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En 1833, commence à germer dans l'esprit de Balzac l'idée de faire réapparaître certains personnages dans ses romans
ultérieurs. C'est à ce moment qu'il prend conscience de l'unité de son projet et qu'il entreprend le regroupement de ses
œuvres sous divers thèmes. En 1840, Il intitulera cette grande fresque La Comédie humaine.
La Comédie humaine, œuvre monumentale s'il en est une, comprend 91 romans ou nouvelles achevés. Les intentions
de Balzac en bâtissant cette œuvre sont d'ailleurs assez ambitieuses : «peindre et comprendre l'homme et la société dans
leur globalité
Balzac a placé La Peau de chagrin en tête de la section des études philosophiques, mais il aurait tout
aussi bien pu la placer parmi les études de mœurs car la réalité de la société française sous la Monarchie de Juillet y est
peinte. Seulement, Balzac ne cherche pas qu'à exposer cette réalité, il veut avant tout expliquer «le moteur de la vie
humaine et de la société »
Intérêt de l'oeuvre
En dépit des précautions que Balzac prit, dans sa préface, pour dissocier la personne de l'écrivain des personnages et
situations qu'il avait inventé, il semble bien que le roman a un côté autobiographique, que le romancier s'incarna dans
Raphaël :
- Comme lui, emporté dans la grande compétition parisienne, il voulut tout : la gloire, la richesse, les femmes
- Comme lui, il a imaginé pouvoir conquérir Paris en vivant dans la pauvreté la plus totale pour écrire.
- Comme lui, il a connu des expériences malheureuses.
- Comme lui, il a écrit une "Théorie de la volonté"
- Comme lui, il voulut «débuter par un chef-d'œuvre, ou (se) tordre le cou», ainsi qu'il l'écrivit à sa sœur,
Laure, en novembre 1819. "La peau de chagrin" réalisé ce désir précoce en 1831, après un long apprentissage
sous divers pseudonymes
M. de Valentin, le père de Raphaël, est présenté comme un homme qui possède le pouvoir et qui impose sa loi sans
égard pour la personne sur laquelle elle s'exerce. Raphaël décrit son père comme «un grand homme sec et mince» (p.
94), sévère, despote, «l'homme le plus caillouteux, le plus atrabilaire, le plus froid du monde» (p. 95), adjectifs pouvant
être considérés comme les marques d'une figure castratrice. Confortant l'image ici donnée de la figure paternelle,
Raphaël note le pouvoir écrasant dont son père fait preuve à son égard: «jusqu'à vingt et un ans, j'ai été courbé sous un
despotisme aussi froid que celui d'une règle monacale [.…. ] Sa paternité planait au-dessus de mes lutines et joyeuses
pensées, et les enfermait comme sous un dôme de plomb» (p. 94).
Foedora est la seconde figure castratrice du roman. Jeune femme de 22 ans elle a le sourire gracieux et la voix
mélodieuse: c'est «la femme à la mode» (p. 122). Cependant, elle est un mystère, une énigme, une «espèce de
problème féminin» (p. 122). Mi-Russe, mi-Parisienne, elle est à la fois celle qui fascine, celle qui séduit et celle qui
castre. Foedora joue avec les hommes afin de leur faire perdre tous leurs moyens par le jeu de la séduction. Elle s'y prend
grâce à la stratégie de la présence et de l'absence.Pour elle, le mariage est synonyme d'aliénation et de dépendance: «je
me trouve très heureuse d'être seule, pourquoi changerais-je ma vie, égoïste si vous voulez, contre les caprices d'un
maître?» (p.172). Les hommes désirent Feodora pour sa beauté, mais aussi en raison de ce refus de s'abandonner qui
attise leur désir. Feodora est donc un agent de la castration envers les hommes: elle les prive de la satisfaction de leur
désir. Elle en fera autant envers Raphaël
Pour Balzac tout être dispose d’une certaine quantité d'énergie à dépenser durant son existence. Cette quantité est
symbolisée par l'inscription en forme de triangle inversé figurant sur la Peau de chagrin découverte par Raphaël dans
un magasin d'antiquités. Les lignes de la peau rétrécissent à mesure que la réserve d'énergie diminue. Quand tout est
consommé, l'individu meurt. Cette conception vitaliste de l'existence, en vogue dans certains milieux médicaux et
scientifiques à l'époque de Balzac et que lui-même partage, soulève trois grandes questions. La première est de préciser
la source de cette énergie: d'où vient-elle? À chacun ensuite de la dépenser plus ou moins rapidement, c'est-à-dire de
choisir la vie qu'il entend mener: intense, mais brève; fade, mais longue. D'où une deuxième question : comment cette
énergie devient-elle une source de création, de construction de sa propre existence? Et une troisième question qui en est
la contrepartie: comment cette énergie créatrice est-elle dans le même temps une force de destruction?
À qui ou à quoi des personnages de roman doivent-ils leur énergie vitale? pour certains, elle provient d'un élément
magique, telle la Peau de chagrin' ou d'une intervention surnaturelle; d'autres ne la doivent qu'à eux-mêmes, parce
qu'ils sont habités par une force intérieure qui les pousse à agir et à se dépasser.
Dans La Peau de chagrin, Raphaël n'est pas naturellement d'une grande énergie. Le vieil antiquaire remarque en effet
qu'il a rencontré «des hommes doués de plus d'énergie» que lui (p. 74). Son pouvoir, il le tient
d'un «talisman?» (titre de la première partie du roman), qui lui permet de transformer ses désirs en réalité et lui
confère une capacité d'action exceptionnelle. Sans la Peau, Raphaël est sans force et ne songe d'ailleurs au à se suicider.
L'idée d'une toute-puissance d'origine magique.n'est pas nouvelle à l'époque de Balzac: elle remonte à l'Antiquité.
Pour Illustrer cette toute-puissance d'origine surnaturelle, Thomas Mann'un des plus grands romanciers allemands du
Xx; siecle, reprend dans sun roman Le Docteur Faustus (1947) un Vieille légende allemande _
XVI siecle, dont, avant lui, Goethe (1749-1832) avait tiré un drame puissant, Faust (1806).
Le mythe de Faust :
Selon ce mythe, Faust est un savant qui a consacré sa vie à étudier. L'âge venant, il lui semble n'avoir pas vraiment vécu.
Le Diable, sous les traits de Méphistophélès, lui propose alors d'exaucer tous ses désirs en échange de son âme. Faust
vivra un amour passionné. Selon la plupart des récits populaires, son âme appartiendra au Diable et Faust sera damné.
Stendhal(1783-1842)
Le Rouge et le Noir (1830), Livre I, chapitre X
Dans son univers romanesque, Stendhal évoque la vie sociale et politique de son temps à travers celle de personnages
qui se lancent tous dans une quête passionnée du bonheur et l'affirmation de soi, au mépris.
souvent, de toute convention. Ainsi, dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel, fils d'un charpentier gros-
sier et brutal, rêve de s'affranchir de son milieu d'origine. Grand lecteur, Julien a dévoré Le Mémorial de Sainte-Hélène
(1823) écrit par Las Cases qui a accompagné l'empereur déchu dans son exil et recueilli ses paroles. Cette lecture lui
donne une formidable énergie. Le voici, dans cet extrait, emporté par ses rêves, son désir d'ascension sociale et sa haine
des riches.
I1-L'ÉNERGIE CRÉATRICE
Quelle que soit sa source, l'énergie est une capacité d'action. C’est un but ou cette cause qui transforme l'énergie en
création, parce qu'elle s'efforce de réaliser ou de construire quelque chose qui n'existe pas encore. Ainsi, dans La Peau
de chagrin, Raphaël peut-il mener, grâce au talisman, une existence dorée et heureuse qu'il n'aurait pas autrement
connue. Les romans privilégient quatre grands types d'énergie créatrice; sur
un plan personnel, construire sa propre vie, notamment à travers une passion amoureuse (c'est l'objectif poursuivi par
Raphaël); sur un plan politique, travailler à l'avènement d'un monde meilleur; dans le domaine
intellectuel ou artistique, percer les mystères de la Nature ou réaliser un chef-d'œuvre
1• Construire sa vie
Réussir sa vie: chacun en rêve, mais certains plus que d'autres. Tout dépend des efforts déployés, parfois de la rage mise
pour y parvenir, bref de l'énergie dépensée pour s'enrichir, par exemple, ou encore conquérir la femme aimée, comme
dans l'extrait qui suit.
Stendhal(1783-1842)
Le Rouge et le Noir (1830),
Julien met toute son énergie dans la conquête de Mathilde. Mais entre elle et lui, les différences sociales sont énormes.
C'est un véritable abime.
Réaliser un chef-d'œuvre
Le savant dans son laboratoire, l'écrivain à son bureau, le peintre devant sa toile, l'artiste en général sont tous habités
par l'obsession de découvrir ou réaliser quelque chose de nouveau, qui fasse date dans l'histoire.
Ils y mettent toutes leurs forces. C'est une énergie qui les porte et qui parfois les brûle.
Conclusion
Le roman de l'énergie véhicule ainsi une conception de l'existence où création et destruction forment un couple
indissociable. Dans La Peau de chagrin, l'excès tue, la mort de l'artiste chez Zola. Tout se passe donc comme si l'énergie
était un courant ou un fluide qui allait dans les deux sens: de la création à la destruction, mais aussi de la destruction à la
création.
La structure du roman
Source de jouissance, le désir finit en effet par tuer. Mais sans désir, la vie vaut-elle la peine d'être vécue? Tel est le
dilemme auquel est confronté Raphaël.
Rupture Et désespoir
Pour oublier Foedora, Raphaël se jette dans le travail. songe à se suicider. Son ami Rastignac lui conseille plutôt de
s'adonner à la débauche. C'est une forme de suicide certes plus lente que la noyade ou la balle de revolver mais combien
plus agréable.
•Raphaël connaît à l'avance la date de sa mort. Toutes ses tentatives pour la repousser se révèlent inutiles. Pas à pas, il
observe l'échéance se rapprocher. La Peau n'est plus qu'un lambeau « petit comme la feuille d'une
pervenche» (p. 421) quand il étreint Pauline dans un ultime et mortel désir.
Un héros romantique
Un personnage désenchanté
• A 26 ans, il est «sûr de mourir inconnu» (p. 153). C'est la fin de ses illusions et le début de son mal de vivre. Cet écart
entre des aspirations par nature infinies et la médiocrité ou la banalité de l'existence caractérise
le héros romantique.
• Né en 1804, Raphaël appartient à la génération marquée par la lecture de René de Chateaubriand. Ce mal de vivre est
alors très vif après l'échec de la révolution de 1830, qui vit un roi (Louis-Philippe) en remplacer un autre (Charles X) et
où l'argent a tué tout idéal et tout vrai sentiment.
• C'est Balzac lui-même qui lance le mot de « désenchantement». Il enfait une des caractéristiques de son personnage.
• Les orgies et débauches de la deuxième partie auxquelles il se livre pour oublier Fodora sont une autre façon de se
tuer. Selon Rastignac, il n'y a rien de mieux que d'user son existence par le plaisir: « L'intempérance» est « la reine de
toutes les morts» (p. 254) parce qu'elle conduit tôt ou tard mais inévitablement à la crise cardiaque.
La troisième partie de l'œuvre porte enfin le titre significatif de «L'Agonie». Raphaël meurt à 27 ans. Comme tous les
héros romantiques, il meurt jeune.
• Figure dominante de La Peau de chagrin, Raphaël est un personnage complexe, tout à la fois fort et faible,
représentatif de la jeunesse désabusée de 1830.
Un réalisme fantastique
le fantastique s'insère dans le réalisme. Il naît d'un réel extraordinaire, où l'étrange fait irruption et où
se manifeste le surnaturel.
1 Par sa surabondance
• L'accumulation de références au réel crée un univers qui n'a plus rien de normal. La longue description du magasin
d'antiquités (p. 45-60) en est un exemple. Les meubles, tableaux et objets divers, les noms de peintres, de sculpteurs,
d'artistes n'ont rien d'imaginaire. Prise isolément, chaque référence relève donc du réalisme. C'est leur concentration en
un seul lieu qui rend le magasin fantastique.
Un roman de l’énergie
La peau de chagrin est un roman de l’énergie en ce sens qu’elle commande et explique le sort de presque tous les
personnages. Balzac et expose une conception vitalistes de l’existence qui privilégie quitte à en mourir la recherche de
sensations fortes suicidaires, faible en principe, Raphael n’en est que le paradoxal
L’inscription qu’elle comporte en forme de triangle inversé lis explicitement la diminution de l’espérance de vie au
nombre des volontés exprimer exaucés. Ce qui est vrai de l’existence physique les aussi de la vie affective et intellectuelle
: « là, conclut l’antiquaire, sont vos idées sociales, vos désirs excessif, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos
douleurs qui font trop vivre » page 80
C) choisir sa vie
Dès lors se pose la question de savoir comment consommer cette énergie. De ses choix dépend la vie qu’on mènera :
long, mais fade, sinon opté pour l’économie ; intense mais brève, sinon choisis l’excès
L’antiquaire avance dans longtemps échapper à ce dilemme on serait fusion dans le « savoir » qui permet de tous vivre
par la pensée sans pour autant s’épuiser physiquement page 75 76. Il finira par reconnaître son erreur. Savoir, donc
apprendre, n’est pas vivre : « j’avais pris l’existence au rebours », dira-t-il à Raphael, rencontré par hasard à l’opéra page
312
Vivre pleinement passe par une quête de l’intensité, qui ne peut s’effectuer que dans des excès de toute nature ou
création et destruction se trouve intimement liés
La liste est quasi infinie C´est que « tous les excès sont frères» (p.265) et inhérents tous à une vie intense.
Plusieurs personnages du roman se plie en toute conscience et lucidité à cette loi universelle. La courtisane Aquilina se
moque de vieillir lentement : nous vivons plus en un jour qu’une bonne bourgeoise en disant page 127. Au bras
d’Euphrasie, l’antiquaire et de son avis : il y a toute une vie dans une heure d’amour page 312 l’intempérance (L’abus
d’alcool et des plaisirs sexuels) et pour Rastignac « la reine de toutes les morts » page 254
Le jeu est une variante du même phénomène. Miser sur Descartes comme le fait Raphael au début du roman, c’est
risqué de tout perdre ou de tout gagner. La ruine possible est indissociable d’une éventuelle richesse
Si Raphaël accepte de prendre possession de la Peau, c'est autant par défi que par désir de hâter sa mort prochaine:
«Vous vouliez mourir? Hé bien, votre suicide n'est que retardé» (p. 82), lui dit d'ailleurs le vieil homme. « Retardé», il
n'est pas en effet écarté ou éliminé.
L’énergie dont dispose Raphael lui extérieur : elle ne vient pas des profondeurs de son être. D’où sa faiblesse et sa
mentalité suicidaire