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Philippe Nemo - Machiavel - L'émergence de la raison d'Etat

Philippe Nemo est un philosophe français, spécialisé dans l’histoire des idées et dans la
philosophie politique. Professeur de philosophie politique et sociale à l'ESCP Europe, il écrit
sur l'histoire des idées politiques, notamment le libéralisme, les questions éducatives,
religieuses et esthétiques. Il fonde un centre de recherche en philosophie économique ainsi
que six autres universitaires.
Dans cet extrait du Cairn, une prise de position peut se déceler quant à ce que seraient les
différentes interprétations des pensées de Machiavel, ses diverses facettes ainsi que leurs
aspects controversés.
Il était plus aisé de saisir la satire chez La Fontaine à travers les symboles. Il est perceptible
pour tous que le lion est le roi, le renard le courtisant malin, le corbeau le juriste. Cependant
concernant l’écriture du prince, le réel point de vue de Machiavel semble moins évident, de
par la double lecture que peut nous proposer le livre d’après le point de vue de Philippe
Nemo.
Ce document pourrait nous pousser à nous questionner quant à l’héritage des pensées de
Machiavel dans le monde moderne, mais également sur son réel état d'esprit lorsque celui-ci a
écrit Le Prince. Dans un contexte civil très agité où les troubles font rages et qu’il convient
d’assurer la stabilité de l’ordre sociale.
Chaque partie du texte est consacré à un aspect de la pensée politique de Machiavel.
Premièrement l’auteur nous présente Machiavel comme un Homme se positionnant sur la
réalité concrète des faits pour en tirer des lois et non pas sur des théories, ou des phénomènes
contingents. Par la suite l’auteur nous décrit la vie politique de Machiavel, les différents
postes qu’il a eu l’opportunité d’occuper. Il s’en suit une ambivalence entre le gouvernement
monarchique et républicain quant aux préférences de Machiavel. Pour finir, le document met
l’accent sur l’apport des pensées de Machiavel au sein des pensées politique après sa mort.

Nous commencerons par expliquer la thèse soutenue par l’auteur, puis nous finirons par
critiquer celle-ci. L’analyse débouchera ensuite sur une critique des pensées de Machiavel.
Philippe Nemo introduit son propos par une description de l’enfance de Machiavel, influencée
par une Italie divisée, morcelée puis dominée et humiliée par l’arrivée au pouvoir du roi de
France Charles VIII et par la suite des Médicis sous le règne desquels il sera emprisonné et
exilé, période pendant laquelle il écrira le prince. L’accent est donc mis sur la situation de
machiavel de sorte à ce que celle-ci soit prise en compte comme une circonstance atténuante
ou qui pourrait justifier ses pensées pessimistes.
C’est dans les propos suivants que l’auteur partage sa prise de position quant à l’état d’esprit
de machiavel, lorsqu’il nous informe que ce dernier « révèle sa vraie personnalité dans les très
intéressantes lettres familiales et se montre somme toute plus sympathique que dans ses
œuvres composées ». Mais Philippe Nemo reconnait tout de même l’intérêt premier de
l’écriture du prince, qui serait de se débarrasser des scrupules juridiques et moraux qui
restreignaient ou paralysaient, au Moyen Âge, l’action de l’État ce qui aurait contribué à
l'émergence de la "raison d'État" pour améliorer la vision des réalités politiques, ce qui
s’accompagne d’actions très peu éthiques pour arriver à des fins politiques…C’est ainsi que
sera justifiée l’idée selon laquelle « la fin justifie les moyens » car dans le cas inverse, la
morale limiterait les actions, « Il vaut mieux, pour un gouvernant, être craint qu’aimé ».
Machiavel aurait ainsi contribué à "désenchanter" le monde en promouvant une vision des
réalités politiques plus pragmatique et réaliste. Cette vision diffère donc de celle du Moyen
Âge, qui était davantage marquée par une conception théologique et morale de la politique.
Puis l’auteur continue de se positionner en affirmant que « Machiavel ne fait que dire tout
haut ce qui a été fait de manière voilée par les princes de l’époque. Que l’immoralisme
machiavélien fut enseigné aux Princes en paroles voilées par les anciens auteurs qui, en disant
que les rois doivent être élevés par un centaure, être mi-humain, mi-bestial, ont voulu signifier
qu’ils devaient développer en eux la nature bestiale autant que la nature humaine. Mais ils
l’ont fait, décidément, de manière voilée. » Ainsi, Philippe Némo dénonce l’hypocrisie des
Hommes, en faisant comprendre que Machiavel n’affirme pas aimer telle ou telle chose, mais
qu’il désire seulement faire ce qui doit être fait. Il dénonce les aspects qui auraient été
controversés des pensées de Machiavel, tels que son antihumanisme et son immoralisme.
Philippe Némo essaie donc de faire comprendre que Machiavel doit sa réputation de
"machiavélique" à cause de la déformation de sa pensée, car sûrement, pendant des années le
prince aurait été lu au premier degré. Lorsqu'il recommande au prince de se faire craindre,
d’être tricheur manipulateur, sanguinaire et compagnie, il dénoncerait simplement ce qu'il
constate de par « la vision qu’a le Florentin de la nature humaine, vision marquée par un
pessimisme foncier, peut-être lié à l’instabilité, à l’insécurité et à la violence caractéristiques
de l’Italie de son temps. Machiavel pense que les hommes sont par nature, c’est-à-dire en tout
temps et en tout lieu, et de manière irrémédiable, ingrats, changeants, dissimulés, ennemis du
danger, avides de gagner ». L’auteur laisse donc sous-entendre que le prince proposerait une
double lecture, voir, une défense contre la censure ?
Cependant, affirmer que le Prince offre une double lecture, que Machiavel en écrivant une
sorte de manuel du bon roi, en fait décrit et dénonce l’attitude tyrannique du prince et qu’il
doit sa réputation de "machiavélique" est également une chose aisée. On ne peut simplement
pas savoir dans quel état d'esprit Machiavel a écrit Le Prince. Ce qu'on sait, c'est
qu'auparavant il avait écrit "Discours sur la première décade de Tite Live", dans lequel il se
montrait intéressé et favorable à la République. C'est ensuite pendant son exil de Florence
qu'il écrit "Le Prince". Ce qui nous amène deux possibilités : soit Machiavel est simplement
pragmatique, et sait très bien que pour entrer dans les grâces des Médicis il doit se détacher de
sa réputation pro-républicaine, soit en effet il écrit son livre pour avertir le peuple, sur un
mode ironique et de double lecture, mais c'est aller bien trop loin que d'affirmer cela.
On peut observer à ce jour, que les pensées de Machiavel ont eu un véritable impact durable
sur le monde moderne. Cette observation peut se faire sur de nombreux aspect.
Pour commencer, la partie du document abordant le sujet de l’immoralité de fond et façade
morale mérite d’être approfondit. Lorsque machiavel rapporte que « Tout gouvernant, pour
gérer l’État, est contraint, d’agir contre sa parole, contre la charité, contre l’humanité, contre
la religion », dans un contexte favorable à l’autonomisation progressive de la politique où la
question se pose de séparer politique et religion, on ne peut oublier le discours d’Aristide
Briand face à Allard qui disait à juste titre que « peu importe ce qui est fait, on ne peut pas
enlever la conscience des gens ». Ainsi, le concept de « savoir simuler et dissimiler » peut ici,
prendre sens : faire attention à l’image que l’on dégage en tant que prince. C’est en effet
l’idée « qu’il ne suffit pas d’être immoral ; il faut paraître moral. Ensuite, quand on saura ce
qu’on veut faire, il sera facile d’accommoder les paroles aux faits » (cf. Discorsi, II, XV, p.
550). Les paroles, en politique, comptent pour du vent », « Le principal reproche qu’on puisse
faire aux dirigeants de l’Église italienne au temps de Machiavel, ce n’est pas de ne pas croire
en Dieu, c’est de faire en sorte, par leur incroyance et leur immoralisme affichés, que le
peuple cesse d’être croyant, donc devienne moins gouvernable… C’est une faute politique. »
La méthode utilisée par machiavel était le réalisme « il m’a semblé plus convenable de suivre
la vérité effective de la chose que son imagination. ». Ces paroles nous ramènent forcément
aux pensées d’Aristote qui, ne voulait pas constituer de réponse aux besoins car les besoins
changent et insistait donc sur la contingence. De même que Platon avec le rejet de la doxa. Il
n’est donc pas question ici pour machiavel de persuasion mais de pure conviction, chaque
argument, chaque pensée est rationnelle et fondée sur des faits dont lui-même a été témoin.
Cependant cette vision reste propre à lui et à son vécu, dans un contexte civil peu favorable à
l’espoir ce qui le pousse à « généraliser ce qu’il trouve dans les situations concrètes de
l’actualité ou de l’histoire, en dégageant des maximes qui seraient universelles de conduite ».
Enfin, la majeure partie du document porte sur La nature humaine selon Machiavel et son
pessimisme.
Dans un premier temps on apprend que machiavel est convaincu que l’Homme est mauvais
par nature, tandis que la pensée stoïcienne tant à penser que chaque Homme possède du bien
et du mauvais en lui, et que c’est son libre arbitre qui lui permet de choisir la manière dont il
se comporte. Il est vrai que l’âme humaine aura tendance à être attiré par les mauvaises
choses, c’est la raison pour laquelle il deviendrait nécessaire de craindre une entité supérieure
à l’Homme. Si on revient sur le passage de Moïse « Moïse était charitable en apparence et en
discours ; en réalité, il était, en tant qu’homme politique et créateur d’État, semblable à tous
les autres hommes de cette sorte, confronté aux mêmes lois du caractère humain et à la même
nécessité », on peut préciser que Moïse est un Homme comme tous les autres, simplement au
service de Dieu, donc ce comparatif n’a pas lieu d’être. La vérité c’est qu’un peuple qui ne
craint pas Dieu doit effectivement craindre autre chose, ainsi l’idée « qu’il est vrai que si le
peuple n’a pas peur des dieux, il faudra que le prince, pour obtenir le même résultat, le
terrorise. L’emploi cynique des croyances et mythes est donc un moindre mal » s’avère d’une
certaine façon.
Également, machiavel nous apprend que les Hommes sont cupides au point qu’ils « oublient
plutôt la mort de leur père que la perte de leur patrimoine » Ainsi, victime de raciste, le
célèbre ancien footballeur Samuel Eto’o avait bien fait comprendre aux journalistes que le
seul moyen pour faire cesser ce fléau était de toucher aux poches des dirigeants. « Si les
joueurs refusent de jouer, les dirigeants perdront de l’argent. A ce moment-là, croyez-moi, les
dirigeants trouveront des solutions ». C’est pourquoi il s’avère que le Prince devra moins
hésiter à tuer les opposants qu’à toucher à leurs biens.
Lorsque l’on sait qu’en 1928, le dictateur Mussolini décrit le prince comme « le guide
suprême de l’homme d’état » cela nous pousse à nous pencher davantage sur l’ouvrage. En
effet machiavel nous apprend que les gouvernants doivent inspirer la crainte et qu’il vaille
mieux, pour eux, d’être craint qu’aimé. L’idéal serait d’être aimé, mais, s’il faut choisir entre
les deux moyens, la préférence doit être donnée à la crainte. Car l’amour serait un sentiment
volatile tandis que la crainte se maitrise. « Caresser » ou « détruire » l’adversaire. Car en
laissant vivre une personne dont on n’est pas l’ami, on s’exposerait à tous les dangers qu’il
pourrait causer. Dans la réalité des faits, tous les tyrans des dernières décennies ont apprivoisé
ce dicton comme Saddam Hussein qui règnera pendant 24 ans sur l’Irak avec pour dicton
« tuer pour ne pas être tué », il s’attaquera à tous ceux qu’il soupçonne d’être contre lui. Ainsi,
Andrew Sullivan, auteur et journaliste politique indique que « Dans l’histoire humaine, la
liberté n’est pas les normes, quand les temps sont durs on est vite séduit par quelqu’un qui
arrive en disant « moi seul peut régler les problèmes ». Il définit la tyrannie comme la
gouvernance de ceux qui veulent des résultats. Ce qui rejoins totalement le point de vue de
Machiavel sur la concentration des pouvoirs ou encore l’unité de commandement comme cité
dans le texte : « Il faut établir comme règle générale que jamais, ou bien rarement du moins,
on n’a vu une république ni une monarchie être bien constituées dès l’origine, ou totalement
réformées depuis, si ce n’est par un seul individu ; il lui est même nécessaire que celui qui a
conçu le plan fournisse lui seul les moyens d’exécution. De même, le pouvoir exécutif doit
être un et sans partage, surtout en période de crise ». D’ailleurs on observe que même en
France, l’utilisation de l’article 49.3 permettant au Premier ministre de faire adopter un projet
de loi, non pas en le faisant voter au Parlement est utilisé davantage qu’avant, lorsqu’une
situation dite « critique » apparait dans notre pays…« Les cités organisées en république ne
peuvent guère, sans cette institution [la dictature], sortir des crises les plus redoutables. La
marche du gouvernement dans une république est ordinairement trop lente. Aucun conseil,
aucun magistrat ne pouvant rien faire par lui-même, et tous ayant presque toujours un besoin
mutuel les uns des autres, il arrive que lorsqu’il faille réunir ces volontés, les remèdes sont
dangereusement tardifs, alors qu’il s’agit de maux qui en demandent d’immédiats : il suit de
là que toutes les républiques doivent avoir dans leur constitution une pareille institution »

Il pourrait en effet exister deux façons d’appréhender le Prince. L'une serait égoïste, et ne
servirait que les ambitions d'un nouveau "Mussolini". L'autre serait altruiste et pragmatique.
Dans le but de prévenir, grâce au fait de connaître la tactique et la stratégie pour la voir arriver
de loin. Machiavel semblait être un observateur de talent. Il observait les hommes, leur
monde, leurs tactiques, leurs stratégies. Ce qui est sûr, c’est qu’il a eu l'humanité de consigner
ses observations dans un livre.

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