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Académie de Strasbourg– Baccalauréat général – session 2023

ÉPREUVE ANTICIPÉE DE FRANÇAIS - RECPITULATIF DES LECTURES ET ACTIVITÉS

Établissement + ville : Collège Episcopal de Zillisheim Professeur : M. DANGEL

ère Effectif de la classe : 27


Division de classe : 1 4

PREMIÈRE PARTIE : TEXTES SUSCEPTIBLES DE DONNER LIEU À UNE INTERROGATION

Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, 1673. Textes choisis dans le cadre du parcours associé :
Intitulé du parcours : « Spectacle et comédie. »
Problématique : Comment la comédie de MOLIÈRE fait-elle Problématique : Comment le théâtre donne-t-il à la folie
de la médecine un véritable spectacle ? humaine une dimension comique et spectaculaire ?

1. ACTE I, scène 1 : « Plus, du vingt-sixième, un clystère 1. MOLIÈRE, L’Avare, IV, 7, 1668.
carminatif (…) Drelin, drelin, drelin. »
2. S. BECKETT, Fin de partie, ouverture de la pièce, 1957.
2. ACTE II, scène 6 : « ANGÉLIQUE : Tout cela madame (…) ;
ARGAN : « Jusqu’au revoir, Monsieur. »
3. ACTE III, scène 10 : « TOINETTE : Donnez-moi votre
pouls (…) ; TOINETTE : (…) tandis que je serai en cette
ville. »

Lecture(s) cursive(s) : IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Abbé PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731 Textes choisis dans le cadre du parcours associé :
(Biblio Lycée, Hachette).
Intitulé : « Personnages en marge, plaisirs du
romanesque »
Problématique : En quoi Manon Lescaut et le chevalier Des
Grieux sont-ils des personnages difficiles à cerner ?
Problématique :
En quoi la mise en scène d’une jeunesse marginale
nourrit-elle l’écriture romanesque ?

1. La scène de rencontre (première partie du roman, 1. E. ZOLA, L’Assommoir, 1877.


p.25) : « J’avais marqué le temps de mon départ (…) tous
ses malheurs et les miens. » 2. M. de KERANGAL, Corniche Kennedy, 2008.

2. L’épisode du prince italien (deuxième partie du roman,


p. 128) : « Nous rentrâmes dans son cabinet (…) que je ne
pouvais attribuer qu’à l’amour. »

3. L’enterrement de Manon (deuxième partie du roman, p.


197): « Mon âme ne suivit pas la sienne (…) que vous
voulez bien prendre à l’écouter. »

Lecture(s) cursive(s) : L. MAUVIGNIER, Continuer, 2016.

Signature de l’enseignant : E. DANGEL Cachet de l’établissement :


SÉQUENCE I : MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, 1673.

Texte n°1 : ACTE I, scène 1.

ARGAN : (…) Plus du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente
sols." Dix Sols, Monsieur Fleurant. "Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente
sols." Monsieur Fleurant, dix sols. "Plus du vingt-septième, une bonne médecine composée pour
hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres." Bon vingt, et trente
sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. "Plus du vingt-huitième, une prise de petit-lait
clarifié, édulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols." Bon,
dix sols. "Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard, sirops de
limon et grenade, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres." Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il
vous plaît, si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade, contentez-vous de quatre
francs ; vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et
trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc, que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq,
six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze
lavements ; et l’autre mois il y avait douze médecines, et vingt lavements. Je ne m’étonne pas, si je
ne me porte pas si bien ce mois-ci, que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à
cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci, il n’y a personne ; j’ai beau dire, on me laisse toujours seul ; il n’y
a pas moyen de les arrêter ici. (Il sonne une sonnette pour faire venir ses gens.) Ils n’entendent point,
et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin, point d’affaire. Drelin, drelin, Drelin,
ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, coquine,
drelin, drelin, drelin ; j’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les
diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ! Drelin, drelin, drelin ;
voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin. Ah ! mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin,
drelin, drelin.

SÉQUENCE I : MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, 1673.

Extrait n°2 : ACTE II, scène 6 (ligne 530 à 580).

ANGELIQUE
Tout cela, madame, ne servira de rien. Je serai sage en dépit de vous; et, pour vous ôter l'espérance
de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m'ôter de votre vue.

ARGAN
Ecoute. Il n'y a point de milieu à cela: choisis d'épouser dans quatre jours ou monsieur ou un
couvent. 
(A Béline.  ) Ne vous mettez pas en peine; je la rangerai bien.

BELINE
Je suis fâchée de vous quitter, mon fils; mais j'ai une affaire en ville, dont je ne puis me dispenser. Je
reviendrai bientôt.
ARGAN
Allez, m'amour; et passez chez votre notaire, afin qu'il expédie ce que vous savez.

BELINE
Adieu, mon petit ami.

ARGAN
Adieu, ma mie. Voilà une femme qui m'aime... cela n'est pas croyable.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Nous allons, monsieur, prendre congé de vous.

ARGAN
Je vous prie, monsieur, de me dire un peu comment je suis.

MONSIEUR DIAFOIRUS lui tâte le pouls.


Allons, Thomas, prenez l'autre bras de monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de
son pouls. Quid dicis  ?

THOMAS DIAFOIRUS
Dico  que le pouls de monsieur est le pouls d'un homme qui ne se porte point bien.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Bon.

THOMAS DIAFOIRUS
Qu'il est duriuscule, pour ne pas dire dur.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Fort bien.

THOMAS DIAFOIRUS
Repoussant.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Bene. 

THOMAS DIAFOIRUS
Et même un peu caprisant.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Optime. 

THOMAS DIAFOIRUS
Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c'est-à-dire la rate.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Fort bien.
ARGAN
Non; monsieur Purgon dit que c'est mon foie qui est malade.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Eh! oui; qui dit parenchyme  dit l'un et l'autre, à cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble par
le moyen du vas breve,  du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de
manger force rôti?

ARGAN
Non; rien que du bouilli.

MONSIEUR DIAFOIRUS
Eh oui: rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être entre de
meilleures mains.

ARGAN
Monsieur, combien est-ce qu'il faut mettre de grains de sel dans un oeuf?

MONSIEUR DIAFOIRUS
Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs.

ARGAN
Jusqu'au revoir, monsieur.

SÉQUENCE I : MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, 1673.

Texte n°2 : ACTE III, scène 10.

TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien
aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez
pas encore. Qui est votre médecin ?

ARGAN.- Monsieur Purgon.

TOINETTE.- Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi, dit-
il, que vous êtes malade ?

ARGAN.- Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

TOINETTE.- Ce sont tous des ignorants, c’est du poumon que vous êtes malade.

ARGAN.- Du poumon ?

TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous ?

ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

TOINETTE.- Justement, le poumon.

ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

TOINETTE.- Le poumon.

ARGAN.- Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’était des coliques.

TOINETTE.- Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de
dormir ?

ARGAN.- Oui, Monsieur.

TOINETTE.- Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre
nourriture ?

ARGAN.- Il m’ordonne du potage.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- De la volaille.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- Du veau.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- Des bouillons.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- Des œufs frais.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

TOINETTE.- Ignorant.

ARGAN.- Et surtout de boire mon vin fort trempé.

TOINETTE.- Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang
qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande,
du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une
bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que
je serai en cette ville.
SÉQUENCE I : Le théâtre, du XVIIème siècle au XXIème siècle.

PARCOURS : « Spectacle et comédie »

Texte n°1 : MOLIÈRE, L’Avare, IV, 7, 1668.

Harpagon, seul, criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.


Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ;
on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ?
Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-
il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. (À lui-même, se prenant par le bras.) Rends-moi mon argent,
coquin… Ah ! c’est moi ! Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais.
Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu
m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus
que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me
meurs ; je suis mort ; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant
mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? Euh ! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut,
qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi
justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire
donner la question à toute ma maison ; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens
assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble
mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ?
Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on
m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez
qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des
prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde ;
et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
SÉQUENCE I : Le théâtre, du XVIIème siècle au XXIème siècle.

PARCOURS : « Spectacle et comédie »

Texte n°2 : BECKETT, Fin de partie, ouverture de la pièce, 1957.

Intérieur sans meubles. Lumière grisâtre.


Aux murs de droite et de gauche, vers le fond, deux petites fenêtres haut perchées, rideaux
fermés.
Porte à l’avant-scène à droite. Accroché au mur, près de la porte, un tableau retourné.
À l’avant-scène à gauche, recouvertes d’un vieux drap, deux poubelles l’une contre l’autre.
Au centre, recouvert d’un vieux drap, assis dans un fauteuil à rou- lettes, Hamm.
Immobile à côté du fauteuil, Clov le regarde. Teint très rouge.
Il va se mettre sous la fenêtre à gauche. Démarche raide et vacil- lante. Il regarde la fenêtre à
gauche, la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête, regarde la fenêtre à droite. Il va se mettre
sous la fenêtre à droite. Il regarde la fenêtre à droite, la tête rejetée en arrière. Il tourne la
tête et regarde la fenêtre à gauche. Il sort, revient aussitôt avec un escabeau, l’installe sous
la fenêtre à gauche, monte dessus, tire le rideau. Il descend de l’esca- beau, fait six pas vers
la fenêtre à droite, retourne prendre l’esca- beau, l’installe sous la fenêtre à droite, monte
dessus, tire le rideau. Il descend de l’escabeau, fait trois pas vers la fenêtre à gauche,
retourne prendre l’escabeau, l’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, regarde par la
fenêtre. Rire bref. Il descend de l’escabeau, fait un pas vers la fenêtre à droite, retourne
prendre l’escabeau, l’installe sous la fenêtre à droite, monte dessus, regarde par la fenêtre.
Rire bref. Il descend de l’escabeau, va vers les poubelles, retourne prendre l’escabeau, le
prend, se ravise, le lâche, va aux poubelles, enlève le drap qui les recouvre, le plie
soigneusement et le met sur le bras. Il soulève un couvercle, se penche et regarde dans la
poubelle. Rire bref. Il rabat le couvercle. Même jeu avec l’autre poubelle. Il va vers Hamm,
enlève le drap qui le recouvre, le plie soigneusement et le met sur le bras. En robe de
chambre, coiffé d’une calotte en feutre, un grand mouchoir taché de sang étalé sur le visage,
un sifflet pendu au cou, un plaid sur les genoux, d’épaisses chaussettes aux pieds, Hamm
semble dormir. Clov le regarde. Rire bref. Il va à la porte, s’arrête, se retourne, contemple la
scène, se tourne vers la salle.

CLOV (regard fixe, voix blanche). — Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un
temps.) Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit
tas, l’impossible tas. (Un temps.) On ne peut plus me punir. (Un temps.) Je m’en vais dans ma
cuisine, trois mètres sur trois mètres sur trois mètres, attendre qu’il me siffle. (Un temps.) Ce
sont de jolies dimensions, je m’appuierai à la table, je regarderai le mur, en attendant qu’il
me siffle.
SÉQUENCE III : L’ABBÉ PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731.

EXTRAIT N°1 : La scène de rencontre (p.25).

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt !
j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter
cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche
d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre
motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une,
fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui
servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si
charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un
peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai
enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à
déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon
cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître
embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de
connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être
religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je
regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit
comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on
l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui
a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.
La rencontre de Manon Lescaut et de Des Grieux - Peinture de Evret (XIXème siècle).

SÉQUENCE II : L’ABBÉ PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731.

Extrait n°2 : l’épisode du prince italien (p. 128)

Nous rentrâmes dans son cabinet. Elle se mit à rajuster mes cheveux, et ma complaisance me faisait
céder à toutes ses volontés, lorsqu'on vint l'avertir que le prince de... demandait à la voir. Ce nom
m'échauffa jusqu'au transport. Quoi donc ? Quel prince ? Elle ne répondit point à mes questions.
Faites-le monter, dit-elle froidement au valet ; et se tournant vers moi : cher amant, toi que j'adore,
reprit-elle d'un ton enchanteur, je te demande un moment de complaisance, un moment, un seul
moment. Je t'en aimerai mille fois plus. Je t'en saurai gré toute ma vie.

L'indignation et la surprise me lièrent la langue. Elle répétait ses instances et je cherchais des
expressions pour les rejeter avec mépris. Mais, entendant ouvrir la porte de l'antichambre, elle
empoigna d'une main mes cheveux, qui étaient flottants sur mes épaules, elle prit de l'autre son
miroir de toilette ; elle employa toute sa force pour me traîner dans cet état jusqu'à la porte du
cabinet, et l'ouvrant du genou, elle offrit à l'étranger, que le bruit semblait avoir arrêté au milieu de
la chambre, un spectacle qui ne dut pas lui causer peu d'étonnement. Je vis un homme fort bien mis,
mais d'assez mauvaise mine. Dans l'embarras où le jetait cette scène, il ne laissa pas de faire une
profonde révérence. Manon ne lui donna pas le temps d'ouvrir la bouche. Elle lui présenta son miroir
: Voyez, monsieur, lui dit-elle, regardez-vous bien, et rendez-moi justice. Vous me demandez de
l'amour. Voici l'homme que j'aime, et que j'ai juré d'aimer toute ma vie. Faites la comparaison vous-
même. Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur, apprenez-moi donc sur quel fondement, car je
vous déclare qu'aux yeux de votre servante très humble, tous les princes d'Italie ne valent pas un des
cheveux que je tiens.

Pendant cette folle harangue, qu'elle avait apparemment méditée, je faisais des efforts inutiles pour
me dégager, et prenant pitié d'un homme de considération, je me sentais porté à réparer ce petit
outrage par mes politesses. Mais, s'étant remis assez facilement, sa réponse, que je trouvai un peu
grossière, me fit perdre cette disposition. Mademoiselle, mademoiselle, lui dit-il, avec un sourire
forcé, j'ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice que je ne me l'étais figuré. Il se
retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle, en ajoutant, d'une voix plus basse, que les femmes de
France ne valaient pas mieux que celles d'Italie. Rien ne m'invitait, dans cette occasion, à lui faire
prendre une meilleure idée du beau sexe.

Manon quitta mes cheveux, se jeta dans un fauteuil, et fit retentir la chambre de longs éclats de rire.
Je ne dissimulerai pas que je fus touché, jusqu'au fond du cœur, d'un sacrifice que je ne pouvais
attribuer qu'à l'amour.
SÉQUENCE III : L’ABBÉ PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731.

Extrait n°3 : L’enterrement de Manon (p.197).

Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement puni.
Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la
mener jamais plus heureuse.
Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma
chère Manon. Mon dessein était d'y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du second jour,
que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la
résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. J'étais déjà si proche de ma fin, par
l'affaiblissement que le jeûne et la douleur m'avaient causé, que j'eus besoin de quantité d'efforts
pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent
autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile
d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis
mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris
une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon cœur après avoir pris soin de l'envelopper de tous mes
habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée
mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai
longtemps. Je ne pouvais me résoudre à fermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir
et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le
sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la
fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais,
j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience.
Après ce que vous venez d’entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d’importance,
qu’elle ne mérite pas la peine que vous voulez bien prendre à l’écouter.
BOUVERET, L’enterrement de Manon Lescaut, gravure du XIXème siècle.

SÉQUENCE II : Le roman, du Moyen-Âge au XXIème siècle.

PARCOURS : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

TEXTE n°1 : E. ZOLA, L’Assommoir, 1877.

Nana est la fille de Gervaise et sera l’héroïne de Nana, qui décrit sa vie de prostituée. Dans
L’Assommoir, ses parents la retrouvent dans une guinguette.

- Regarde donc ! dit tout d'un coup Gervaise.


- Quoi donc ?
- Ce caloquet de velours, là-bas.
Ils se grandirent. C'était, à gauche, un vieux chapeau de velours noir, avec deux plumes déguenillées
qui se balançaient ; un vrai plumet de corbillard. Mais ils n'apercevaient toujours que ce chapeau,
dansant un chahut de tous les diables, cabriolant, tourbillonnant, plongeant et jaillissant. Ils le
perdaient parmi la débandade enragée des têtes, et ils le retrouvaient, se balançant au-dessus des
autres, d'une effronterie si drôle, que les gens, autour d'eux, rigolaient, rien qu'à regarder ce
chapeau danser, sans savoir ce qu'il y avait dessous.

- Eh bien ? demanda Coupeau.


- Tu ne reconnais pas ce chignon-là ? murmura Gervaise, étranglée. Ma tête à couper que c'est elle !
Le zingueur, d'une poussée, écarta la foule. Nom de Dieu ! oui, c'était Nana ! Et dans une jolie toilette
encore ! Elle n'avait plus sur le derrière qu'une vieille robe de soie, toute poissée d'avoir essuyé les
tables des caboulots, et dont les volants arrachés dégobillaient de partout. Avec ça, en taille, sans un
bout de châle sur les épaules, montrant son corsage nu aux boutonnières craquées. Dire que cette
gueuse-là avait eu un vieux rempli d'attentions, et qu'elle en était tombée à ce point, pour suivre
quelque marlou qui devait la battre ! N'importe, elle restait joliment fraîche et friande, ébouriffée
comme un caniche, et le bec rose sous son grand coquin de chapeau. - Attends, je vas te la faire
danser ! reprit Coupeau.
Nana ne se méfiait pas, naturellement. Elle se tortillait, fallait voir ! Et des coups de derrière à
gauche, et des coups de derrière à droite, des révérences qui la cassaient en deux, des battements de
pieds jetés dans la figure de son cavalier, comme si elle allait se fendre ! On faisait cercle, on
l'applaudissait ; et, lancée, elle ramassait ses jupes, les retroussait jusqu'aux genoux, toute secouée
par le branle du chahut, fouettée et tournant pareille à une toupie, s'abattant sur le plancher dans de
grands écarts qui l'aplatissaient, puis reprenant une petite danse modeste, avec un roulement de
hanches et de gorge d'un chic épatant. C'était à l'emporter dans un coin pour la manger de caresses.

Notes :

(1) Une guinguette : cabaret populaire


(2) Un caloquet : chapeau de femme
(3) Un caboulot : café mal famé
(4) Une gueuse : femme de mauvaise vie

SÉQUENCE II : Le récit et le roman du Moyen-Âge au XXIème siècle.

PARCOURS : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

TEXTE n°2: KERANGAL, Corniche Kennedy, 2008.

La plupart auront pris le bus, le 83 ou le 19, le métro pour ceux qui viennent du nord, et quelques
autres, ceux-là plus rares, débouleront en scooter ou sur tout autre engin terrible dont ils auront
augmenté la puissance d'un pot de détente disproportionné - on les entend venir de loin, lancés sur
leur bolide, ils ralentissent dans le virage, accélèrent en fin de courbe, blindent sur cinquante mètres,
freinent à mort à hauteur du panneau, alors dérapage contrôlé, pneus qui crissent, hop sur le
trottoir, vroum vroum, reprise de moteur deux ou trois fois d'un coup de poignet viril et ils coupent
tout - des p'tits cons.

Sitôt sur le palier, ils écartent les taillis qui obstruent la descente, gueulent si éraflés - feuilles canifs
vert-de gris -, et passé la barrière végétale, la pente est escarpée, le bruit de leurs baskets résonne
sur les rochers bam bam, lentement, puis de plus en plus rapide, et alors les voilà sur la plate-forme,
et sous la ville en somme, sous le vacarme de la quatre voies compacté en arrière-plan sonore,
souffle caverneux - un réfrigérateur que l'on ouvre la nuit dans une cuisine déserte -, et quand se
greffe la stridence d'une Maserati ou le flat six d'une Porsche 911, tous sursautent, et reconnaissent.

Illico s'agglutinent les uns aux autres, se touchent, se frottent, se bousculent, se font la bise - si fille-
fille ou fille-garçon -, se tapent dans la main, paume sur paume, poing sur poing, phalange contre
phalange - si garçon-garçon -, s'invectivent, exclamatifs, crus, juvéniles, agglomèrent leurs sacs,
baskets, sandales, tongs, vêtements, casques, étendent leurs serviettes à touche-touche ou les
disposent en soleil avec au milieu un lecteur radio pourri, deux ou trois litres de Coca, des paquets de
clopes, alors les éclats de leur voix ricochent sur la pierre, rebondissent et s'entremêlent, clameur
splendide, brouhaha qui les fusionne autant qu'il les fissure, éclate, mat et sec. (…)

Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur
âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la
joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison.

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