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Chapitre 2

Les philosophes majeurs des


Lumières françaises

Le chapitre précédent a fait une large place aux combats de


Montesquieu, de Voltaire, de Diderot, de Rousseau. On a pu déjà y
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discerner ce qui les rassemble et ce qui les distingue. Chacun d’entre
5
8463

eux a légué un héritage qui lui est spécifique.


:168
.112

Montesquieu
.210
.250

Un aristocrate philosophe
4:41
1394

Charles-Louis de Secondat (1689-1755), baron de la Brède et de Montesquieu,


est un noble de souche très ancienne. De ses origines, il conserve la haute
:889

conception d’une noblesse animée par le service de la patrie ; il condamne la


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politique de Richelieu et de Louis XIV qui réduit cet ordre à une courtisanerie
d’apparat. Président du parlement de Bordeaux jusqu’en 1726, ce grand
1064

travailleur se consacre entièrement, à partir de 1731, à l’élaboration de son


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« grand dessein » : sa réflexion sur « la nature des lois et leurs rapports entre
elles ».
nc
Aiva
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Lettres persanes
rvox.
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Un roman épistolaire. Dans ce roman par lettres (1721), le lecteur passe d’un
narrateur à un autre ; il est ainsi confronté à une grande diversité de points de vue
qui lui livrent autant de vérités que de regards portés sur le réel.
La trame du roman. Deux seigneurs persans, Usbek et Rica, fuient Ispahan et
voyagent en France de 1712 à 1720. Ils écrivent leurs impressions de voyage à
leurs proches.
Une critique des mœurs, de la politique et de la religion françaises. Étrangers,
Rica et Usbek s’étonnent de ce qui pour les Français est habituel, « normal », ce
qui crée un registre propice à la satire. La fiction orientale est un voile,
transparent, qui met en question les institutions et les mœurs françaises. 1712-
1720, fin du règne de Louis XIV, début de la régence de Philippe d’Orléans : les
deux Persans découvrent notamment une monarchie fragilisée.
L’Orient est à la mode à l’époque. Ce roman est aussi un roman du sérail, celui
d’Usbek. Ce sérail, qui soumet les femmes au despotisme du maître secondé par
ses eunuques, est une métaphore du despotisme. Mais les femmes se révoltent :
une ébauche de réflexion sur la condition de la femme se profile. 36
5
8463

Le mythe des Troglodytes. Cet apologue, raconté dans quatre lettres, présente la
démocratie comme une société idéale, mais qui exige de trop grandes qualités
:168

morales et civiques. Les hommes, pusillanimes, préfèrent abandonner leur liberté,


.112

se laisser conduire par un roi, un « juste », qui gère leurs vies.


.210

La portée de l’ouvrage. Ce roman, violent à l’encontre des autorités établies,


.250

s’attaque même aux personnes du roi et du pape, qualifiées de « magiciens », de


« charlatans ». Œuvre très irrévérencieuse, elle n’échappe à la censure que parce
4:41

qu’elle est publiée sous la régence du libéral Philippe d’Orléans.


1394
:889

De l’esprit des lois


1046

Montesquieu travaille près de 20 ans à ce vaste ouvrage. Lorsqu’il le termine


1064

(1748), il est presque aveugle.


Un dessein original. De Platon à Locke la pensée politique défend surtout des
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idéaux. Montesquieu, lui, observe les faits, la réalité politique dans toute sa
nc

diversité, les analyse, en vue de dégager la logique des organisations sociales et


Aiva

politiques. Une cohérence profonde, un « esprit », régit les lois.


com:
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Définition de la loi. « Les lois […] sont les rapports nécessaires qui dérivent de
la nature des choses ». Les lois ne sont pas l’émanation d’une volonté divine ou
d’un pur arbitraire humain ; elles s’organisent selon une rationalité fondée sur « la
nature des choses », c’est-à-dire la géographie physique, l’économie, la religion,
la démographie, le régime de propriété, etc.
La théorie des climats. Montesquieu, après d’autres, tente de « prouver »,
expériences à l’appui, que les peuples des pays froids, vigoureux, courageux, ont
soif de liberté. À l’inverse, les peuples des pays chauds, plutôt paresseux,
emportés, exaltés, sont enclins au despotisme et à l’esclavage.
L’existence d’une morale politique. Au-dessus des lois qui organisent les
sociétés, les « lois positives », il existe des « lois naturelles » qui préexistent aux
lois écrites par les législateurs et qui définissent une morale universelle. La
raison, partagée par tous, condamne notamment l’esclavage, le despotisme, la
torture, qui s’avèrent une négation de l’homme.
La typologie des gouvernements. « Il y a trois espèces de gouvernements ».
– Le gouvernement républicain. « Le peuple en corps, ou seulement une36
5
8463

partie du peuple, a la souveraine puissance ». La république repose sur


« la vertu » : l’amour des lois, de la patrie, de l’égalité, de la liberté.
:168

– Le gouvernement monarchique. « Un seul gouverne, mais par des lois


.112

fixes et établies ». « Des pouvoirs intermédiaires », dotés de


.210

« l’honneur », une dignité morale exemplaire, garantissent le fonctionnement


de ce régime.
.250

– Le despotisme. « Un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa


4:41

volonté et ses caprices ». Le despotisme se fonde sur « la crainte » qui


1394

détruit toute ambition chez les sujets.


:889

La séparation des pouvoirs. La liberté politique est « le droit de faire tout ce


que les lois permettent ». La séparation des trois pouvoirs, pouvoir législatif qui
1046

fait les lois, pouvoir exécutif qui les applique, pouvoir judiciaire qui les fait
1064

respecter, garantit la liberté et la sûreté des citoyens respectueux des lois.


ity:21

La condamnation de l’esclavage. L’esclavage s’explique, mais ces explications


ne sont pas des justifications. « L’esclavage n’est pas bon par sa nature ». Le
nc

célèbre chapitre 5 du livre 15, De l’esclavage des nègres, condamne l’esclavage


Aiva

en pastichant les thèses esclavagistes.


com:
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Portée de l’œuvre. Les sociétés sont en proie à un mouvement incessant organisé
par des lois objectives, scientifiques, que l’analyste doit isoler et formuler. Mais
Montesquieu défend aussi des valeurs universelles fondées sur la raison et les
libertés qu’elle implique. Inspiré de Locke et de la monarchie parlementaire
anglaise – régime politique soutenu par Montesquieu – De l’esprit des lois est un
des livres fondamentaux de la philosophie politique.

Voltaire
Voltaire représente à lui seul les Lumières et le philosophe du XVIIIe siècle. C’est
la raison pour laquelle il est souvent sollicité dans le chapitre précédent.
Arrêtons-nous sur quelques-unes de ses caractéristiques.

Un frondeur philosophe, l’esprit français


36
Bourgeois d’origine, François-Marie Arouet (1694-1778), dit Voltaire, connaît la
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8463

Bastille dès 1717 pour avoir écrit contre le régent. Il se brouille régulièrement
avec les grands de ce monde parce qu’il leur dit leur fait, ou… leurs forfaits. Sa
:168

vie est un exil permanent. Certes, il incarne l’intellectuel engagé, le pourfendeur


.112

du catholicisme, mais il représente avant tout surtout l’esprit français avec sa


.210

clarté classique, son sens du mot juste, son style allègre, et surtout son art de la
pointe assassine.
.250
4:41

Un polémiste
1394

Voltaire et Locke. Les idées de Voltaire, pour l’essentiel, sont tirées de Newton,
:889

et surtout de Locke, il le revendique : les Lettres philosophiques ou Lettres


1046

anglaises (1734) sont une célébration des libertés anglaises, et la Lettre 13 porte
« Sur Monsieur Locke ».
1064

Voltaire polémiste. Le grand mérite de Voltaire est de donner une forme à ces
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idées, une forme polémique, pour qu’elles puissent se substituer aux valeurs
traditionnelles. Il sait que les mots sont d’une grande efficacité, et que l’homme de
nc
Aiva

lettres capable de les utiliser dispose d’un pouvoir redoutable. Une épigramme
voltairienne illustre les ressorts de la polémique :
com:

« L’autre jour, au fond d’un vallon,


rvox.

Un serpent piqua Jean Fréron :


la
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Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva. »
La polémique, une guerre. Du grec « polemos », la guerre, la polémique est une
guerre faite avec des mots. Le discours polémique n’a aucune visée informative ;
l’objectivité n’y tient aucune place : on ne sait rien de ce que Voltaire reproche à
Fréron, ni même qui est ce dernier. Le seul but est de discréditer l’adversaire par
le ridicule, en recourant aux arguments ad hominem s’il le faut ; Voltaire s’attaque
davantage à la personne qu’à ses idées.
À qui s’adresse le polémiste ? Le destinataire du discours n’est pas l’adversaire,
c’est une tierce personne, ici le lecteur « vous », que le polémiste prend à témoin
et dont il fait son complice. La polémique ne se pratique pas en « tête à tête »
avec son opposant, elle implique un public. Ce public complice, flatté parce qu’il
comprend le style allusif, amusé parce que, plus ou moins sadique, il se divertit
au détriment de la personne ridiculisée, perd tout sens critique, et épouse le camp
du polémiste.
36
Une efficacité redoutable, et… condamnable ? La polémique requiert beaucoup
5
8463

d’intelligence : maîtrise des mots, connaissance du « témoin ». Mais elle est


dépourvue de pertinence intellectuelle parce qu’elle exclut le débat d’idées, et sa
:168

valeur morale pose encore plus problème, par la démagogie qu’elle pratique à
.112

l’encontre du témoin complice, et surtout par le mépris qu’elle jette sur la


.210

personne visée. Quoi qu’il en soit, ce quatrain révèle la redoutable efficacité de


la polémique : Jean (qui se prénomme en réalité Élie !) Fréron est passé à la
.250

postérité – à son corps défendant – non par ses écrits, mais par ces quatre vers de
4:41

Voltaire qui le couvrent de ridicule. Les mots dans cette littérature ne sont plus un
1394

« art », ils sont une « arme ».


:889

La fréquence du discours polémique chez les philosophes du XVIIIe siècle fait des
Lumières un combat, une guerre contre les idées anciennes qu’il faut détruire.
1046
1064

Un moderne, « Il faut cultiver notre jardin »


ity:21

Voltaire parle de Candide (1759) comme d’une « coïonnerie ». Pourtant, c’est


bien Candide qui devient le « classique » du XVIIIe siècle consacré par les
nc
Aiva

programmes lycéens et universitaires. Candide passe à la postérité parce que l’art


de vivre qu’il défend, traduit par la formule finale du conte « Il faut cultiver
com:

notre jardin », traverse les siècles.


rvox.
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Le « Jardin ». Cette image est la métaphore des limites et de l’intimité. L’homme
n’atteindra jamais la connaissance absolue ni le bonheur parfait. Il faut aussi
exclure du « jardin » la barbarie inhérente à la politique et à l’appétit du pouvoir.
Mais, à l’intérieur de ces limites, l’homme est capable de progresser dans ses
connaissances et dans la construction d’un monde plus harmonieux.
« Notre ». La première personne du pluriel confère une dimension collective à cet
art de vivre : l’homme n’est pas un ermite, il vit en société, et c’est au sein de
cette société, avec les autres, qu’il construit sa vie. Candide vivra d’ailleurs dans
une « petite communauté ». Le jardin est aussi, et surtout, celui des hommes, et
non le jardin d’Éden que Dieu offre à l’homme. La Providence n’existant pas,
c’est aux hommes de cultiver leur « jardin », en toute liberté et en toute
responsabilité.
« Cultiver ». Ce verbe définit une morale de l’action. Le travail est la valeur
humaine par excellence : la vie n’est pas un cadeau tout fait offert à l’homme à sa
naissance ; une vie, au contraire, se construit en exploitant son intelligence et sa
capacité de créativité. Le travail n’est plus pour Voltaire une punition infligée par
36
5
les dieux (pensée grecque) ou par Dieu (la Genèse et le judéo-christianisme) pour
8463

punir l’homme de ses fautes. Il est à l’inverse la possibilité d’exprimer sa liberté


:168

en construisant le monde et en se construisant soi-même, et ainsi de donner un


.112

sens à sa vie en participant à la marche du progrès.


.210

Portée de l’art de vivre voltairien. « Il faut cultiver notre jardin » résume toute
la philosophie des Lumières, et annonce la pensée moderne, l’existentialisme en
.250

particulier. Sartre défend au XXe siècle l’idée amorcée par Voltaire selon laquelle
4:41

l’homme est « la somme de ses actes ». Voltaire est un moderne, le fervent


1394

défenseur d’un humanisme laïc. Il demeure celui qui se bat pour l’homme, contre
tout ce qui fait obstacle à sa dignité et à son épanouissement… il demeure
:889

« l’homme des Calas ».


1046
1064

L’ennemi de Rousseau
ity:21

Une lutte acharnée. Les deux philosophes sont opposés sur presque sur tout.
Mais Voltaire est surtout horripilé par les attaques de Rousseau contre la société,
nc

et par son apologie de l’état de nature. Voltaire croit au progrès, et il considère


Aiva

l’état de nature comme proche de l’animalité. Il poursuit Rousseau de sa vindicte,


com:

de ses mesquineries, de ses insultes, pendant plus de 20 ans.


rvox.
la
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univ.
Une rivalité symbolique. Voltaire incarne les Lumières d’une république
bourgeoise, laïque, tolérante. Il défend certes avec passion la tolérance et la
justice. Mais les libertés et les mérites individuels sont prioritaires, l’argent est la
juste récompense de ces mérites, l’égalité dût-elle en pâtir. Rousseau, lui, incarne
les Lumières d’une république populaire, la république des humbles, des démunis,
dogmatique, intransigeante sur les valeurs de justice et d’égalité. Opposé à toute
compromission avec les puissants, il se défie des séductions de l’argent
corrupteur. Le Gavroche de Hugo dans son célèbre refrain « C’est la faute à
Voltaire […] C’est la faute à Rousseau » comprend que les combats voltairien et
rousseauiste sont différents. La IIIe République choisit Voltaire ; la Commune
Rousseau… L’histoire de notre République française oscille entre ces deux
ennemis.

Diderot
36
Diderot est le philosophe de l’Encyclopédie, analysée dans le chapitre suivant.
5
8463

On s’attachera ici à montrer, par la présentation de quelques ouvrages, l’extrême


ouverture de cet esprit, l’un des plus modernes de son époque.
:168
.112

Un encyclopédiste philosophe
.210

La vie de Denis Diderot (1713-1784) est consacrée à son œuvre. Passionné pour
.250

toutes les connaissances, pendant 25 ans il se bat tellement pour l’Encyclopédie


4:41

qu’une grande partie de ses œuvres n’est publiée qu’après sa mort.


1394

Le Rêve de d’Alembert – écrit en 1769, publié en 1830


:889
1046

Diderot a l’intuition de l’évolutionnisme. Les espèces se transforment pour


engendrer d’autres espèces : « Toutes les espèces… tout est en flux perpétuel…
1064

Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ;
ity:21

toute plante est plus ou moins animal ». L’humanité, espèce parmi d’autres, est
en proie à l’évolution générale de la matière ; son histoire ne constitue qu’un
nc

moment transitoire dans l’histoire cosmique.


Aiva
com:

Le Neveu de Rameau – rédigé entre 1762 et 1774, publié en


rvox.

1805
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Diderot imagine un dialogue entre « Lui », le neveu du musicien Rameau,
personnage contemporain excentrique qu’il a rencontré, et « Moi », Diderot lui-
même. Ce dialogue, sorte de dédoublement, permet à Diderot de réfléchir sur la
place et le rôle du philosophe dans une société gagnée par l’immoralité, les
valeurs matérielles et l’hypocrisie. La décadence de cette société appelle une
renaissance qui ne peut être que celle des Lumières.

Supplément au voyage de Bougainville – 1773, publié en


1796
Une condamnation de la colonisation. Les Tahitiens découverts par l’explorateur
Bougainville « touchent à l’origine du monde », les Européens « touchent à sa
vieillesse ». Le colonisateur est mis en accusation : « Tu n’es ni un dieu, ni un
démon : qui es-tu donc pour faire des esclaves ? […] Ce pays est à toi ! et
pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? […] Tu es le plus fort ? Et qu’est-ce
que cela fait ? ».
36
Une utopie critique. « Otaïti », Tahiti, doit être lu comme une utopie régie par la
5
8463

loi de la nature. Cette loi remet en cause toutes les valeurs européennes, mariage,
:168

religion, propriété individuelle, course aux biens matériels. Ce sont les Européens
colonisateurs qui sont immoraux, eux qui, paradoxalement, veulent imposer leur
.112

immoralité aux colonisés. Ces derniers sont exemplaires parce qu’ils vivent en
.210

conformité avec les lois naturelles.


.250
4:41

Les Salons
1394

Diderot publie neuf « Salons » entre 1761 et 1781, neuf comptes rendus d’une
exposition d’art qui se tient au Louvre tous les deux ans. Il demande à l’art de
:889

remplir le même rôle que sa propre œuvre : l’art doit se fixer une mission morale,
1046

il doit contribuer à éclairer le peuple. Il annonce également le romantisme en


affirmant que « la poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de
1064

sauvage », en défendant la poésie des ruines et des ténèbres.


ity:21
nc

Jacques le fataliste – commencé en 1771, publié en 1796


Aiva

La trame du roman. Jacques, le valet, et son maître, entreprennent un voyage


com:

étrange dont on ne connaît ni l’origine, ni la destination, comme le voyage de la


rvox.

vie. Le valet doit raconter à son maître l’histoire de ses amours, il est sans cesse
la
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univ.
interrompu. Le récit, entrecoupé de nombreuses digressions, s’achève sans
dénouement d’une intrigue qui s’avère inexistante.
Un roman « moderne ». L’écriture romanesque de Diderot annonce le Nouveau
Roman de la seconde moitié du XXe siècle. Il est impossible pour le lecteur de
s’abandonner dans une illusion romanesque que Diderot lui refuse. Le roman
établit une relation ludique originale entre le lecteur qui veut qu’on lui raconte une
histoire et l’auteur qui la lui refuse.
Une portée philosophique. Jacques est déterministe, « fataliste ». Il dit et redit
que « tout est écrit sur le grand rouleau ». À l’opposé, le romancier revendique
une totale liberté dans la construction de son œuvre. La liberté de l’artiste est
ainsi opposée au déterminisme d’une vie dont chacun connaît l’issue. C’est par la
création artistique que l’homme conquiert la liberté, une thèse qui annonce
« l’antidestin »1 théorisé par Malraux.

Portée de l’œuvre de Diderot


36
5
Matérialiste, défenseur de l’évolutionnisme, contestataire qui pourfend les
8463

certitudes d’une culture occidentale prétentieuse jusqu’à vouloir dominer le


:168

monde, annonciateur des courants artistiques à venir, Diderot est si « moderne »


qu’il en devient parfois « postmoderne ». Le dialogue, omniprésent dans son
.112

écriture, est révélateur ; il ne sert jamais un schéma qui opposerait l’erreur à la


.210

vérité, comme chez Platon par exemple. Même lorsque Diderot écrit « Lui » et
.250

« Moi », « Moi » demeure, pour une part, fictif, et ne représente pas à lui seul la
thèse à retenir. L’erreur n’est pas toujours le contraire de la vérité, elle est parfois
4:41

l’oubli de la vérité contraire. Le dialogue chez Diderot est la structure qui refuse
1394

d’enfermer l’humanité dans le dogmatisme, qui révèle qu’il y a toujours une place
:889

pour une autre voix, ou une autre voie, ce qui constitue le fondement-clé de la
liberté, et, par là, des véritables Lumières.
1046
1064
ity:21

Rousseau
nc
Aiva

Un plébéien philosophe
com:
rvox.
la
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univ.
Homme du peuple, orphelin de mère très tôt, abandonné par son père horloger
contraint à l’exil, rien ne semble préparer Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) à
la renommée. Pourtant, autodidacte, il la conquiert au grand dam des autres
philosophes des Lumières qui ne partagent pas ses idées. Son œuvre progresse
selon la logique « contestation, construction, justification ».

Les œuvres de « contestation »


Discours sur les sciences et les arts, 1750. Alors que les Lumières défendent le
progrès intellectuel et matériel source de progrès moral et de bonheur, Rousseau
développe dans son essai la thèse opposée, provocatrice : les sciences et les arts
– « arts » prend ici le sens de « techniques appliquées » – ont corrompu les
hommes. L’originalité de la thèse, l’éloquence du style assurent à Rousseau une
célébrité soudaine et inattendue.
Discours sur l’origine de l’inégalité, 1755. Ce second discours2 présente
d’abord une vision paradisiaque de l’homme dans l’état de nature. Les hommes
36
vivent alors un âge d’or : « Ils vécurent libres, sains, bons et heureux ». Cette
5
8463

perfection a pour origine l’absence de la propriété individuelle : « Les fruits sont


à tous […] la terre n’est à personne » ; les fruits de la nature nourrissant tous les
:168

hommes, la propriété ne peut pas exister. Rousseau identifie ensuite l’origine de


.112

l’inégalité : l’apparition de la propriété individuelle ; il y voit les débuts des


.210

maux de l’humanité : « Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et


.250

d’horreurs […] ».
Dans ses deux « discours » Rousseau accuse les institutions sociales d’avoir
4:41

corrompu l’homme. En organisant une société inégalitaire du superflu, elles ont


1394

détourné l’homme de la nature : « l’homme naît bon, la société le corrompt ».


:889

Lettre à d’Alembert sur les spectacles, 1758. Dans l’article « Genève » de


1046

l’Encyclopédie, d’Alembert critique l’interdiction du théâtre par les autorités


calvinistes genevoises. Rousseau compose une réponse véhémente qui condamne
1064

le théâtre, artificiel, mais qui défend la fête, authentique. Il parachève le procès


ity:21

intenté à la société qui s’est coupée des valeurs naturelles.


nc
Aiva

Les œuvres de « construction »


com:

La Nouvelle Héloïse, 1761. Dans ce roman épistolaire, Rousseau imagine une


famille qui vit à Clarens en symbiose avec la nature. Cette dernière n’est pas une
rvox.

nature brute, sauvage, chaotique ; l’homme lui a donné une forme mais en
la
scho
univ.
respectant ses lois, ce qui engendre une communion mystique homme-nature.
« Clarens » est aussi le lieu de la « clarté », de la transparence totale entre les
êtres : toutes les formes de mensonge et de dissimulation y sont bannies pour
établir une communion des cœurs totale. À l’inverse de la société dans laquelle
règnent perversion, hypocrisie, orgueil, jalousie, Clarens est une société idéale.
Émile ou de l’Éducation, 1762. La culture intégrée par l’enfant, Émile, ne doit
pas le dénaturer ; l’éducation doit développer la raison, la sensibilité, la
sociabilité, la conscience morale et politique sans trahir la nature de l’enfant.
Cette éducation se déroule avec un minimum d’intermédiaires : l’enfant apprend
par lui-même, en observant la nature ; la présence du précepteur, un simple guide,
ne se justifie que dans ce but.
En affirmant l’existence d’une psychologie propre à l’enfant, Rousseau fonde la
pédagogie moderne. De plus, la priorité de l’expérience personnelle sur tout autre
apprentissage se veut une éducation de la liberté. L’éducation de Sophie, la future
compagne d’Émile, s’avère toutefois bien traditionnelle : « Toute l’éducation des
femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire
36
5
aimer et honorer d’eux. »
8463

Du contrat social, 1762. Rousseau juge sa société corrompue. Il lui faut donc
:168

proposer une nouvelle forme d’organisation sociale qui soit conforme à la nature
.112

de l’homme, ce à quoi il s’attache dans Du contrat social. Cette œuvre, très


importante, fera l’objet d’un chapitre particulier3.
.210
.250

Les œuvres de « justification »


4:41

Les attaques quasi unanimes, et souvent très violentes, des autres philosophes des
1394

Lumières, au premier rang desquels Voltaire, créent chez Rousseau une paranoïa
:889

au point qu’il croit qu’un « complot universel » a été ourdi contre lui. Se sentant
1046

persécuté, Rousseau consacre ses dernières œuvres à se justifier.


Les Confessions, ouvrage rédigé de 1765 à 1770, publication posthume. « Je
1064

forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura
ity:21

point d’imitateur ». Rousseau pense que jamais on n’est allé, et on n’ira, aussi
loin que lui dans l’exigence de sincérité. Quelles que soient les objections qui
nc
Aiva

peuvent être formulées sur le projet et la réalisation de cette œuvre, elle se révèle
novatrice par le désir de tout dire, y compris les choses du corps et du sexe
com:

jusque-là taboues, et, plus encore, par ce désir de descendre au fond de soi en vue
rvox.

de reconstituer l’histoire et la cohérence de sa personnalité.


la
scho
univ.
Rousseau juge de Jean-Jacques. L’œuvre est écrite de 1772 à 1776, publiée en
1782. Un personnage, « Rousseau », qui joue le rôle de l’avocat, s’entretient avec
un « Français », qui tient le rôle du juge, au sujet d’une tierce personne, « J. J. »,
absente, l’accusé. Au terme de l’échange, le « Français », qui entre-temps a lu
l’œuvre de Rousseau, prononce l’acquittement de « J. J. ». Cette œuvre, dont le
propos peut paraître étrange, voire naïf, se propose de montrer la cohérence de la
personne de Rousseau et de son œuvre.
Les Rêveries du promeneur solitaire. L’œuvre, inachevée, est écrite entre 1776
et 1778 et publiée en 1782. Même si l’obsession du « complot » demeure,
Rousseau tente dans sa dernière œuvre de l’oublier et de la dépasser. Il se laisse
aller, au cours de dix promenades indépendantes qui sont autant de rêveries, au
jeu de la mémoire et de l’écriture, ainsi qu’à la jouissance du moment présent
vécu en symbiose avec la nature. Le promeneur à pied est en contact direct avec
elle ; lorsqu’il se laisse aller à la rêverie, il se libère de la raison pour fusionner
totalement avec la nature et faire de l’instant vécu un moment de perfection.
36
5
8463

Portée de l’œuvre de Rousseau


Rousseau n’est pas seulement important par sa pensée politique. Il inaugure
:168

également une nouvelle forme de recherche sur soi. Il montre que la quête de sa
.112

vérité personnelle, par l’exploration du moi secret et intime, est complexe. Il


.210

annonce une littérature personnelle qui se développe à partir du romantisme, qui


.250

va de Chateaubriand à Nathalie Sarraute, en passant par Marcel Proust et


Marguerite Yourcenar.
4:41
1394
:889

1. Voir partie VII, chapitre 7.


2. Voir aussi partie IV, ch.1.
1046

3. Voir chapitre 5 de cette partie.


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Aiva
com:
rvox.
la
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Chapitre 3
L’Encyclopédie

25 années de travaux et de luttes, plus de 60 000 articles, 17


volumes de textes, 11 volumes de planches, 1 000 ouvriers qui y
travaillent pendant plus de vingt ans, 24 000 exemplaires achetés en
1789 dont 11 000 en France, l’Encyclopédie est l’œuvre qui domine
les Lumières du XVIIIe siècle. Le projet est mené à son terme grâce 36
5
8463

à l’opiniâtreté de Diderot qui rédige lui-même un millier d’articles et


qui surmonte les défections, les trahisons, les interdictions ; sa foi
:168

dans ce qui, pour lui, constitue une véritable mission l’emporte sur
.112

tous les découragements.


.210
.250
4:41

Le combat d’un quart de siècle


1394

Diderot ne devait que traduire la Cyclopaedia de l’Anglais Chambers. Le projet


:889

évolue, la décision est prise d’édifier une encyclopédie neuve ; une souscription
est lancée pour assurer le financement de l’entreprise. Il faut plus de 25 ans à
1046

Diderot pour mener à bien le travail. La tâche est immense, certes, mais les
1064

milieux conservateurs, animés notamment par les jésuites, multiplient leurs


attaques. Ils obtiennent deux fois l’interdiction de l’ouvrage, ainsi que sa
ity:21

condamnation par le pape Clément XIII. L’œuvre échappe à l’interdiction


nc

définitive parce qu’elle bénéficie du soutien de Malesherbes, le directeur libéral


Aiva

de la « Librairie », responsable en partie de la censure. Découragé par les


com:

difficultés, d’Alembert abandonne la codirection en 1758. Contre vents et marées,


Diderot se bat jusqu’au terme, aidé par le chevalier de Jaucourt qui succède à
rvox.

d’Alembert et qui rédige le plus grand nombre d’articles.


la
scho
univ.
Le combat pour des idées nouvelles

Un « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des


métiers »
Le sous-titre de l’Encyclopédie révèle quelques intentions de ses auteurs.
« Raisonné ». Les connaissances sont passées par le crible de la raison, Diderot
se propose de « tout examiner, tout remuer sans exception et sans
ménagement » ; les connaissances sont analysées et synthétisées en vue d’en
dégager un sens, une perspective pour l’humanité.
« Sciences ». Toute Révélation divine est écartée, pour ne retenir que la
connaissance élaborée par la raison, tant pour les mathématiques et les sciences
traditionnelles que pour la philosophie et la morale.
« Arts et métiers ». Au-delà de son sens habituel, le mot « art » concerne les
« arts mécaniques », les nombreux métiers manuels qui requièrent de la
36
compétence technique. C’est ce sens qui est surtout retenu par les encyclopédistes,
5
8463

comme le confirme « métiers » qui clôt le titre. Ces métiers sont ignorés, voire
méprisés, à l’époque ; les encyclopédistes veulent en révéler toute la valeur en
:168

présentant leur technicité et leur utilité.


.112
.210

Une apologie des techniques et du progrès


.250

Fils d’un coutelier, Diderot est sensibilisé aux mérites du travail technique.
4:41

L’Encyclopédie s’ouvre aux champs des paysans, aux ateliers des artisans, aux
1394

manufactures des ouvriers, aux mines et à leurs mineurs. Les 11 volumes de


« planches » sont consacrés à la présentation, sous la forme de dessins et de
:889

schémas annotés, de toutes les techniques contemporaines. On y démontre que le


1046

travail manuel est une activité noble, et que la machine, sans cesse perfectionnée,
rend le travail moins pénible, qu’elle contribue au progrès.
1064
ity:21

Une apologie de la raison


nc

Les droits de la raison critique. La raison critique et le libre examen s’exercent


Aiva

en particulier sur les valeurs issues de la religion et de la tradition. Certes, les


com:

attaques des encyclopédistes sont prudentes, mais l’athéisme de Diderot est à


rvox.
la
scho
univ.
peine dissimulé. Dans l’article « Raison » par exemple il affirme : « Nous
sommes hommes avant d’être chrétiens. »
Un rationalisme. Toutes les « sciences », toutes les connaissances présentées
dans l’Encyclopédie sont issues de l’homme et de lui seul, de sa raison. Diderot
défend un humanisme laïque et rationaliste.
L’Encyclopédie n’a rien d’une encyclopédie traditionnelle. Si elle fait le point sur
des connaissances, elle est surtout un combat d’idées et de valeurs. La tradition
politico-religieuse est systématiquement contestée au profit des idées nouvelles
des Lumières.

Quelques collaborateurs majeurs

D’Alembert
36
Codirecteur de l’ouvrage, Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) participe
5
8463

activement aux premiers tomes ; il rédige notamment l’important « Discours


préliminaire » qui présente l’ouvrage. Les différentes interdictions qui frappent
:168

l’Encyclopédie entraînent des divergences avec Diderot, sa démission de la


.112

direction, et une brouille qui dure jusqu’en 1765. Mais d’Alembert continue à
.210

livrer des articles scientifiques. Opposé aux mérites de la naissance, il défend


ceux des talents et du travail, valeurs de la classe montante, la bourgeoisie.
.250
4:41

Jaucourt
1394

Louis de Jaucourt (1704-1779), « l’esclave de “l’Encyclopédie” », selon les


:889

mots mêmes de Diderot, est la cheville ouvrière de l’entreprise. Il rédige environ


1046

le quart des articles des derniers tomes, près de 20 000. Entouré de secrétaires
qu’il rétribue lui-même, il signe des articles sur les domaines les plus divers, de
1064

la géographie à la politique. La postérité ne l’a pas reconnu à l’égal de Diderot et


ity:21

d’Alembert. Il a pourtant permis à l’Encyclopédie d’être menée à son terme.


nc
Aiva

Condillac
com:
rvox.
la
scho
univ.
Étienne Bonnot de Condillac (1715-1780) propose des articles consacrés à la
philosophie. Prêtre, il ne partage pas l’irréligion des Lumières. Son œuvre, Traité
des sensations, publiée en 1754, conforte toutefois la pensée des encyclopédistes.
Condillac précise l’empirisme de Locke en affirmant qu’il n’existe aucune idée
innée et que toutes les facultés humaines, comme l’attention, la mémoire,
l’imagination, la réflexion, proviennent des sensations et des expériences vécues
dès la première enfance : théorie dénommée « le sensualisme ».

D’Holbach
Né en Allemagne, noble, très riche, le baron Paul-Henri Thiry d’Holbach (1723-
1789) reçoit les philosophes en animant un salon qui devient le centre de la
pensée philosophique. Il assure pour une part importante le financement de
l’Encyclopédie par les liquidités dont il dispose. Il écrit un nombre très important
d’articles scientifiques et historiques. Les ouvrages personnels qu’il compose
sont une attaque violente de la religion et une défense du matérialisme athée. Dans
36
le plus connu, le Système de la nature, publié en 1770, il condamne le dualisme
5
8463

en niant l’âme : « L’homme est un être purement physique ».


:168

Helvétius
.112

Issu de la haute bourgeoisie, fermier général à l’âge de 23 ans, Claude Adrien


.210

Helvétius (1715-1771) bâtit une fortune importante. Il aide financièrement


.250

l’Encyclopédie, y écrit des articles de philosophie. En 1758, en pleine bataille


4:41

encyclopédique, il publie De l’esprit, un ouvrage matérialiste et athée qui est


immédiatement condamné par le roi, par le pape, par le Parlement, et par la
1394

Sorbonne.
:889
1046

Quesnay, Turgot, et les physiocrates


1064

Quesnay (1694-1774). Opposé à Colbert défenseur du commerce et des


manufactures, Quesnay, physiocrate, affirme que seule l’agriculture est productive
ity:21

de biens à l’origine d’échanges entre les trois classes, les laboureurs, les
nc

propriétaires terriens, les artisans-commerçants. Son slogan « Laissez faire,


Aiva

laissez passer » annonce le libéralisme économique d’Adam Smith théorisé dans


com:

Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776).


rvox.
la
scho
univ.
Turgot (1727-1781) contribue à la diffusion de la théorie physiocratique par
différents articles. Louis XVI l’appelle comme ministre en 1774 pour s’attirer la
bienveillance des partisans des philosophes.

La portée de l’ouvrage
Voltaire et Rousseau ne donnent que peu d’articles. Montesquieu quant à lui est
trop âgé. 150 rédacteurs, plus ou moins compétents, participent à l’Encyclopédie.
Diderot est sévère pour certains d’entre eux : « Parmi quelques hommes
excellents, il y en eut de faibles, de médiocres et de tout à fait mauvais », il
estime que l’œuvre qu’il a dirigée est inégale, hétéroclite, on y trouve « une
ébauche d’écolier, à côté d’un morceau de maître ; une sottise voisine d’une
chose sublime ». La postérité a oublié l’insignifiant pour ne retenir que
l’enrichissant.
Le prix d’un volume de l’Encyclopédie au XVIIIe siècle équivaut à plus d’un mois
36
de salaire d’un ouvrier qualifié. Le prix de la souscription est supérieur à deux
5
8463

ans de salaire de ce même ouvrier. Ceux qui achètent l’ouvrage appartiennent


:168

donc à des milieux aisés, ceux de la bourgeoisie et de l’aristocratie éclairées. De


fait, L’Encyclopédie se diffuse chez les magistrats, les notables, qui ont soif de
.112

culture, de liberté, de reconnaissance, ceux-là mêmes qui animeront la Révolution


.210

de 1789 pour en faire une révolution bourgeoise.


.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 4
Deux successeurs des
philosophes des Lumières

Les œuvres majeures de la philosophie des Lumières sont écrites


dès la fin du troisième quart du XVIIIe siècle. Cette philosophie
continue toutefois à s’exprimer dans la génération qui succède aux 36
5
8463

« grands » philosophes. Deux penseurs méritent une attention


particulière parce que les idées qu’ils défendent auront une grande
:168

influence.
.112
.210
.250

Condorcet
4:41
1394

Un esprit brillant
:889

Fils d’un militaire de petite noblesse, Nicolas de Condorcet (1743-1794) devient


1046

le secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences dès 30 ans. Girondin, il est


arrêté sous la Terreur. Il est retrouvé mort dans sa cellule : un suicide par
1064

empoisonnement… sans doute.


ity:21
nc

Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit


Aiva

humain
com:

L’œuvre, rédigée en prison, est publiée par la veuve de Condorcet en 1795.


rvox.
la
scho
univ.
Les 10 périodes de l’histoire de l’humanité. Condorcet divise son ouvrage en
10 chapitres qui analysent les 10 périodes de l’histoire humaine. Après les
peuples nomades, les hommes se sont sédentarisés en devenant agriculteurs,
premier adoucissement des mœurs. L’invention de l’écriture constitue ensuite
l’événement fondateur des vrais progrès intellectuels de l’humanité. Vient alors la
pensée grecque, un premier couronnement. Ce progrès est stoppé par le
christianisme qui génère les superstitions, les préjugés, les dogmatismes, les
fanatismes… les ténèbres. Ce sont l’imprimerie, les sciences et le cartésianisme
qui sortent à jamais l’humanité de ces ténèbres.
Condorcet montre que, malgré la religion qui a constitué un frein aux progrès
pendant des siècles, le dynamisme de l’esprit est le plus fort ; il engendre
l’avènement progressif de la liberté. Les deux impulsions les plus marquantes ont
été insufflées par l’élaboration de l’écriture alphabétique et par la diffusion de
l’imprimerie.
Une dixième période en construction. La Révolution française voit se réaliser la
liberté de penser, la tolérance, la justice, jugement étonnant puisqu’il rédige son
36
5
œuvre alors que les Jacobins l’arrêtent et que la Terreur sévit. Sans doute
8463

Condorcet juge-t-il que la Terreur de Robespierre n’est qu’une parenthèse dans


:168

une avancée générale du progrès.


.112

La Révolution française clôt la neuvième période et inaugure la dixième dans


.210

laquelle Condorcet présente « le tableau des destinées futures de l’espèce


humaine ». Les progrès qui se réaliseront sont nombreux : développement de
.250

l’égalité à l’échelle nationale comme internationale ; décolonisation ; disparition


4:41

progressive des guerres ; création d’une Sécurité Sociale, gérée par l’État, qui
1394

protège des accidents, de la maladie, de la vieillesse ; et, surtout, création d’une


instruction publique gratuite et laïque ouverte à tous les enfants.
:889
1046

Condorcet est un précurseur


1064

Condorcet défend des valeurs politiques qui seront mises en œuvre, pour
ity:21

certaines par la IIIe République, pour d’autres par la IVe République. Fidèle à la
tradition rationaliste issue des Grecs, il pense que le progrès des connaissances
nc

engendre le progrès moral. L’Histoire n’a pas confirmé cette foi optimiste.
Aiva

Condorcet est également passé à la postérité par son « paradoxe ». Il y démontre


com:

que, dans une élection dans laquelle plus de deux candidats sont en lice – ce qui
rvox.

est presque toujours le cas dans nos démocraties avec les élections à deux tours –
la
scho
univ.
le candidat élu ne peut pas représenter la majorité des électeurs. Il constate ainsi
l’impossibilité de dégager une volonté générale qui repose sur la majorité des
volontés individuelles.

Sieyès

L’homme-caméléon
Prêtre, défroqué, révolutionnaire, consul avec Bonaparte, comte d’empire,
« l’abbé Sieyès » (1748-1836) semble prêt à toutes les compromissions pour
faire carrière. La Restauration l’élimine définitivement de la vie publique. Il est
l’auteur d’un libelle, un court texte satirique, qui lui vaut une très grande notoriété
dès sa publication.

36
Qu’est-ce que le tiers état ? 1789 5
8463

Une ouverture célèbre


:168

« Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous
.112

faire :
.210

1. – Qu’est-ce que le tiers état ? Tout.


.250

2. – Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.


3. – Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »
4:41

Un violent réquisitoire contre les privilèges de la noblesse. Ces privilèges sont


1394

tels que cette caste s’exclut elle-même de la nation : « Une telle classe est
:889

assurément étrangère à la nation par sa fainéantise […] par ses prérogatives


1046

civiles et publiques ». À l’opposé, le libelle se livre à une apologie lyrique du


tiers état : « Que serait-il sans l’ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et
1064

florissant ».
ity:21

Un plaidoyer pour le peuple. C’est le peuple, constitué de citoyens égaux, qui fait
la nation : l’intérêt général, et lui seul, régit la vie politique. Cette nation a besoin
nc
Aiva

d’être organisée en se dotant d’une constitution, et, pour l’élaborer, le peuple doit
élire une Assemblée Nationale. La souveraineté est ainsi transférée du roi à la
com:

nation.
rvox.
la
scho
univ.
Portée de l’œuvre. Des dizaines de milliers d’exemplaires de l’ouvrage sont
vendus, amenant l’éditeur à sortir quatre éditions consécutivement. L’œuvre
suscite beaucoup de passions et de scandales, elle annonce les grands événements
de 1789, la formation d’une assemblée nationale, l’élaboration d’une constitution,
l’abrogation des privilèges durant la nuit du 4 août.

36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 5
Rousseau, Du contrat social

L’ouvrage (1762) s’ouvre sur une phrase devenue très célèbre :


« L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». D’entrée,
Rousseau dénonce l’aliénation des hommes soumis à un pouvoir
politique despotique. Il proclame l’urgence de la restauration de la
36
liberté naturelle, inaliénable : « Renoncer à sa liberté naturelle, c’est
5
8463

renoncer à sa qualité d’homme ». Quelle est la forme d’organisation


de la société qui préserve et garantisse la liberté naturelle ? Telle est
:168

la question sur laquelle Rousseau se penche tout au long de son


.112

essai.
.210
.250
4:41

Le pacte social et la souveraineté


1394
:889

Définition du pacte social


1046

La nature n’accorde à personne l’autorité. L’autorité du père cesse avec l’âge de


ses enfants. L’autorité politique ne peut être fondée que sur un pacte.
1064

Un pacte par essence consenti librement. L’autorité politique repose sur le


ity:21

consentement de ceux sur qui elle s’exerce. Ce consentement est fixé par un pacte
social, « l’acte du monde le plus volontaire ». Les clauses de ce contrat se
nc
Aiva

réduisent, en fait, à une seule.


com:

La clause unique du contrat. « L’aliénation totale de chaque associé avec tous


ses droits à toute la communauté. » Chacun « aliène », c’est-à-dire « transmet
rvox.

volontairement », non seulement ses biens, mais aussi ses droits individuels, à la
la
scho
univ.
communauté. D’individu égocentrique, il est promu « associé », « citoyen ».
L’associé acquiert un double statut, il est à la fois citoyen et sujet ; citoyen, il
constitue une partie de la souveraineté ; sujet, il obéit aux lois de cette
souveraineté dont il est membre.

Les caractéristiques de la souveraineté


Elle est inaliénable. La volonté générale, souveraine, ne peut être cédée à
quiconque. À l’inverse de Montesquieu, Rousseau refuse que le peuple soit
représenté par des élus : « toute loi que le Peuple n’a pas ratifiée est nulle ; ce
n’est point une loi ».
Elle est indivisible. La séparation des pouvoirs législatif et exécutif est également
refusée : « La volonté est générale ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps
du peuple », un corps monolithique.
Elle est infaillible. Le peuple, citoyen et sujet, ne peut que servir le bien de
chacun et de tous. Il ne peut pas se tromper ; la volonté générale, objective, est
36
5
« toujours droite, tend toujours à l’utilité publique ». Un sujet qui n’accepte pas
8463

cette volonté demeure prisonnier de son égoïsme archaïque ; on lui imposera une
:168

éducation civique salvatrice : « On le contraindra à être libre. »


.112

Elle est absolue. Cet absolutisme, conséquence de l’infaillibilité, n’a rien


d’arbitraire puisqu’il se met au service de l’intérêt général et qu’il ne brime pas
.210

les intérêts de chacun. Le peuple, soudé, solidaire, libéré des superstitions, ne


.250

peut que vouloir des lois qui servent l’intérêt général.


4:41
1394

Le législateur et la loi
:889
1046

La nécessité d’un législateur


1064

La volonté générale s’exprime par la loi. Pour des raisons tant matérielles
ity:21

qu’intellectuelles, cette loi ne peut pas être formulée par tous. Elle le sera par un
nc

législateur, homme unique, compétent, qui met en forme la volonté générale.


Aiva
com:

Les qualités du législateur


rvox.
la
scho
univ.
Un génie solitaire. Le législateur travaille dans la solitude. C’est un être
supérieur, une sorte de mage, prophète de l’Humanité et des forces spirituelles. Il
ressemble à Moïse, à Solon, à Lycurgue, qui donnent respectivement la loi aux
Hébreux, à Athènes, à Sparte.
Un homme sans pouvoirs. Le législateur n’a aucun pouvoir de décision ; il ne fait
que proposer les lois sans les imposer. Le peuple, et lui seul, détient le pouvoir
législatif puisque c’est lui qui ratifie les lois qui ont été formulées par le
législateur, lois qu’il peut refuser.

Le gouvernement
Le gouvernement ne propose pas de lois, sa mission est de les mettre en œuvre. Il
est constitué de « fonctionnaires », révocables à tout moment, qui organisent les
mesures concrètes pour que la loi se traduise en actes.
36
5
Les formes de gouvernement
8463

À la démocratie, gouvernement exercé par tous, ou à la monarchie, gouvernement


:168

exercé par un seul, Rousseau préfère l’aristocratie élective, gouvernement exercé


.112

par quelques-uns choisis par le peuple. Mais la conjoncture peut imposer une
.210

démocratie ou une monarchie. Il n’y a pas de gouvernement idéal.


.250
4:41

Le danger de tout gouvernement


1394

Le gouvernement est une véritable gangrène politique. Tout gouvernement est


tenté d’empiéter sur la souveraineté du peuple. Il faudra parfois un dictateur,
:889

homme exceptionnel, qui dispose de tous les pouvoirs pour un temps limité, en
1046

vue de rétablir le crédit et l’autorité de la volonté générale.


1064
ity:21

La religion
nc
Aiva

Les religions réfutées


com:
rvox.
la
scho
univ.
« La religion de l’homme ». Le christianisme originel, évangélique, ne
développe pas le sentiment civique ; il s’avère plutôt asocial dans la mesure où il
dévalorise le monde terrestre au profit de l’au-delà.
« La religion du citoyen ». Les cités antiques, grecques et romaines, sont fondées
par des dieux qu’elles honorent. Ces dieux relèvent de la superstition ; or, une
communauté ne peut pas se construire sur l’illusion.
« La religion bizarre ». Encore dénommé « la religion du prêtre », le
catholicisme est haï par Rousseau. Cette religion a fait la preuve qu’elle engendre
la division, la guerre fratricide, au lieu de fédérer les hommes.

L’apologie d’une religion civile


Des cérémonies, des fêtes, sacrées, entretiennent en le célébrant le lien social. Ce
lien est l’objet d’une ferveur particulière, mystique, pour qu’il soit vécu comme
sacré, inviolable ; c’est en effet lui qui métamorphose l’individu en citoyen et
crée la volonté générale. Toutefois, cette religion civile partagée par tous
36
5
n’interdit pas une religion naturelle pratiquée librement par les individus.
8463
:168
.112

Portée de l’œuvre
.210
.250

Un ouvrage irréaliste ?
4:41

Comment les idées de Rousseau pourraient-elles être mises en œuvre dans les
1394

grandes sociétés modernes ? Lui-même d’ailleurs pense que ses principes ne


peuvent s’appliquer qu’à « une seule ville tout au plus », les villes ayant ensuite
:889

la possibilité de se confédérer. Mais Rousseau n’étudie pas l’organisation du


1046

pouvoir, pourtant fondamentale, au sein de cette fédération à construire.


1064

Une postérité ambiguë


ity:21

Condamnée en France, brûlée à Genève, obligeant son auteur à l’exil, l’œuvre


nc

dérange l’ordre établi. Les principes de Rousseau animent la Révolution


Aiva

française… et conduisent à la Terreur. Rousseau, profondément pacifiste, aurait


com:

détesté ces horreurs. Mais, sans le vouloir, il justifie le fait que les sociétés qui se
rvox.

pensent « parfaites » sont les pires des sociétés, parce que, au nom de cette
la
scho
univ.
perfection, elles interdisent et combattent toute contestation. « On le contraindra
à être libre », dit Rousseau du contestataire : l’Histoire montre la barbarie
qu’engendre une telle assertion.
Toutefois, Rousseau fonde les grandes valeurs républicaines : le peuple
souverain, la citoyenneté, l’intérêt général ; ces principes demeurent des
références essentielles pour nos démocraties.

Une erreur sur la nature humaine ?


Cette œuvre célèbre l’homme-citoyen, elle discrédite l’homme-individu. La
politique n’est-elle pas, pourtant, une négociation perpétuelle entre les intérêts
particuliers et l’intérêt général, et non la négation des premiers au profit exclusif
du second ? L’identité nationale ne saurait gommer l’identité individuelle.
D’ailleurs, toute la vie de Rousseau le révèle plus individualiste qu’altruiste.
Rousseau souffre d’être exclu, victime d’un « complot universel ». Est-ce, pour
une part, ce qui le conduit à imaginer une société unanime et fraternelle ?
36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 6
Kant

Kant est l’un des philosophes les plus importants, si ce n’est le plus
important, du XVIIIe siècle. Son œuvre, immense, est à la fois le
couronnement du mouvement des Lumières et l’amorce d’une
réflexion contemporaine sur la connaissance.
36
5
8463
:168

Un puits de savoir
.112

D’origine modeste, Emmanuel Kant (1724-1804) vit à Königsberg, en Prusse


.210

orientale. C’est un philosophe sédentaire qui consacre sa vie à lire, étudier,


.250

chercher, enseigner, écrire, selon un emploi du temps strict. Ses connaissances


sont variées. À l’université, il enseigne de multiples matières. Son œuvre,
4:41

abondante, se révèle difficile d’accès. Elle traite de trois questions qui, à ses
1394

yeux, définissent toute la philosophie : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ?
:889

Que m’est-il permis d’espérer ? Ses œuvres essentielles : Critique de la raison


pure (1781), Fondement de la métaphysique des mœurs (1785), Critique de la
1046

raison pratique (1788). Ses derniers mots sont célèbres : « C’est bien ».
1064
ity:21

Une théorie nouvelle de la connaissance


nc
Aiva
com:

Une « révolution copernicienne »


rvox.
la
scho
univ.
Les « critiques » de Kant, c’est-à-dire ses analyses et réflexions, engendrent une
toute nouvelle conception de la connaissance humaine. Jusqu’alors on croit que la
connaissance est neutre : connaître un objet, c’est en percer les secrets, c’est le
lire tel qu’il est. Or, Kant montre que la connaissance est une construction, qu’elle
est élaborée par notre perception des choses et par les structures de notre raison
qui analyse ces observations. De même que Copernic inverse les rapports de la
terre au soleil, Kant inverse ceux de l’homme à l’objet à connaître : la
connaissance ne se définit plus d’abord en fonction de l’objet à connaître, mais en
fonction des caractéristiques du sujet qui connaît.

« Les formes a priori de la sensibilité », l’espace et le


temps
Le réel se déploie dans l’espace et le temps. Toute connaissance commence par la
perception par nos sens (« sensibilité » signifie « sens ») de l’objet à connaître,
perception qui le situe dans l’espace et le temps. Il nous est impossible, par
36
exemple, de connaître Dieu ; il est « éternel », c’est-à-dire hors du temps, et
5
8463

« universel », c’est-à-dire hors de l’espace. Il échappe donc à notre perception,


et, par là, à notre connaissance.
:168
.112

« Les formes a priori de l’entendement »


.210

Toute connaissance passe ensuite par un travail de la raison qui s’exerce sur
.250

l’expérience, le fait perçu. Or, la logique qui caractérise cette raison est elle aussi
4:41

structurée selon des « formes a priori », par exemple « causalité », « nécessité »,


1394

que Kant analyse avec précision. Notre esprit perçoit donc les phénomènes dans
l’espace et le temps d’une part, et il les analyse au travers de ses propres
:889

structures, ses propres catégories, d’autre part.


1046
1064

Les « phénomènes » et les « noumènes »


ity:21

L’esprit ne perçoit et n’interprète que des « phénomènes ». Les choses en soi, les
« noumènes », nous échappent définitivement. La connaissance scientifique, celle
nc

des objets, est la seule connaissance authentique. En revanche, la métaphysique,


Aiva

comme celle de Platon notamment, qui prétend que la raison est capable de
com:

connaissance sans expérience sensible, est condamnée aux errements et aux


illusions.
rvox.
la
scho
univ.
Une théorie caractéristique de la morale

« Un impératif catégorique »
La morale est indépendante de la science, comme d’ailleurs de la religion. La
science décrit des phénomènes, la morale prescrit des actions. La connaissance
scientifique est construite par l’homme, la loi morale est inscrite dans notre nature
humaine ; elle est par conséquent impérative.

Trois formulations de l’impératif catégorique


« Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi
universelle ». Avant d’agir, l’homme doit se poser cette question simple :
« Qu’adviendrait-il si tout le monde agissait ainsi ? ».
« Agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité, en toi et chez les
autres, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme
36
un moyen ». Tout individu est une personne digne et respectable, qui ne peut être
5
8463

ravalée au rang d’objet, à commencer par sa propre personne.


:168

« Agis comme si tu étais législateur en même temps que sujet dans la


république des volontés ». Kant reprend la théorie du Contrat social de
.112

Rousseau, une lecture qui l’a fasciné au point de troubler l’heure de sa promenade
.210

quotidienne !
.250
4:41

De la morale à la métaphysique : les espérances de Kant


1394

Le bien, la justice, le bonheur auxquels nous aspirons ne triomphent pas toujours


:889

ici-bas. Nos efforts moraux échouent régulièrement. Nous pouvons espérer qu’il
existe un autre monde que celui dans lequel nous vivons, un monde dans lequel
1046

Dieu existe et l’âme est immortelle, un monde dans lequel toutes les valeurs
1064

morales s’épanouissent. Mais ce monde n’est qu’un espoir, il échappe à notre


connaissance.
ity:21
nc
Aiva

La pensée politique
com:
rvox.
la
scho
univ.
Idée d’une Histoire universelle d’un point de vue
cosmopolitique
Cet essai (1789) définit un sens à l’Histoire de l’humanité, une humanité vouée à
se réaliser en tant qu’espèce raisonnable.
« L’insociable sociabilité ». Cet oxymore définit l’ambivalence de la nature
humaine : d’un côté les hommes souhaitent vivre en société ; de l’autre, l’individu
refuse de disparaître dans la masse, pour se réaliser comme personne. La nature
se sert de ces passions contradictoires pour réaliser ses desseins secrets. Par
exemple, un individu motivé par un appétit de pouvoir égoïste pourra, par ses
actes, faire œuvre de créativité sociale, et ainsi contribuer au progrès de
l’humanité. La nature a « un plan caché » sur l’Histoire de l’humanité.
L’avènement d’une humanité cosmopolite. La dynamique de la nature pousse
les hommes à construire une société civile qui les rassemble tous et qui soit
administrée par le droit.
Cette œuvre annonce les réflexions de Hegel sur le sens de l’Histoire et les
36
« ruses de la raison ».
5
8463
:168

Projet de paix perpétuelle


.112

L’idéal de paix défendu dans cet essai (1795) s’inscrit dans les valeurs des
.210

Lumières.
.250

L’apologie de la république pacifiste. Seule une république garantit un État de


droit. Une république est constituée de sujets qui dépendent des lois communes,
4:41

de citoyens égaux devant la loi, ce qui confère aux individus la vraie liberté. Cet
1394

État de droit fait de la république un régime plus pacifiste que tous les autres. Les
:889

citoyens, qui détiennent le pouvoir, « réfléchissent beaucoup avant de


commencer un jeu aussi néfaste » que celui de la guerre.
1046

De l’alliance des peuples à la République mondiale. Les relations entre les


1064

peuples sont celles de l’état de nature puisque c’est le plus fort qui impose sa loi.
ity:21

La paix se construira lorsque les États seront capables d’élaborer un droit


international qui régule leurs rapports.
nc
Aiva

La paix et le sens de l’Histoire. La nature conduit les hommes, parfois à leur


insu, vers une finalité qui donne un sens à l’Histoire : la paix. La nature se
com:

comporte comme une Providence bienveillante qui joue avec l’insociabilité,


rvox.
la
scho
univ.
l’agressivité des hommes, pour construire la paix. Les guerres elles-mêmes ne
sont pas totalement absurdes : leurs horreurs font comprendre la nécessité urgente
d’établir un droit international qui garantisse la paix.
Portée de l’œuvre. Les horreurs et les barbaries de l’Histoire au XXe siècle
infirment les espoirs kantiens : « la Bête immonde » – les instincts pervers –
continue à sévir dans les rapports entre les hommes. Toutefois,
l’internationalisation progressive du droit, les débuts des alliances des peuples,
vont dans le sens de l’optimisme humaniste kantien.

36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Partie VI
Le XIXe siècle

Le XIXe siècle, notamment français, est caractérisé par une


profonde instabilité politique : deux empires, ceux de
Napoléon Ier et de Napoléon III ; deux monarchies, celle
d’ancien régime de Louis XVIII et de Charles X, celle
constitutionnelle de Louis-Philippe ; deux républiques, la
36
deuxième et la troisième ; trois révolutions, celles de 1830, de
5
8463

1848, de la Commune ; un coup d’État, celui de 1851. Cette


instabilité se retrouve dans les multiples théories politiques qui
:168

voient le jour au cours du siècle.


.112

La Révolution industrielle amène l’essor du capitalisme, et,


.210

avec lui, l’émergence d’une nouvelle classe dominante, la


.250

bourgeoisie, et d’une nouvelle classe dominée, le prolétariat.


4:41

Avec la bourgeoisie, le travail et l’argent deviennent de


nouvelles valeurs, matérialistes. Les ouvriers, de leur côté,
1394

issus d’un gigantesque exode rural, connaissent des conditions


:889

de travail, de logement et de vie inhumaines. La question


sociale s’installe dorénavant dans le débat d’idées. Hegel
1046

confesse : « La lecture des journaux est ma prière du matin


1064

quotidienne ». La réflexion du penseur s’enracine dans la


société.
ity:21

La philosophie des Lumières ne construit pas de « systèmes »


nc

philosophiques, de théories cohérentes qui rendent compte de


Aiva

la totalité du réel. Certes, Kant formule quelques idées sur un


com:

sens de l’Histoire animé par le progrès, mais, selon lui, « le


rvox.

bout des choses » – « les noumènes » – échappe


la
scho
univ.
définitivement à l’homme ; Kant ne propose donc pas de
véritable « système » philosophique. À l’inverse, le XIXe siècle
est le siècle de la philosophie de l’Histoire ; trois systèmes
philosophiques définissent le sens de la totalité des
événements humains, sur le point de connaître leur
achèvement : l’hégélianisme, le marxisme, le positivisme. Ces
philosophies de l’Histoire mettent à mal l’individu – et sa liberté
– prisonnier d’un mouvement historique sur lequel il n’a pas de
véritable prise. On voit donc apparaître d’autres approches de
l’homme, qui laissent de côté l’Histoire, pour défendre la
personne, sa liberté, sa responsabilité, celles de Kierkegaard,
de Schopenhauer, et surtout de Nietzsche.

36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 1
Le romantisme

L’étymologie du mot « romantisme » renvoie au « roman », ces récits


épiques ou chansons de geste des peuples romans, écrits en langue
romane. Ils développent une culture d’inspiration chrétienne,
nationale, ils cultivent le merveilleux et le mystère, ils manifestent une
prédilection pour l’absolu. Ils se distinguent par là de la culture 36
5
8463

classique et antique qui recherche l’universel, la raison et la clarté. Le


terme anglais « romantic » traduit l’émotion ressentie à la lecture des
:168

romans sentimentaux traditionnels. Ces origines définissent le


.112

romantisme en opposition aux rationalismes du classicisme et des


.210

Lumières. Quelle est la nature de cette opposition ? Quelles en sont


les origines et la portée ?
.250
4:41
1394

Le romantisme : un antirationalisme
:889
1046

Le refus d’un rationalisme réducteur


1064

Les romantiques ne nient pas que l’homme soit doté de raison, mais ils font de
ity:21

cette dernière une faculté secondaire ; l’essentiel pour l’homme est de l’ordre de
l’affectivité, de l’imagination, du rêve, de la mémoire profonde.
nc
Aiva

« Sturm und Drang ». Cette métaphore allemande, « la Tempête et l’Assaut »,


désigne un mouvement esthétique et politique de la seconde moitié du
com:

XVIIIe siècle en Allemagne. Elle célèbre l’impétuosité et le désordre des


rvox.

sentiments, et s’oppose à l’équilibre et à la stabilité de la raison.


la
scho
univ.
L’œuvre de Goethe Les Souffrances du jeune Werther, qui paraît en 1774, est
l’œuvre-clé du « Sturm und Drang » ; ce roman épistolaire connaît un succès
considérable. Werther, un jeune artiste, s’est installé à la campagne pour vivre
proche de la nature. Il tombe amoureux de Charlotte – Lotte – qu’il rencontre dans
un bal. Mais elle est fiancée à Albert, un homme chaleureux et bon, pour lequel il
éprouvera une amitié teintée de rivalité. Werther partage avec Lotte les mêmes
goûts pour la nature et la littérature, mais son amour est sans espoir. Éconduit,
marginalisé par une société matérialiste, il se suicide. Werther incarne la révolte,
« l’assaut », contre la loi, le juste milieu, la raison : « Rougissez, vous les
tièdes ; rougissez, vous les sages. » Les jeunes Allemands, les jeunes Européens
de la fin du XVIIIe siècle s’identifient à lui. Pris de « fièvre werthérienne », on
s’habille comme Werther et Charlotte… et on se suicide également comme
Werther. Le héros éponyme de René de Chateaubriand (1802) est un double de
Werther.
« Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », recommande Musset qui
précise : « Ce qu’il faut à l’artiste et au poète c’est l’émotion ». Le « génie », ce
36
qui est propre à l’individu, ce n’est pas la raison, mais le cœur, l’affectivité. Le
5
8463

romantique refuse l’universalité rationnelle : « Je m’exprimais moi-même pour


:168

moi-même » écrit Lamartine à propos de ses Méditations.


.112

Le refus d’un rationalisme universaliste


.210
.250

Le romantisme nationaliste allemand


4:41

Herder (1744-1803). Dès la fin du XVIIIe siècle, Johann Gottfried von Herder
1394

remet en cause le « cosmopolitisme » des Lumières. Chaque culture est dotée


d’une spécificité et d’une finalité qui lui sont propres, et un individu se définit en
:889

fonction de sa culture et non de son humanité. Contre l’idéal classique français,


1046

qui se définit universel, il exalte le génie populaire, le « Volksgeist », « l’âme du


peuple », mot-clé du nationalisme allemand, un génie propre constitué par la
1064

langue, la religion, le passé et son folklore.


ity:21

Fichte (1762-1814). Johann Gottlieb Fichte est le théoricien de la « germanité ».


nc

L’Empire germanique disparaît en 1806 avec les armées napoléoniennes qui


Aiva

envahissent la Prusse. C’est ce qui amène Fichte à prononcer plusieurs Discours


com:

à la nation allemande, en 1807 et 1808, dont le but est de soulever l’opinion du


peuple allemand contre la France. Il reprend les thèses de Herder. Mais il fait
rvox.

aussi l’éloge des nations qui ont su entretenir la puissance spirituelle de leur
la
scho
univ.
langue originelle ; de ce fait, elles constituent les « nations mères ». C’est le cas
des Allemands, héritiers de la culture grecque, plus ancienne et plus féconde que
la culture latine. Face aux nations européennes non germaniques qui parlent des
langues néo-latines, la Nation allemande est la seule qui soit l’incarnation des
valeurs essentielles de l’Esprit. Le peuple allemand a donc le droit et le devoir de
s’unifier dans une nation incarnée dans un État fort qui définisse « une orientation
de toutes les forces individuelles vers la finalité de l’espèce ». Fichte est un des
fondateurs du pangermanisme.
Les frères Grimm, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859), rassemblent
contes et légendes sous le titre Contes de l’enfance et du foyer. Cette œuvre
s’inscrit dans le mouvement de la redécouverte d’une culture populaire ancestrale
et de la reconstitution de « l’âme du peuple », le « Volksgeist ».

La pensée contre-révolutionnaire
Elle s’exprime dès 1790 avec trois œuvres ; celle de l’Anglais Edmund Burke
(1729-1797) Réflexions sur la Révolution française ; celle de Joseph de Maistre
36
5
(1753-1821) Considérations sur la France (1796) ; celle de Louis de Bonald
8463

(1754-1840) Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile,


:168

démontrée par le raisonnement et l’histoire (1796).


.112

Pour les contre-révolutionnaires, les droits sont forgés par la tradition, ils n’ont
pas à être « déclarés ». De plus, l’homme, avant d’avoir des droits, a des devoirs,
.210

envers son Dieu, et envers son roi dont la légitimité s’enracine dans le passé.
.250

Enfin, l’idée même de droits de l’homme est inepte ; il n’y a pas de nature
4:41

humaine universelle, mais des peuples et des nations ; par conséquent, il n’y a pas
une liberté à défendre, mais des libertés, chaque peuple ayant forgé, par son
1394

histoire, sa propre conception de la liberté.


:889
1046
1064

Le romantisme français et la vie politique


ity:21

Des espoirs anéantis


nc
Aiva

De 1789 à 1815 la France connaît 25 années de passions politiques : la


com:

Révolution d’une part, malgré les exactions de la Terreur, incarne pour beaucoup
l’enthousiasme d’une nation républicaine nouvelle à bâtir, à défendre et à
rvox.

répandre ; l’histoire mythique des « soldats de l’an II » illustre cette foi en un


la
scho
univ.
nouvel ordre en construction. Napoléon Ier, d’autre part, incarne le mythe d’une
France puissante ; mais il est aussi celui qui, issu du peuple, parvient au sommet
par son intelligence politique, par ses mérites ; il est la preuve que tout individu
est capable de la plus grande réussite s’il en a les capacités et la volonté. En
créant les lycées il offre une possibilité de carrière pour tous ceux qui en sont
aptes, ce que confirme la fulgurante ascension de certains de ses généraux. 1815
met un terme aux espoirs et aux rêves de toute une génération.

Le « mal du siècle »
Le déterminant « du siècle » souligne les causes historiques de ce « mal ». La
monarchie restaurée de Louis XVIII tente en effet de gommer les 25 années
d’histoire qui viennent de s’écouler en rétablissant la société d’ancien régime. Or,
mis à part les conservateurs ultras, la jeunesse ne croit pas en cette restauration ;
le passé mythique napoléonien vient de disparaître à jamais, l’avenir n’offre
aucun espoir de vie exaltante. Demeure pour cette génération un présent vide.
36
L’individu ne peut que se replier sur lui-même et chercher au fond de lui et dans la
5
8463

nature la réalisation que la société lui refuse. Le mal du siècle, c’est l’idéal
impossible pour toute une génération qui s’estime sacrifiée et qui crie sa
:168

souffrance, parfois jusqu’à l’insulte. Musset accuse violemment Voltaire, institué


.112

bouc émissaire, coupable d’avoir tout détruit sans laisser aucune possibilité de
.210

reconstruction :
.250

« Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire


Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ? ».
4:41
1394

Une évolution à partir de 1830


:889

Un espoir. La Révolution de juillet met un terme à la Restauration et installe une


1046

monarchie constitutionnelle. Les romantiques y voient un nouvel espoir politique.


1064

Victor Hugo, monarchiste par ses origines familiales, devient définitivement


républicain. En décembre 1831, Lamartine publie son Ode sur les révolutions
ity:21

dans laquelle il dit sa foi dans le progrès de la société.


nc

Une inquiétude. La Monarchie de Juillet de Louis-Philippe connaît les débuts de


Aiva

la révolution industrielle, l’essor du capitalisme et la montée d’un matérialisme


com:

pécuniaire. Les valeurs spirituelles et esthétiques qui assurent la grandeur de


l’homme étant menacées, le romantique se doit de les défendre. Les hyperboles
rvox.
la
scho
univ.
hugoliennes qui font du poète un « rêveur sacré » et de la poésie « l’étoile qui
mène à Dieu rois et pasteurs » s’expliquent par l’urgence à défendre des valeurs
humaines compromises.
Si la révolution industrielle fait émerger une nouvelle « richesse », elle engendre
simultanément l’apparition d’une nouvelle forme de misère, celle des ouvriers. Le
romantique, républicain, s’engage dans la défense de cette nouvelle classe
d’exploités ; Victor Hugo les décrit dans Les Misérables, et il les défend dans
d’innombrables poèmes, comme « Melancholia » des Contemplations. Certains
vers sont inscrits dans la mémoire collective :
« Caves de Lille ! On meurt sous vos plafonds de pierre ! »

La Révolution de 1848 et le Second Empire


L’engagement romantique républicain. La deuxième République est gérée à ses
débuts par Lamartine, qui est député depuis 1833, et qui est porté à la tête du
gouvernement provisoire. C’est lui qui proclame la république, qui défend le
36
5
drapeau tricolore menacé par le drapeau rouge ; c’est sous sa responsabilité que
8463

Victor Schoelcher en 1848 abolit définitivement l’esclavage. Battu aux élections


:168

présidentielles, il disparaît de la scène politique.


.112

Victor Hugo, élu député, s’engage à vie dans le combat politique. Il s’illustre dans
sa lutte contre « Napoléon le Petit ». Après le coup d’État de Louis Bonaparte, il
.210

mène un combat incessant contre « l’usurpateur », durant ses 19 années d’exil :


.250

« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ».


4:41

Hugo, qui refuse toute compromission avec un pouvoir illégitime, demeure une
1394

personnalité à part : le romantique est le plus souvent vaincu par une société et
une condition humaine qui l’écrasent ; les héros littéraires romantiques sont des
:889

héros tragiques. À l’inverse, malgré tous ses déboires, Hugo continue à se battre,
1046

et il reste optimiste sur son siècle et sur celui à venir : « Le dix-neuvième siècle
1064

est grand, mais le vingtième siècle sera heureux ».


ity:21
nc

Un art nouveau
Aiva
com:

Un art qui revendique la liberté


rvox.
la
scho
univ.
La bataille d’Hernani de 1830 est une guerre intellectuelle que se livrent les
classiques et les romantiques. La préface de Cromwell de Victor Hugo, drame
romantique publié en 1827, s’apparente à un manifeste anticlassique : toutes les
règles sont refusées au nom de la liberté de création, sauf l’unité d’action,
assouplie. La référence n’est plus l’antiquité gréco-romaine mais l’exubérance
shakespearienne. L’artiste s’inspire de nouvelles époques, le Moyen Âge et la
Renaissance, de nouveaux pays, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre.

Un art lyrique
Alors que pour le classique « le moi est haïssable » parce qu’il n’existe de
beauté qu’universelle, le romantique fait de la singularité, de l’exception, de la
subjectivité, des valeurs esthétiques. L’art romantique est nourri de la vie
personnelle de son créateur : Les Contemplations de Hugo (1856) sont
structurées autour de la mort de sa fille Léopoldine. Mais les sentiments hugoliens
sont aussi ceux de tous les hommes ; son lyrisme personnel rejoint alors
36
l’universalité : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous… Ah !
5
8463

insensé qui crois que je ne suis pas toi ! ».


:168

Un art engagé
.112

« Écho sonore ». Par cette métaphore Hugo montre son intérêt pour les questions
.210

sociales de son époque. L’artiste se sent investi d’une mission : préparer pour le
.250

peuple un avenir radieux, par l’équité sociale, le développement de l’instruction.


4:41

L’artiste romantique se met au service du Progrès, comme… le philosophe des


Lumières. La « Fonction du poète », toujours pour Hugo, est noble :
1394

« Le poète en des jours impies


:889

Vient préparer des jours meilleurs.


1046

Il est l’homme des utopies,


1064

Les pieds ici, les yeux ailleurs ».


ity:21

Histoire de France de Michelet. L’œuvre de l’historien Jules Michelet (1798-


1874), Histoire de France, composée à partir de 1833, illustre ce romantisme
nc
Aiva

militant. Elle se fixe pour but « une résurrection intégrale du passé » dans
laquelle le peuple, et la France, jouent les premiers rôles. « La France est une
com:

personne », la patrie « est aimée comme une personne » ; la Révolution de 1830


rvox.

est un tournant-clé : « L’acteur principal [de l’Histoire] est le peuple » ; « La


la
scho
univ.
France a fait la France […]. Elle est fille de sa liberté ». Michelet développe
une vision mystique de la France et du Peuple ; l’histoire de Jeanne d’Arc est
érigée en mythe, celui d’une double sainteté, religieuse et patriotique, archétype,
modèle sacralisé de la volonté populaire.

Portée du romantisme

Une soif d’idéal


Le romantique a soif de vérité, de liberté, de bonheur. René, le personnage de
Chateaubriand, exprime cette aspiration avec un lyrisme hyperbolique : « J’étais
accablé d’une surabondance de vie. […] Je sentais dans mon cœur comme des
ruisseaux d’une lave ardente ».

36
Un idéal détruit par la réalité 5
8463

Le romantique développe une conscience aiguë, mais aussi ironique et amère, de


:168

tout ce qui, dans la réalité vécue, fait obstacle à sa soif de vivre. La société d’une
part, qui est faite de mensonges, de compromissions, d’appétits matérialistes, se
.112

révèle une dénégation de tout idéal. La condition humaine d’autre part, avec ses
.210

innombrables limites, dont le temps qui s’échappe et que l’homme ne peut


.250

contrôler, compromet la liberté. Le romantique est ainsi un héros tragique


moderne, il n’est plus la victime de dieux jaloux et vengeurs, il subit les
4:41

agressions de sa condition humaine.


1394
:889

Un échec à relativiser
1046

Certes, le romantique est parfois conduit au suicide. Mais, en général, il est animé
1064

par une volonté de dépasser son échec. Différentes possibilités sont explorées ;
l’évasion, celle du rêve, celle de la nature et du voyage ; la méditation, plongée
ity:21

dans un moi profond qui ne va pas sans une certaine morbidité ; la révolte, à la
nc

fois contre la société et contre la condition humaine, qui anime par exemple le
Aiva

Lorenzo de Musset. Mais c’est la création artistique qui s’avère la véritable


com:

réponse de l’artiste romantique au tragique de la vie. Le créateur construit son


rvox.
la
scho
univ.
œuvre sur l’échec de sa vie, il se montre ainsi plus fort que son échec, il lui donne
un sens, une forme esthétique, par son art dont il fait un « antidestin », tel
Musset :
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots ».

L’être des contradictions


Être romantique c’est vivre partagé, divisé, entre l’idéal rêvé et la médiocrité
vécue, entre l’ambition de la jeunesse et la désillusion de l’adulte, entre un passé
à jamais disparu et un présent insaisissable, entre un présent décevant et un futur
qui pourrait être meilleur, mais qui semble si lointain qu’il est souvent ressenti
comme inaccessible.
Incapable de faire l’unité de sa vie, incapable d’assumer le réel tel qu’il est, le
romantique demeure un éternel adolescent, mais il trouve le salut dans l’art.
36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 2
Hegel et l’hégélianisme

L’œuvre de Hegel, philosophe allemand, très abondante, est difficile


d’accès, en particulier par le lexique utilisé qui laisse perplexe le
lecteur non spécialiste. Elle est pourtant essentielle par sa volonté de
synthèse et sa conception de l’Histoire ; elle est aussi importante
parce qu’elle est à l’origine de nombreuses contestations et de 36
5
8463

propositions contradictoires qui n’auraient peut-être pas existé si elles


n’avaient pas trouvé à s’opposer à Hegel.
:168
.112
.210

Un « philosophe d’État »
.250

Georg Wilhehm Friedrich Hegel (1770-1831) entre au séminaire de théologie


4:41

protestante, mais renonce à devenir pasteur. Passionné par la Grèce et la


1394

Révolution française, il obtient la chaire de philosophie de l’université


:889

d’Heidelberg en 1816, puis celle de Berlin en 1818 où il prend la succession de


Fichte. Il devient alors un véritable maître-penseur de l’Allemagne, une sorte de
1046

philosophe d’État. Il écrit une trentaine d’ouvrages parmi lesquels


1064

Phénoménologie de l’esprit (1807), Principes de la philosophie du droit (1821),


La Raison dans l’histoire (publication posthume en 1837).
ity:21
nc
Aiva

Le sens de l’Histoire
com:
rvox.

Une philosophie rationaliste


la
scho
univ.
La raison pour Hegel n’est pas seulement une faculté qui permet à l’homme de
construire la connaissance. La raison est constitutive de tout ce qui existe, elle est
inhérente aux choses elles-mêmes. Une formule-clé résume cette thèse : « Tout ce
qui est réel est rationnel ; tout ce qui est rationnel est réel ». Rien dans
l’histoire de l’univers et des hommes n’est fortuit ; tous les événements
particuliers, replacés dans le mouvement général du monde, prennent sens.

La foi dans le progrès


L’Esprit, le Dieu de Hegel. Le Dieu de la Bible judéo-chrétienne est « Celui qui
est ». Le Dieu de Hegel est « Celui qui sera », celui qui se construit
progressivement dans et par l’Histoire ; il est l’Esprit universel qui se manifeste
et se réalise par étapes progressives.
Les progrès révélés par l’Histoire. De la vie minérale à la vie végétale, puis
animale, et enfin humaine, l’évolution de la vie terrestre est l’œuvre de l’Esprit
qui se réalise progressivement. Des despotismes orientaux, dans lesquels un seul
36
est libre, à la Révolution française, qui instaure la liberté politique, c’est le même
5
8463

Esprit qui s’accomplit. Napoléon Ier est alors « l’âme du monde » qui terrasse les
vieilles monarchies européennes. Avec l’État prussien du XIXe siècle, l’histoire
:168

de l’humanité est sur le point de connaître son achèvement : cet État organise l’art,
.112

les mœurs, le droit, il travaille au seul intérêt général en réprimant les égoïsmes
.210

individuels. La force qui triomphe dans l’Histoire est animée par l’Esprit qui se
.250

construit : « L’Histoire du monde est le jugement dernier du monde ». Les


guerres sont justifiées ; elles ont un rôle de civilisation, d’humanisation.
4:41

Les progrès de la connaissance. Ils sont évidents. Mais c’est avec la philosophie
1394

que l’Esprit connaît une progression décisive, puisqu’elle est la synthèse de tous
:889

les savoirs. Hegel définit sa propre philosophie comme étant celle qui totalise
toutes les autres, avec un aplomb et un orgueil qui lui valent la brouille avec
1046

certains de ses amis les plus proches.


1064
ity:21

« La Raison dans l’Histoire », « la ruse de la raison »


nc

Les chrétiens croient en une Providence divine à l’œuvre dans le monde. Hegel
Aiva

laïcise cette croyance. Quelle est la signification de sa formule « Rien de grand


ne se fait sans passion dans le monde » ? La raison, qui appartient à l’Histoire
com:

tout en se réalisant par elle, se sert des passions et des égoïsmes des individus
rvox.

pour accomplir la marche vers l’Esprit Universel. Napoléon Ier, César, par
la
scho
univ.
exemple, assouvissent leurs ambitions personnelles et leur passion du pouvoir ;
mais, pour ce faire, ils prennent des décisions politiques qui font progresser la
rationalité ; la politique napoléonienne notamment déstabilise les vieilles
monarchies autocratiques et arbitraires européennes et pose les premiers jalons
de l’État moderne.

La dialectique

Définition
Une explication du mouvement. Dans la pensée classique, la contradiction est la
marque de l’erreur, elle est à bannir. Hegel défend une conception inverse, qu’il
dénomme « dialectique », en faisant de la contradiction non seulement le mode de
fonctionnement de la pensée, mais aussi le moteur de l’Histoire ; la dialectique
devient « la marche et le rythme des choses elles-mêmes. » 8463
36
5
Les trois étapes du mouvement. Une réalité, « thèse », évolue en étant
confrontée à la réalité inverse, « antithèse », qui la transforme en profondeur,
:168

l’aliène, mais qui, en retour, est également métamorphosée dans ce jeu conflictuel.
.112

Ces mutations de deux réalités antithétiques qui interagissent engendrent une


.210

troisième réalité, « synthèse », qui s’avère un progrès par rapport à la thèse et à


l’antithèse qui l’ont fait naître, et qui devient à son tour une nouvelle thèse… qui
.250

rencontrera une nouvelle antithèse1.


4:41
1394

La dialectique du maître et de l’esclave


:889

Le conflit humain et son issue. Cet exemple célèbre de la dialectique hégélienne


1046

est développé sous forme d’apologue. Hegel imagine que deux individus sont en
conflit. Le vaincu est celui qui n’ose pas courir le risque d’y laisser sa vie ; à
1064

l’inverse, le vainqueur est celui qui l’ose : « La vie vaut ce que nous sommes
ity:21

capables de risquer pour elle ». Le vainqueur ne tue pas le vaincu : d’une part, il
en fait son esclave qui le dispensera des travaux ingrats ; d’autre part, en gardant
nc

celui qu’il a défait, et dont il a fait son prisonnier, il a devant les yeux l’image
Aiva

exaltante de sa force et de son pouvoir.


com:
rvox.
la
scho
univ.
La liberté exclusive du maître. Cette liberté est totale ; la soumission de son
esclave lui prouve sa supériorité, et il est affranchi des contraintes du travail. À
l’inverse, l’esclave est non seulement obligé de travailler, mais il est aussi
dépouillé des fruits de son travail ; il ne vit que par rapport à son maître et dans la
peur permanente de celui-ci.
Le maître esclave de l’esclave. À mesure que le temps passe, la vie pour le
maître se réduit au caprice, au plaisir. Il devient progressivement incapable de
travailler, il perd tout goût de l’effort et toute capacité créatrice ; il ne vit plus que
dans la jouissance de la consommation de l’objet fabriqué pour lui par son
esclave, jusqu’à dépendre totalement de ce dernier pour vivre.
L’esclave maître du maître. À l’inverse, l’esclave est dynamisé par le travail
qui lui demande d’agir sur la nature ; il développe son courage et son ingéniosité,
il développe son humanité alors que simultanément son maître la perd. L’esclave
se libère de la peur de son maître, et il se trouve dans la situation et la possibilité
d’inverser le rapport de domination.
36
Pour Hegel, le travail est l’instrument de la liberté. En transformant la nature,
5
8463

l’homme construit son humanité, accède à la conscience et à la liberté.


:168
.112

La portée de l’hégélianisme
.210
.250

Une volonté totalisante


4:41

Hegel construit un système philosophique qui explique la réalité dans sa totalité.


1394

Cette réalité est spiritualisée, sacralisée : tout dans l’Histoire est justifié, fondé en
:889

raison et en droit. De plus, les individus sont sans importance ; seule la marche
des peuples dynamisée par la raison est constitutive de l’Histoire.
1046
1064

Une théorie de « l’Histoire » démentie par « l’Histoire »


ity:21

Hegel annonce la fin de l’Histoire pour le XIXe siècle… Mais le XXe siècle est
nc

celui des totalitarismes, des camps, des purges, des génocides. Au lieu d’un
Aiva

triomphe de l’Esprit, les hommes pâtissent du réveil de « la Bête immonde ».


L’Histoire de l’humanité, après Hegel, confirme plutôt la thèse de Shakespeare :
com:

« un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, qui ne signifie rien ».
rvox.
la
scho
univ.
Une doctrine fondatrice
De Marx à Sartre, les philosophes se situent par rapport à Hegel, le plus souvent
pour le contester. Ceux qu’on dénomme « néo-hégéliens » croient néanmoins en un
sens de l’Histoire marquée par le progrès. Francis Fukuyama, philosophe
américain, illustre ce courant avec sa thèse de « la fin de l’Histoire »2
développée à partir des années 1990 : la faillite des idéologies totalitaires au
XXe siècle annonce la victoire définitive de la démocratie dans le monde ; les
guerres traditionnelles n’existeront plus, les seuls conflits seront d’ordre
économique.

1. Le chapitre suivant sur le marxisme illustre la dialectique hégélienne.


2. La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme, 1992.

36
5
8463
:168
.112
.210
.250
4:41
1394
:889
1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 3
Marx et le marxisme

Le marxisme a marqué l’histoire politique et sociale des XIXe et


XXe siècles. Philosophie politique et philosophie de l’Histoire, il est
aussi le produit de l’Histoire, celle du XIXe siècle et de la révolution
industrielle.
36
5
8463
:168

Une vie soutenue par Engels


.112

Allemand, hégélien de gauche, Karl Marx (1818-1883) vit entre Berlin,


.210

Bruxelles, Paris, Cologne, et enfin Londres à partir de 1849. Très pauvre, il est
.250

aidé par Engels. Mais Engels est surtout un collaborateur qui rédige avec lui
quelques-uns de ses ouvrages importants, dont la Sainte Famille (1845),
4:41

l’Idéologie allemande (1846), le Manifeste du parti communiste (1848).


1394

Pendant plus de vingt ans Marx travaille à son œuvre-clé le Capital ; il achève
:889

seul le premier tome qui paraît en 1867 ; les deux autres tomes, repris et publiés
par Engels, paraissent en 1885 et 1894. Un tome IV est publié par Kautsky en
1046

1905.
1064
ity:21

L’influence de Hegel et de Feuerbach


nc
Aiva
com:

L’influence hégélienne
rvox.
la
scho
univ.
Pour Hegel comme pour Marx, l’humanité progresse par crises. Marx reprend la
dialectique hégélienne1 pour expliquer le mouvement de l’Histoire : La
bourgeoisie, « thèse », entre en conflit avec la classe opposée qu’elle a elle-
même créée, le prolétariat, « antithèse » ; de ce conflit émanera un progrès, la
société sans classes, « synthèse ».
Toutefois, Hegel est un idéaliste pour qui la fin de l’Histoire verra l’avènement de
l’Esprit. Marx est un matérialiste pour qui le couronnement de l’Histoire verra
l’avènement de la société sans classes.

L’influence de Feuerbach
Ludwig Feuerbach (1804-1872) est un matérialiste. Les idées sont créées par le
cerveau, qui n’est que matière : « C’est le phosphore qui pense en nous ». Dans
L’Essence du christianisme (1841), il explique que l’homme ne réussit pas à
concrétiser ses idéaux ; il les projette alors dans un monde, parfait, transcendant,
qui représente ce à quoi il aspire : « Les dieux sont les vœux de l’homme
36
réalisé ». L’homme religieux est aliéné parce qu’il nie sa nature en l’idéalisant.
5
8463

En revanche, l’athée assume son existence telle qu’elle est. Marx emprunte à
Feuerbach toute son analyse. C’est d’elle que viennent ses deux formules : « la
:168

religion est l’opium du peuple », et « la religion est le cœur d’un monde sans
.112

cœur ».
.210

Toutefois, Marx adresse deux reproches à Feuerbach. D’une part, il conteste son
.250

analyse limitée à la seule psychologie intemporelle, alors que le sentiment


religieux résulte de conditions économiques et sociologiques. D’autre part, il
4:41

conteste son déterminisme. L’homme est capable d’agir, de transformer les


1394

conditions de son existence. Marx donne alors à la philosophie une nouvelle


:889

dimension. Elle doit devenir une « praxis », une action qui vise à transformer la
société.
1046
1064
ity:21

Infrastructure et superstructures
nc
Aiva

L’infrastructure, économique
com:
rvox.
la
scho
univ.
Les structures économiques constituent les fondements de la société. Toute société
produit des biens qui répondent aux besoins des individus. Pour ce, elle élabore
des techniques de production ; mais celles-ci ne sont pas neutres, elles engendrent
des « rapports de production » ; elles déterminent une division des classes
sociales selon le rapport des hommes à l’outil de travail. Par exemple, la
révolution industrielle au XIXe siècle est celle de la machine à vapeur ; la
propriété de cet outil est d’un coût tel qu’elle est réservée aux riches ; mais ces
machines, pour être productives, exigent une main-d’œuvre nombreuse et sans
grande qualification. Le machinisme engendre donc un exode rural massif et un
clivage social entre les bourgeois, qui possèdent les machines et qui veulent en
tirer un maximum de profit, et les prolétaires, beaucoup plus nombreux, qui
dépendent des bourgeois pour leur travail et leur vie, et dont le salaire est le plus
bas possible. Autrement dit, la technique de la machine engendre une opposition
de classes entre bourgeois et prolétaires.

Les superstructures, idéologiques 8463


36
5
Les superstructures concernent les idées et les valeurs qui touchent à la justice, à
la politique, à la philosophie, à la morale, à la religion, à l’art. Ce sont des
:168

« idéologies », au sens marxiste, des illusions au service des plus forts. Par
.112

exemple, la religion chrétienne sanctifie la souffrance et les privations en en


.210

faisant des moyens de rédemption, elle annihile ainsi tout désir de révolte chez les
opprimés. Autre exemple, la loi Le Chapelier (1791) supprime les corporations.
.250

Elle affiche par là la volonté de libérer ceux qui travaillent de toute tutelle
4:41

oppressive ; mais en interdisant tout regroupement des ouvriers, cette loi interdit
1394

de fait le syndicalisme, elle laisse les ouvriers isolés, et sans défense, face aux
bourgeois patrons et employeurs. Cette loi est une preuve, parmi de multiples
:889

autres, que la Révolution de 1789 est une révolution bourgeoise.


1046

Les superstructures sont donc déterminées par l’infrastructure, elles font perdurer
1064

les injustices. Mais les hommes sont dotés d’une conscience qui leur permet
d’échapper à l’emprise déterministe de l’infrastructure, et de remettre en cause
ity:21

leur situation. Telle est la mission de la philosophie devenue « praxis ».


nc
Aiva
com:

Une philosophie de l’Histoire


rvox.
la
scho
univ.
La lutte des classes
Le conflit entre deux classes antagonistes est le moteur de l’Histoire. La société
bourgeoise radicalise cette lutte. Les sociétés plus anciennes instauraient « une
échelle graduée de conditions sociales », telle la société romaine qui insérait,
entre les patriciens et les esclaves, les chevaliers et les plébéiens. Avec le
capitalisme, « La société se divise de plus en plus en deux vastes camps
ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoise et le
prolétariat ». Cette simplification et cette radicalisation de l’antagonisme de
classes amorcent une étape décisive dans l’Histoire de l’humanité.

L’aliénation du prolétariat
Marx dénonce l’immoralité du capitalisme qui « aliène » le prolétaire, qui
l’ampute d’une part de son humanité. Le capitalisme, par la propriété privée des
moyens de production, s’avère une exploitation de l’homme par l’homme.
« La loi d’airain ». Le prolétaire est traité comme la machine : le salaire qu’il
36
5
reçoit lui permet uniquement de reconstituer sa force de travail. Ainsi, sa vie se
8463

limite à son travail, il ne peut pas financer la moindre activité personnelle.


:168

Le prolétaire esclave. Le patron achète à l’ouvrier non pas l’objet qu’il produit
.112

mais sa force de travail, ce qui l’assimile à l’esclave. Le travail du prolétaire


privé de toute initiative n’est plus que la chose du patron.
.210

La plus-value. Le prolétaire rapporte à son patron bien plus qu’il ne lui a coûté.
.250

Le bénéfice, la plus-value, produit par le travail de l’ouvrier, n’est pas partagé


4:41

avec celui-ci ; c’est un vol immonde.


1394

Une aliénation qui préserve « l’homme total ». L’aliénation du prolétariat n’est


:889

toutefois pas une destruction totale de son humanité. En effet, par son travail,
pratique sociale et action sur la nature, les forces du prolétariat ne sont pas
1046

totalement détruites, ce qui rend possible une prise de conscience de


1064

l’exploitation et l’organisation d’une action révolutionnaire.


ity:21

Les contradictions internes du capitalisme


nc
Aiva

« La bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du


prolétariat sont également inévitables ».
com:

Trois phénomènes la condamnent.


rvox.
la
scho
univ.
La paupérisation. La concurrence entre les entrepreneurs les conduit à réduire le
plus possible la masse salariale, ce qui entraîne un appauvrissement général, une
paupérisation, des travailleurs.
La surproduction. Elle est une conséquence immédiate de la paupérisation. La
baisse du pouvoir d’achat réduit la consommation, le chômage augmente… et la
paupérisation ne fait que croître.
La prolétarisation. La concurrence élimine les patrons les plus faibles ; ces
derniers deviennent des prolétaires… dont le nombre, et la force, vont croissant, à
l’inverse des capitalistes.
Ces trois phénomènes, simultanés, anéantiront la classe bourgeoise dominante.

« Le Grand Soir »
La métaphore du « grand soir » traduit la fin de la classe dominante, qui
disparaîtra dans la nuit, et à laquelle succédera « le printemps des peuples ». Ces
36
métaphores de la nature représentent le caractère irréversible de l’évolution
5
historique. Demeure toutefois un rôle politique important pour le prolétariat
8463

épaulé par les intellectuels : celui de préparer et d’accélérer cette révolution.


:168
.112

L’avènement de la société communiste


.210

La dictature du prolétariat. L’État socialiste qui est instauré après l’écroulement


.250

de la démocratie bourgeoise installe une dictature transitoire, mais indispensable,


du prolétariat. Elle remplit deux fonctions. La première, économique, régule, par
4:41

la collectivisation des moyens de production, une économie ruinée ; l’inégalité


1394

des revenus est maintenue : « À chacun selon son travail ». La seconde est
:889

idéologique : l’État socialiste éveille à la conscience politique la partie du


prolétariat qui ne l’est pas encore, ainsi que l’ancienne classe bourgeoise défaite.
1046

Le socialisme est une étape vers le communisme.


1064

De l’État socialiste à la société communiste. La disparition de l’État s’impose


ity:21

parce que tout État finit par se révéler « l’instrument d’exploitation d’une classe
par l’autre ». La société communiste sera une société sans classes. Elle n’est pas
nc

égalitariste, elle est équitable : « À chacun selon ses besoins ». Elle se vit à
Aiva

l’échelle du monde, les guerres nationalistes disparaissent, la paix est universelle.


com:

Elle n’est peut-être pas l’étape finale de l’Histoire de l’humanité ; mais il est
rvox.

impossible d’imaginer son évolution éventuelle.


la
scho
univ.
Portée de la philosophie marxiste
La philosophie de l’Histoire marxiste est infirmée par l’Histoire du XXe siècle.

Les erreurs des « prophéties » marxistes


Les erreurs sur le capitalisme. D’un côté, la lutte des classes ne s’est ni
simplifiée, ni exacerbée, dans les économies capitalistes, au point que le concept
de « classe » est abandonné en sociologie. De l’autre, loin de connaître la
paupérisation et la prolétarisation, les économies des pays capitalistes ont
engendré une augmentation du niveau de vie inconnue jusqu’alors.
Les erreurs sur les « États socialistes ». Les révolutions « prolétariennes » ont
eu lieu dans des sociétés d’économie agricole, et non dans les sociétés
industrielles. De plus, aucun de ces États n’a réussi les progrès économiques
annoncés : l’URSS a implosé à cause de son marasme économique, l’économie de
la Chine ne prospère que depuis qu’elle s’ouvre aux « lois du marché ». Enfin, les
36
« États socialistes » en sont restés à l’autocratie d’une classe privilégiée, les
5
8463

« apparatchiks », aucune « société communiste », au sens de Marx, n’est advenue.


Comment justifier enfin l’élimination de ces millions prétendus « traîtres à la
:168

cause » assassinés par ces dictatures prétendues « du peuple » ?


.112
.210

Marx se serait-il trompé sur la nature humaine ?


.250

Une « survalorisation » du politique. Le marxisme est rousseauiste. Il repose sur


4:41

la confiance en la nature humaine, et sur la conviction que les souffrances des


hommes ne peuvent être imputées qu’à la société. Certes, la société peut faire le
1394

malheur des individus, mais les limites de la condition humaine constituent aussi
:889

autant d’obstacles à un bonheur paradisiaque.


1046

La négation de l’homme comme être de culture. « Prolétaires de tous les pays


unissez-vous ! » : la classe sociale serait plus fédératrice que la culture, la nation.
1064

Pourtant, l’implosion de l’URSS voit aussitôt resurgir les nationalismes qui


ity:21

avaient été réduits au silence pendant trois quarts de siècle.


nc
Aiva

Une philosophie morale produit de l’histoire


com:

Au XIXe siècle, rares sont ceux qui s’intéressent aux conditions de vie misérables
des ouvriers. Des moralistes humanistes ne pouvaient que s’élever contre ces
rvox.

injustices. Le marxisme serait ainsi une utopie2 qui défend des idéaux humains et
la
scho
univ.
qui dénonce les aberrations des sociétés industrielles.

« Un » marxisme, ou « des » marxismes ?


Trotskisme, léninisme, stalinisme, maoïsme, castrisme, il existe de nombreuses
formes de marxisme, forgées sur le patronyme de leur leader, preuve du culte de
la personnalité inhérent à ces régimes. Cet éclatement illustre l’importance du
marxisme au XXe siècle. Mais il révèle aussi que cette philosophie politique,
comme beaucoup d’autres, est susceptible de récupérations politiques.

1. Voir chapitre précédent.


2. Au sens philosophique du terme, voir le chapitre consacré à l’utopie, partie III, chapitre 7.

36
5
8463
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1046
1064
ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 4
Les socialismes « utopiques »

La révolution industrielle à ses débuts engendre la misère de la


classe ouvrière. De nombreux responsables politiques refusent de
légiférer pour endiguer ce fléau social. Victor Cousin, par exemple,
ministre de l’Instruction publique, s’élève contre un projet de loi
36
relevant à huit ans l’âge de l’entrée des enfants en usine, au nom de5
8463

la liberté d’entreprendre et des droits imprescriptibles des pères de


famille. Des philosophes moralistes s’insurgent contre ces injustices
:168

et proposent une société plus humaine. L’adjectif « utopique » qui leur


.112

est attribué par Marx est accusateur, péjoratif : le socialisme


.210

marxiste se définit comme « scientifique » ; Marx dénonce la


fantaisie, la subjectivité, qu’il juge dangereuses dans certains
.250

socialismes « déviants ».
4:41
1394
:889

Saint-Simon et le saint-simonisme
1046
1064

Un aristocrate qui abandonne ses privilèges


ity:21

Claude Henri de Rouvroy (1760-1825), comte de Saint-Simon, renonce à son titre


et prend le nom de « Claude Henri Bonhomme », avant d’abandonner toutes ses
nc
Aiva

propriétés. Il sacrifie tout à son projet : créer « un âge industriel ». Il publie


L’Industrie (1816), Du système industriel (1822), Le Catéchisme des industriels
com:

(1823), Le Nouveau christianisme (1825).


rvox.
la
scho
univ.
La « parabole de 1819 »
Saint-Simon imagine que la France puisse perdre ses 50 meilleurs physiciens,
artistes, militaires, et entrepreneurs : ce serait une catastrophe parce que « ces
hommes sont les Français […] les plus utiles à leur pays ». Il imagine ensuite
que la France conserve ces génies, mais qu’elle voit disparaître Monsieur le frère
du roi, la cour et toute la noblesse. Cette mort brutale de 30 000 hommes
n’engendrerait « aucun mal politique pour l’État ». La noblesse en effet, oisive
et incompétente, est un parasite. Il faut éliminer ces « frelons » ou « sangsues de
la nation », au profit des producteurs, les « abeilles ». Saint-Simon souligne ainsi
la primauté des forces économiques.

L’apologie d’une société de producteurs


Saint-Simon milite pour l’avènement d’une société de « l’industrie », du travail
efficace, celui exécuté avec courage et compétence. Le gouvernement,
technocratique, émane de la classe « industrielle », et non de prétendus
36
spécialistes du droit et de la justice coupés des réalités économiques.
5
8463

L’économique doit régir le politique, et non l’inverse.


:168
.112

L’apologie d’une nouvelle forme de religion


.210

Dans Le Nouveau christianisme, les producteurs du XIXe siècle sont assimilés


aux premiers chrétiens. Le « nouveau christianisme », religion laïque, est fondé
.250

sur la mystique de la fraternité humaine ; privé de surnaturel, il possède ses


4:41

dogmes, ses rites, son culte, ses chefs religieux.


1394
:889

Les deux grands courants du saint-simonisme


1046

À la mort de Saint-Simon, ses disciples prolongent son héritage intellectuel


jusqu’à la fin du Second Empire.
1064

Le saint-simonisme utopiste et provocateur. En 1832, Enfantin, surnommé non


ity:21

sans humour « le Père », emménage avec 40 de ses « fils », qui abandonnent


femmes et enfants, dans une grande propriété, pour attendre « la femme messie ».
nc
Aiva

Le vrai but en réalité est d’écrire le « Livre nouveau » du saint-simonisme. La vie


communautaire y est organisée comme dans un couvent. Elle s’ouvre aux visiteurs
com:

dans le but de faire connaître le mouvement. Les autorités s’en inquiètent, font
rvox.

procéder à des arrestations avant de dissoudre le mouvement dès août 1832.


la
scho
univ.
Le saint-simonisme réaliste. Les saint-simoniens jouent un grand rôle dans la vie
économique sous Napoléon III. Le percement du canal de Suez échappe à
Enfantin, mais de Lesseps reprend l’étude saint-simonienne ; la rénovation des
banques et du crédit, l’essor du chemin de fer, l’aménagement du territoire avec la
rénovation urbaine de Haussmann, la mise en valeur des colonies, sont à mettre au
crédit du saint-simonisme.
Saint-Simon, accorde beaucoup d’importance à l’économie. Il est étudié avec
intérêt par Marx qui ne le réduit pas à un rêveur utopique.

Fourier et le phalanstère

Un solitaire
Pris pour un fou par ses contemporains Charles Fourier (1772-1837), caissier par
36
nécessité matérielle, vit dans une grande solitude et ne peut écrire que par
5
8463

intermittence. Son œuvre majeure, Le Nouveau monde industriel et sociétaire,


date de 1829.
:168
.112

Le phalanstère
.210

Un néologisme significatif. Le mot est formé à partir de « phalange », au sens de


.250

« communauté dont les membres sont intimement soudés » ; la finale du mot,


4:41

empruntée à « monastère », confère une résonance mystique à cette nouvelle forme


d’organisation sociale.
1394

Une société parfaite. Fourier dénombre, sans vraiment se justifier, 810


:889

caractères humains différents. Son phalanstère accueille 1620 personnes adultes,


1046

810 familles, 810 hommes et 810 femmes. Chacun apprend vingt métiers, en
pratique au moins cinq par jour, change d’activité toutes les heures selon ses
1064

penchants pour éviter la routine ; les éboueurs sont des jeunes garçons qui
ity:21

s’amusent en prenant plaisir à se vautrer dans la saleté. Le phalanstère est une


coopérative de production et de consommation, avec une répartition des produits
nc
Aiva

en fonction des talents et du travail de chacun. La famille est maintenue, mais les
amours y sont tout à fait libres.
com:
rvox.
la
scho
univ.
Une utopie avortée. Fourier veut mettre en pratique au plus tôt son projet, et,
l’année de sa mort, il donne en vain rendez-vous, tous les jours à midi, aux
mécènes qui accepteraient de financer son opération.
Portée de cette utopie. L’imagination de Fourier s’autorise les fantaisies les plus
« surréalistes », ce qui explique qu’André Breton lui rende hommage en 1945
dans son Ode à Charles Fourier. Fourier affirme par exemple que Dieu
interviendra pour parachever sa création en éliminant les animaux nuisibles
comme les rats, et en créant des animaux domestiques comme « l’antilion », qui
portera sept hommes à la file, courra dix lieues à l’heure « d’un galop très doux,
élastique et rasant terre ». Ces élucubrations font sourire, mais, utopiques, elles
critiquent la société, qui parque les pauvres dans des caves infestées de… rats,
des pauvres qui n’ont que leurs jambes pour se déplacer.

Quelques réalisations utopiques


36
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8463

Considérant et le phalanstère
:168

Victor Considérant (1808-1893), polytechnicien, décide de mettre en pratique les


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idées de Fourier. Il fonde un premier phalanstère, près de Rambouillet, qui


.210

échoue. En 1848, il est élu député, mais il doit fuir la France sous Napoléon III. Il
fonde une nouvelle communauté au Texas qui échoue comme la première. Marx
.250

est très sévère à l’égard de ces tentatives qu’il juge absurdes.


4:41
1394

Owen, New Lanark et New Harmony


:889

New Lanark. Robert Owen, un Gallois (1771-1858), self-made man, devient co-
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propriétaire d’un village ouvrier, New Lanark, près de Glasgow. Ses réformes
sociales sont importantes : loyer et soins médicaux gratuits, création d’une école,
1064

d’une caisse d’épargne, de magasins à prix réduits. En 1824, la réussite


ity:21

économique est totale, mais il échoue dans sa volonté de transformer son


entreprise en village coopératif. Il entreprend alors une nouvelle expérience.
nc
Aiva

New Harmony. Il rachète le village d’Harmony dans l’Indiana. 800 volontaires


fondent une communauté, New Harmony, qui supprime la propriété privée, le
com:

mariage, la religion, organise « une communauté d’égalité parfaite » et instaure


rvox.
la
scho
univ.
« un nouveau monde moral ». En deux ans Owen, souvent absent de New
Harmony, est ruiné.

Cabet et l’Icarie
Étienne Cabet (1788-1856) est un avocat qui devient député ; il publie en 1840
Voyage en Icarie, une utopie régie par un communisme égalitaire. Des centaines
de disciples tentent sa réalisation aux États-Unis ; plusieurs tentatives de
« communautés partielles », à défaut de « communautés totales », sont menées au
Texas et dans l’Illinois. L’une d’elles ne disparaîtra qu’à la fin du XIXe siècle.

Godin et le familistère
Une entreprise prospère. J. B. André Godin (1817-1888) reprend l’atelier
paternel et se lance dans la fabrication des appareils de chauffage. Il s’installe à
Guise dans l’Aisne avec 30 ouvriers en 1846 : en 1857 ils sont 300, 700 en 1861,
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1500 en 1880. Son génie inventif, ses qualités de gestionnaire assurent sa réussite.
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Le « familistère ». Le mot évoque le « phalanstère », Godin veut traduire le


progrès social en actes. Il fait construire, à côté des ateliers de production, le
:168

« Palais social », constitué de plusieurs centaines d’appartements qui offrent des


.112

conditions d’hygiène, et de confort, exceptionnelles pour l’époque. Il crée des


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caisses de prévoyance maladie, vieillesse et accident, un ensemble scolaire, une


coopérative de consommation ; il construit un théâtre, une piscine chauffée, une
.250

bibliothèque, des salles de jeux et de réunion ; des fêtes sont organisées en


4:41

l’honneur du travail. C’est à Guise qu’est célébrée, pour la première fois dans le
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monde, la fête du travail, le premier dimanche de mai 1867.


Une coopérative ouvrière. Godin dépose en 1880 les statuts d’une association
:889

coopérative ouvrière de production ; elle organise le transfert progressif, au


1046

personnel, de la propriété de l’entreprise ; ce transfert est achevé en 1919.


1064

L’entreprise vit sous cette forme pendant 90 ans. Elle connaît la prospérité durant
des décennies, mais l’ouverture des frontières précipitera sa ruine. Cette
ity:21

expérience autogestionnaire s’achève en 1968… ironie de l’Histoire ?


nc
Aiva
com:

Portée de ces mouvements utopiques


rvox.
la
scho
univ.
Les reproches de Marx et Engels
Les marxistes dénoncent la naïveté de ces socialismes. Ces derniers, en effet,
croient qu’il est possible de changer la société à partir de pôles d’attraction qui
se généraliseront. Pour les marxistes, on ne peut changer la société qu’en
s’attaquant, par la révolution, à son infrastructure, et non par des initiatives
ponctuelles qui s’avèrent des épiphénomènes stériles.

Le soupçon de paternalisme
La Révolution industrielle vide les campagnes au profit des villes ; Roubaix par
exemple possède 4 500 habitants en 1810, 100 000 en 1890. Cet exode entraîne
une pagaille urbaine néfaste à la prospérité économique : les conditions de vie
dégradantes des ouvriers compromettent leur santé et leur rentabilité. C’est ainsi
que les compagnies de charbonnage construisent les « corons » pour loger leurs
mineurs. Les espaces de vie imaginés pour les ouvriers émanent de patrons
« sociaux ». Espaces plus ou moins clos, ils permettent de gérer la vie des
36
ouvriers et d’assurer une productivité optimale. Toutefois, l’autogestion du
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8463

familistère de Guise oblige à tempérer les accusations de paternalisme, et la


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bonne foi de ceux qui consacrent leur vie à l’amélioration de la condition


ouvrière peut difficilement être contestée.
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1394
:889
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ity:21
nc
Aiva
com:
rvox.
la
scho
univ.
Chapitre 5
Proudhon et l’anarchisme

L’étymologie du mot « anarchie », absence de pouvoir, lui confère une


acception négative. Au XIXe siècle toutefois, ce mot prend un sens
politique et il désigne une nouvelle théorie, que nous nommons
aujourd’hui « anarchisme ». Proudhon précise que « la notion
d’anarchie, en politique, est tout aussi rationnelle et positive 36
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qu’aucune autre ». Quelle est cette nouvelle rationalité introduite par


l’anarchisme ?
:168
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.210

Proudhon et l’anarchisme socialiste


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4:41

Un homme du peuple
1394

Le père de Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) est garçon brasseur, sa mère


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cuisinière. Élève brillant, il étudie grâce à des aides. Journaliste, il se heurte à la


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censure. En 1848, il est élu député ; en 1849 il est condamné à trois ans de prison
pour délit de presse. La postérité retient de son œuvre un titre, Qu’est-ce que la
1064

propriété ? (1840), et la réponse à la question : « La propriété, c’est le vol ».


ity:21
nc

Un « antithéisme »
Aiva

Proudhon reprend l’argumentaire athée traditionnel du XIXe siècle : en justifiant


com:

la servitude vécue par les hommes ici-bas, la religion est la complice objective
rvox.

du pouvoir et de ses injustices. Mais, plutôt que le mot « athéisme », il lui préfère
la
scho
univ.
le terme « antithéisme », défini comme « la négation de l’adoration de l’homme
par l’homme ». Proudhon se défie de toute sacralisation, y compris celle
d’individus, parce que cette vénération conduit à l’abandon de la liberté
individuelle. La formule célèbre de Blanqui « Ni Dieu ni maître », devenue
l’aphorisme des courants anarchistes, résume la pensée de Proudhon.

Une condamnation nuancée de la propriété


La propriété que Proudhon assimile au « vol » est celle du « rentier », oisif, le
plus souvent propriétaire terrien, qui s’enrichit grâce au travail des autres. Mais
la propriété collective est elle aussi condamnable parce qu’elle implique un État
tout-puissant négateur des libertés individuelles. Ce que chacun produit par son
travail ne revient pas à la collectivité, mais devient sa propriété. Par la propriété
des biens qu’il a produits, l’individu conquiert une certaine autonomie, il échappe
à la tutelle de l’État.

36
Une condamnation de l’État
5
8463

L’État, centralisateur, nie les libertés individuelles. L’élection par le suffrage


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universel entraîne, de fait, un abandon de la citoyenneté : « Être gouverné, c’est


.112

être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué,


endoctriné… par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu ». Tout
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gouvernement se comporte comme le détenteur de la vérité absolue : « Il n’y a


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pas deux espèces de gouvernement… le gouvernement est de droit divin ou il


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n’est pas ».
1394

Une nouvelle organisation sociale


:889

La société que défend Proudhon repose sur le « mutuellisme » et le


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« fédéralisme », à tous ses niveaux. Les paysans et les artisans travaillent en


1064

coopératives qui se fédèrent. Les ouvriers gèrent leur travail par des syndicats
élus, eux aussi réunis en fédérations. Les consommateurs créent « un syndicat de
ity:21

la production et de la consommation » qui gère l’économie ; une confédération


nc

mondiale réunit tous les marchés. La société s’organise par la fédération de


Aiva

communes libres qui se regroupent en régions, douze pour la France ; ces


com:

dernières se réunissent dans une république fédérale. Proudhon envisage une


Europe confédérale, avec un budget, une justice, un marché unique.
rvox.
la
scho
univ.
La formule « l’anarchie c’est l’ordre » n’est pas paradoxale. Proudhon propose
un ordre élaboré par les individus libres, et qui fait du contrat le principe de
l’organisation sociale.

La portée de Proudhon
Entre le capitalisme et le socialisme, Proudhon propose une troisième voie, celle
de l’autogestion. L’anarchie est un ordre issu de la base, et non imposé par une
hiérarchie. Marx qualifie Proudhon de « petit-bourgeois ballotté constamment
entre le capital et le travail » ; il ne peut accepter la célébration de l’individu et
la négation de l’État.
Les réalisations autogestionnaires, jusqu’à présent, n’ont concerné que de petites
structures, et elles n’ont eu qu’une durée de vie limitée : la complexité et le
gigantisme des sociétés modernes sont sans doute des obstacles à une gestion de
l’humanité émanant de la base, de l’individu, un individu dans lequel Proudhon
place une confiance sans réserve.
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Quelques penseurs anarchistes


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Bakounine
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Mikhaïl Bakounine (1814-1876), aristocrate russe, condamné à mort, fait douze


4:41

ans de prison avant de pouvoir fuir la Russie pour l’Europe occidentale. Dans son
essai Dieu et l’État (1871) il développe un athéisme virulent : le christianisme
1394

conduit à « l’anéantissement de l’humanité au profit de la Divinité ». Mais il


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fait aussi parfois preuve d’humour : « Je retourne la phrase de Voltaire et je dis :


1046

Si Dieu existait réellement, il faudrait le faire disparaître ».


Bakounine établit un rapport étroit entre Dieu et l’État défini comme « le frère
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cadet de l’Église ». Dans la société qu’il défend, l’homme libre n’obéit qu’à lui-
ity:21

même et aux lois de la nature. Bakounine n’est toutefois pas un individualiste, il


croit en la spontanéité jaillissante des masses : en réalisant sa liberté, chacun
nc
Aiva

complète celle des autres pour engendrer l’égalité et la solidarité.


com:

Kropotkine
rvox.
la
scho
univ.
Pierre Kropotkine, le « prince Kropotkine » (1842-1921) appartient à la haute
noblesse russe. Il est interné deux ans en forteresse pour propagande subversive ;
il s’en évade pour vivre lui aussi en Europe occidentale. De retour en Russie en
1917, il refuse un poste de ministre et se montre critique à l’encontre de
l’autoritarisme de Lénine.
Dans L’Éthique (1922), il dénonce les impératifs de la « Loi » ou de la
« Religion », qui se révèlent des « prescriptions à l’avantage du conquérant, de
l’exploiteur et du prêtre ». La société doit se construire sur la morale naturelle,
l’égalité et la solidarité : « L’égalité dans les rapports humains et la solidarité
qui en résulte nécessairement, voilà l’arme […] dans la lutte pour l’existence.
Et l’égalité c’est l’équité ». L’anarchisme libertaire se construit par la fédération
des producteurs et des consommateurs qui édifient une société collectiviste.

Stirner
L’Unique et sa propriété (1845). Dans cet essai, Max Stirner (1806-1856),
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philosophe allemand, assimile religions et philosophies en les taxant de
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« superstitions ». Croire en Dieu ou croire en l’Homme est aussi inepte : « La


religion de l’Humanité n’est que la dernière métamorphose de la religion
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chrétienne », parce qu’elle impose une vérité universelle sur l’homme.


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Le « Moi », « l’Unique ». Stirner proclame la totale liberté de l’individu :


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« Pour Moi, il n’y a rien au-dessus de Moi ». L’identité de ce moi est


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irréductible : « Je suis unique et indicible. […] Personne n’est mon semblable,


ma chair n’est pas leur chair, ni ma pensée leur pensée ». Ce moi, « unique »,
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considère les autres, le monde, tout ce qui n’est pas lui, comme sa « propriété » :
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l’individu est dans le droit de faire sien tout ce qu’il est capable de s’approprier
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en vue de se réaliser. « Fais-toi valoir toi-même », qu’on peut traduire par


« Développe tes potentialités », telle est la seule loi morale. Il n’existe pas de
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morale naturelle, ni de droit naturel : « Ce qui te donne le droit, c’est ta force, ta


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puissance, et rien d’autre », une formule qui aurait pu être celle de Nietzsche.
ity:21

Une société originale. La société n’est pas un but ; elle est une libre association
d’égoïstes, un moyen pour le « Moi » de multiplier sa puissance. Toute
nc

association ainsi formée ne dure que tant que ceux qui la constituent en tirent un
Aiva

profit, « elle est un acte continuel de réassociation ».


com:
rvox.
la
scho
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