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1ère Roman
1/ L’influence de la nouvelle historique :
• C’est un genre qui connaît un vif succès dans les années 1650-70. Madame de La Fayette s’est elle-même
d’abord essayée au genre de la nouvelle historique : La Princesse de Montpensier (1662), La Comtesse de
Tende (1664). La nouvelle historique implique une brièveté formelle, une relative proximité temporelle
avec l’époque de la publication, un souci de rigueur historique (elle se veut « histoire véritable », par
opposition aux fictions invraisemblables du roman) : l’histoire est toujours celle des Princes et des
Grands, i.e. une histoire de rivalités politiques, d’intrigues de Cour, de complots et d’alliances.
• La Princesse de Clèves représente un monde relativement proche dans le temps (le règne de Henri II, une
centaine d’années auparavant ; l’équivalent de ce que serait aujourd’hui une fiction sur l’Affaire Dreyfus).
En effet, la fin du règne d’Henri II correspond aux années 1558-1559 (le récit dure environ un an), Henri
II étant considéré comme illustrant les Rois de la Renaissance par son goût des arts et par sa politique
italienne, et donc comme le digne successeur de son père, François Ier, dont il conserve le goût de
l’exploit. Dès les premières lignes du roman, nous savons que nous sommes dans les dernières années du
règne d’Henri II. De même, si la reine n’est pas nommée (il s’agit de Catherine de Médicis), le nom de la
reine Dauphine nous est donné : Marie Stuart, femme du Dauphin, celui qui sera brièvement François II
(de 1559 à 1560). De même, le récit est jalonné par des références aux épisodes historiques, tels que, au
milieu du tome I p. 66, la décision de marier le duc de Lorraine avec Claude de France, au début du tome
II (p. 105-107), la décision de Philippe d’Espagne d’épouser Elisabeth, fille d’Henri II et l’annonce du
mariage de Madame, Marguerite, sœur du Roi – âgée de trente-six ans – avec le Prince de Savoie, au
milieu du tome II, l’annonce de la signature, en 1559, de la paix entre l’Espagne et la France (p. 120), la
mort d’Henri II, lors du tournoi qui l’oppose à Montgomery pour fêter les fiançailles princières, en 1559
donc (p. 179-181), le sacre à Reims de François II (p. 192). De même, la peinture de la Cour et ses
intrigues (rôle de Diane de Poitiers, la duchesse de Valentinois, le rôle des de Guise, qui deviennent tout
puissants après la mort d’Henri II) renvoient à des événements réels. Madame de La Fayette elle-même,
intervenant a posteriori dans les débats provoqués par le texte, déclarera que cette œuvre (dont elle nie
être l’auteur) n’est pas un « roman », mais une œuvre historique.
• Cependant, les lecteurs contemporains ne considèrent pas le texte comme une œuvre historique, en
particulier, parce que le personnage central – la Princesse de Clèves – n’a jamais existé, contrairement à a
Princesse de Montpensier, de même que sa mère, Madame de Tournon et Estouville. Les autres
personnages, le prince de Clèves, le duc de Nemours, le maréchal de Saint-André… ont tous existé.
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• Rappelons que, dans les romans antérieurs, les moments d’analyse sont assez nettement détachés de
l’intrigue : que ce soit chez Madeleine de Scudéry, dans L’Astrée, ou le roman médiéval, la réflexion sur
l’amour est envisagée en elle-même, pour elle-même, dans des sortes de parenthèses du récit
(conversations, lettres, discours...). Or, Mme de La Fayette fait de l’analyse le moteur et la substance
même de son récit (d’où la difficulté, ou le défi, que représente toute adaptation cinématographique). Et
ce, en développant une technique spécifique, qui repose sur trois éléments :
o L’intégration de la conversation au récit : les conversations sont des événements ; la conversation
aide les personnages à prendre conscience de leurs sentiments, et à découvrir ceux des autres. La
parole n’est plus opposée à l’action, elle est pleinement insérée dans la chaîne de l’action. Elle est
un acte parfois violent : « Quel poison pour Mme de Clèves que le discours de Madame la
Dauphine » (p. 104), quand la Reine Dauphine explique que Nemours renonce à la couronne
d’Angleterre, car il est amoureux d’une femme en France. C’est le cas aussi des récits enchâssés,
qui révèlent les personnages à eux-mêmes (et en particulier l’héroïne) : la Princesse découvre le
caractère humiliant et dégradant de la passion (sa surprise quand sa mère lui explique combien la
duchesse de Valentinois règne sur Henri II p. 70, l’omniprésence de l’infidélité, les tourments de
la jalousie… Après avoir entendu l’histoire de Madame de Tournon, racontée au début du livre II,
qui a deux amants en même temps, la Princesse éprouve ainsi « un trouble dont elle fut longtemps
à se remettre » p. 96.
o Nous avons très souvent accès aux pensées des personnages (ex : « Quand elle fut en liberté de
rêver, elle connut bien qu’elle s’était trompée lorsqu’elle n’avait cru n’avoir plus que de
l’indifférence pour M. de Nemours. » p. 109). Nous avons sans cesse accès à la conscience des
personnages, D’où l’importance des silences dans ce roman : ex : le vol du portrait est une scène
quasi muette, qui fait alterner les mouvements de Nemours, la répercussion de ces mouvements
dans la conscience de la Princesse, et l’écho de cet écho dans le regard de Nemours lui-même, qui
s’aperçoit du trouble de la jeune femme p. 118. L’auteur parvient à restituer une succession de
sentiments plutôt qu’une série d’événements, à entraîner son lecteur dans la représentation d’une
vie avant tout intérieure. En effet, les événements historiques ne sont pas montrés dans leurs
conséquences politiques, mais très souvent dans leurs conséquences affectives : à la fin du tome
III, la narratrice consacre autant de temps à l’évocation de la mort d’Henri II -qu’au désordre dont
le duc de Nemours veut profiter pour parler à la Princesse de Clèves (p. 180-181).
o Les sentiments sont complexes et tout en nuances (c’est une différence avec le théâtre où l’on
peut réduire le caractère d’un personnage à une caractéristique, Oreste est mélancolique, Néron
dissimulé, Don Diègue fier, etc.). Ils sont même contradictoires, comme ce que ressent la Princesse
de Clèves après sa première entrevue en tête-à-tête avec le duc de Nemours au tome II, p. 109 :
« Madame de Clèves entendait aisément la part qu’elle avait à ces paroles. Il lui semblait qu’elle
devait y répondre et ne pas les souffrir. Il lui semblait aussi qu’elle ne devait pas les entendre, ni
témoigner qu’elle les prît pour elle. Elle croyait devoir parler et ne croyait devoir rien dire. ». Ce
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refus des sentiments simples va de pair avec un refus du pathétique : peu d’éclats, les yeux de la
Princesse sont tout juste « un peu grossis » p. 219 quand elle se sépare à jamais de Nemours,
l’immédiateté de l’émotion est toujours filtrée par une sorte de rumination mentale, de
commentaire intérieur. Le style reflète cette maîtrise des débordements émotifs : aucune
métaphore, monotonie du rythme, rigueur de l’hypotaxe.