit tôt ou tard mais inévitablement à la crise cardiaque.
La troisième partie de l'œuvre porte enfin le titre significatif de «L'Agonie». Raphaël meurt à 27 ans. Comme tous les
héros romantiques, il meurt jeune.

3) L'amour, le désir et la mort


• Raphaèl ne meurt cependant pas de n'importe quelle façon. Il meurt de désirer Pauline, liant ainsi intimement la
passion, le désir sexuel et la mort. C'est là encore le lot de nombreux héros romantiques. Hernani,dans la pièce
éponyme (1830) de Victor Hugo, s'empoisonne lors de sa nuit de noces. Chatterton, le héros de la pièce éponyme
(1835) de Vigny. absorbe lui aussi du poison après avoir avoué son amour à Kity.
.,«Si tu restes là, je meurs» (p. 421), dit Raphaël à Pauline. Promesse de vie, donc de création, le désir est aussi cause de
destruction et d'épuisement des forces.

• Figure dominante de La Peau de chagrin, Raphaël est un personnage complexe, tout à la fois fort et faible,
représentatif de la jeunesse désabusée de 1830.

Un réalisme fantastique

le fantastique s'insère dans le réalisme. Il naît d'un réel extraordinaire, où l'étrange fait irruption et où
se manifeste le surnaturel.

I1• Un réel extraordinaire

1 Par sa surabondance
• L'accumulation de références au réel crée un univers qui n'a plus rien de normal. La longue description du magasin
d'antiquités (p. 45-60) en est un exemple. Les meubles, tableaux et objets divers, les noms de peintres, de sculpteurs,
d'artistes n'ont rien d'imaginaire. Prise isolément, chaque référence relève donc du réalisme. C'est leur concentration en
un seul lieu qui rend le magasin fantastique.

• L'irruption de l'étrange dans le réel


Si le réel peut être à l'origine du fantastique, par un mouvement inverse le fantastique pénètre le réel: par des troubles
de la vision, par des apparitions inquiétantes et par des phénomènes paranormaux.

•Un pouvoir magique


Cette série de phénomènes exclut toute intervention du hasard. À chaque souhait exaucé, la Peau rétrécit et la santé de
Raphaël se dégrade de plus en plus. Lui et la Peau meurent en même temps. C'est inexplicable, c'est fantastique mais
bien réel.

Un roman de l’énergie

La peau de chagrin est un roman de l’énergie en ce sens qu’elle commande et explique le sort de presque tous les
personnages. Balzac et expose une conception vitalistes de l’existence qui privilégie quitte à en mourir la recherche de
sensations fortes suicidaires, faible en principe, Raphael n’en est que le paradoxal

1- une conception vitalistes de l’existence


L’énergie se présente comme la source de toute existence dont la peau de chagrin est une représentation métaphorique.
La conséquence est qu’il revient à chacun de choisir sa vie, c’est-à-dire de décider de la manière dont il va consommer
son énergie vitale

A) L’énergie, source et moteur de l’existence


Le roman repose sur la thèse selon laquelle tout individu dispose à sa naissance d’une certaine quantité d’énergie à
dépenser. C’est l’énergie et le principe même de la vie, dont elle est le carburant, comme le suggère qu’est l’adjectif
« vitalistes ». Le vieil antiquaire développe longuement cette théorie : toute vie, explique-t-il à Raphael, se place sous le
double signe du « vouloir » et du « pouvoir ». Mais, ajoute-t-il, « vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit ». La
résident, selon lui, « un grand mystère de la vie humaine » page 75.
Ce courant vitalistes était alors en vogue dans certains milieux médicaux et philosophique. Parmi les médecins que
consulte Raphael figure d’ailleurs le docteur Caméristus, qualifié de « chef des vitalistes » p 369

B) La peau comme métaphore de l’existence


De cette thèse, la peau est l’illustration concrète. Son pouvoir surnaturel fait qu’elle réunit en même mouvement le
vouloir et le pouvoir. Désirez, c’est en effet vouloir ; et réaliser tous ses désirs, c’est tout pouvoir

L’inscription qu’elle comporte en forme de triangle inversé lis explicitement la diminution de l’espérance de vie au
nombre des volontés exprimer exaucés. Ce qui est vrai de l’existence physique les aussi de la vie affective et intellectuelle
: « là, conclut l’antiquaire, sont vos idées sociales, vos désirs excessif, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos
douleurs qui font trop vivre » page 80

C) choisir sa vie
Dès lors se pose la question de savoir comment consommer cette énergie. De ses choix dépend la vie qu’on mènera :
long, mais fade, sinon opté pour l’économie ; intense mais brève, sinon choisis l’excès

L’antiquaire avance dans longtemps échapper à ce dilemme on serait fusion dans le « savoir » qui permet de tous vivre
par la pensée sans pour autant s’épuiser physiquement page 75 76. Il finira par reconnaître son erreur. Savoir, donc
apprendre, n’est pas vivre : « j’avais pris l’existence au rebours », dira-t-il à Raphael, rencontré par hasard à l’opéra page
312

2- la recherche de sensations fortes

Vivre pleinement passe par une quête de l’intensité, qui ne peut s’effectuer que dans des excès de toute nature ou
création et destruction se trouve intimement liés

A) Des excès inhérents à une vie intense


Cette énergie est créatrice dans la mesure où elle permet de s’extraire de la fadeurs et de la monotonie de l’existence.
Pour y parvenir, l’excès devient indispensable. Celui-ci peut être de différentes sortes :
- excès de travail et de concentration intellectuelle quand Raphaël rédige dans sa mansarde sa Théorie de la volonté:
«Vous vous êtes livré à de grand travaux d'intelligence ?»», lui demande l'un des trois médecins qu'il consulte (p. 368):
-excès d'intempérance, de nourriture et d'ivresse lors du banquet chez Taillefer (p. 94-134):
- excès d'argent qui permet de tout s'acheter et de tout acheter (p.227);
- excès sexuels des courtisanes et de Raphaël (p. 280-282);
- excès dans la guerre qui n'est qu'une «débauche de sang» (p. 265).

La liste est quasi infinie C´est que « tous les excès sont frères» (p.265) et inhérents tous à une vie intense.

B) Une création destructrice


Dès lors, la création ne s’oppose pas à la destruction. Elle contient, elle la suscite, parce qu’elle implique une
consommation importante d’énergie

Plusieurs personnages du roman se plie en toute conscience et lucidité à cette loi universelle. La courtisane Aquilina se
moque de vieillir lentement : nous vivons plus en un jour qu’une bonne bourgeoise en disant page 127. Au bras
d’Euphrasie, l’antiquaire et de son avis : il y a toute une vie dans une heure d’amour page 312 l’intempérance (L’abus
d’alcool et des plaisirs sexuels) et pour Rastignac « la reine de toutes les morts » page 254

Le jeu est une variante du même phénomène. Miser sur Descartes comme le fait Raphael au début du roman, c’est
risqué de tout perdre ou de tout gagner. La ruine possible est indissociable d’une éventuelle richesse

3 • Le cas paradoxal de Raphaël


Au regard de cette conception vitaliste de l'existence, Raphaël apparait comme un homme peu énergique par lui-
même, de petite ambition et finalement réduit à l'impuissance.

A) Un homme peu énergique par lui-même


Figure centrale de l'œuvre, Raphaël est un héros faible. La première partie du roman le montre sur le point de se
suicider. Un double échec, littéraire et sentimental, l'a décidé d'en finir avec la vie. Aucun sursaut ne l'emporte, aucune
rage combative ne l'anime. Cette faiblesse de caractère l'antiquaire la diagnostique d'emblée quand il évoque des
«hommes doués de plus d'énergie» que son client paraît « en avoir» (p. 74)

Si Raphaël accepte de prendre possession de la Peau, c'est autant par défi que par désir de hâter sa mort prochaine:
«Vous vouliez mourir? Hé bien, votre suicide n'est que retardé» (p. 82), lui dit d'ailleurs le vieil homme. « Retardé», il
n'est pas en effet écarté ou éliminé.

L’énergie dont dispose Raphael lui extérieur : elle ne vient pas des profondeurs de son être. D’où sa faiblesse et sa
mentalité suicidaire

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